dimanche 30 novembre 2008

Le mur qui craque



Probablement que c’est comme ça pour tout expatrié : une sorte d’alternance entre des moments d’euphorie de des moments de profonde déprime. En tout cas, c’est un état mental pour lequel, s’il survenait au Canada, je consulterais.

Quelle belle journée passée samedi. Je me suis promené dans Paris. J’ai dû marcher 20 kilomètres. Départ à Châtelet et visite du deuxième arrondissement. J’ai trouvé le coin des manufactures de vêtements, avec articles soldés si on cherche bien. Vers le nord jusqu'à La Chapelle, pour dîner dans un petit resto indien qui m’avait fait de l’œil lors de mon dernier passage.

Dans l’après-midi, j’ai arpenté le 16e arrondissement, repaire d’ambassades, de consulats, de Mercedes et de vraies boutiques Louis Vuitton (celle des Champs-Élysées étant pour les touristes). Je me crisse un peu Louis Vuitton, mais j’étais curieux de voir cette partie de la planète qui ne vit pas sur le même budget que moi. Y’a des gens très riches à Paris. Assez riches pour dire candidement, de bonne foi et sans aucun cynisme : « qu’ils mangent du gâteau ».

Retour vers chez moi à la tombée de la nuit, via les Champs-Élysées, pour voir les éclairages de noël quasi hystériques et la grande roue toute allumée de blanc. Un petit vin chaud en chemin, pour essayer. Aussi ignoble que le eggnog, le vin chaud à l’avantage d’être très chaud, ce qui, combiné à l’excès de cannelle, arrive presque à masquer le goût de piquette vinaigrée. Mais bon, l’ambiance était belle, et j’étais content d’avoir goûté.

Je ne suis pas assez riche pour vivre dans le 16e, mais je peux me permettre un beau plat d’huîtres quand j’en ai envie. Alors je me suis mis à chercher la traditionnelle brasserie tape-à-l’œil en chemin. Bienfaisante Providence, j’essaie une nouvelle rue, et je tombe sur un ti-vieux qui ouvre des huîtres devant un petit bistrot sans prétention. Un zinc et 25 places assises. J’arrive au bon moment : il reste une table. Je m’enfile un festin de 12 huîtres, une assiette de crevettes et une assiette de bulots, le tout arrosé d’un beau Muscadet. Je vous entends dire : « Le porc! Le goinfre! ». Premièrement, ce ne sont pas des portions américaines. Deuxièmement, ils ne te mettent pas un paquet de cochonneries comme du riz, des patates rissolées, ou de la salade iceberg. C’est que les fruits de mer, zéro légume, zéro sauce. Straight. Comme je le souhaitais. J’aurais trouvé un dix piasses sur le trottoir et j’aurais pas été plus heureux. En fait, oui j’aurais pu être plus heureux, mais il aurait fallu un(e) ami(e) de Montréal à table avec moi.

À Paris, rien n’est gratuit. C’est pas pour rien que les Français ont fini par se laïciser. Quand t’as trop de fun, on dirait que la Providence (que d’autres appelleront Dieu) t’attend au coin de la rue avec un seau d’eau frette. Quand t’as profité, faut payer. Parfois, me semble que c’est cher.

Source photo : wikipedia.


Aujourd’hui, c’est dimanche et il pleut. Dans le salon je fixe mon mur, perdu dans mes pensées. En juillet, mon voisin d’en haut a eu un dégât d’eau, ce qui a salopé quelques trucs chez moi. Quand t’es locataire en France, t’es tenu d’avoir une assurance couvrant tout dommage qui surviendrait pendant que tu occupes les lieux. C’est pas comme au Québec. C’est le locataire qui assume, pas le proprio. Alors mon petit dossier d’assurance suit son cours depuis maintenant cinq mois.

Il y a quelques semaines, mon assureur a refusé une première évaluation des travaux de réparation. Elle n’était pas assez détaillée. Il y a deux jours, une deuxième évaluation a été refusée. Trop cher pour ce type travaux. Pourtant, rien dans mon contrat (que je viens de relire au complet) ne précise un plafond pour les frais éligibles.

J’ai enfin eu mon titre de séjour il y a quelques jours. Mon histoire de travaux est (était) la dernière bébelle administrative dans ma todo-list des tracas post-atterrissage. Je m’apprêtais à bientôt célébrer la fin de mes chemins de croix. Mais soudainement, je sens que je m’enfonce dans une nouvelle affaire, avec un assureur pas nécessairement coopératif.

