mercredi 27 avril 2011

Carnivore infidèle

Je viens de mettre la main sur une copie de Les carnivores infidèles, le tout nouveau bouquin de recettes de mon amie Catherine Lefebvre. Un seul commentaire : outrageusement sexy !

C'est un livre végé. Bon, j'entends les Français paniquer. Mais Catherine est nutritionniste ; son métier, c'est de nous régaler tout en veillant à notre santé. Et elle le fait bien. Pas de prêchi-prêcha interminable, mais plutôt des petits conseils semés ici et là. On les lit en cuisinant, sans se prendre la tête, au gré des recettes.


Photo par Albert Elbilia © Éditions Cardinal


Mais moi je suis un mec. Un vrai ! Et c'est ça qui est bien dans le bouquin : que des recettes simples à préparer, sans trop de cuisson, avec des ingrédients faciles à trouver.

Je vous fait saliver un peu. Dans le Croque en bol (p. 96), vous trouverez notamment de l'avocat, du citron vert, du tahini, du wasabi, des fèves edamame. Et la Salade de prince charmant (p. 74) : pamplemousse rose, pomme grenade, pacanes, basilic, et un peu de poivre de Cayenne. C'est beau, c'est frais, les recettes tiennent sur deux lignes. Je viens de trouver de quoi m'occuper pour les prochains week-ends.

Et sa recette de Burger (p. 54) m'a rappelé que des champignons poêlés, c'est splendide en sandwich. Porcini et girolles encore chauds, avec une pointe d'ail ou de vieux cheddar, sur un pain craquant et un peu huilé (ma recette), et vous pleurerez de bonheur.


Photos par Albert Elbilia © Éditions Cardinal


Catherine a fait appel à ses amis pour les recettes, afin de montrer que monsieur tout-le-monde peut manger végé à l'occasion. L'ouvrage est de qualité pro, avec des photos à se pâmer. J'ai eu un moment de bonheur en voyant notre contribution à MissK et moi : les papas a la huancaina (p. 136). La photo est diablement décadente.

Pour accompagner cette recette andine, j'avais proposé à Catherine une petite salade péruvienne, qui n'a pu être retenue lors de la sélection finale. La voici, toute simple :
- coupez un demi oignon en lamelles fines.
- laissez mariner 30 minutes dans du jus de citron vert, de l'huile d'olive et un peu de sel.
- coupez une tomate en cubes.
- hachez de la coriandre fraîche, à peu près le même volume que la tomate.
- mélangez tout ça.

On dit que l'oignon facilite la respiration et aiderait à soulager l'asthme. Sustentés par les papas à la huancaina, et décongestionnés par la salade, vous serez en forme pour monter jusqu'à Machu Picchu.

Les carnivores infidèles : 60 recettes végés pour tromper votre boucher, par Catherine Lefebvre, aux Éditions Cardinal, ISBN 978-2-920943-89-6. Les Parisiens trouveront peut-être à la Librairie du Québec. Ou commandez-le à la Librairie gourmande, la caverne d'Ali-Baba du livre de recette. Et visitez le site de Catherine !

lundi 25 avril 2011

Je suis Alain Delon

Être Canadien à Paris, c'est un peu comme être Alain Delon : il ne se passe pas une journée sans que je sois reconnu. Peu importe où je vais, c'est : "Ah ! mais vous êtes Canadien ! J'aime tellement votre accent ! C'est trop mignon ! Céline Dion ! Tabernacle !"
 
Impossible d'avoir une vie normale. Je ne suis pas nécessairement une vedette. Je me décrirais plutôt comme l'incarnation d'un archétype. Or, comme les vedettes, les archétypes appartiennent au domaine public. Je suis le Canadien sympa, lourdaud mais mignon, affable et cordial, avec son accent tellement rigolo.


 
On ne s'en douterait pas, mais c'est une tare aussi lourde que la célébrité. Car je suis forcé de jouer le rôle. Je suis perpétuellement en représentation. Quand j'en suis à mon huitième ah-mais-vous-êtes-Canadien de la soirée, j'en ai toujours un peu marre. Mais je ne peux pas répondre : "Tu sais ce qu'il fait mon accent ? Il te pisse à la raie, mon accent !"
 
Car le Français devant moi ne sait pas que j'ai déjà répété sept fois les mêmes banalités. Il est de bonne foi. Il est véritablement enthousiaste. Je suis sa curiosité humaine du jour. Comme Alain Delon. Alors je joue mon rôle : je souris, je parle de Céline, et je force l'accent. Je lui en donne pour son argent.
 
