mardi 26 mai 2009

Sauce fromagère



Pour nous vendre des cochonneries, les « créatifs », ou spécialistes du marketing, ont souvent recours à toutes sortes de détours de langages : euphémismes-à-gogo, hyperboles-o-rama, métaphores-o-matic. Si l’industriel, qui dénature un produit pour en réduire le coût de production, peut être qualifié de YIN, alors le « créatif » est son YANG. Il a pour mission de rendre sexy toutes les dilutions, tous les raccourcis. Il ne dira pas « merde », mais « produit fini » (ou peut être « coulis du terroir » selon la texture et le contexte). Ce genre de dénaturation langagière commence à apparaître lorsqu’un produit atteint un seuil de dénaturation trop profond pour qu’on puisse l’appeler par son nom sans craindre l’excommunication.

Évidemment, ces tournures commerciales, comme tout autre élément de la publicité, sont fortement culturelles. À chaque pays ses petits déguisements. Le consommateur local jouit d’une certaine expérience pour contrer la duperie. Mais pour le nouvel arrivant, c’est tout un monde à apprendre. Et cet apprentissage se fait généralement de manière empirique.

Une des plus jolies métaphores commerciales de la France, c’est « sauce fromagère ». Ça sonne bien. C’est presque champêtre. Mais au fond, ça désigne simplement un amalgame plus ou moins liquide de substances laitières, de gras, d’eau, de sel, et de colorants. L’équivalent au Québec est « Préparation de fromage fondu », qu’on lit généralement sur les gros pots d’un célèbre « fromage » tartinable orangé. Sur la version anglo-canadienne, on lit « processed cheese food », qui me semble plus honnête avec sa poésie à la saveur de Nobel de chimie.

Source photo : wikipedia.


J’aime bien aussi « crème lavante ». Ça, c’est le petit savon liquide au parfum plutôt accablant, et qu’on nous vend en bouteilles avec une pompe. Pour la salle de bain, vous voyez de quoi je parle? Le mot « savon » a fait son temps.

Sur une boîte d’asperges en conserve, on lira la mention « fait à partir d’asperges fraîches ». Ça me fait bien rigoler. C’est comme dire : « Ces cadavres ont été faits à partir d’êtres vivants ». Même chose sur les pots de sauce tomate : « faite à partir de tomates fraîches ». Même si un tas de mamans italiennes font leur sauce secrète à partir de tomate en boîte; suffit de choisir une bonne qualité.

Une autre approche est ce que j’appellerais « le leurre ». Au lieu d’essayer de camoufler un truc ennuyant, on choisira plutôt d’attirer l’attention du consommateur vers une caractéristique positive. Exemple, au lieu de « boisson à l’aspartame », on écrira « zéro calorie! ». « Riche en fibres ». « Céréale complète » sur des biscottes au lieu du plus morne et démodé « blé entier ». Sur certains produits, on ne mentionne même pas le contenu. Une photo sexy d’une tasse fumante et une jolie tournure, « mousse délicate », doivent me faire oublier que mon expresso est en fait une bien triste poudre de café soluble.

En France, on aime beaucoup suggérer une ambiance. Par exemple, à mon travail, sur la vulgaire fontaine à eau potable, cuvée Paris 2009, on a écrit « station fraîcheur ». Sur une bouteille de jus d’orange reconstitué, on peut lire « Moment santé ». Bientôt, on verra probablement « Voyage en Amérique » sur les bouteilles de Ketchup.

Je ne sais pas si je suis un peu déprimé ce soir, mais toutes ces expressions commerciales me laissent un drôle d’arrière-goût. Je ne sais pas pourquoi. Ça me fait penser à « dommages collatéraux », à « frappe chirurgicale », à « feu ami », à « Solution finale »… Ou à cette magnifique invention américaine : « non-operative personnel ». Ça se traduit un peu par « personnel non mobilisable ». Ça désigne des soldats morts.


vendredi 22 mai 2009

97, 98, 99… 100!



C’est officiellement ma 100e chronique sur ce blogue. Je dis « officiellement », car j’ai dépassé le 100e texte il y a un moment déjà. Certaines chroniques, collées après de longues pannes d’internet, contenaient plusieurs textes. Mais bon… Donc, pour marquer l’événement, voici deux tops 50. Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, 50 + 50 = 100.

