dimanche 13 juin 2010

L'appel à la prière



Il y a quelques semaines, avec des amis Québécois vivant à Paris, je suis allé à Istanbul. C'était la première fois que j'allais dans un pays à dominante musulmane. Ça m'a fait du bien de sortir un peu de l'Occident. Bon, vous me direz que ce n'est quand même pas l'Iran, et que les Stambouliotes sont très occidentalisés. Oui mais ils sont aussi assez orientaux pour dépayser le Canadien.

Istanbul est une très jolie ville. Proximité de l'eau, couleurs, parfums. Et beaucoup de vie. Une ville habitée, grouillante, chaleureuse. On sent dans le peuple turc une fierté très forte. Et ces grands drapeaux, le croissant blanc sur fond rouge, qui flottent paresseusement sur les brises du Bosphore.

Le truc qui m'a le plus marqué, c'est l'appel à la prière. Cinq fois par jour l'espace sonore est rempli par ces champs fascinants. C'est absolument magnifique. Je recommande, lors d'une visite, de marquer la pause, de fermer ses yeux, et d'écouter.



Je ne connais pas la langue arabe, et pas grand chose de la religion musulmane. Je crois que c'était mieux comme ça, pour une première fois, car j'ai pu apprécier ces chants comme on goûte un fruit, sans chercher à comprendre ou interpréter. Souvent, l'analyse est la grande ennemie de l'appréciation. J'ai fait de la musique dans une autre vie, et il m'est difficile aujourd'hui d'entendre une oeuvre ou un morceau sans décortiquer. C'est probablement la même chose pour un chef qui goûte un plat, ou un botaniste qui regarde une fleur : y'a le réflexe de chercher à expliquer le résultat, l'assemblage, la méthode.

Donc un soir comme ça, je me suis assis dans le parc près de la grande Mosquée bleue, et j'ai écouté. C'est un son unique, et incroyable. Aux minarets de toutes les mosquées de la ville sont accrochés d'énormes mégaphones, très puissants. Lorsqu'on est tout près, il en sort un hymne électrique, chargé de distorsion et d'harmoniques puissantes. Sauf votre respect, on dirait un flamenco chanté par la guitare de Jimmy Page (Led Zep) ou Jack White (White Stripes). Un son qui s'impose, qui commande. Un son envoutant et antique.

Mais ça c'est quand on est à côté de la mosquée. Parce que vient également à nos oreilles l'appel d'un autre minaret, un peu plus loin. Celui-là, à cause de la distance, a perdu son crépitement. Il est plus capiteux, plus rond. Tout aussi affirmatif dans son attaque, mais plus ancien, plus posé. Cette fois on dirait David Gilmour (Pink Floyd).

Ce qui est grandiose, c'est le concert donné par toutes les mosquées de la ville. Elles se répondent, elles se relancent. Elles remplissent l'espace. Une troisième, là-bas. Puis une autre, plus loin dans un quartier voisin. Et encore une autre, de l'autre côté de Corne d'Or. Dans l'ordre et dans le désordre, elles se donnent la réplique dans une cacophonie suave d'appels et d'échos. Comme la fédération des loups dans la nuit boréale, comme un gigantesque rituel, millénaire et sacré.

Pendant un moment, on dirait qu'Istanbul est captivée par ce son qui l'emplit et la soude, qui lui dit : "Voici qui tu es, voici d'où tu viens". Un son qui impose son rythme, d'une lenteur glissante, synchrone à celui des astres.



Je ne sais pas si c'est la même chose pour un asiatique, lorsqu'il visite Montréal et qu'il entend le carillon des clochers, le dimanche matin. Les cloches, c'est notre appel à nous. Je ne les remarquais plus vraiment, à cause de l'habitude. Mais quand j'y repense, c'est vrai que ça mérite d'être entendu. On dirait une sorte de fête. Je me souviens de l'église Saint-Jean-Baptiste, sur la rue Rachel, et de ses cloches qui s'éteignaient pendant une bonne minute après la volée. Une sorte de d'onde palpitante, flottant sur l'air humide de l'été, comme une braise luisante. Et après un peu silence, la ville qui se réveille.

