dimanche 23 janvier 2011

Cuisine moléculaire

N'en déplaise aux Espagnols, la cuisine moléculaire a été inventée par les Français. Ce sont eux qui, avec les moyens d'une autre époque et par des méthodes empiriques, ont su combiner bactéries et éléments chimiques pour nous produire de grands classiques de l'alimentation.

Parmi les mets les plus appréciés en France, il y a cette préparation au lait infestée de bactéries, qu'on recouvre de moisissures du type penicillium candidum. Ce qui plaît surtout, c'est cette odeur particulière, due notamment à la présence d'ammoniac et de cadavérine, une molécule issue de la putréfaction de tissus animaux. Je parle ici du célèbre Camembert.


Cadavérine. (Source photo)

Au royaume du fromage, le savoureux Roquefort n'est pas en reste. Putréfié dans des grottes, il contient de l'acide butyrique. Cet odorant composé, aussi présent dans le beurre rance et le liquide gastrique (lire vomi), a déjà été utilisé comme répulsif contre des équipages de baleiniers japonais. Comme quoi la gastronomie peut aussi servir les causes environnementales.

Si vous aimez la compagnie, je vous recommande la Mimolette. Vous partagerez alors ce délicieux fromage avec les milliers d'acariens qui peuplent sa croûte. Ces petites bêtes ne font pas souvent le ménage chez elles : la belle couleur grise de la croûte provient de leurs excréments et carapaces.


Acariens gastronomes. (source photo)

Véritables maîtres dans l'art de faire moisir les choses, les Français ne s'en tiennent pas qu'au lait. Votre plat de choucroute, une excellente source de vitamine C, provient de choux qu'on a laissé fermenter, sans réfrigération, parfois jusqu'à huit semaines.

Autre preuve que le temps est un luxe, ce magnifique Sauternes, si liquoreux, et qui vous a coûté un bras. Son goût délicat vous est acheminé par botrytis cinerea, un champignon qui vide le raisin de son eau, ce qui concentre les sucres. Autrement dit, on vous a vendu du jus de raisins pourris. Santé !




mardi 18 janvier 2011

Z'enfants de la patri-i-e

C'est avec un plaisir sans mesure que j'ai dévoré le dernier numéro du Point, paru le 13 janvier (et toujours en kiosque au moment d'écrire ces lignes). Le thème de la semaine : « Les Français ».

Évidemment, et c'est le style hexagonal, on y trouve de nombreux textes de ce que j'appelle la poésophie. Par exemple, voici le deuxième de seulement (et heureusement) six paragraphes sur l'identité nationale, par la philosophe et historienne Mona Ozouf : « Trop de fées disgracieuses entouraient ce berceau : une guerrière, partie pour terrasser l'hydre du communautarisme ; une rusée, qui prétendait, à des fins politiciennes, faire rejouer aux Français un beau sursaut républicain ; une jacobine, qui avait confié l'identité à un ministère et imaginé de faire voyager la discussion à travers préfectures et sous-préfectures, du haut vers le bas, du centre vers la périphérie, de l'État vers la société ; une maladroite, enfin, qui avait couplé la question avec celle de l'immigration en cherchant si grossièrement à en camoufler la figure centrale, celle de l'islam, que celle-ci était aussi voyante que dans les devinettes de notre enfance la figure du voleur de pommes dans les ramures du pommier. »

Petit aparté : j'aime bien qu'on puisse lire une phrase à voix haute sans risquer l'asphyxie. Encore mieux quand c'est concret. Mais bon, la France étant ce qu'elle est, il faut toujours écrire en se laissant une porte de sortie. Un texte décorativement flou permettra de parer la critique avec le conciliant « vous avez mal interprété ma pensée », ou le plus agressivo-défensif « vous déformez scandaleusement mes propos ».

Mais allons au sujet de mon plaisir. Le numéro du Point est couvert de petites statistiques amusantes sur les Français. Évidemment, ma mesquinerie est légendaire. Donc, je ne vous rapporte que les chiffres qui m'ont fait sourire.