50 bonnes raisons de détester Paris
1: Les horaires de travail trop étalés qui te bouffent ta soirée.
2: La vie chère.
3: Les gymnases à prix d'arnaque.
4: Les complications administratives.
5: Les dégâts des eaux et l'impossibilité de les gérer simplement.
6: Payer 1000 euros par mois pour habiter dans 35 mètres carrés (375 pieds carrés).
7: La cohue matinale dans les transports en commun.
8: La "Paris attitude", c'est-à-dire être suffisant et avoir l'air bête sans raison valable.
9: Pas de bonne bière dans les bars.
10: La manie des réunions de travail trop fréquentes, peu pertinentes, et sans objectif précis.
11: Les grèves trop fréquentes, peu pertinentes, et sans objectif précis.
12: La ferraille roulante nommée Métro parisien.
13: L'impossibilité de se faire servir un légume frais sans qu'il soit couvert de sauce.
14: Pas beaucoup de bouffe de rue (take-out) bien faite, hormis les excellents falafels de la rue des Rosiers et quelques libanais potables.
15: La quantité élevée de "Jos Connaissant" au mètre carré, incluant des ti-Français qui veulent m'expliquer comment ça marche une partie de hockey.
16: Les sushis un peu tristes…
17: Les automobilistes hystériques.
18: Tout le monde parle au téléphone et personne ne regarde où il va.
19: Les classes sociales, et tout le monde qui veut monter.
20: Le réflexe français de hurler "C'est inadmissible!" à la moindre contrariété. Exemple : parce qu'il commence à pleuvoir.
21: L'impolitesse, le manque de civisme, la rareté des sourires gratuits et honnêtes.
22: Les Halles, de quoi refroidir à tout jamais l'envie d'oser l'architecture contemporaine.
23: Pas beaucoup de verdure, et les gazons clôturés.
24: Le manque de couleurs sur les murs de la ville.
25: Le monopole de la SNCF sur le transport interrégional. Pas de compétition, donc hausses de prix intempestives aux moments stratégiques.
26: La pseudo-visite du clocher de Notre-Dame, quelle arnaque éhontée.
27: Certaines galeries du Louvre, pires qu'un centre commercial à Noël, avec tous les "been-there-done-that" japonais.
28: L'exiguïté des lieux d'aisance.
29: Pas de gros café Second Cup. Le café ici est toujours bon, mais il ne dure pas assez longtemps.
30: Les prix qui incluent taxes et pourboire: pas moyen de sanctionner un serveur effronté.
31: Au bulletin de nouvelles: trop de Sarkozy.
32: L'absence de corde à linge.
33: Les chambres d'hôtel sans rideau de douche, alors t'en mets partout sur le plancher.
34: Avoir ses défenses immunitaires qui doivent s'adapter à un nouveau pays, donc otites à répétition et simili-rhumes fréquents.
35: La crainte de devenir apatride.
35: Par moment, l'envie intense d'être au Canada, juste pour une journée.
37: Les files d'attente interminables et inévitables.
38: L'épouvantable manque d'impartialité des journalistes français.
39: La pollution parisienne qui te fait vieillir 1.5 fois plus vite.
40: La télé tellement ennuyante, avec ses vieilles séries américaines mal traduites.
41: Pas de bons restos latinos et indiens. Difficile de manger relevé si on n’a pas envie d'un couscous extra harissa.
42: Le projet de loi "Hadopi" : une idée complètement débile de contrôle sur l'internet, inapplicable et à la frontière du fascisme, poussée par des politiciens qui ne comprennent même pas de quoi ils parlent.
43: Se forcer à être baveux, parce que la politesse et la gentillesse sont méprisées (Dans l'esprit du Parisien, seuls les domestiques, les serviteurs et les minables sont polis).
44: Une seule addition, et ceux qui se tirent toujours avant qu'elle arrive.
45: Pas de formats Club Price. Tu te retrouves devant un mini-tube de 15 vitamines C à te dire: "Ben voyons donc, ciboire!"
46: Réaliser qu'on vient de payer l'équivalent de 12$ canadiens pour une petite bière cheap.
47: Les gens qui, en toute impunité, laissent fido faire caca au beau milieu du trottoir.
48: Décupler son risque de cirrhose.
49: Le centième Français qui te dit "Vive le Québec libre" en te faisant un clin d'œil complice. T'as juste envie de lui dire: "Ouen c'est ça. Pis vive la Corse libre. Pis la Bretagne libre. Pis le Pays Basque aussi, tant qu'à y être. Vas donc au magasin t’acheter un ostie d’béret, roule-le serré, pis criss-toé le dans l’BEEP!"
50: Le téléphone qui sonne au milieu de la nuit parce que maman ne se rappelle plus qu'il y a 6 heures de décalage entre la France et le Canada.

Source photo : wikipedia.


50 bonnes raisons de d’adorer Paris
1: Le TGV et l'Eurostar.
2: Le saucisson.
3: Les fromages.
4: La baguette toujours fraîche.
5: Les pâtisseries.
6: Des billets pour la Sicile à 19 euros sur EasyJet.
7: Le jus d'orange frais pressé disponible partout (si on met le prix).
8: Le vin, évidemment.
9: Pas d’ostie d’neige en hiver, ça c’est un gros plus.
10: À deux heures de train: la Normandie, l'Alsace, Londres, Lyon.
11: Des stations de radio qui ne considèrent pas leurs auditeurs comme des arriérés mentaux.
12: Pour 30 euros par mois (50$ CAD): 200 chaînes de télé, internet haute-vitesse illimité, et le téléphone avec les appels vers le Canada sans aucun frais additionnel.
13: Ségolène, parce qu'elle me fait bien rigoler.
14: L'apéro.
15: Beaucoup de salles de cinéma.
16: Musées et expositions-à-gogo.
17: Les théâtres.
18: L'épicerie gourmet du Lafayette, où on te fait goûter du vin gratos, dans des coupes en verre bien pleines (et non pas dans des ti-criss de verre à shooter en plastique).
19: Les Japonais de la rue Sainte-Anne.
20: Des huîtres fraîches et des bulots quand tu veux (presque).
21: Le Canal Saint-Martin le week-end, au soleil.
22: Habiter dans un pays limitrophe de la Méditerranée.
23: Les dispositions de la loi de française à propos des vacances payées.
24: L'architecture classique et somptueuse (même si parfois ennuyante et un peu pompeuse). Beaucoup plus d'audace qu'en Amérique dans le contemporain.
25: Les cathédrales et leurs concerts.
26: La curiosité des Français. Leur enthousiasme à socialiser (une fois la glace brisée).
27: La possibilité de tout trouver. J'ai vu des magasins d'autographes, des vendeurs de vieilles cartes postales, des brocantes géniales, etc.
28: Au moins une fois, sauter par-dessus le tourniquet du métro, comme dans les films de petits délinquants.
29: L'habitude d'acheter des fleurs.
30: Monter au sommet de la basilique du Sacré-Cœur, un 5 euros bien investi.
31: Montmartre : oui c'est ultra-touristique et plein de vendeurs de tour Eiffel en plastique, mais c'est quand même joli quand on y va au bon moment.
32: Les cimetières du Père Lachaise et Montparnasse : plus tranquilles que les parcs, et plus touchants aussi.
33: Pouvoir fumer une cigarette sans être considéré comme un terroriste en possession d’armes chimiques.
34: Les Alpes moins loin que les Rocheuses.
35: Les prix qui incluent taxes et pourboire: pas de mauvaise surprise.
35: Au bulletin de nouvelles: autre chose que l'ostie de débat sur la souveraineté.
37: Pouvoir bitcher les Français en connaissance de cause, et à voix haute sans qu'ils comprennent un mot.
38: Place de la Concorde. Y'a pas à dire, c'est toujours impressionnant. Avec les Invalides, les Tuileries et le Grand Palais pas loin, ça te jette sur le cul.
39: Les marchés et les produits du terroir, dans tous les quartiers.
40: Sentir ma vision du monde qui se densifie, qui s'étoffe.
41: Apprendre la patience, apprendre que tout n'est pas urgent.
42: La pub française, qui ne cache pas ce sein que je sais très bien voir.
43: Apprendre à jouer au foot et aimer ça. C'est quand même démocratique comme sport: quatre poteaux et un ballon, c'est à la portée de toutes les bourses.
44: Pas besoin de se lever à des heures impossibles pour écouter le Grand Prix de F1.
45: Perdre l'habitude de bouffer à son bureau, devant l'écran d'ordinateur.
46: Au travail, une machine à espresso à tous les étages. Il est bon. Et il coûte seulement 50 cennes (30 centimes d’euro).
47: Les fers à repasser avec l'option "défroissage vertical".
48: Ne rien comprendre aux enjeux politiques et s'en foutre éperdument.
49: Être à Paris au lieu de, disons, Bruxelles…
50: En soirée je peux appeler au Canada etles bureaux sont toujours ouverts à cause du décalage. Pratique pour les formalités.


jeudi 21 mai 2009

Arnaque, fumisterie, imposture



Dans un « post » récent, je vous recommandais quelques vins. Je me suis bien amusé à écrire ce texte. Je l’ai truffé d’indices et d’allusions à ma grande supercherie. De petites phrases comme « A beau mentir qui vient de loin », etc.