Alors je suis dans mon salon et je fixe le mur. Je fixe un mur dont la peinture, sans raison apparente, vient de commencer à s’écailler. Je me suis levé ce matin, et la peinture était craquée. En dessous, aucun signe d’humidité. Pas de tuyau qui passe par là. Le plâtre laisse une belle trace poussiéreuse sur les doigts. L’entrepreneur qui a rénové mon appart est probablement allé un petit peu trop vite. Il a fait sa peinture sur du plâtre pas complètement sec, et là ça vient de céder. Un autre dossier d’assurance?

Y’a aussi mon service internet-télé-téléphone qui a cédé. Depuis samedi matin, mon modem ne répond plus. Au début, je ne me suis pas inquiété. Panne occasionnelle d’une compagnie broche à foin. Mais là, ça fait deux jours. Au téléphone, à 50 cennes la minutes (parce que c’est comme ça en France), le préposé m’a fait faire toutes les petites étapes du livret d’instructions, même si je les avais déjà toutes faites avant de l’appeler. Après, il m’a invité à aller essayer mon modem chez un ami pour voir si il fonctionne. Dans toute l’histoire des suggestions épaisses que m’ont faites des services à la clientèle déficients, celle-ci remporte la palme. Ensuite, il a voulu m’envoyer un technicien : « C’est gratuit, sauf si le technicien détermine que la panne est de votre faute ». C’est ça épais, je la connais la recette. Ton hostie de technicien va venir chez moi avec un branche de sourcier, il va faire la danse du feu pendant deux minutes, et après il va rendre son jugement : tout est de ma faute. « Vous voyez Monsieur Brisson le fil qui était bien branché et que j’ai débranché? Bien je l’ai rebranché au même endroit, et maintenant ça fonctionne. Ce qui prouve que c’est votre faute, car vous n’avez pas la touche magique ».

Un ami qui est ici depuis quelques années (et chez qui j’aurais pu aller tester mon modem si j’étais vraiment un gros cave) m’a déjà dit que rien n’est jamais vraiment fini en France : « Quand tu penses arriver au bout de tes peines, c’est parce que t’as mal regardé l’horizon ».

Pendant que j’écris ma déprime sur mon portable, mon modem vient de se remettre à fonctionner tout seul. Comme un chat perdu qui à la maison après trois jours d’absence, et qui, l’air de rien, va direct vers son bol de croquettes. Je devrais être content. Pourtant, je reste angoissé. Au dessus de l’écran, mon horizon : un mur qui craque.


P.S. : pour beurrer épais sur mon cafard, pendant que je faisais ma commande, la radio-nostalgie diffusée au supermarché a joué « Je reviendrai à Montréal » de Charlebois, suivi de « Mon frère » de Maxime LeFoxTerrier. Cette dernière chanson est poche, mais elle me rappelle un beau périple en gang sur la 20 entre Kamouraska et la métropole.

mardi 25 novembre 2008

Corrélations



La France publie de très beaux magasines, avec beaucoup de chair sur l’os. Je lisais récemment le numéro 41 des Collections de l’Histoire, consacré à l’Europe. Un texte intitulé « L’irrésistible croissance » a retenu mon attention. On y parle de la révolution industrielle. L’Angleterre y joue le premier rôle, avec l’invention de la machine à vapeur, l’essor des usines aux dépens des ateliers, l’inauguration de la première voie ferrée, et surtout l’élaboration de « la doctrine libérale, qui exalte la liberté d’entreprise, le libre-échange et la non-intervention de l’État en matière d’emploi et de conditions de travail. »

Voici quelques extraits choisis de ce long texte. Je vous expliquerai pourquoi après.

« Jusqu’en 1914, l’Angleterre apparaît comme le pays le plus libéral du monde, au point de rejeter le retour au protectionnisme qui se répand à la fin du XIXe siècle. »

« Il est en revanche plus simple de comprendre le relatif déclin de l’Angleterre vers la fin du XIXe siècle : elle exporte ses capitaux dans le monde entier mais investit de moins en moins sur son territoire. Son obstination à rester libre-échangiste favorise l’arrivée des produits étrangers, notamment allemands, au grand dam des entrepreneurs nationaux. Dans le même temps la législation sociale alourdit les coûts et réduit la compétitivité. Le pays reste fidèle à un capitalisme familial au moment où, à la fin XIXe siècle, la concentration des entreprises s’accélère. Il perd enfin sa supériorité technique, dépassée par les innovations allemandes et américaines. À partir de 1880, l’Angleterre souffre de surexpansion impériale : l’énergie britannique se focalise sur l’extension de l’empire, la mondialisation de la finance, la domination du sterling… Le dynamisme et la puissance économique sont désormais incarnés par l’Allemagne. »