S'il y a une expression bien franco-française, c'est « boire comme un Polonais ». Dans les faits, avec une consommation moyenne d'environ 20 litres d'alcool par année, les Français de 1980, véritables goldoraks de l'alcoolisme, buvaient deux fois plus que les Polonais. Leurs plus proches rivaux à l'époque, les Néerlandais, roulaient sous la table à seulement 11,5 litres. Les Français se sont calmés depuis, la moyenne nationale ayant chuté à 12,6 litres. Ils sont maintenant deuxièmes, juste derrière les Irlandais. Mais ils boivent toujours plus que les Polonais (10,3 litres). Difficile d'abandonner ses paradis artificiels : les Français de 16 ans sont champions d'Europe de la consommation de cannabis.


Source photo : wikipedia.


Le Français ne travaille pas beaucoup. Statistique pour le prouver : il passe annuellement 1564 heures au boulot, contre 1804 heures pour un Américain. C'est vrai, la productivité française est une des meilleures au monde. Certains en profitent pour claironner : « Le Français travaille moins, mais mieux ! » Ça fait un joli slogan, mais c'est surtout dû au positionnement de la France dans les secteurs à forte valeur ajoutée, comme les technologies de pointe et les produits de luxe. Position que la France défend bien, il faut l'avouer. Reste qu'en bout de ligne, ce sont patrons et actionnaires qui en profitent : le niveau de vie moyen en France est 30% moins élevé qu'aux USA. Socialisme, vous avez dit ?

Si vous le voulez bien, passons au pieu, où certaines réputations semblent un peu surfaites. Le rapport sexuel français dure en moyenne une quinzaine de minutes. Avec 8h50 de sommeil par jour (dont probablement 1h50 au bureau – mon ajout), les Français sont champions du monde du plumard. Statistique éloquente, s'il en est une, les Françaises déclarent en moyenne 4,4 partenaires sexuels, alors que ces messieurs en déclarent 11,6. Étrange, n'est-ce pas ? La différence s'explique peut-être par le nombre d'Américaines qui viennent briser la nef de leurs fantasmes romantiques sur l'écueil de la productivité française (15 minutes par coup, faut-il le rappeler).

En guise de conclusion, mesdames les Parisiennes, si votre modèle masculin est un fainéant, buveur, paresseux tant au lit qu'au travail, je suis peut-être l'homme qu'il vous faut. Dernier petit point, mais non le moindre : en moyenne l'homme français mesure 175 cm et pèse 77,4 kg. Je suis donc statistiquement plus grand et moins gros que votre mec actuel. C'est déjà ça de plus.

dimanche 9 janvier 2011

Is it All Over Now, Baby-Boomer Blue ?

(Ce billet est en réaction au texte Questions d'image - Le tremplin et le bouchon de Jean-Jacques Stréliski, paru sur le site du Devoir, le 20 septembre 2010.)

Premièrement, une petite correction. Monsieur Stréliski dit que les baby-boomers sont « nés durant ou à la fin de la Seconde Guerre mondiale ». La définition classique parle plutôt de la période allant de 1946 à 1964. Bon, commençons...

La plupart des boomers que je connais se glorifient des années 60 et 70, et ça me saoule royalement. En 1965, les boomers n'avaient que 19 ans. Ils faisaient du rock'n'roll. Certains posaient des bombes dans des boîtes aux lettres. D'autres se faisaient charcuter au Vietnam. Mais ils ne décidaient rien du tout.

J'aimerais que les boomers cessent de revendiquer leurs glorieuses années 60 une fois pour toutes. (Et qu'ils arrêtent de nous passer des documentaires sur le sujet à la télé.)

Pierre Trudeau n'était pas boomer. Ni Michel Chartrand. Ni René Lévesque. Ni Lise Payette. Ni Jean Drapeau. Ni Fidel Castro. Ni John Kennedy. Ni Neil Armstrong. Ni Salvador Allende. Ni Mao. Ainsi de suite. Même Reagan (voir Reaganisme et Chute du Mur) n'était pas boomers. Tous nés avant la guerre.

Martin Luther King, Woody Allen, Brigitte Bardot, Marlon Brando, Jane Fonda, Al Pacino, Jean-Luc Godard, François Truffaut, Jean-Paul Belmondo, Noam Chomsky, Andy Warhol, Niki de Saint Phalle, Mohammed Ali : ils ne sont pas boomers. Même John Lennon n'est pas un baby-boomer !