Tous les vins sont des inventions de mon esprit. L’idée m’est venue dans le RER, alors que j’observais la carte du réseau, avec ses noms évocateurs. De jolis noms aux sonorités parfumées, comme « La Garenne Colombes », ou d’aspect petite noblesse, comme « Lamarck Caulaincourt ». Je me suis dit que les oenologues nous vendent leurs breuvages avec des noms comme ceux-là.

La plupart des gens, dont moi, ne sauraient trop quoi dire d’un vin s’ils le goûtaient à l’aveugle. C’est bon. C’est pas bon. C’est léger. C’est corsé. Comme on ne connaît pas trop le vocabulaire de l’oenologie, on évite de trop parler, question de ne pas dire de connerie. On ose « fruits rouges », « vanille », « boisé », mais on ne va pas trop loin.

Source photo : wikipedia.


Pour rédiger le texte, je suis allé voler quelques descriptions sur des sites de « professionnels » du vin. Et je les ai retravaillées. J’ai remixé, j’ai fait des collages. Et je suis assez satisfait du résultat : un beau gros bla-bla crédible avec de belles expressions à 100$ comme « tanins souples », « vin ample » ou « texture veloutée ». En cherchant mes descriptions de vins, de site web en site web, j’ai remarqué que les supposés « professionnels » racontent à peu près toujours la même chose, peu importe le vin. Dans le rouge, les mêmes trucs reviennent : « petits fruits », « fruits des champs », « baies », « prune », « torréfaction », « café », « vanille », « rondeur », « acidité », « boisé ». La seule vraie différence, c’est la partie anecdotique de la description, qui souvent ne parle pas trop du vin en soi. Des trucs comme : « ce petit producteur expérimenté travaille des terres pentues, bien exposées au soleil ».

J’ai ensuite inséré des absurdités. C’est le cas de mon « Maison Raymond Queneau, Merlot 2007 », une appellation Val de Fontenay, située non loin d’Évreux, dans la région des Côtes-d’Armor. Curiosité géographique s’il en est une, car Évreux n’est pas une ville des Côtes-d’Armor, et Val de Fontenay est une station de RER aux portes de Paris. De plus, je doute que la Normandie produise beaucoup de vin (bien que ses calvados soient magnifiques).

Par moment, j’ai poussé le bouchon très loin. Notamment pour mon « Domaine Bagneux, Merlot-Syrah 2001 », que je dis « imprégné du soleil de l’Isère ». Cette région, l’Isère, est surtout connue pour ses stations de ski. On n’est pas loin d’Albertville, qui a tenu des J.O. d’hiver en 1992. Bon, les Français planteraient de la vigne jusque sur la lune, mais quand même, y’a de quoi semer un gros doute.

Tout ça pour dire qu’en matière de vin, il est facile de baratiner le non-expert. Et je me demande parfois si nous ne sommes pas victimes de l’espèce de cérémonial un peu pompeux entourant le vin. Tout ce délire au sujet des millésimes, des AOC, des terroirs, etc. Le Larousse des vins qui nous cartographie la France presqu’au millimètre. Un « détaillisme » excessif? On ne va jamais aussi loin pour le fromage. Pourtant, d’un coteau à l’autre, le camembert change de goût et de parfum. Mais on dit « un camembert », et non « Camembert Clos des Marguerites 2007, lait de vache Holstein ».

J’ai goûté en France les meilleurs vins de ma vie. Des breuvages magnifiques. Ce qui est bien en France, c’est que le vin y est vendu à prix honnête. Alors on goûte, et si on n’aime pas, on ouvre autre chose. À l’équivalent de 8$ canadiens, on trouve déjà du bon vin. Le meilleur truc que j’ai goûté valait environ 20$ canadiens. Meilleur que toutes les folies à 60-75$ de la SAQ. Il y a dans le rayon « spécialités » de la SAQ certains vins à haut prix qui s’avèrent plutôt ordinaires, sans personnalité, genre Bordeaux un peu « recette », plats, classiques à mourir.

Selon moi, pour apprécier le vin, pas vraiment besoin d’expertise. Faut y aller sans complexe. Le critère « ça me plaît / ça ne me plaît pas » est déjà suffisant. Il faut connaître 3 ou 4 régions et cépages, essayer des trucs, se faire dans sa tête quelques grandes catégories. Maintenant, je sais que j’aimerai un Sancerre, ou un Pouilly-Fumé, parce que ces AOC font généralement des blancs un peu plus secs, un peu plus « citron » que « mangue ». Je sais que je préfère les vins du sud quand je cherche à me réchauffer, et le Bourgogne quand je veux plus léger. Je sais que les Bordeaux peuvent parfois manquer d’audace, alors vaut mieux goûter avant d’acheter. Je sais que l’âge du vin n’est pas nécessairement gage de plaisir. Il y a un coût à faire vieillir un vin, ne serait-ce que l’entreposage. Alors si un 1999 est vendu pas cher, il y a anguille sous roche. C’est peut-être pas beaucoup comme savoir, mais ça me suffit. Les élucubrations à propos du vignoble du huitième vallon à gauche, je laisse ça aux passionnés. L’approche naïve m’offre suffisamment de plaisirs.

Je vous laisse ces liens vers quelques uns de mes vignobles imaginaires. Ils sont tous situés en non-loin de Paris.
Bobigny-Pantin / Raymond Queneau
Rueil-Malmaison
Paul Vaillant-Couturier


mardi 19 mai 2009

Hawaii 5 - Biarritz 0



Au cours d’un superbe séjour au Pays Basque, plus précisément lors d’un court passage à Biarritz, j’ai eu l’occasion d’observer une espèce rare de mammifère marin : le surfer français.