Je ne m'en plains pas, au contraire. Les Canadiens, en France, jouissent d'un magnifique biais positif. Disons que les Français sont beaucoup plus sympas avec nous qu'avec les Rosbifs. Même que j'en abuse un peu, parfois. Par exemple, au dernier Salon de l'Agriculture, ce biais positif m'a permis d'obtenir un très bon prix sur une belle sélection de saucissons corses. Si j'avais été Français, on n'aurait tout fait pour m'arnaquer. Et je suis à peu près le seul client à qui ma boulangère ne fait pas la gueule.
 
Y'a juste un petit truc : le mot "tabernacle". On a tendance à croire que cette interjection est plutôt inoffensive, voire cordiale. Mais sur l'échelle de Richter de la sémantique, ce juron est environ à la même hauteur que "je nique ta putain d'race". Toute ignorance mérite d'être pardonnée. Mais faudrait pas m'en vouloir si vous notez une certaine crispation dans mon sourire de gentil Canadien.

lundi 18 avril 2011

Des primates et du foot

Samedi soir dernier, c'est F.C. Barcelone contre Real Madrid. L'ambiance est chaude au stade madrilène. Mais, malgré le tumulte et les cris de la foule compacte, on perçoit un bruit de fond. Une rumeur stridente venue de loin, à plus de 1000 de kilomètres, probablement de Paris. Ce sont mes voisins qui hurlent.

Lionel Messi rate le but d'au moins 50 mètres ; mes voisins hurlent. Cristiano Ronaldo, au sol, se tord d'une douleur théâtrale après qu'on lui ait effleuré le gras du mollet ; mes voisins hurlent. Comme l'évasion des chimpanzés du zoo de Brooklyn, comme 500 femmes accouchant simultanément de 500 paires de jumeaux, mes voisins hurlent.

Parfois, j'arrive à m'expliquer certains débordements sportivo-télévisuels. Un peu de bêtise patriotique, ou les splendides chutes de reins du volleyball de plage, peuvent justifier quelques cris. Mais, et ce n'est qu'un exemple, je ne comprends pas que des Tunisiens d'origine, naturalisés Français, puissent s'exciter à la vue d'un club espagnol composé de millionaires fiscalement monégasques. Là, ça me dépasse.

Source photo : wikipedia.


Peut-être que tout ce vacarme, c'est le mince prix à payer pour que soit assurée la cohésion sociale. Reprenant à son compte un vieux projet romain, l'administration napoléonienne avait tenté, avec l'arrêté du 19 Vendémiaire de l'an 10, d'assurer l'approvisionnement des Parisiens en pain. La partie « jeux », pour sa part, est aujourd'hui implémentée par la FIFA.

Le seul aspect positif de cette situation, c'est que la télédiffusion des matchs laisse dans le désoeuvrement une cohorte de Parisiennes magnifiques et plus intelligentes que leur mec. Si je puis me permettre, j'aimerais souligner que je suis à leur entière disposition les soirs de foot. On s'fait un resto ? C'est moi qui invite.

vendredi 15 avril 2011

Affaire Cantat-Mouawad : l'importance de se taire

L'événement médiatique du moment au Québec, c'est la tempête Mouawad-Cantat. Il y a quelques jours, l'homme de théâtre Wajdi Mouawad (Incendies, Littoral, Forêts) annonce qu'il confiera la musique de sa prochaine mise en scène, le Cycle des femmes de Sophocle, à Bertrand Cantat. Tous connaissent le chanteur pour son implication dans la mort de l'actrice Marie Trintignant.

Impact immédiat, déchaînement total. On somme Mouawad d'expliquer sa démarche, mais ce dernier préfère garder le silence. Tous les médias commentent l'affaire, les chroniqueurs s'épanchent, les personnalités publiques aussi. Christine Saint-Pierre, ministre de la Culture, des Communications, et de la Condition féminine (drôle d'ironie) se porte à la défense du metteur en scène. Mais de son côté, la présidente du Conseil du statut de la femme parle de « banalisation de la violence faite aux femmes ». Est évoqué un boycott du Théâtre du Nouveau-Monde, lieu où doit être présenté l'oeuvre. Le Centre national des Arts du Canada annonce qu'il s'opposera à la venue de Cantat. En résumé, gros bordel dans les chaumières.


Source photo : wikipedia.