« La croissance allemande, bien que tardive puisqu’elle s’amorce vers 1860, est spectaculaire. En 1914, l’Allemagne est devenue la première puissance économique européenne et domine les industries de la seconde révolution industrielle, à savoir le matériel électrique, les industries chimiques où elle dispose d’une technologie de pointe, auxquelles s’ajoute une puissante industrie sidérurgique et métallurgique allant de l’acier au matériel militaire en passant par les machines-outils, le matériel ferroviaire, les moteurs… Outre sa richesse exceptionnelle en charbon ou en potasse, l’Allemagne s’appuie sur de puissantes entreprises, les konzerns, sur les ententes entre ces grands groupes, les cartels, et sur des banques qui investissent massivement dans les industries naissantes. Elle a su se doter très vite de laboratoires de recherche et associer étroitement l’industrie et l’Université. Sa force se reflète notamment dans la montée en puissance de ses exportations. »

« Aux États-Unis, la croissance est certes aidée par l’esprit d’entreprise des Américains et le potentiel d’un territoire immense. Mais elle doit beaucoup à l’Europe, qui, outre l’apport de 40 millions d’immigrants, inonde le pays de ses capitaux, fournit l’essentiel des importations et absorbe les trois quarts des ventes. Économie de grands espaces, les États-Unis sont devenus au début du XXe siècle les premiers producteurs agricoles et industriels du monde mais ils n’ont pas encore atteint leur autonomie par rapport à l’Ancien Monde. Le dollar fait pâle figure par rapport au sterling, la conjoncture mondiale est toujours dépendante de l’Europe et les États-Unis ne sont encore qu’une réplique à grande échelle du modèle européen. »

En résumé, au début du XXe siècle, on a l’Angleterre, la première puissance mondiale, qui commence à en arracher. Elle n’est plus compétitive face à des concurrents qu’elle a elle-même arrosés de ses capitaux. Chez les concurrents, on assiste à deux phénomènes. En Allemagne, on note une sorte de cohésion des secteurs industriel, financier et universitaire. Aux États-Unis, des ressources à bas prix et une monnaie faible favorisent l’exportation et l’arrivée de capitaux étrangers.

Source photo : wikipedia.


Vous m’avez certainement vu venir. Imprimez ce texte en deux copies. Sur la seconde copie, remplacez « Angleterre » par « États-Unis », « Allemagne/États-Unis » par « Chine », « sterling » par « dollar », et « dollar » par « yuan ». Ensuite, ajoutez un siècle à toutes les dates. Enfin, amusez-vous à faires des corrélations.

Au sujet des États-Unis, un bout de phrase m’a laissé songeur : « les États-Unis ne sont encore qu’une réplique à grande échelle du modèle européen. » Donc, si on suit le modèle à la lettre, techniquement, il va arriver à l’Amérique ce qui est arrivé à l’Angleterre.

Bon, je n’apprends rien à personne ce matin. Et mon petit exercice est peut-être un peu simpliste. Mais il sous-tend quand même un message d’espoir. Malgré l’effondrement de l’empire britannique, on ne vit pas trop mal en Angleterre aujourd’hui. De plus, en Amérique, nous avons le soleil, comme le dirait si bien Plume.

P.S. : Les extraits de texte ont été reproduits sans la permission de leur auteur Régis Bénichi et de la revue Les collections de l’Histoire. Alors considérez ça comme une pub gratuite et courrez acheter votre copie. Achetez aussi un des quarante bouquins de Régis Bénichi. Ça vous changera de vos lectures habituelles à propos des tétons de Stéphanie de Monaco. Et de ce blog idiot, devrais-je ajouter.

dimanche 23 novembre 2008

Un peu plus à gauche



Je commence à peine à mettre mon nez dans la politique française. Comme n’est pas le but premier de ma mission ici, j’en ramasse des ti-bouts à l’occasion, sans trop insister. Mes opinions et observations sont celles d’un newbie (border newfie), alors faut pas trop m’en vouloir si je dis des conneries dans les prochains paragraphes. Et surtout, ne cherchez pas une structure thèse-antithèse-synthèse dans le texte. C’est plutôt une structure « chauffeur de taxi timbré ».

En France, le principal parti de gauche est le Parti Socialiste (PS). Là, on est loin de notre gauche de « centre-droite » à l’américaine. On parle d’une vraie gauche, celle qui au Canada se tient dans la marge et ramasse environ 3% des voix lors d’une élection. Un truc comme Québec Solidaire. Le vrai regroupement de gens super gentils, pleins de vertu, et pour qui la dette publique n’est jamais un problème. Ceux qui promettent de rendre tout le monde heureux en faisant la vie dure aux méchants riches. Ceux qui s’avancent pour proposer des réformes de joie profonde dans l’éducation, la santé, et l’emploi, sans toutefois arriver à chiffrer leurs idées. La gauche Passe-Partout, pour qui tout le monde il est beau. Tout le monde, sauf les pas fins de capitalistes, qui gardent pour eux l’inépuisable fontaine à billets verts.