À la différence de son congénère de l’océan pacifique, le surfer français reste dans l’eau jusqu’au cou en fixant l’horizon, peut-être dans l’attente d’une proie.



Le surfer français ne semble pas avoir acquis l’aptitude de glisser sur les vagues. Il se laisse plutôt porter, essayant tant bien que mal d’assurer sa flottabilité. J’ai remarqué quelques rares spécimens qui arrivaient à chevaucher les vagues. Mais ce comportement est beaucoup moins généralisé que chez l’espèce hawaiienne. Peut-être que l’espèce française se nourrit surtout de poissons de fond, ce qui expliquerait sa remarquable capacité à disparaître dans les remous. Mais comme je ne suis pas Darwin, je ne peux que spéculer.

Chose certaine, j’avancerais que la survie de l’espèce française est peut-être plus menacée que celle de l’espèce américaine. L'espérance de vie du surfer français doit être de beaucoup réduite par le fait qu’il se prend constamment des vagues en pleine gueule…



Une autre vision plus optimiste des choses laisse aussi penser que l'espèce française est en phase transitoire entre la vie marine et la vie terrestre. En effet, la majorité des spécimens observés passaient plus de temps sur la plage que dans l'eau.




jeudi 7 mai 2009

Aubergiste, à boire!



Certaines régions viticoles françaises jouissent d’une grande réputation et sont très diffusées dans le monde. On a qu’à penser aux appellations Brouilly, Beaujolais Village, Chablis, Châteauneuf-du-Pape, Saint-Émilion, Pomerol, Cahors, Madiran. Ces régions phares sont munies de grandes infrastructures et de réseaux commerciaux qui leur permettent d’occuper une place enviable sur les marchés. Mais un des beaux côtés de la France, c’est de pouvoir découvrir d’autres petits terroirs, plus artisanaux, moins connus, mais tout aussi savoureux. À Paris, il suffit de se mettre copain-copain avec un caviste (vendeur de vin), et on goûte vite de petits trésors cachés.

J’ai décidé de vous présenter une petite sélection des coups de cœur que j’ai eus depuis mon arrivée. Il s’agit de petits « très grands vins » qui ne n’ont pas les meilleures places sur les tablettes, mais qui sont magnifiques. J’ai choisi ces six-là parce qu’ils sont disponibles au Québec, à des prix corrects. Il faudra peut-être les commander cependant. Renseignez-vous à la SAQ. J’ai inscrit le cépage entre parenthèse lorsqu’il n’est pas dans le nom du vin.

Source photo : wikipedia.


Maison Raymond Queneau, Merlot 2007 - Val de Fontenay
Ce savoureux vin rouge, offert à prix doux, fait partie de la plus ancienne appellation des Côtes-d’Armor, soit Val de Fontenay, qui est située près d’Évreux. Cette cuvée 2007 a des arômes de fruits rouges et d'épices, rehaussés par des odeurs de cacao et de café. Assez corsé, ce vin démontre une texture veloutée, ainsi que des tanins souples. Vraiment bon avec les grillades. Je l’essaierais même avec des trucs plus épicés, comme les saucisses italiennes.

Clos Saint-Cyr, Cabernet Sauvignon 2006 - Boullereaux-Champigny
Ce 2006 du petit clos Saint-Cyr présente un fruité agréable et un coté charnu qui lui permettra d'être immédiatement apprécié. Il a la robe rouge rubis très sombre. Son nez de petits fruits noirs (bleuet, prune) est accompagné d'une touche de vanille et de torréfaction. Il est ample, gras, et tannique. Un vin parfait pour réchauffer l’hiver. Je l’ai bu comme ça, mais on me l’a recommandé avec de l’agneau.

Château Vauboyen, Grande réserve 2005 - Arcueil-Cachan (Tempranillo)
Délicieusement fruité, presque juteux, ce vin est produit à partir de raisins issus de l'agriculture biologique. Fait à partir de Tempranillo récolté manuellement, ce vin de la région de Corrèze, avec ses parfums de mûres et de prunes, invite à boire à grande lampée. Surtout que sa belle acidité lui donne un petit côté rafraîchissant. Il faut le servir un peu frais. Quinze minutes dans le frigo. À boire dehors au soleil, avec ses Ray-Ban et ses bermudas.

Domaine Bagneux, Merlot-Syrah 2001 - Bobigny-Pantin
Même si les vins de la maison Domaine Bagneux sont classés « Vins de Pays », ce sont quand même des vins de très grande qualité. Ils laissent loin derrière bien des Bordeaux un peu pompeux. Ce 2001 est imprégné du soleil de l’Isère. Un vin aimable et attirant, issu de vieilles vignes de merlot et de syrah qui poussent en pied de colline (mon caviste m’a fait remarquer comment on goûte l’intensité minérale à cause du ruissellement de l’eau vers le bas de la pente). En plus, son âge lui donne une belle robe qui tire vers le cuivré. Humble mais magnifique.

Moulin Port-Royal, Croissant d’or 2007
- Épinay Villetaneuse (Malbec)
Fondée en 1998, la maison Moulin Port-Royal produit avec succès ce superbe Malbec, fruité, rond et juteux. Rien de compliqué, mais fort satisfaisant. Cette maison rompt avec la tradition : ses œnologues sont californiens. Dans le terroir un peu coincé d’Épinay Villetaneuse, ils jouent d’audace avec leurs vins costauds, frais et plein de vitalité. Si vous aimez les vins longs, les odeurs de cuir et de fumée, je vous le recommande. Si j’avais eu un bon cigare et une chaise longue ce soir là… Un breuvage qui secoue un peu la tradition française, et qui fait mentir ceux qui osent dire : « À beau mentir qui vient de loin ».

Paul Vaillant-Couturier, Le chant du cèdre 2006 - Rueil Malmaison (grenache / syrah / carignan)
J'aime bien les vins qui ont de la personnalité, et celui-ci en regorge. En plus, selon mon caviste, ce n’est pas accidentel : Paul Vaillant-Couturier est loin d’être un imposteur. Millésime après millésime, il offrirait des vins de caractère, fidèles à leur terroir. Ici, on est du côté de la fraise des champs, la cerise, et les épices. D’après moi, ce vin se défendrait bien devant un dessert à la cannelle, avec son fond de salé marin qui ferait un beau contraste. C’est un vin très boisé, donc si vous aimez les trucs plus légers, comme les Bourgognes, évitez.

