mardi 19 janvier 2010

Paris pas sport



Dans mon dernier billet, j'ai évoqué ma difficulté à faire du jogging à Paris. Et là on m’a nargué un peu : « Viens pas me faire croire que c’était plus facile au Canada, avec l’hiver, gna-gna-gna. » Ma réponse : oui c’était plus facile. Je vais vous dire pourquoi.

Mais avant, je vais vous parler de la cigarette. Il y a deux ou trois ans, le gouvernement du Québec a adopté une loi qui interdit de fumer dans les bars et restos. Et puis le premier hiver est arrivé. Je ne me souviens plus de la statistique exacte, mais en une seule saison, le taux de fumeurs dans la population est passé d'environ 24% à 20%. À cause de cette petite loi toute conne, 17% des fumeurs on écrasé d’un coup. Un résultat nettement plus efficace que les nombreuses hausses de taxes et les images dégueulasses sur les paquets.

Ceux qui ont arrêté étaient des fumeurs légers. Prêts à endurer une hausse de taxe. Mais pas prêts, au milieu d’une soirée, à enfiler le manteau, à mettre la tuque, à sortir du bar et à aller se les geler par -30 pendant dix minutes. Surtout si on a bien dansé et qu’on a la nuque mouillée. La petite loi a ceci de dissuasif qu’elle impose un châtiment corporel immédiat. Et non pas la menace lointaine, en image, d’un éventuel cancer, ou bien une hausse de prix parmi tant d’autres. Le fumeur se dit toujours qu’il va arrêter avant de se faire rattraper par le cancer. Ou que si les taxes augmentent trop, y’a toujours un contrebandier pas loin. Alors que fumer par -30, avec la brulure du froid sur les mains, les bouts des oreilles qui gèlent, et l’impression que ses dents vont fendre, ça a convaincu bien des gens d’abandonner. Reste les vrais, les irrécupérables, ce 20% de fumeurs (selon une étude gouvernementale que me citait un ami) qui n’arrêteront jamais, même à la menace du fusil.

Source photo : wikipedia.


Revenons à Paris. Faire du sport à Paris, c’est invivable. C’est possible, mais dans le quotidien c’est difficile. Et pour un tas de petites raisons insignifiantes, mais qui finissent pas s’accumuler et par décourager les sportifs légers. Des gars comme moi, qui ont toujours eu une petite bedaine, mais qui veulent seulement maintenir un fond de santé. Garder les choses dans un état acceptable. De quoi supporter une rando de quelques jours en montagne. À Paris, seuls les vrais accros tiennent le coup. Et encore. Demandez à MissK, une ancienne abonnée des salles de sport au Canada.

Des petites raisons insignifiantes, je vous en donne un tas comme ça. À Paris, un abonnement annuel dans une salle de sport frôle les 1000 euros par année. Faut être malade pour payer ça. En plus, ici, la mode est aux groupes : aérobie, cadio-flex, yoga. L’approche « j’arrive à n’importe quelle heure, je fais mon jogging, et foutez-moi la paix » n’est pas très populaire. De plus, les gyms ouvrent tard en matinée. Impossible d’y aller avant le boulot. Alors on y va quand? En soirée? Pas vraiment.

Paris est une ville qui encourage la petite ambition. Faut donner l’impression qu’on fait des heures. Quitter le boulot avant 18h30, c’est mal vu. À partir de 17h30, ils sont un tas à glander, à aller sur internet, à se tourner les pouces en attendant qu’il soit au moins 18h45. Ils sont arrivés à 10h00, ils ont pris trois cafés, ils ont bouffé de midi à 14h00, mais ils ne partiront pas avant 18h30. Certains vont même jusqu’à disparaître une partie de l’après-midi. Mais ils sont tous là quand, vers 18h40, les huit patrons du projet se lèvent les yeux et font leur petit recensement de l’open-space.

Et le gym, il ferme à 22h00. Donc tu pars vers 18h30, tu fais presque une heure de transport (parce que ton gym en banlieue coûte moins cher), tu fais tes deux heures de sport, douche, un autre transport, t’arrives à la maison vers 23h00. Et t’as pas encore mangé. T’as pas pris tes courriels. T’as pas appelé ta mère. T’as pas embrassé ta copine. T’as payé le compte d’EDF. T’as pas repassé ta chemise. T’as pas écrit ton billet de blog. T’as pas de vie.