Au Québec, la vraie gau-gauche est rigolote et pas très menaçante. Un groupuscule d’anciens salariés de l’État (directement pour les anciens profs de Cégep et par le biais de subventions pour les anciennes présidentes de la Fédération des femmes du Québec). En France, c’est autre chose. La gau-gauche est organisée, forte, et candidate « sérieuse » à la présidentielle.



La semaine dernière avait lieu l’élection du Premier Secrétaire du Parti Socialiste. Au deuxième tour, Martine Aubry est rentrée avec une majorité de 50,02 %, contre 49,98 % pour Ségolène. Seulement 42 voix de différence. Depuis, fait rage une bataille sanglante digne des guerres internes au PQ. Ségolène conteste les résultats, accusant certaines organisations d’avoir eu recours à des manipulations. Aubry conteste aussi, mais accepte le résultat…(???) Les deux candidates y vont de déclarations publiques dans lesquelles elles se graffignent poliment la face. Beaucoup de chemises sont déchirées.

J’aime bien ce genre de guerre fratricide, surtout quand c’est la Gauche qui la fait. On s’attend à ce genre de truc de la part de la Droite. Mais provenant des Défenseurs de la Vertu et du Citoyen, c’est encore meilleur. C’est comme voir deux curés se donner des claques sur la gueule. C’est divertissant de constater que même les gauchistes peuvent être dévorés par l’ambition. J’ai bien aimé entendre Martine Aubry qui, sur l’habituel ton rassembleur copyrighté par la Gauche, essayait essentiellement de dire : « Royal, ferme ta gueule, t’as perdu ». Sans parler de l’appel fait par Ségolène à François Hollande, actuel Premier Secrétaire du PS. Après avoir écouté ce dernier à la télé, je ne suis pas certain qu’on aura un plan d’action très clair pour sortir le PS de la crise. Il parle un peu comme Louise Harel dans le sketch de RBO (voir ceci : http://www.youtube.com/watch?v=oCyk8mWkM70).

Au Québec, j’avais un peu entendu parler de Ségolène Royal. La Madame me semblait sympathique et élégante. Mais ici, j’ai un tout un choc en l’entendant parler elle-même. Oh boy! En juillet, elle déclarait vouloir redistribuer la moitié des profits de la pétrolière Total aux Français les plus touchés par la flambée des prix du pétrole. C’est de la haute voltige. Je n’ai pas grand chose contre la nationalisation d’une entreprise au complet. Mais nationaliser uniquement ses profits? Hello? Aurais-tu besoin d’un petit cours d’économie 101? Deux possibilités : soit on a affaire à une ignorance crasse du système financier, soit elle dit n’importe quoi pour plaire à une masse qui ne se donne jamais la peine d’aller jusqu’au bout de l’équation.

Chose certaine, les divisions actuelles au sein du PS ont de quoi réjouir Sarkozy. Il se retrouve sans opposition solide et peut gouverner à sa guise. Mais parfois, je me dis que ça fait peut-être l’affaire de la France. Cette nation a fait la révolution, mais dans le fond, elle envie peut-être encore l’Angleterre et sa monarchie. La première chose qu’ont fait les Français après la révolution, c’est de se trouver un empereur. Ensuite, ils ont restauré la monarchie. Suivi d’un autre empire, après une brève pause de quatre années sous un régime républicain. Jusqu’à un amendement récent, les présidents français étaient élus pour sept ans. Mitterrand a dirigé le pays pendant 14 ans. C’est plus longtemps que bien des rois, comme Dagobert 1er, Childéric II, Thierry III, Clovis IV, Dagobert III, Louis II dit Le Bègue, Charles III dit Le Gros, Louis V dit Le Fainéant, Jean 1er dit Le Posthume (roi à sa naissance, il ne vécut que 5 jours), Philippe V dit Le Long, François II, et Louis XVII qui, bien que reconnu par les royalistes, n’eut pas l’occasion de gouverner.


samedi 22 novembre 2008

Couleur Dalida



Paris est une grosse tarte qu’on doit manger pointe par pointe, tranquillement, si on veut vraiment la savourer. En fait, c’est vrai pour toute grande ville. Mais c’est encore plus vrai pour Paris. Sur la carte, Paris a vraiment l’air d’une grosse tarte ronde, avec ses arrondissements concentriques. Ou peut-être une énorme pastilla.