En France, on prend un paquet de « mauvaises » habitudes :-)

Bonne dégustation!


mercredi 6 mai 2009

Un peu de calme s’il-vous-plaît



(Cet article est le fruit de calculs qui traînaient sur mon bureau depuis le mois de mars. Je fais le ménage).

La récente crise financière a fait paniquer beaucoup de gens. Il faut dire que les propriétaires de portefeuilles risqués ont vu fondre leurs économies drastiquement. D’un autre côté, si vous aviez un portefeuille risqué à quelques mois de votre retraite, vous étiez très mal conseillé. En vieillissant, il faut diriger son épargne vers des produits à moins haut potentiel, mais dont le rendement est mieux garanti. Comme des obligations gouvernementales.

Pour vous rassurer, et pour me rassurer un peu moi aussi, j’ai joué un peu avec les données des principaux indices américains. Tout ça m’a mené à des chiffres intéressants. En fait, un chiffre intéressant : 5%. Retenez bien ce chiffre.

Petit rappel : en finance, un rendement de 4% est considéré comme pépère. Et un rendement de 10% (ce que promettait Bernard Madoff à ses clients) est considéré comme louche, trop beau pour être vrai. La fourchette entre excellent et mauvais est très serrée.

Je lisais récemment un article qui citait l’oracle d’Omaha, Warren Buffett. Ce dernier qualifiait d’excellente la croissance moyenne de l’économie américaine au 20e siècle. Elle s’établit environ à 5% par année. Monsieur Buffet prédisait qu’il serait difficile de maintenir une telle croissance au cours du 21e siècle.

J’ai joué sur les courbes historiques des grands indices américains. J’ai pris une fenêtre de 30 ans d’épargne, et je l’ai promenée sur la courbe. Exemple, 1945 à 1975. Ou 1967 à 1997. Et bien, peu importe où je me plaçais, le rendement annuel moyen jouait entre 4.5% et 5.5%. En d’autres termes, le rendement de papi, qui a vécu le choc pétrolier des années 70, est comparable à celui de l’oncle Pierre, qui a vécu le marasme du début des années 80. Et il est comparable à celui de Roger qui a vécu l’envolée des années 90. Sur une fenêtre de 30 ans, crise ou pas, en tenant compte d’une inflation moyenne de 2% par année, tout le monde a un rendement annuel d’environ 5%. Rassurant, non?

Bon, il y a une portion de chanceux qui ont retiré leurs billes juste avant l’effondrement. Ou d’autres moins chanceux dont la fenêtre survolait le choc pétrolier de 73 et les grises années 80, avec une sortie du marché juste avant l’envolée. Mais malgré tout, ils restent près des moyennes, avec environ 6% de rendement pour les chanceux, et 4% pour les malchanceux.

Ces dernières années, les bourses déliraient. Sur certaines années, le Dow Jones nous donnait des rendements moyens de 15%. L’indice S&P 500 tapait même dans les 30% par moment. De quoi rêver. Et nous avons beaucoup rêvé. Beaucoup, beaucoup. Quand on regarde les courbes, on remarque un délire d’ascension qui commence dans les années 90. Et puis paf : la crise! En quelques mois, elle efface 15 ans de délire. Une sorte de correction pour 15 ans d’hystérie.

Si on reprend la courbe la où elle était en 1993, et qu’on la fait croître selon un axe un peu plus fidèle aux données historiques, on arrive là où on est aujourd’hui. D’une certaine manière, la crise est artificielle, parce qu’elle efface une croissance déraisonnable.

Dans l’avenir, il y aura d’autres excellentes années. Il y aura des années mornes. Et certainement d’autres années catastrophiques. Si vous voulez ma prédiction, sur 30 ans, votre petit REER (au Canada) ou votre petit livret A (en France), s’il reste dans la moyenne, devrait vous livrer un rendement annuel moyen de 5 à 6% (après déduction de l’inflation). Alors calmez-vous.

Vous allez commencer à économiser vers 35 ans. Avant, c’est difficile : on vient d’entrer sur le travail et le salaire est bas. Il faut aussi rembourser les dettes d’études. Mais vers 35 ans, vous allez vous y mettre sérieusement. Et pendant 30 ans vous ferez votre devoir d’épargne. À 65 ans, ce sera l’heure de la retraite. Tout ira très bien, et malgré quelques nuits d’angoisse, vous aurez fait du 5% comme la majorité des gens.

Respirez profondément.

Source photo : wikipedia.


Ça va? Vous êtes calme? Boooonnnn... c’est très bien.

Maintenant, PANIQUEZ!!!!!!

Combien vous voulez à la retraite? Si vous étiez retraité aujourd’hui, combien il vous faudrait par année? Disons un revenu brut annuel de 30 000$, c’est raisonnable, non? Imposé à 20%, il vous resterait 24 000$. Environ 10 000$ pour vous loger, 3 000$ pour voyager, et la bouffe, les dépenses courantes, un peu d’argent pour gâter les petits-enfants à Noël, les coûts de santé parce qu’on vieillit, etc. On est loin de la villa sur la Costa del Sol. Rien d’extravagant, mais quand même pas la pauvreté. Une petite retraite tranquille, quoi.

Et bien pour avoir l’équivalent des 30 000 $ d’aujourd’hui lorsque viendra votre retraite, vous devez épargner 10 000 $ par année. Dès maintenant. Right fucking now! Et indexé à l’inflation en plus, donc 10 200 $ l’année d’après, et 10 404 $ l’année d’après, ainsi de suite. En connaissez-vous beaucoup des gens de la classe moyenne qui épargnent 10 000 $ par année? Donc si vous rêvez d’une retraite dorée, commencez à vivre très chichement, et au plus vite. Et je parle en dollars, mais c’est la même chose en euros. Donc ne riez pas trop, les Français... Au prix où est le logement en France, je doute fort que vous économisiez beaucoup. Votre seul espoir est que l’euro reste très fort par rapport à la devise américaine. Ainsi, à la retraite vous pourrez déménager en Amérique et profiter du taux de change.