La semaine à Paris, c’est pas compliqué : tu te lèves, tu travailles, tu bouffes, tu te couches. Occasionnellement, tu vas prendre trois bières avec les copains, ou tu vas au cinéma, et tiens donc : il est déjà une heure du matin. Quand le samedi arrive, t’as pas envie de courir. T’as envie de dormir. Et de faire les courses pour mettre quelque chose dans le frigo. Et si t’es un vrai Français, le dimanche tu dois passer chez le fleuriste avant d’aller bouffer avec la famille. Je l’ai déjà dit : à Montréal je partais du boulot à 17h00, j’allais faire de l’escalade deux ou trois fois par semaine (ou prendre une bière avec les copains), et j’étais chez moi à 21h00. Trois heures avant minuit, ça fait une grosse différence. Et le samedi matin, pas trop fatigué, j’avais toute une belle fin de semaine devant moi. Mon sport était déjà fait. Je pouvais en faire encore si je le souhaitais, mais ce n’était pas une obligation.

Exception faite des fonctionnaires, la plupart des gens qui travaillent dans un bureau ont des horaires de travail instables. C’est pas comme conduire un métro. Parfois tu finis tôt, parfois tu finis tard. Alors ça rend difficile la pratique de sports collectifs. Surtout qu’à Paris, la plupart des trucs collectifs commencent à 18h30 ou 19h00. Je suis encore au bureau à ces heures là! Il reste quoi? Il reste la natation et le jogging. J’aime pas la natation. J’avale toujours un peu du pipi chloré des autres nageurs. Il me reste donc le jogging.

Où faire du jogging à Paris, si on n’habite pas près du Bois de Vincennes ou du Bois de Boulogne? Et pour ce dernier parc, une fois la noirceur venue, c’est pas une très bonne idée. Donc il reste les rues, pour la plupart petites, avec de petits trottoirs, qui sont plantés de petits poteaux pour empêcher les conducteurs délinquants de se stationner sur le chemin des piétons. Des petites rues avec des cacas de chiens et des attroupements de fumeurs. Je peux me considérer chanceux : dans le coin de place de la Nation, certaines avenues sont plus larges. Mais si t’habites dans le Marais, t’es cuit. Le jogging à Paris, ça fait chier. À Montréal, j’étais jamais à plus de cinq minutes d’un beau grand parc où tourner en rond. Et en hiver, y’avait le tapis-roulant du gym à seulement 300 $ par année (200 euros), de 6h00 à minuit. Ça laisse une certaine liberté d’action.

Déjà que le jogging, c’est le suppositoire du sport. Y’a aucun plaisir dans le jogging. C’est une lente et morne agonie de X kilomètres pendant laquelle, si t’as un peu de chance, quelques endorphines viendront t’abasourdir juste assez pour t’empêcher de râler. On prend le jogging comme on prend un supplément alimentaire : parce qu’on n’a pas de légumes frais à la maison, parce qu’on a juste le temps de manger un hot-dog sur la rue, etc. Le vrai sport, c’est celui où on marque des buts, où on fait des paniers, où les copains se donnent de petits coups d’épaule. Le jogging est au sport ce que la branlette est à la baise, point final. C’est exactement ça : les coureurs de fond me font la même impression que les obsédés du dieu-seul-me-voit.