Je parle encore de bouffe. C’est vrai que ma journée a commencé avec ma dose hebdomadaire de choix déchirants, au supermarché : « J’achète un bloc de foie gras cette semaine? Ah non, je ne peux quand même pas me permettre tout ce gras, c’est pas sain. Et le pâté façon grand-mère absolument délicieux? Je peux pas, j’ai déjà des lardons à passer. Et pis j’ai déjà deux semaines de bouffe dans mon panier. »

En tout cas. Ce midi, j’ai attaqué le 18e, un arrondissement que je n’avais pas encore visité. Faut dire qu’à part le coin Montmartre, popularisé par Picasso, Pissarro et Poulain (Amélie de son prénom), le 18e n’a pas très bonne réputation. Gare du Nord, Gare de l’Est, immigrants, vendeurs de camelote, petite criminalité, sex-shops, etc. Une sorte de Promenade Ontario parisienne. Depuis mon arrivée, on me dit d’éviter le coin Barbès en soirée. N’en dépeigne, j’ai écouté mon courage à deux mains.

Première belle surprise, j’ai enfin trouvé le coin Indien. Près de la station La Chapelle, je suis tombé sur les petites épiceries et les vrais restos sri-lankais, pakistanais, et indiens. Je sais maintenant où me procurer une canne de Palak Paneer sans payer 10 euros. La cuisine française est magnifique, mais rien ne vaut un bon indien bien parfumé dans le creux de l’hiver, ou dans un moment de déprime. Ça et le ragoût de ma mère. C’est bien beau les St-Jacques déposées dans l’assiette avec une pince à cil, mais parfois, j’ai envie d’un plat de lentilles mijotées dans un gros chaudron. La bouffe de pauvre, c’est la bouffe qui fait chaud au cœur.

Source photo : wikipedia.


Dans le coin du boulevard de la Chapelle, comme à bien d’autres endroits dans Paris, il y a marché le samedi. Les commerçants se rassemblent sous le métro aérien pour écouler laitues et fromages. Pour faire une bonne affaire en matière de légumes frais à Paris, il faut attendre la fermeture des marchés, à 14h00. Tout ce qui était à 3 euros tombe à 1 euro. Deux laitues pour 1 euro. Sac de carotte à 1 euro. Les marchands gueulent, ils veulent vider leur comptoir, ils négocient, ce qui est rare en France.

Je suis arrivé à un moment intéressant, un moment d’intense activité, à la toute fin de la fermeture du marché. J’ai été impressionné par les marchands qui plient boutique, littéralement. Les tapis de vinyle sont nettoyés. On démonte les étals. On ramasse les caisses de légumes. Ce qui traîne par terre est rassemblé à la pelle en gros tas végétal de mandarines moisies, de carottes cassées, de feuilles de chou. La glace concassée des poissonniers est pitchée sur le tas. Les trucks de la Ville de Paris sont déjà sur place pour tout nettoyer au jet d’eau. Particularité de ce marché : des gens fouillent dans les tas de restants pour récupérer les oranges un peu maganées, la moitié de potiron un peu sale, et les haricots verts flétris. Du monde qui en arrache, mais aussi du drôle de monde. Surtout les madames avec les fausses sacoches Gucci.

Plus loin sur le chemin, la fameuse place Pigalle et son non moins célèbre Moulin Rouge. Pigalle, en résumé, c’est un centre d’achat du cul à ciel ouvert. Et comme partout ailleurs, le cul y est vendu en grosse lettres dorées, à coup de néons violets, avec des affiches surdimensionnées. C’est paradoxal, mais même s’il s’en couvre, le cul ne fait jamais dans la dentelle. L’industrie du sexe parisienne innove toute de même avec la rabatteuse. Devant les clubs pour messieurs, on trouve de jolies dames qui invitent les passants à monter à l’étage. Belle idée. Bon, c’est pas Claudia Schiffer, mais ça a un peu plus de classe que l’habituel gros boxeur raté de six pieds quatre.

Pour finir en grande, je fais un détour par le cimetière Montmartre. J’aime bien les cimetières parisiens. Dans les brochures touristiques, tous les clubs des Champs Élysées laissent miroiter la possibilité d’un brush-with-fame. Toutes les boîtes sont « la plus branchée » ou « le club favori des top-modèles et des stars ». Et tous les pauvres cons vont y claquer 200 euros dans l’espoir d’apercevoir Vincent Cassel sortant des chiottes. Moi je connais l’endroit secret. Succès garanti. J’ai vu Piaf, Maria Callas et Chopin au Père-Lachaise. J’ai vu Gainsbourg et Baudelaire au cimetière Montparnasse. Cet après-midi, je donnais dans le gratin du Paris mondain. Michel Berger, Dalida, Émile Zola; différentes époques, même combat.