C’est pas compliqué. Au rendement annuel de 5%, pendant 30 ans, les intérêts cumulés triplent le pouvoir de votre épargne. Si vous épargnez maintenant l’équivalent d’un mois de loyer, cet argent vous permettra de vous payer 3 mois de loyer en 2039. Donc, si à la retraite vous voulez maintenir votre niveau de vie actuel, prenez vos dépenses de 2009 et divisez-les par trois. Le résultat est la somme que vous devez épargner cette année (et toutes les années suivantes, en indexant svp). Et ce calcul prévoit que vous devez mourir avant l’âge de 85 ans. Bonne chance.

Bon, je n’ai pas inclus les sommes qui pourraient vous être versées par votre gouvernement. J’ai calculé comme si vous deviez assurer vous-même, tout seul, vos revenus de retraite. Mais au rythme auquel nos gouvernements se désengagent ces jours-ci, j’aime autant être pessimiste au sujet de leur contribution à mon bien-être futur.

Svp, si vous êtes plus optimiste, corrigez mes calculs... J’en serais ravi.


lundi 4 mai 2009

Mon facteur, ce héros



Vous regardez « Question pour un champion » (le « Tous pour un » des Français) et vous entendez quelque chose comme ceci :

Julien Lepers (l’animateur) :
Alors notre premier concurrent, Monsieur Fabien Lavignolle. Bonsoir Monsieur Lavignolle de...?
Fabien Lavignolle : ...de Brières-les-Scellés, dans le 91. Entre le 78 et le 77, juste au nord du 45.
JL : Donc, de l’Essonne.
FL : C’est bien cela.
JL : Ah, y paraît que c’est un très beau coin l’Essonne. On m’a chaudement recommandé d’y passer lors de mes prochaines vacances. Et on les appelle comment les gens de Brières-les-Scellés?
FL : On les appelle les Briolins.
JL : Comme c’est sympathique! Les Briolins.
(Applaudissements)
JL : Bon, attaquons le vif du sujet. Vous êtes prêt Monsieur Lavignolle? Voici votre première question. Je suis un village de l’Illinois, États-Unis, qui comptait 319 âmes lors du recensement de 2000? Ma superficie est de 1,2 kilomètre carré? Je suis un bled anonyme dont les seuls signes distinctifs sont un rail de chemin de fer tout droit et quelques silos dans la plaine? Monsieur Lavignolle, votre réponse?
FL : Je dirais... euh... Woodland.
JL : BRAVO! C’est la bonne réponse! Étonnant, on peut dire vous commencez en lion Monsieur Lavignolle. Elle n’était pas facile, celle là.

Vous êtes bien calé dans votre fauteuil et vous vous dites que ce mec est un génie. Il y a probablement la moitié des habitants de Woodland Illinois qui ne savent même pas qu’ils habitent à Woodland Illinois. Et là, sous vos yeux ébahis, un Briolin vous nomme l’endroit sans hésitation, comme s’il s’agissait d’expliquer la recette de l’eau bouillante. Ce petit Lavignolle, 62 kilos, moustache, pull un peu caca d’oie, y’a de bonnes chances pour que ce soit votre facteur.

Source photo : wikipedia.


Le facteur français est un génie. Une sorte de Sherlock Holmes sur stéroïde génétiquement muni d’un GPS. Pourquoi je dis ça? Tout simplement parce que le courrier français est livré à bon port. Ben quoi, c’est le travail des facteurs de livrer le courrier, non? Certainement. Mais il faut connaître le système d’adressage français pour mesurer l’ampleur du talent des facteurs de l’Hexagone.

Je m’explique. Voici un exemple d’adresse parisienne :
Monsieur Pierre de Laparticule
64 avenue Philippe-Auguste
75011, Paris


C’est tout. Le code postal, c’est 75011. Ça désigne le 11e arrondissement (011) de la ville de Paris (département 75). La partie 75, Paris city, compte 2,1 millions d’habitants. Ça fait beaucoup de portes. Heureusement, le 011 restreint un peu les recherches. Dans le 11e arrondissement, il y avait 150 000 habitants en 2006.

Un seul code postal pour 150 000 habitants. Je suis persuadé que la Rome antique avait un meilleur système d’adressage postal. Le facteur canadien peut se rabattre sur un système de codes postaux un peu plus étoffé. Prenons un exemple : « H2L 3K5 ». Allez dans Google Maps et tapez : « H2L 3K5, canada » (lien ici pour les paresseux). Le logiciel vous affichera un plan très rapproché, avec une petite flèche qui pointe sur la rue Amherst, entre Gauchetière et Viger Est, à Montréal. Un code postal canadien, ça désigne une zone d’environ 10 portes dans un secteur très précis.

Maintenant, saisissez « 75011, Paris » dans Google Maps (lien ici pour les paresseux). Et mesurez l’ampleur du défi qui attend un facteur français. Une zone de 4 kilomètres carrés. Et chacun de ces km2 compte en moyenne 40 000 habitants. Elle va dans quelle boîte, la lettre?

Un autre détail ultra-important d’une adresse française est un petit truc subtil qu’on a tendance à négliger au Canada. Notez dans l’exemple ci-haut le mot « avenue ». Très-très-très important en France. Au Canada, nous avons la chance de combiner l’anglais, le français, ainsi qu’une soixantaine de langues autochtones. Le potentiel toponymique est pour ainsi dire quasi illimité. Rue Hochelaga. Boulevard René-Lévesque. Avenue Sherbrooke. Mais en France, il semble qu’il y ait une pénurie de personnages historiques. Je ne sais pas trop pourquoi, mais on dirait que l’histoire française compte peu de grands hommes. Alors on est obligé de se répéter un peu. Avenue Charles-de-Gaulle. Rue Charles-de-Gaulle. Boulevard Charles-de-Gaulle. Place Charles-de-Gaulle. Cité Charles-de-Gaulle. Impasse Charles-de-Gaulle. En plus, les Français ont une tendance qui relève du sadisme, soit celle de donner un même nom à des voies connexes. Par exemple, le boulevard et l’avenue Charles-de-Gaulle pourraient donner sur la place du même nom. De quoi devenir fou.

Ça, c’est le quotidien du facteur français. Le type qui passe SIX jours par semaine (distribution de courrier le samedi). Les gens râlent contre les fonctionnaires. « Travaillent pas assez. » Je sais pas trop. Mais pour ce qui est du facteur, je lui lève mon chapeau. Et il risque de me saluer par mon prénom. Si vous cherchez quelqu’un en France, demandez à un facteur...

