samedi 27 mars 2010

L’art pour l’Art




Le Français est un être paresseux qui ne songe qu’à sa prochaine bouteille. Mais une fois plongé dans sa passion, il devient un marathonien de l’effort. Bon, c’est pas nouveau, vous me direz : tous les passionnés sont comme ça. Mais on dirait que le Français, dans une passion, préfère le processus au résultat. J’ai l’impression qu’il est désintéressé par la fin ; qu’il trouve plutôt son bonheur dans l’exécution parfaite des étapes menant à cette fin. Ici, dans mon métier, j’entends souvent l’expression « solution élégante ».

Je dirais qu’en Amérique, on bidouille jusqu’à ce que ça fonctionne. Élégant ou non, l’important, c’est que ça marche. Et après, si nécessaire, on polit. Le but, c’est d’arriver au but. Rapidement, au moindre effort. Aller de A à B. Mais ici, on dirait souvent que « bien fait » doit être compris comme « joliment fait ». Accessoirement, on veut bien que ça fonctionne. Mais l’important, c’est que ça soit bien exécuté, dans les règles de l’art.

Bon, vous pouvez trouver que j’exagère un peu avec mes boutades. Oui, peut-être, dans la forme. Mais sur le fond, ça ne me semble pas si con. Ça expliquerait peut-être l’inflexibilité de certains fonctionnaires locaux au sujet de la procédure. On l’incapacité de certains commerçants à faire du vrai commerce, c’est-à-dire de me soulager de mon argent tout en me gardant satisfait. À mes yeux d’Américain, le vrai vendeur est celui qui dit « laissez-moi vous proposer un arrangement » lorsqu’on approche les limites établies par l’établissement. En France dans le commerce, j’entends plus souvent « désolé, on est fermé », ou bien « ce n’est pas possible ». Mais sortons de cette parenthèse et revenons à l’art pour l’Art.

Alors, y’a le mec qui aime la musique et qui s’est trouvé un piano à queue complètement déglingué dans une brocante. Il ne sait pas accorder, mais il va apprendre. Il s’est mis à re-sculpter les pièces discontinuées. C’est magnifique de l’écouter te parler de son week-end à remplacer ces bouts de feutre qui empêchent les touches de claquer. De cette grosse pièce de bois gauchie qu’il a dû refaire. Les couches de vernis. Les trois heures de route pour trouver un élément d’origine. Son plaisir, c’est de regarder son vieux piano et d’envisager tout le travail qui lui reste.

Y’a cette petite Française, maniaque de cuisine, qui possède pas moins de cinq économes différents. L’un vient d’Italie et sert uniquement pour les tomates. L’autre permet de faire des juliennes. Le week-end, elle arpente Paris pour faire ses courses. Cuisiner des spaghettis relève de l’expédition : la tomate achetée chez un épicier florentin du neuvième. La pâte chez cette dame dans le cinquième. Et le parmesan dans onzième. Et le basilic au bout de la ligne 3. Elle possède des moules qui servent exclusivement à faire des madeleines. Elle a pris une hypothèque pour acheter ses couteaux. Et son grand rêve est l’achat d’une cuisinière Delaubrac à 13 000 euros.

Y’a le fanatique de la rando, qui documente tout, et dont le site internet est mieux fourni que les guides de la FFR. Y’a des vignerons, comme Thierry Richoux, qui exigent de tout faire à la main, comme dans le temps. Y’a des fromagers qui refusent de te vendre un produit s’il n’est pas encore à point. Et la France est le royaume du miniaturiste obsessif, de la simple Tour Eiffel en allumettes, jusqu’à ceci.

Il n’y a pas si longtemps, MissK m’envoyait un lien vers le site d’un mec qui fabrique des chasseurs X-Wing de Star Wars à partir de tickets du métro parisien. À voir absolument. J’ai trouvé ça splendide. Autant dans sa précision que sa futilité, c’est de la joaillerie. Et quelle documentation !


dimanche 14 mars 2010

À trois sous la douche



Depuis un moment, je prends ma douche matinale avec deux autres personnes. Je ne les connais pas vraiment, alors je les ai baptisées Grégoire et Geneviève. Ils forment un petit couple épanoui. J’entre dans la douche, ils sont déjà là, et ils me sourient.



Ils sont vraiment l’air heureux, Grégoire et Geneviève. Voyez-les : Grégoire qui serre sa copine dans ses bras, et Geneviève qui pose affectueusement sa main sur le biceps de son mec. Ils auraient pu élire domicile sur la couverture d’un magazine des Témoins de Jehovah, ou sur le carton d’emballage d’un ventilateur. Mais ils ont choisi d’habiter ma bouteille de shampooing. Et chaque matin, ils me contemplent dans ma nudité, pendant que je me savonne les aisselles. Ce qui semble les ravir.