Pour ceux qui n'ont pas visité Istanbul, il y a plusieurs vidéos sur YouTube. Cherchez « Istanbul call to prayer ». J'ai choisi celle-ci parce que, même si la qualité est mauvaise, on entend les mosquées se répondre :



Et y'a cette vidéo qui vous donnera une idée de l'intensité sonore de l'appel.


jeudi 10 juin 2010

Laisser le souverainiste parler



Dans un billet récent, je parlais de mon impression de stagnation à Montréal. N'en fallait pas plus pour stimuler un ami, que je prénommerai Michel. Parce que je veux reprendre ses propos ici, mais sans risquer de lui causer quelque tort là-bas. S'il veut se faire ennemis, il s'en fera lui même. Et c'est assez facile lorsqu'on chatouille certains tabous montréalo-centristes (à contresens du « centre du monde »).

Michel est un homme médiatique, il nage dans le culturel montréalais, et depuis longtemps. Nous ne partageons pas toujours les mêmes visions politiques. Mais sa correspondance m'a plu, parce qu'elle est dense et jouit d'un recul que je n'ai pas. Si pour ma part j'évoque des impressions, lui recense ce qui s'approche des faits. Je laisse son propos épistolaire vous parler :

J’ai été content de voir que tu reprenais ton bloque. Et surtout, avec un sujet qui moi, me passionne : la vertigineuse inertie de Montréal. C’est déjà préoccupant, mais s’y ajoute une couche de déni et de rationalisation à rendre fou. Toi qui ne nages pas dans le petit univers de la culture locale, j’admire ta perspicacité à repérer la fétichisation de la culture  – qui devrait nous servir encore un an ou deux.  
 
Voici deux ou trois réflexions si ça t’intéresse. (Finalement, c’est plus long que prévu, mais une fois parti, je suis intarissable.)

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À ce piétinement municipal, il me semble y avoir un élément dont on ne parle pas parce que tabou : le fait que nous ne soyons pas une ville de 3 millions, mais deux villes de 1.5 millions. Tu comprends l’idée ? Fais une somme des points de convergence de ces deux communautés linguistiques, et tu vas voir que ça fait pas une grosse synergie. Il y a quelque chose de symptômatique à voir un eunuque comme Gérald Tremblay élu deux fois comme candidat de compromis.
 
On dirait que dans le monde des affaires, la piastre ne suffit pas à rallier les 2 communautés. Ou peut-être justement, n’y a-t-il plus d’argent à Montréal ? Peut-être l’argent n’est-il pas, même ailleurs, le vrai moteur du développement ? Se peut-il même que l’argent montréalais travaille contre Montréal ? C’est quoi, le développement organique d’une ville au 21e siècle ? Ché pas, mais c’est sûrement pas de consacrer des millions à l’hypertrophie de la culture et du tourisme. 
 
Pourtant Montréal a longtemps prospéré avec sa double composition, non ?  Eh bien non ! Montréal prospérait tant qu’il n’y avait que les Anglos pour la runner. Pas parce qu’ils étaient Anglais-donc-compétents, mais parce qu’ils avaient, outre le capital, la cohésion sociale. Les Drapeau et cie vivaient au diapason de cette élite et profitaient de la richesse de la ville créée par elle.

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Ironiquement, les Francophones ont « pris leur place à Montréal » au fur et à mesure que l’élite financière anglophone quittait pour suivre naturellement le flot vers l’Ouest, Toronto. (Avec un peu d’aide des séparatistes-marxistes, d’accord.) Je le souligne, il y a eu la révolution Tranquille et tout, mais les francophones ont aussi joui de l’espace libéré par les Anglos. Dans ce contexte, l’Expo 67, full bilingue par ses grands artisans, a été le point d’équilibre idéal de collaboration.
 
L’Expo était aussi le chant du cygne de Montréal dont le déclin était inscrit dans les faits entre autres via la Voie Maritime. À moins de prendre les Olympiques déficitaires comme chant du cygne ? Choisissez votre symbole…
 
De plus en plus en contrôle, mais de seulement la partie symbolique de Montréal, les francophones se sont mis à privilégier la culture. Parfois avec raison : il y avait une vitalité dont il fallait profiter au max, à défaut d’avoir l’argent de Toronto. Et puisqu’on ne pouvait plus être grand-chose à l’échelle nationale, pourquoi ne pas se donner des prétentions internationales ?  Privé de la Bourse locale, Jean Doré s’est mis à parler de plaque tournante financière, etc.
 