Source photo : wikipedia.


Dans les années 60, les boomers ne contrôlaient pas grand chose, sinon une nouvelle manière de consommer. Et pas beaucoup plus dans les années 70.

Mais qui sont-ils ?

  • Premiers ministres canadiens boomers : (Joe Clark), Brian Mulroney, (Kim Campbell), Paul Martin, Stephen Harper.
  • Les PM québécois boomers : Pierre-Marc Johnson, Daniel Johnson, Jean Charest.
  • Les présidents américains boomers : Bill Clinton, George W. Bush, Barack Obama.
  • Les présidents français boomers : Nicolas Sarkozy.
  • Chanceliers allemands boomers : Angela Merkel.
  • Premiers ministres britaniques boomers : Tony Blair, Gordon Brown. (David Cameron est né après le boom.)


Quand les boomers cherchent à fair leur bilan, ils regardent trop loin dans le passé en se concentrant sur les décennies 60 et 70. Certes, ils ont joué un rôle à cette période dans les domaines avides de sang neuf, comme le sport ou la culture. Mais on doit remarquer que, pour ce qui est de la culture, le terrain avait été bien préparé par les Miles Davis, Jackson Pollock, Boris Vian, Allen Ginsberg, Serge Gainsbourg, Marguerite Yourcenar, Simone de Beauvoir, Betty Friedan, Jack Kerouac, Mick Jagger... (tous nés avant le Baby-Boom)

La vraie sphère d'influence des boomers, il faut la chercher dans les décennies 80, 90, et 2000. C'est à ce moment qu'ils détiennent les postes influents.

Et faut pas oublier que les boomers qui partent à la retraite ajourd'hui sont ceux nés au début de la vague, en 1946. Les autres, ceux nés en 1955 ou en 1960, ont encore quelques belles années de boulot devant eux. Les boomers sont encore bien présents.

Faire un bilan ?

Monsieur Stréliski parle de bilan. Je crois qu'il est encore trop tôt. On peut commencer à dresser une silhouette de bilan, mais pas plus.

On peut parler d'explosion des dettes nationales et des fonctionnariats. Mais d'un autre côté, les boomers ont participé à la création de filets sociaux assez précieux. On peut évoquer les délocalisations et l'ultra-libéralisme. Mais les boomers sont aussi la première génération consciente de l'environnement. Individualisme, mais aussi protection des droits de l'individu (sauf sous George W. Bush). La fin des tabous. Une liberté d'expression assumée.

Y'a un domaine que les boomers devraient revendiquer un peu plus, selon moi. Bill Gates est un boomer. Steve Jobs aussi. Et Tim Berners-Lee. Vous ne connaissez pas Tim Berners-Lee ? C'est lui qui a inventé le html. Mark Zuckerberg (Facebook), Larry Page et Sergey Brin (Google), Pierre Omidyar (E-Bay) ne sont pas des boomers. Mais sans Tim Berners-Lee, ils ne seraient pas là où ils sont. Et vous ne seriez pas en train de lire ce blog.

Si y'a une bonne note que je veux bien accorder au boomers, c'est la démocratisation de l'informatique et la création d'internet tel qu'on le connaît. À mes yeux, c'est aussi important dans l'histoire de l'humanité que l'invention de l'imprimerie. Les sociologues le remarquent déjà : ça change notre manière de consommer, de socialiser, de communiquer, de réfléchir, de voir le monde.

Barack Obama a financé sa campagne grâce à internet. C'était la première fois que les dix dollars d'un quidam du Massachusetts battaient les millions des corporations lors d'une présidentielle américaine. Et qu'est-ce qui fait trembler le pouvoir traditionnel aujourd'hui, sur quoi essait-il de mettre le baillon ? Internet.

Dans les années 60, les boomers sont descendus dans la rue. Sciemment ou non, ils ont fini par apporter la rue dans votre salon. Pour bien boucler la boucle, j'espère qu'ils tenteront, avec les plus jeunes, d'assurer la pérénité de ce formidable moyen de communication libre.

mercredi 5 janvier 2011

Avec des amis comme ça

Pour qui s'intéresse à la politique, c'est-à-dire « la science relative à la gouverne d'un État » (ou la science de se faire des couilles en or en invoquant la raison d'État), la France offre un spectacle fascinant.