Alors il reste quoi? Il reste un trésor inexploité en France. Les deux belles heures de liberté et de plein soleil qu’on peut prendre entre midi et 14h00. Pourquoi ne pas en profiter pour faire du sport? Disons une heure d’activité, une douche, un petit sandwich, et hop, de retour au boulot. Le problème, c’est la douche. Y’a pas de douche à proximité. À la Défense, j’ai deux options : squatter les douches du personnel d’entretien, ou passer l’après-midi à me sentir comme une frite bien salée. Peu d’entreprises offrent des douches à leurs employés. En tout cas, pas la mienne. Et paradoxalement, les douches du personnel d’entretien sont dégoûtantes. Je me souviens, au milieu de l’été dernier, d’avoir eu un spasme nauséeux lorsque j’ai ouvert la porte du local. Ça puait le cadavre à l’ammoniac, c’était étouffant. Et y’a toujours le risque de se faire attraper, parce qu’on n’a pas l’autorisation. Oui, y’a un gym municipal à Puteaux. À quinze minutes de marche. Avec cette option, faut manger son sandwich devant l’écran lorsqu’on revient vers 14h05. Et si y’a une réunion, tu bouffes à 15h30 ou 16h00 (parce que les réunions françaises ne finissent jamais à l’heure prévue).

C’est pas grand-chose. Des petits désagréments. Y’a toujours moyen de faire du sport. Mais ces petites complications s’empilent, s’accumulent. Et quand t’es un sportif mou, celui qui veut juste garder la forme, ces petits trucs finissent par te décourager. Tu sautes un mercredi, puis le lundi suivant. Tu te sens coupable et tu tiens bon pendant deux autres semaines. Et là y’a un marathon de réunions. Et le jeudi d’après il pleut. Et à un moment tu ne fais plus de sport. Parce que c’est compliqué. Parce que t’es pas un athlète. Parce que t’es pas accro. C’est comme pour la cigarette. Dans ces conditions, seuls les vrais drogués et les désespérés persistent.



Petite note – je suis allé courir dimanche et ce soir. Aucun plaisir. Mes collègues voulaient que je les suive au resto. J’ai dû avoir recours à toute ma volonté pour résister. Faut vraiment vouloir.


7 commentaires:

tarte tatin a dit…

Sans oublier qu'au Québec il est facile de faire des raquettes, du patin à glace ou du ski de fond en pleine ville, même à Montréal ! :)

Patrice a dit…

Paul. En tant que masturbateur de longues distances (je parle de kilomètres), je pense qu'il te manque un partenaire.
Un de ceux que tu décri(e)s, un obsédé du bitume qui connait les bons endroits et qui te (en)trainera ou même te fera sentir coupable de ne pas l'accompagner.
Un de ceux qui portent des shorts ultra courts et des t-shirts sans manches "Dry Fit"

C'est sûr que ça va pas être facile de le trouver dans ta gang de champions du lever de coude :)

La tortue légère a dit…

On est bien d'accord. La vie à Paris moi "j'ai donné"...c'est ailleurs que le bel air se passe, celui où on a son temps pour en profiter.
J'ai une amie qui avait un peu "ton rythme" de travail et qui a tenu dans les salles de sport le soir. Mais c'est comme tu dis : primo elle arrêtait la clope et la gym devenait sa drogue, deuxio elle est vegèt quasi anorexique, ah ah ah !
L'emmerdant, surtout en France, c'est le manque de verdure, vraie et généreuse, dans les villes. C'est pour ça aussi qu'on aime aller et vivre chez toi !

noèse cogite a dit…

Je vais être dissonnante..la natation sur l'hre du dîner:)....ça répond à ton besoin de propreté, accessibilité..humm..
Quand il faut....

sylviane a dit…

L'ami Paul fait bien de préciser "Paris pas sport". Parce que dans les villes de moindre importance, il est facile de courir dans une belle nature environnante ou de trouver des abonnements à moindre coût dans les salles de sport.Et un et deux... Allez Paul, sus à la bedaine, et un et deux :-)

Aurélie a dit…

Je suis une Québécoise qui habite aussi à Paris et j'ai vraiment ris à lire ton dernier billet.
Tu as exactement écris ce que je pensais du sport à Paris. impossible à faire! Et aussi sur l'horaire des parisiens. je suis contente de voir que je ne suis pas la seule à penser à ça!

Anonyme a dit…

> le tapis-roulant du gym

Ca me fait toujours rire ces gens qui courent sans bouger d'un metre et qui transpirent. Je prefere de loin la piscine chauffée.

Paul, J'apprecie ton style d'écriture et ce que tu nous racontes à propos de Paris et des parisiens dont je partage souvent l'analyse. Bravo, continue mon gars.