Et svp, faites une fleur à votre facteur : écrivez lisiblement.


dimanche 3 mai 2009

Système névrose



La France vénère le Siècle des Lumières, sa dernière époque de grandeur (il y en aura d’autres, j’en suis certain, soyons optimistes, d’ici quelques millions d’années). Cette vénération se manifeste quotidiennement, consciemment ou non, dans l’application quasi névrotique de petits systèmes logiques, d’ordres de tri reconnus, de recettes « établies », etc. Il y a chez le Français une manie à tout classer, à tout compartimenter. En France, le chaos n’existe pas, ou plutôt « ne doit pas exister, dans la mesure du possible, sauf dans une queue » (décret du 8 septembre 1894).

Bon, c’est bien beau les affirmations à l’emporte-pièce, mais on veut des exemples. Premier exemple : essayez d’obtenir le café en même temps que le dessert dans un resto. Oh my God! How shocking! La commotion totale. Quand il vous aura compris, le serveur pourrait très bien refuser. Comme si vous lui aviez demandé de marcher sur la tête. En France, c’est le dessert, et le café APRÈS. M’en fous que vous soyez pressés. M’en fous que dans votre culture de wisigoth vous aimiez le contraste amer-sucré du café-dessert. Et pourquoi pas la salade avant le plat? Non mais tout de même, on n’est pas des barbares ici madame!

Deuxième exemple : la numérotation des départements français. Ils sont numérotés en ordre ALPHABÉTIQUE!!! Le Français est fasciné par l’ordre alphabétique comme un bébé qui découvre certaines parties de son corps. Allez voir le résultat ici, c’est trop rigolo. Agrandissez l’image. Notez que le 10 (l’Aube) est à côté du 89 (Yonne) et que le 14 (Calvados) est à côté du 50 (Manche). Beau puzzle, hein?

Maintenant, revenons au département 10 (l’Aube). Vous l’avez trouvé? Il est en haut, un peu à droite de Paris. Pas trouvé encore? Sous « BELGIQUE », il y a 8, puis dessous 51, puis dessous il y a 10, voilà. Bon, à présent trouvez-moi le 11. Vous avez 5 secondes… allez, GO!

Et alors, vous l’avez eu? Le 11, il est tout en bas de la carte, près de « ANDORRE ». Le 11, c’est le département « Aude ». 10 = Aube, 11 = Aude, et 12 = Aveyron (je sais pas où sur la carte), etc. Commencez-vous à comprendre le système de numérotation par ordre alphabétique? Génial hein? Bon, c’est absolument contre-intuitif quand on lit une carte dans le sens normal de la lecture (qu’on soit chinois, arabe ou occidental), mais c’est quand même presque parfait comme système. Fallait y penser, quand même!

Source photo : wikipedia.


Presque parfait… Comme on a utilisé une numérotation successive (1,2,3,4) au lieu d’une numérotation par intervalle (10, 20, 30, 40), y’a pas d’espace pour les ajustements. Je vais m’amuser à vous faire chercher le département 20 sur la carte. Allez-y…

Vous trouvez? Je vous donne un indice : la Corse (en bas à droite). La Corse? Y’a pas de « 20 » en Corse, y’a juste « 2A » et « 2B ». Avant y’avait 20, mais ils ont coupé le département en deux en 1976. Et comme 21 c’était la Côte-D’or, ils se sont débrouillés… Ils auraient pu faire 20 et 20½. Mais ils ont fait « 2A » et « 2B ». Donc, cette suite logique : 18, 19, 2A, 2B, 21, 22, etc. « Wo minute! Et le 2 alors? », que vous criez. Le 2 en question, c’est le département d’Aisne. Et ce n’est pas le 2. C’est le « 02 ». Parce que même si le classement semble numérique, les identifiants sont en fait alphanumériques. Surprise!

Donc, si on résume bien, les départements français sont identifiés par des codes alphanumériques simulant un ordre numérique qui lui est appuyé sur l’ordre alphabétique des noms des départements en question, exception faite des départements qui ont changé de nom pour des raisons historiques, comme l’Essonne (91) qui arrive après la Vendée (85). Capice? Ça monsieur, c’est tout un système.

On voit que le système en question a demandé une réflexion tellement intense qu’à la fin, les esprits étaient un peu fatigués, voir confus. D’où cette partie intéressante, de 83 à 95, où l’alphabet en prend pour son rhume :
83 Var
84 Vaucluse
85 Vendée
86 Vienne
87 Haute-Vienne
88 Vosges
89 Yonne
90 Territoire de Belfort
91 Essonne
92 Hauts-de-Seine
93 Seine-Saint-Denis
94 Val-de-Marne
95 Val-d'Oise
En définitive, le meeting s’est terminé tard dans la nuit, et on y a servi du vin…

Bon, tout ça finit par ne plus servir à rien, mais au moins, c’est « systématisé ». Incompréhensible, mais systématique. Contradictoire, mais documenté quelque part. Inutilisable, mais référencé.

C’est étrange. Au départ de ce texte, l’exemple des départements devait être une courte entrée en matière vers autre chose. Je voulais présenter cette capacité française à bien compartimenter, qui fait qu’un Français sait apprécier la différence entre les concepts de « bio », « végétarien », « Greenpeace » et « yoga », au lieu de tout amalgamer dans un seul nuage de confusion.

Mais bon, je me suis enfoncé dans l’exemple des départements. Un peu comme on s’enfonce dans les formalités de la bureaucratie française, toujours plus complexe que prévu. D’ailleurs, de faire l’exercice m’a peut-être permis de comprendre quelques trucs additionnels sur ce pays. De cette réflexion se dégage peut-être une tendance, un trait de caractère typiquement français. Certaines des complexités de la vie dans l’Hexagone sont peut-être nées d’une obsession de systématiser « l’insystématisable ». D’aller contre le réflexe naturel, qui paraît trop fruste, et pas assez cérébral. De lutter contre le chaos, vieille habitude des Lumières. Habitude « cartésienne » (de Descartes, un Français).