Le résultats du 2e référendum, sidérants pour les Anglo-Montréalais, ont scellé la méfiance de ceux-ci. Eux qui avaient fait tant d’efforts bilingues depuis 20 ans, se sont renfrognés et leur méfiance des « Quebecwois » s’est accrue. Pas de quoi favoriser la collaboration pour les projets sont développés par the French. Le quartier des spectacles ne les excite donc pas beaucoup – avec raison hélas. La saga des fusion-défusions me paraît avoir consacré ces espaces de solitude.
   
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Nous voilà dans une situation assez désespérante, dont personne ne fait d’analyse sérieuse. On regarde Bilbao et on écoute Richard Florida à Toronto ! M’est avis qu’il y a des tabous qui vont nous enterrer. Et des gens réputés dynamiques qui ne contribuent rien. Marcel Côté de Secor suggérait à son petit sommet printannier que les francophones devraient mettre la pédale douce à leurs revendications linguistiques et travailler à la richesse de Montréal. OK, mais des gens d’affaires de Montréal qui ne réussissent pas à s’organiser et blâment le vilain PQ pour notre déconfiture, ça me paraît assez suspect. Un aveu en fait, comme quoi eux-mêmes, n’ont pas de solution à un problème STRUCTUREL.
 
D’oû doit venir la cohésion, l’élan, qui relanceraient Montréal ? Les médias sont un peu coupables de reprendre le discours de « wishful thinking » sans questionner, mais bon… Mais qui peut poser les questions, faire des propositions ?  Notre horizon se réduit tellement qu’on n’ose rien bousculer de peur que tout foute le camp. Ironiquement, même le PQ n’ose pas croire que son projet d’indépendance serait bien pour Montréal. Alors pourtant que l’urbaniste Jane Jacobs avait sérieusement suggéré dans son fameux (?) The Question of Separation que « la » solution pour Montréal était de devenir la métropole d’un petit pays séparé plutôt que d’être la 3e ville d’un grand pays. L’ironie : c’est pour sauver Montréal qu’elle voulait que tout le Québec se sépare !
 
Tout souverainiste que je sois, je ne tiens même pas que ce soit là « la » solution au problème de Montréal. Faudrait-il au contraire redevenir encore plus bilingue ? Parlons-en. Il y a trop de tabous dans la non-discussion en cours.


Source photo : wikipedia.


J'ai continué la dicussion avec Michel :

Sur facebook, à travers les amis montréalais, je vois passer un tas de petites iniatives intéressantes. Un petit groupe pour ci, une association pour ça, des blogueurs qui organisent une rencontre. Des photographes, des artistes sans le sou qui persistent, des clubbers, des pro-vélo, etc. Selon moi, ces gens sont le dernier poul de Montréal. Il font que cette ville respire et devient formidable dès qu'on va au delà du guide touristique. Il y a encore une énergie vitale. Mais ces initiatives sont celles de ghettos; elle ne sont pas vouées à dépasser le groupe des intéressés. Elles ne pourront jamais servir de phare. Y'a comme une structure ronflante, au dessus, qui les empêche de croître, qui bloque le renouveau.

Dare-dare, Michel relance, un tout p'tit peu ironique et amer (selon moi) :

Au sujet de ces petites initiatives que tu perçois, ce fragile coeur qui bat de Montréal, jamais portées par une vague de fond, toujours au bord de l’effondrement. Pourquoi ?
 
Eh bien, parce que Montréal (et le Québec ?) n’en a plus besoin : nous nous sommes développés un très bon petit système culturel et n’avons plus besoin de rien, merci. Nous contrôlons l’input. Nous avons nos Audiogram, nos gros festivals, nos théâtres qu’on aime tant depuis si longtemps. Ils sont fiables et sérieux. Toutes les initiatives imprévues qui sortent de nulle part, elles sont... trop petites pour se colleter aux industries culturelles subventionnées et commanditées que nous avons travaillé fort à monter, mais qui semblent devoir rester relativement fermées pour subsister. (Je reste dans le showbiz, mais ça s’applique ailleurs, je crois.)  
 
C’est pas seulement la faute des affreux boomers au sommet qui ont décidé de ne pas partager la tarte. Notre dispositif est vraiment fragile parce qu’il a copié avec succès le modèle lourd et coûteux de la culture de masse mondiale, alors que nous ne sommes que sept millions pour le « consommer ».
 