P.S.: j'ai bien aimé le buste Zola sur sa tombe. Le vrai Zola ici. Le buste ici. Légère glorification.

lundi 17 novembre 2008

La vie plate des Français



Il est 21h30 et je viens de terminer mon assiette de macaroni. Je suis allé dans un 5 à 7? Non. J’ai fait du sport? Non. J’ai plutôt fini de travailler à 19h00 comme d’habitude. Panne sur le RER, alors j’ai marché. Dans la cohorte des travailleurs de la Défense, j’ai marché en ligne droite pendant un bon moment vers Champs-Élysées. Puis j’ai pris la ligne 2 pendant quarante minutes.

Source photo : wikipedia.


S’il y a un truc qui est bien au Canada, c’est qu’on peut généralement finir vers 17h00. À Paris, dans le bancaire, c’est 19h00. « Wow, ils travaillent beaucoup les Français », vous dites-vous. Pas vraiment. Non, ce qu’ils font les Français, c’est niaiser à la job. Niaise un ti-peu icitte, niaise un ti-peu là, pis t’es obligé de finir à 19h00 pour faire une journée minimale de 7 heures d’ouvrage.

Ça commence le matin. T’arrives vers 10 heures moins dix. Ensuite, tu vas prendre un café pendant 20 minutes avec les collègues. Tu commences à travailler sérieusement vers 10h30. À midi, c’est déjà le temps d’arrêter. Tu prends une heure et demie pour manger. En revenant, tu vas prendre un autre ti-café. À partir de 14h00, c’est le long stretch jusqu’à 19h00. Grosso-modo, t’as fait six ou sept heures d’ouvrage, mais ta soirée est scrappée.

Moi, chu pas capable de rentrer à 10h00 le matin. Quessé que t’as le temps de faire quand t’arrives à 10h00? J’arrive généralement vers 8h45. J’arrive avec mon café McDo, alors je skippe le social de l’avant-midi. Je pars dîner à midi et je reviens vers 13h15. Et je file jusqu’à 19h00, comme tout le monde. Résultat : je fais pas mal plus d’heures qu’au Canada, et ça me fait chier. Ça me fait pas chier de faire des heures. Ça me fait chier parce que ma soirée est scrappée.

Au Canada, j’arrivais à 8h00 le matin avec mon muffin, je prenais 45 minutes le midi pour manger mon petit lunch, et je partais vers 17h00. Parfois vers 18h00 quand il fallait donner un peu plus. Là j’entends les Français dire : « Huit heures le matin! Seulement 45 minutes pour manger! Mais c’est honteux! C’est de l’esclavage! » C’est peut-être de l’esclavage, mais j’avais une vie, ostie!

Je commence à croire que les Français ont une vie personnelle absolument plate. Pour rester collés à la job jusqu’à 19h00, ils doivent avoir une vie domestique plate en simonac. Moi, à 19h00, j’ai plus envie de voir mes collègues, sauf si c’est dans un bar. Au Canada, tu niaises pas à la job. Tu travailles pis t’essaies de finir vite pour crisser ton camp.

Tu crisses ton camp pour aller magasiner des pneus d’hiver. Tu crisses ton camp pour aller voir tes amis à l’escalade et faire du sport. Tu crisses ton camp pour aller au marché et te faire une bonne bouffe relaxe à la maison. Pour aller au cinéma. Pour aller prendre une marche. Pour jouer à Rock Band ou à Donjons et Dragons. Pour baiser ta nouvelle blonde. Pour baiser ton ancienne blonde. Pour aller faire du ski de soirée à Bromont. Pour niaiser sur Facebook, parce que c’est déjà plus intéressant que de niaiser à la job à côté de l’ostie de machine à café. Pour rester pogné dans une panne de métro et quand même avoir le temps de faire quelque chose après. Y’a tellement de choses à faire en dehors du travail. Si le cœur t’en dit, tu peux même crisser ton camp pour aller te saouler tout seul au bar. Me semble que les Français devraient avoir compris ça, eux qui aiment boire.

En tout cas, il est 22h15 et je n’ai plus le temps de continuer ma montée de lait. J’aimerais faire la vaisselle, plier mon linge, prendre mes courriels, et pouvoir donner un coup de fil à ma mère. Le strict minimum, quoi. Le strict minimum que me permet ce système de pas d’vie. Plusieurs s’entendent pour dire que les Parisiens sont stressés. Ben c’est de leur faute, ostie!


dimanche 16 novembre 2008

Le petit hippopotame



Je suis passé au Louvre avec un ami en visite. Passage obligé dans l’aile Sully, pour voir les dizaines de personnes qui se font photographier avec la Joconde. Ce tableau me laisse tellement froid. On a trop vu la Joconde sur les boîtes de céréales, dans les pubs de crèmes antirides, sur les posters de glaces italiennes. Et je n’aime pas trop Leonardo. Trop flou. Trop de couleurs terreuses. Trop de brun. J’aime mieux Botticelli. Plus contrasté. Plus de pureté et d’intensité dans ses couleurs. Le rose des visages est d’une douceur magnifique. Et les bleus sont profonds comme le ciel.