Toute cette histoire ne m'intéressait pas beaucoup, jusqu'à l'intervention de Nathalie Petrowski, chroniqueuse-vedette du quotidien montréalais La Presse. Dans son papier, disponible en ligne, elle condamne le silence de Mouawad sur cette tempête qu'il a semée. Ça a suscité chez moi une réflexion sur le rôle de l'art, et surtout celui de l'artiste.

Pourquoi Mouawad devrait-il parler ? Qu'il continue à se taire, là est sa mission. Pourquoi souhaiter un art didactique ? En invitant Cantat, Mouawad nous donne l'occasion de faire face, comme société, à nos limites. Il nous force à jeter un regard sur ce que nous sommes.

L'affaire Cantat est une mine de questions fascinantes. Peut-on séparer de l'homme de l'artiste ? Quelle réhabilitation sommes-nous prêts à lui concéder ? Est-il condamné à l'exil perpétuel ? Quel est le prix du pardon, et est-il le même pour tous ? L'ampleur du châtiment est-il directement proportionel à la notoriété ? Au fond, le pardon existe-t-il vraiment ? Certains actes sont-ils impardonnables ? Nos catéchèses de droit commun sont-elles hypocrites ?

Je ne veux pas me lancer publiquement dans ces questions. Mais je peux au moins encourager Mouawad à continuer dans le silence. L'art est trop souvent subjugué à une mission didactique. Il est trop souvent complaisant, lénifiant.

Que Mouawad joue son rôle, celui d'un alchimiste dont les mélanges finissent à l'occasion par nous péter au visage. Qu'il nous tende les miroirs. Qu'il nous lance les pavés, sans nous dire comment les attraper.

jeudi 7 avril 2011

Éloge du beau gros vide creux

Un truc que j'adore en France, c'est le foisonnement quotidien de formules creuses et de processus sans valeur ajoutée. Sérieusement, j'adore ! Pour un Nord-Américain, c'est de la pure poésie. Exemple avec une matinée typique.

Une matinée qui commence très tôt, avec mon voisin d'en haut, adepte du hurlement théâtral à trois heures du matin. Mon proprio connaît la situation. Je me contente donc de lui faire un petit suivi avec un mail sobrement intitulé : "Faites taire ce con ou je lui encastre un piano dans les molaires."

Huit heures, je suis dans le RER. Heureusement, pas d'incident de voyageur ce matin. Réponse de mon proprio : "J'ai téléphoné au commissariat. Vous devez déposer une main courante. Je ne peux rien faire pour vous, mais je reste solidaire."

Se borner à dire qu'on est solidaire, c'est dire qu'on pense à vous, mais qu'on s'en fout. C'est la formule ultime de la désolidarisation. Merci pour votre sollicitude, monsieur le proprio. Comme disent les Anglos, "it makes me a beautiful leg".

Et c'est quoi une main courante ? On n'a pas ce truc au Canada. Arrivé au bureau, je regarde sur Wikipédia. En gros, c'est un moyen de râler officiellement, mais sans porter plainte. Magnifique ! Je suis certain qu'au bas du formulaire, il y a la mention suivante :

"Déclaration recueillie à Paris, le __/__/____, par l'agent ______________ (qui s'en bat si fortement les couilles que ça commence à lui faire mal. Et votre voisin aussi, d'ailleurs)."


Source photo : wikipedia.


Le téléphone sonne. C'est Martine (pas celle que vous connaissez) : "Bonjour Paul. J'ai reçu les papiers de Machin Fils. Faudrait que tu te rapproches d'eux.
- Tu veux que je les appelle ?
- Pas nécessairement.
- Faut que j'aille à leurs bureaux, alors ?
- J'en sais rien, tu te rapproches d'eux et puis c'est tout...
- C'est quoi, Martine, se rapprocher ? Vous faites quoi d'habitude ? Un mail ? Télépathie ? Orgie romaine ?
- Libre à toi, Paul...
- En gros, t'essaies de me dire que tu t'en fous, dans la mesure où tu n'es pas impliquée, même si ton nom figure sur l'enveloppe.
- C'est un peu ça.
- Un peu ça, ou complètement ça ?
- Disons, quelque part entre les deux...
- Merci Martine, je me rapproche dans la minute qui vient."

Clic. Je ne crois pas que nous finirons par nous rapprocher, Martine et moi. Il est dix heures. Les collègues m'attendent au café pour discuter politique. Je trépigne déjà à l'idée d'entendre alliance fraternelle, loyauté indépendante, humanisme libéral, programme porteur de confiance. Je vous le répète, c'est de la pure poésie !