Paradoxalement, notre beau développement culturel depuis 1970, nous a légué des institutions (et peut-être une mentalité) qui étouffent la croissance organique de phénomènes encore non-identifiés, donc finalement de la créativité.   
 
Ne cherchez pas l’équivalent 2010 de l’Osstid’show. Si un show semblable existe, il trouvera à peine son public premier, des jeunes branchés et enthousiastes, hélas toujours plus individualistes. Il sera à peine réverbéré dans les médias « jeunes » inexistants. (VOIR est criminellement responsable de pépérisme à l’égard de la culture.)
 
On en est donc rendus à voir des entreprises multimillionaires comme le Jazz et Juste pour rire, créer de toutes pièces des « petits événements » fous aux airs spontanés ! Comme un festival Fringe, alors que Montréal en avait déjà un, surtout anglo, indépendant, qui survivait avec la vente de bière, comme dans une vraie sous-culture.  Ben là, mononcle Gilbert a décidé de faire de Montréal un nouvel Édimbourg, au mépris de tout ce qui gigote dans une ville qui n’est jamais assez internationale pour lui.
 
Le plus beau, c’est que ces poids lourds (GSI, Festival de Québec, etc) réussissent à faire croire qu’ils incarnent la culture québécoise, si précieuse et tout. Ce ne sont plus de simples entrepeneurs, si leurs projets ne fonctionnent pas comme ils veulent, c’est la culture qui prend le bord ! Beau chantage, non ? Pistes bien brouillées, non ?

« J’ai ici un petit événement sympa et tout plein créatif, qui pourrait devenir un nouveau Juste pour Rire, dans 10 ans. » Que veux-tu qu’un ministre de la culture, un maire de Montréal, un brasseur-subventionneur, répondent à ça dans le contexte actuel ?


C'était des idées, pour alimenter les vôtres. Elles ont nourri les miennes. Vous avez le droit d'être d'accord, pas d'accord, ce que vous voulez. Exprimez-vous si le coeur vous en dit. C'est déjà mieux qu'attendre.


lundi 7 juin 2010

Sur du temps emprunté





Ici, le gros sujet ces jours-ci, c'est "les retraites". Le gouvernement Sarkozy veut repousser l'âge de la retraite. Évidemment, ça ne fait l'affaire de personne. Comme c'est partout à la télé, j'ai me suis renseigné un peu. Voici donc.

Comme partout en occident, le France s'est payé des régimes sociaux luxueux depuis la seconde guerre mondiale, incluant un régime de retraite. Et la dette nationale explose. Par habitant, elle est environ 1.5 fois plus élevée qu'au Canada. Chaque Canadien "doit" environ 16 000 $. Une famille canadienne de quatre personnes a donc environ 64 000 $ de part dans la dette nationale. En France, on est plutôt autour de 100 000 $.

Évidemment, quand on parle de retarder la retraite, ça proteste un peu. Y'a les habituelles marches et mouvements sociaux, car on est en France, mais l'élan est un peu mou. On sent l'inévitable. Ça commence à faire beaucoup de dettes, et tout le monde le sait. Les jeunes savent que c'est perdu d'avance. Y'a surtout les cinquantenaires qui râlent : ils aimeraient bien partir juste avant la réforme. On les comprend. Aujourd'hui, la retraite à 60 ans, c'est magique. On est encore jeune. Un peu de viagra, et hop, 20 à 30 ans de belle vie.

Oui, oui, j'ai bien dit : "la retraite à 60 ans". En fait, voici ce que dit wikipedia : "En 2005, la France est un des pays où l'âge moyen de départ à la retraite est le plus bas : 58,5 ans pour les hommes, 59,2 ans pour les femmes." Mais disons que l'habitude, depuis un bon nombre d'années, c'est 60 ans.