Quand je visite un musée, ce qui m’étonne le plus des œuvres anciennes, c’est la force des couleurs malgré les siècles. À tous les jours, on voit par terre des emballages de Kit Kat bleuis par le soleil. Nos vieilles photos jaunissent ou s’estompent après quelques années. Nos t-shirts noirs deviennent verdâtres après cinq lavages. C’est vrai qu’on restaure les tableaux. Mais c’est toujours magique de presque sentir le jaune intense d’une étoffe royale peinte sur une toile il y a plus de 500 ans.

Je ne suis pas trop intéressé par l’Égypte ancienne, mais mon ami voulait visiter cette collection. Il a bien fait de m’y amener. Bien sûr, on y trouve les habituels sarcophages et hiéroglyphes. Il y en a tout un tas. La succession des salles me donnait l’impression de parcourir les planches de Tintin et les cigares du Pharaon. Je m’attendais à voir surgir Milou entre deux rangées de bas-reliefs.

Ce à quoi je ne m’attendais pas, c’est d’être ému par un petit hippopotame. La figurine est longue d’une vingtaine de centimètres. Elle est d’un bleu vif absolument fascinant. On dit qu’elle est faite en faïence silicieuse. Elle a 3500 ans, et pourtant, on croirait qu’elle vient d’être achetée chez Ikea.



Bon, je suis certain que l’évocation d’Ikea provoque un profond mépris chez les plus snobs d’entre vous. Mais avouez que le géant suédois a l’habitude de nous pondre à chaque saison un lot de petits bibelots absolument mignons qui se vendent très bien. De petits articles coquets, rigolos, rassurants, et qui réveillent un peu notre cœur d’enfant.

Le petit hippopotame a eu sur moi un effet Ikea. Mais ce qui m’a ému, c’est l’idée qu’il y a 3500 ans, un artisan s’est penché sur le petit objet. Il y a mis quelque chose de paisible. Une émotion humble, mais universelle. Un truc joli, sans prétention. Je suis certain que l’artisan n’avait pas de grande ambition pour son bibelot. Il est de la même facture que des centaines d’amulettes trouvées dans un tas de salles funéraires. Pourtant, l’émotion a traversé trois millénaires. J’avais l’impression que la figurine avait été faite hier. J’avais l’impression que j’aurais pu dîner avec l’artisan, et que nous aurions finit par rigoler, malgré nos 3500 de différences culturelles.

L’Égypte ancienne était pour moi un truc d’encyclopédie. Les pyramides, les statues énormes, le gigantisme. Quand on nous parle de l’Égypte, on nous parle de rois légendaires, de dieux, de civilisations, de palais, d’armées d’ouvriers. J’avais toujours trouvé ça un peu impersonnel. Des images panoramiques. Au Louvre, j’ai vu le petit hippopotame. J’ai vu des sculptures grosses comme ma main. Des chats momifiés très rigolos. Et un paquet de petits bibelots presque anodins. Je ne sais pas pourquoi, mais ça m’a fait voir les choses à hauteur d’homme, en plan rapproché. C’est quand même bien, dans un musée où tout semble être mis en scène pour épater la galerie.

Pour ceux que ça intéresse, le petit hippopotame est ici.


lundi 3 novembre 2008

Combat royal


Ça vous dit de voir un beau combat royal comme dans le temps de la WWF, avec tout le monde dans le ring qui se donne des coups de chaise sur le crâne?

Source photo : wikipedia.


Si oui, rendez-vous sur le blog de l'insipide Marie-Claude Lortie, qui a encore réussi à exploiter la guerre des sexes pour provoquer un "bar brawl" chez ses lecteurs:

http://blogues.cyberpresse.ca/lortie/?p=930

Lisez les commentaires. Succulent!

dimanche 2 novembre 2008

Grippe espagnole



Il est 14h00. Je longe les étals de brocante du premier dimanche du mois, sur le boulevard Voltaire. C’est joli, il y a quelques beaux trucs pour le décor iconoclaste que je souhaite un jour m’offrir. Afin de profiter de l’éclaircie, j’ai choisi la marche au lieu du métro. Le périple prévoit une traversée du Marais, en direction de la FNAC des Halles. J’ai besoin de guides en vue d’une expédition dans le Midi.