Suite de réflexion, pour un autre jour : est-il arrogant de dire que « cartésien » est synonyme de « rationnel »? Parce que le classement des départements, c’est un truc issu d’une forme de cartésianisme. Mais on ne peut pas dire que c’est très rationnel… Les Lumières ont-elles simplement rejeté le chaos par vanité? Parce que son organisation était trop complexe pour être comprise avec les moyens et capacités d’alors? Pour s’attaquer à systématiser le chaos, ça prend l’humilité d’un ouvrier bâtisseur de cathédrale. À voir…

En tout cas. Concluons. De temps en temps, j’entends des trucs comme « Olivier, il vient du 76 » ou « j’habite dans le 91 ». Je sais pas du tout c’est où. Je me contente de répondre comme un politicien : « Ah, y paraît que c’est un très beau coin le 76. On m’a chaudement recommandé d’y passer lors de mes prochaines vacances. »


samedi 2 mai 2009

Paix sur terre



Ce midi dans mon assiette, il y avait de la baguette, une salade d'aubergines certifiée cachère, de la harissa, et des rillettes au cochon. C'était bon et bien relevé.

"Imagine all the people..."

Source photo : wikipedia.


vendredi 1 mai 2009

Solidaires?



Y’a des statistiques qui te bouleversent ta vision du monde. Moi, après 10 mois ici, je pensais commencer à comprendre un peu les choses. Mais cet article du New York Times m’oblige à réviser toutes mes conclusions.

C’est un article sur la France et son amour des grèves. Bon, c’est un peu « tiré par les cheveux » comme on dit chez-nous. On y parle de la propension française à manifester publiquement comme d’une sorte de tradition, un trait inscrit dans la culture hexagonale depuis la Révolution. Une sorte de gène collectif du râle. (Gène qui, me semble-t-il, peut temporairement devenir récessif, si je me fie à certains moments de l’Histoire où les Français se sont montrés particulièrement dociles.)

Une phrase de l’article m’a laissé un peu pantois. Elle dit ceci : « Less than 8% of French workers belong to a union — a figured dwarfed by averages elsewhere in Europe and even by America's relatively low 14% level. Worse still, small French unions are bitterly divided among themselves and tend to be dislocated from sector to sector. »

Je traduis: « Moins de 8% des travailleurs français sont membres d’un syndicat, un niveau très bas par rapport aux moyennes européennes, et même par rapport au niveau Américain de 14%, déjà considéré comme faible. Encore pire, les syndicats français sont amèrement divisés et ont tendance à se morceler d’un secteur à l’autre. »

Pause sur donnée : 8%. Presque deux fois moins qu’en Amérique, cette soi-disant grande terre capitaliste perdue au libéralisme économique et la concurrence déréglementée. L’ignoble machine américaine, qui bouffe ses travailleurs sans même en recracher les os, est à 14%.

Si on m’avait demandé d’évaluer le taux d’adhésion à un syndicat en France, j’aurais donné un chiffre quelque part entre 25 et 30%. Avec ces grèves fréquentes qui paralysent de grands secteurs de l’activité économique? Avec ces marches rassemblant des dizaines de milliers de personnes? Avec ces sondages relevant des taux de 60% en faveur des manifestations? Tout ça me semblait preuve d’un militantisme très fort.

J’avoue que je ne comprends plus beaucoup. Je vais devoir explorer les hypothèses. Je vais devoir penser un peu, car pour le moment, tout redevient mystère.

En fait, un seul truc me vient à l’esprit. Et c’est pas super gentil. Pas vraiment flatteur comme image. Une idée qui me vient comme ça, toute bordélique. Un début d’équation, qu’il faudra peut-être écrire jusqu’au bout pour en confirmer ou non la validité. Un postulat un peu chambranlant. Mais bon, j’y vais. Vous me crucifierez plus tard.

Source photo : wikipedia.


J’ai remarqué en France l’importance qu’on accorde à l’élégance. Les vêtements trop chers. Les sommes élevées consacrées à des cosmétiques qu’on accepte de payer à prix d’arnaque. J’ai vu ces épisodes de « Un gars, une fille » où on rappelle beaucoup cette propension à beurrer épais, à glorifier son parcours professionnel, social, ses moyens financiers, quitte à se mettre dans la merde. L’importance attachée au prestige et à la réputation. Le besoin de montrer son rang. Un des mecs les plus riches d’Amérique, Steven Spielberg, se promène en jeans, casquette de baseball sur la tête. J’ai l’impression qu’on ne voit pas souvent ce genre de comportement en France.

Je rencontre souvent d’autres Canadiens attirés à Paris pour des raisons professionnelles. La plupart travaillent dans de grandes boîtes, et certaines observations sont récurrentes dans nos discussions. Notamment, cette intolérance à l’échec qui pousse les gens à embellir les choses dans les réunions. À se donner de l’importance, à bomber le torse pour dissuader les confrontations. À baratiner pour donner l’impression qu’on maîtrise son sujet. Le traumatisme causé lorsqu’on ose relever des problèmes. (Il est important de noter ceci : je ne suis pas en train de dire qu’on cultive la mauvaise foi en milieu de travail. Je crois plutôt assister à un réflexe tout naturel dans un contexte où le travailleur est privé de son droit à l’erreur. J’ai vraiment cette impression que l’erreur est payée très cher dans la France corporative et même académique. Alors mieux vaut ne pas s’afficher en position de faiblesse ou de doute). On dirait que la France professionnelle, absurdement, exige des « experts » et rien d’autre.

Un thème qui revient souvent est celui de la société (entreprise) qui, derrière une façade de solidité bien entretenue par les relations publiques, fait preuve d’une désorganisation et d’un amateurisme désarmant. Le truc à la gestion saveur « petite école militaire » qui distribue les promotions en fonction du prestige d’un diplôme. L’endroit où des postes de direction sont donnés à des gamins de 22 ans bien énervés, qui marchent toujours prestement (même s’ils ne savent pas trop dans quelle direction ils vont). L’endroit où l’expérience arrive troisième, généralement derrière le bagou et la marque du costard.

Toutes ces petites lignes, tous ces petits fils, je les regarde avancer vers une sorte de point. J’appellerais ça : « l’importance de l’apparence ». Ou : « Pas besoin d’avoir le moine, suffit d’avoir l’habit, même si c’est au vu et au su de tous ». Ou : « Je sais que t’es pas ce que tu prétends être, mais tu prétends l’être et ça me suffit. » Enfin… c’est pas clair mon truc. C’est qu’une bouillabaisse de réflexions, un aspic pas encore figé, et probablement indigeste. Un melting pot d’impressions.

Mais bon, seulement 8% de syndiqués dans le pays qui nous paraît comme une des plus socialiste de l’Europe? Solidarité ou « apparence de solidarité »? Je pose la question. Peut-être qu’en France, malgré tout ce qu’on prétend, c’est comme ailleurs. Comme chez les méchants capitalistes.