En gros, la France s'est payé un Liberté 55 d'État (pour mes amis français, Liberté 55 est un produit de la compagnie d'assurances London Life qui permettrait à ses clients de prendre leur retraite à 55 ans. Mais je ne sais pas à quel prix.) Et Aujourd'hui la France a le même problème qu'ailleurs : on avait prévu que le Baby Boom allait durer éternellement. Mais ce n'est pas le cas. Alors moins de jeunes se trouvent à payer plus pour des vieux qui ont payé moins. Et les régimes sont déficitaires. Loin de moi l'idée de blâmer les baby-boomers ; ils ont juste fait confiance aux chiffre qu'on leur avait donnés. Et de toute manière, ma génération risque de recevoir sa propre claque dans 30 ans. Quand on nous traitera de "génocidaires environnementaux", pour nos IPads, téléphones portables, et innombrables clics sur la toile. Paraît que le traitement d'un seul clic sur une page web requiert autant d'énergie que ce qu'il faut pour chauffer un tasse de café. Avec tous les serveurs, routeurs, relais, crawlers, etc. Ils ont dit ça sur Arte hier soir, une source au moins aussi fiable que wikipedia. Bon, je disgresse, comme toujours.

Mais bon. Il me semble que 60 ans, c'est assez généreux. En tout cas, pour moi, c'est surprenant (et attrayant, faut le dire, même si ça ne peut plus durer).

En fait, c'est pas exactement 60 ans. C'est plutôt 162 trimestres de cotisations. Soit environ 40 années de travail. Donc si t'es au boulot de 20 ans à 60 ans, ça va. Mais si tu t'amuses à prendre des sabbatiques ou à retourner aux études, je crois que ça retarde un peu ta retraite. Ou ça diminue tes revenus selon l'ampleur de tes cotisations manquantes.

Évidemment, France oblige, tout ce système est échafaudé sur un réseau bordélique d'organismes. En gros, il y a une quarantaine de régimes de retraite rattachés à divers corps de métiers. Les pompiers ont leur régime, les boulangers leur leur, etc. Comme le nombre de travailleurs dans un corps de métier fluctue, selon les générations et progrès technologiques, certains régimes sont déficitaires. C'est probablement le cas pour le régime des forgerons, ou celui des fabricants de corsets. Alors y'a par dessus ça un système de péréquation (comme on dit au Canada) qui fait que les régimes profitables soutiennent les autres. En gros, c'est ce que j'appellerai un BLC : Bordel Layer Cake.

Bon ben voilà. Je vais me coucher un peu moins niaiseux ce soir. Et c'est sympa de constater que tout ça est encore une fois imprégné d'une couleur culturelle typiquement française : c'est compliqué et ça coûte cher, mais y'en a un peu pour tout le monde...


jeudi 3 juin 2010

Qu'est-ce qui se passe à Montréal ?



Je suis parti il y a deux ans. Mais à travers le hublot de ma Cyberpresse quotidienne, Montréal me semble bien stagnante. Je la trouvais déjà un peu endormie avant mon départ. Depuis un moment.

Commençons par le début, sinon vous allez me crucifier. Montréal reste pour moi la plus belle ville du monde. L'endroit où on vit le mieux. Cosmopolite, pleine d'espaces verts, pas trop grosse, pas trop petite, jeune dans sa tête, colorée, avec une culture métissée, semi-américaine, semi-française, qui permet de conjuguer business efficace et beau cadre de vie. La rotation des saisons y est magique. Il y a des choses à faire, des choses à voir. Montréal est sexy.

Mais depuis quelques années, j'ai l'impression d'un bruit de fond. En fait, c'est un silence. Une sorte de vide. Comme si la ville manquait d'essence : elle roule encore, mais c'est seulement l'entropie, le temps de diffuser l'énergie emmagasinée.

J'ai l'impression que la ville a cessé de se renouveler. Et qu'elle s'use par petits bouts. Les gros projets plantent. Y'a des pans d'industrie qui prennent la route de Toronto. Y'a le Grand Prix en toujours en sursis, les festivals qui vieillissent (et qui se ramollissent). Je ne veux pas me lancer dans une énumération; ce n'est pas là où je veux aller aujourd'hui. Seulement, on dirait qu'il y a juste assez de "peinture" socio-culturo-financière pour couvrir l'échéancier montréalais : les événements se suivent sans se chevaucher, rien ne déborde. Si un truc disparaît, rien ne se précipite pour combler le trou. En gros, la ville n'a aucun des problèmes liés à la croissance.

J'ai aussi l'impression d'une ville qui se referme tranquillement sur sa petite popote. Moins curieuse, moins aventurière, préoccupée par ses petits politiciens, ses nids de poule, et les polémiques de Guy A.