Je les aime bien, Grégoire et Geneviève. Surtout qu’ils me donnent l’unique sourire que je recevrai entre mon lever et mon arrivée au bureau. Allez savoir pourquoi, les transports en commun parisien coupent l’envie de sourire.

Mais quand même, je me pose la question : pourquoi on met toujours un petit couple heureux sur les produits génériques ? Les grandes marques ont leur logos. Elles se paient des stars, ou un design branché. Mais sur l’entrée de gamme, on met souvent un petit couple heureux. Comme si on voulait souligner l’anonymat du produit. En distinguer la banalité. Sur l’adhésif du ramasse-poussière, un petit couple souriant. Sur le paquet de 12 chaussettes de sport. Sur le bol à salade en plastique. Sur l’escabeau d’appoint. Sur la lampe de poche de dépannage. Pourtant, un couple heureux, ça n’a rien de banal. Cet instant fugace de bonheur parfait, il ne dure que quoi : trois mois en moyenne ?

Mais bon, aux yeux des créatifs aigris et cyniques, un petit couple heureux semble être l’image parfaite de l’insignifiance ringarde. « Alors parton, je mets quoi sur la bouteille de shampooing sans-nom à deux euros ?
- Bof, mets un petit couple heureux...
- J’ai une photo d’un beau petit couple avec un chien.
- Ah non, pas de chien ! Je sais qu’on peut même laver la moquette avec ce shampooing qui pue, mais quand même, on veut aussi que les consommateurs diversifient leurs achats. Faudrait pas qu’ils comprennent qu’on peut tout laver avec le même produit. Ça serait mauvais pour les ventes.
- Bon, alors, est-ce que je fais une deuxième version pour l’allée des produits canins ?
- Ouais, mais pas de couple de chien. Les gens ont trop d’imagination.
- Et sur la version Happy Moquette ?
- Je sais pas moi ! Tu m’énerves, à la fin ! T’as qu’à mettre deux tapis qui baisent ! »


Je voyage toujours en première



Avec sa chanson Le Poinçonneur Des Lilas, Serge Gainsbourg chante la crise de nerfs d’un poinçonneur du métro de Paris, un pauvre homme abruti par ses p’tits trous. Dans la célèbre rengaine, y’a un vers qui m’a toujours titillé : « Des trous d’seconde claaaaas-se, des trous d’première claaaaas-se. » Pardon ? Des wagons de première classe dans un métro ? Je n’ai pu résister : j’ai fait enquête.

Eh oui, il y avait bel et bien un espace exclusivement réservé aux nantis dans le métro de Paris. En 1900, le prix du billet en seconde est de 15 centimes, et celui en première est de 25 centimes. Les wagons des riches sont rouges ou jaunes. La plèbe, pour sa part, fréquente les wagons verts ou gris. D’après les quelques photos que j’ai pu trouver, la première classe offre des sièges capitonnés. Et pour la populace, les sièges sont en bois.



Des sièges de bois pour les pauvres.



Et du mou pour les riches. Les photos viennent du site de Sprague-Thomson, concepteur des voitures. Un lien aussi vers ce blog, où vous trouverez une vidéo des rames en action, tournée lors d'une Journée du Patrimoine.


Là, je vous entends me dire : « Ouais, mais c’est de trucs de l’ancien temps. Ça date de la Belle Époque. C’est la Vieille France. » Mais selon cette page wikipedia, la première classe a existé dans le métro parisien jusqu’au 1er août 1991. Deux ans après la chute du Mur. Et surtout, allez lire ce savoureux extrait des débats du Sénat sur la question. On y apprend que des contrôleurs avaient pour mission de débusquer les malins qui auraient voulu monter en première avec un billet de seconde. Belle manière d’assurer le plein emploi, tout en protégeant les privilèges d’un certains citoyens. On y découvre aussi que les abolitionnistes ont dû militer pendant 33 ans pour la suppression de la première classe. Comme quoi les traditions sont tenaces, et qu’une révolution ne se fait pas en un seul jour. Notez enfin que de tous les métros du monde, celui de Paris était le seul à implémenter un tel type d’apartheid financier. On n’était pas loin de la dualité white vs colored si chère à certains sudistes américains.

Bon, bon, bon, j’arrête mes sous-entendus gauchisants et sentencieux. Reste que cette histoire de métro me ramène à l’esprit une espèce de logique typiquement française. Pour décrire la chose, j’ai parfois parlé de traditions, ou de conformisme. On fait les choses comme ça parce qu’elles ont toujours été faites comme ça. J’imagine très bien les premiers ingénieurs du métro discuter de leurs futures rames : « Un train, ça a deux classes, non ? Et pis un métro, c’est un train, non ? Ben le métro aura deux classes, et puis c’est tout. »

Je vous laisse avec Gainsbourg... Petit question quiz : de quelle station il parle ? Parce que sur la ligne 11, il y a les stations Mairie des Lilas, et Porte des Lilas. Observez bien la vidéo.