En Amérique, nous sommes habitués à un style britannique : les partis tentent de présenter un front uni. Certes, chaque formation possède ses ambitieux qui se livrent des batailles sanguinaires. Mais tout cela reste généralement bien caché derrière les sourires crispés et les discours lénifiants de bon aloi. Tout au plus verra-t-on, à l'occasion, un regard assassin, ou un peu d'ironie bien accidentelle.

Mais la France est une démocratie à la proportionnelle. Elle est gouvernée par une coalition d'organisations mouvantes et malhabilement soudées derrière un sigle : UMP, PS, etc. Il devient donc intéressant pour l'ambitieux de fonder son petit truc avec un nom vaseux, disons la COCU (Coalition Organisée de la Charente Unie), et d'attendre la meilleure offre d'un des ténors.

Donc, si le parti politique canadien est une sorte de noyau atomique à forte gravité, son homologue français devra plutôt être vu comme un amas moléculaire à l'équilibre fragile, constamment soumis à la tentation opportuniste.

La politique française prend ainsi des allures de Feydeau où se succèdent claquements de portes, mariages de raison, et dénonciations dans la presse. Tout politicien français se trimballe au moins dix couteaux : cinq dans la poche et cinq dans le dos.


Source photo : wikipedia.


Par souci de clarté et d'honnêteté, mais surtout pour notre plus grand plaisir, trahisons et assassinats politiques se déroulent en public. Peu importe qu'il s'agisse d'un héritage de la révolution (coupe-coupe-coupe), ou du respect d'une vieille tradition romaine (du pain et des jeux), le bon peuple français peut compter sur une dose quasi hebdomadaire de déchirements et de rebuffades.

Petit échantillon d'avant Noël :


(Parlant de Ségo, cet article du Monde qui résume sa dernière année politique. Tout simplement délicieux, à lire absolument.)

Un des éléments les plus savoureux de la politique française, c'est sa langue de bois d'une élégance et d'un raffinement sans pareil. Le monde est petit, et le politicien qui veut durer le sait bien. Dans la guerre au positionnement, les amis sont les ennemis de demain, mais aussi les frères d'après-demain. Il faut donc maîtriser l'art subtil de fermer une porte tout en la laissant entrouverte.

Ici, chaque déclaration politique recèle de trésors dignes de figurer à l'anthologie de la phrase creuse. On reniera un « pacte » pour parler plutôt « d'une alliance fraternelle ». On dira qu'une « autre France est possible ». On se présentera comme un « allié loyal mais indépendant ». On évoquera les « valeurs d'un humanisme social et libéral ». Et quand on a du talent, on saura, tel un barman des mots, concocter pour le premier micro qui passe une délectable et pétillante déclaration passe-partout : « La gravité de la crise sociale, morale, économique, le recul de l’impartialité de l’Etat et de la séparation des pouvoirs, l’explosion des déficits, la montée de la misère, le recul de toutes les sécurités, tout cela exige des réformes difficiles et donc une majorité large capable de réaliser un programme crédible, porteur de confiance, de justice et d’espérance. » (Quel talent ! Qu'on la prononce à Tokyo, en Bolivie, ou lors du Congrès des comptables agréés du Missouri, cette phrase garde toute sa pertinence, peu importe le moment de l'année. Et on pourra la réutiliser au moins jusqu'en 2047 !)

Le seul petit problème, dans tout ça, c'est les médias. Ah, les méchants médias, ces paresseux : au lieu de se consacrer au vrai travail des politiciens français, ils ne font que s'attarder sur les guerres intestines. Constamment, ils supputent les manoeuvres de tous et chacun, comme dans ce genre de papier. Il suffit de regarder la page politique du Monde : la majorité des textes, au lieu de s'orienter sur l'action concrète, s'occupent plutôt de faire résonner les malhonnêtes rumeurs de tactiques carriéristes. La colère de l'un, la fidélité de l'autre, la stratégie d'un troisième. Ce sont les médias qui font de la politique française une sorte de concours de beauté. Un étatique Secret Story (Loft Story au Québec). S'ils se consacraient aux réalisations tangibles des politiciens français, le bon peuple pourrait enfin dormir tranquille. Comateusement tranquille.