Source photo : wikipedia.


Un feeling de fin de party, vers 4h a.m. Moins de monde sur la piste de danse, barman qui commence à bailler. Time to go home.

Mais ce n'est pas ça qui m'inquiète.

Cette semaine, une étude du Conseil canadien de l'apprentissage présente un palmarès des villes et de leur consommation culturelle. Surprise générale : Montréal, qui table beaucoup sur son côté "culturel", y est classée 17e sur 18. L'avant-dernière position ! Derrière Cap-Breton ! Derrière Moncton ! Derrière Québec, Winnipeg, Saskatoon !

Ce qui m'inquiète, c'est la réaction à cette étude : la défensive. Voir, par exemple, Nathalie Petrowski ou le maire Tremblay. On a critiqué l'étude. On l'a trouvée biaisée. On a "remis les pendules à l'heure" : Montréal est unique, Montréal a cette saveur que d'autres n'auront jamais, bla-bla-bla.

Moi je ne sais pas. Je n'ai pas lu l'étude. Mais depuis des années à Montréal, on roule sur certains clichés.
- On s'ennuie à Toronto.
- La nuit est longue à Winnipeg.
- Saskatoon est une ville de rednecks.

C'est peut-être encore vrai. Je me souviens de mon passage à Saskatoon et Winnipeg, et c'était morne en tabouère. Mais c'était il y a 15 ans ! Ces villes ont peut-être changé (alors qu'il ne se passait rien de nouveau chez-nous). Pendant qu'on répétait le même cliché, peut-être que ces villes sont devenues excitantes. C'est pas long. Dix ans suffisent. Amusez-vous à comparer le Montréal de 1960 à celui de 1970. En 1960, y'avait même pas la Place Ville-Marie au centre-ville. Et regardez d'où partait Bilbao avant de bâtir son Guggenheim, il y a seulement 13 ans.

Chose certaine, et ça plus personne n'en doute, on ne s'ennuie plus à Toronto. La métropole du Canada n'est plus une triste escale business pour banquiers. Je voyage pas mal depuis que je suis à Paris. Dans les aéroports, je jette toujours un oeil aux vols en partance pour l'Amérique. Toronto revient plus souvent que Montréal. Et dans ces publicités de sociétés qui essaient de communiquer une "présence internationale" à leurs clients européens, à travers les stock-images de New-York, Londres, Hong-Kong, je vois plus souvent passer la Tour du CN que le Stade Olympique. Ça me paraît un indicateur intéressant.

Alors selon une étude, on n'est plus aussi "hot" qu'on voudrait le croire. Et quelle est notre réaction ? On pourfend l'étude : "Ils ne connaissent rien, ils se sont trompés, ce sont des idiots, on ne change rien, on est les meilleurs."

Mais c'est pas la première étude qui nous rentre dans le lard, depuis quelques années. Alors au lieu de protester, de nier en bloc, on devrait peut-être recommencer à regarder autour. Si Saskatoon est maintenant "plus culturelle" que Montréal, pourquoi ne pas aller voir comment ils en sont arrivés là ? On trouverait peut-être de quoi se renouveler un peu plus.

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Et pour ceux qui me traiteront de Parisien snob, sachez je vois ici ce qui attend peut-être Montréal. Paris me donne souvent l'impression d'une vieille primadonna sclérosée, convaincue d'être le centre du monde, même si sa dernière idée neuve date de 1947. Quand on arrête de se mettre au défi, on s'encrasse dans ses habitudes. La différence entre Paris et Montréal, c'est que la première peut s'asseoir un peu plus longtemps sur ses lauriers avant de tomber définitivement en deuxième ligue. Luxe que Montréal n'a pas.

En tout cas, il y a peut-être beaucoup de sang neuf à Montréal. Mais depuis quelques années, il a de la difficulté à se trouver une veine.

(Ben oui, je sais, la dernière métaphore est ultra-poche. Mais au moins j'ai essayé de faire du nouveau avec "sang neuf". C'est au moins ça. Faut essayer. Parfois ça donne des choses intéressantes. Comme "Qui n'a rien ne risque rien". Ça met un peu de poésie dans la Crise, mettons...

Bon, je la ferme.)


mardi 1 juin 2010

Les Français râlent



(Là, je ne râle pas; je constate. N'allez pas dire que je râle. À la limite, je trouve ça rigolo.)

En France, le râle est un signe vital. Il est mentionné dans les protocoles médicaux. Si le patient râle encore, c'est qu'il vit toujours. Même s'il ne respire plus depuis une bonne heure. Parce qu'un Français peut râler très longtemps sans reprendre son souffle. Jacques Mayol, il venait d'où vous pensez ? Et il faisait quoi lorsqu'il est descendu à 106 mètres en apnée ? Je vous le dis dans le mille : il râlait.

Vous allez protester : « il faisait du yoga ! Il était ultra-relax ! Il savait abaisser sa fréquence cardiaque à 20 battements par minute ! Pas du tout le style râleur ! »

Vous vous trompez. Pour le Français, le râle est un moyen de rester calme. C'est une expression naturelle, harmonieuse. C'est un mantra. Essayez pour voir. Répétez d'une voix monocorde : « putain-d'merde-de-connards-de-mouvement-social-de-mes-deux-de-scandale-inadmissible-j'suis-venere-tellement-c'est-relou ». Répétez... doucement... Répétez.

Essayez aussi la forme abrégée en successions rapides : « venere-tellement-c'est-relou ». Voyez comment après un moment elle se transforme en ronronnement apaisant.

Faites 500 mètres dans Paris et vous tomberez inévitablement sur un Français qui râle tout seul en marchant. Il semble pester. Parfois il gesticule un peu. Il vous paraît énervé. Mais en fait il relaxe. Il ventile. Et souvent le râle sert à chasser l'ennui : constatez à quel point les Français l'utilisent lorsqu'ils sont dans une queue. Surtout qu'ils font souvent la queue. Alors ils ont perfectionné la technique. Le râle leur permet de se distraire en attendant leur tour. L'équivalent humain de l'onanisme simiesque souvent observé au zoo.

Source photo : wikipedia.


Au delà de l'individu, le râle occupe une importante fonction sociale en France. Un peu comme le chant pour les oiseaux. Avec le râle, le Français marque son territoire. Ou bien, il réunit sa tribu. Avez-vous déjà remarqué comment les Français se déplacent en troupeau ? À l'aéroport, s'ils y a des Français, ils sont toujours au moins 20 à monter dans le même avion, et ils sont tous assis dans les mêmes rangées. Ils bouffent ensemble à la cantine le midi, ils font Club Med ou UCPA, ils fréquentent les même plages lors de leur grande migration estivale, et hivernent dans les mêmes stations de ski, ils chantent dans la chorale, ils sont 500 000 sur les Champs Élysées dès qu'ils y sont conviés par l'une de leur 700 centrales syndicales (les ténors du râle). Avec les flamants roses et les fourmis, l'espèce française présente un des plus hauts niveaux de cohésion sociale au sein du règne animal. Le râle est un élément primordial de cette exceptionnelle solidarité du cheptel humain hexagonal.

Dans n'importe quel pays, les titres du marchand de journaux en disent long sur une société. Partout, on trouvera une majorité de publications tournant autour des deux besoins élémentaires de l'espèce humaine, soit se nourrir (les magazines de cuisine) et se reproduire (les magazines de mode, et accessoirement Playboy). Mais fouiller un peu les rayons permet de se constituer une sorte de condensé sociologique de l'endroit visité. Ainsi, aux USA on trouvera des revues sur les armes automatiques. Au Canada, des mensuels traitant d'aménagement paysager (because fatigue politique et désir profond de jardiner pendant les deux mois où c'est possible). Et en France, chose assez unique dans le monde, des périodiques sérieux qui se consacrent, dans le ton ou dans le propos, au râle. Le Canard enchaîné, ou Marianne, pour ne citer qu'eux.

Les Français ont même aménagé, au sein de l'espace professionnel, des séances de râlage à l'horaire plus ou moins souple, qu'ils désignent sous le nom de « réunions ». Et leur système politique maximise le nombre de partis, donc d'opposants au pouvoir.

Comprendre le râle, c'est comprendre la France. Et comprendre le râleur, c'est comprendre le Français. S'il avait pu le faire manière plus succincte et élégante, René Descartes aurait ainsi complété sa thèse : « Je pense donc je suis, mais en plus je vais râler, comme ça on sera bien certain que je suis. »