Il pleut ou fait gris depuis je ne sais plus quand. Deux semaines? Je suis sorti du lit à midi trente, à cause d’une grippe interminable ramenée d’Espagne, et d’une otite. Cette fois, c’est l’oreille gauche. Mes découvertes en Europe dépassent la gastronomie : je sonde aussi l’univers du viral. J’ai l’impression d’avoir la tête dans l’eau. Même s’il fait au moins dix, j’ai mis mon foulard et mes mitaines.

Source photo : wikipedia.


Un détour par la rue de Bretagne, où je cherche un complément à mon petit-déjeuner. J’ai dévoré plus tôt un somptueux croissant choco-amande, mais j’ai encore faim. La rue de Bretagne est un repaire de gourmandises, avec ses boutiques de cuisine internationale, bouchers et fromagers de bonne qualité. Chez un italien, un panini me fait de l’œil. Mais la gérante est partie et la caisse est fermée pour dix ou quinze minutes, de m’expliquer un cuisinier en qui ladite gérante n’a visiblement pas confiance. Meilleure chance la prochaine fois. I’ll take my money elsewhere.

Dans une rue latérale, après un bureau du parti socialiste couvert de posters d’Obama, je tombe sur un marché. Un petit truc, quelques allées dans une cour intérieure. C’est chaleureux. Commerces un peu bobos, clientèle gauchiste. Une odeur de vanille attire mon attention. Derrière un comptoir, sous un ghetto-blaster qui joue les Beatles, un cinquantenaire barbu et mal habillé offre des crêpes. Sucre, confiture, Nutella, sirop d’érable. Sirop d’érable! Why not?

Je veux m’assurer qu’il s’agit de vrai sirop d’érable. J’explique au bonhomme ce que signifie « sirop de poteau ». Il me montre la bouteille et insiste sur le caractère bio du produit. Pendant que ma crêpe cuit, le vieux hippie se dandine exagérément en fredonnant « Lady Madonna ». Il beurre épais. On dirait qu’il revendique quelque chose. Je ne sais pas quoi. « Ici c’est encore mai 68 », ou un truc du genre. Il est comique. Sympathique, mais aussi un peu énervant.

Il me tend ma crêpe : « Tou-fiffty pliize.
-Pardon?
-Tou-fiffty, pliiizeu. »
Je lui souris : « On peut quand même parler Français, non? » Il me répond qu’ici on ne parle plus Français, que les Français sont tous des cons car ils ont voté Sarkozy. Je lui indique mon manque d’intérêt par un « ah bon, si vous le dites » bien monocorde, à la frontière du bâillement.

Alors que je m’en vais, pour faire copain, le vieux me lance un « Vive le Québec… » Il hésite, au même endroit que le Général. Mais si le Général a fait une pause pour choisir le bon mot, lui cherche seulement à se souvenir du mot en question. Trop de mari pendant trop longtemps. Il finit par trouver : « Vive le Québec libre! » J’ai envie de me retourner et de lui demander : « Libre de quoi au juste? » Libre d’arrêter de s’humilier en quêtant à genoux l’appui politique du gouvernement français? Libre de ne plus tomber dans le psychodrame parce que l’Élysée se rapproche d’Ottawa dans une manœuvre stratégique en période de crise financière? Libre d’enfin passer à autre chose, d’en finir une fois pour toute avec cette ostie de question stérile qui polarise tout le débat politique unifolié? Je lui envoie la main et je continue mon chemin.

La crêpe est bonne, mais j’aurais aimé un peu plus de sirop d’érable. Au bout des petites rues, le Centre Georges-Pompidou à l’air d’un pile de vieux vinyles sur laquelle on aurait posé des pieuvres, pour les faire sécher. Je pense aux tabernas du port de Naxos. Il y faisait presque aussi froid qu’aujourd’hui à Paris. J’ai envie d’un gros café bien chaud. Il doit bien y avoir un Starbucks dans le coin. Les rues à proximité des Halles sont bondées. Après un moment j’entrevois le fameux logo vert et sa sirène. Je me fraie un chemin pour finalement tomber sur une file d’attente. Un Starbucks avec une file d’attente jusque dans la rue. Only in France…

À la FNAC, je trouve mes guides et je fais la file pendant vingt-cinq minutes à la caisse. Les dames paient avec des chèques. La procédure implique de passer le chèque environ dix-sept fois dans une sorte de petite imprimante. Puis, on note au dos le numéro de la carte d’identité de la cliente. Ensuite, celle-ci inscrit je ne sais trop quoi et finit par signer. Minimum quatre minutes par cliente. Dans le pays qui a inventé la carte à puce.

Retour par la rue de la Verrerie, où je me cherche une bonne bouteille. À défaut de café, ce sera du scotch. L’ambiance est agréable, les boutiques sont colorées et les parisiens préparent leur samedi soir. Je finis par me trouver un beau Laphroaig qui, si je me souviens bien, à un arôme prononcé de tourbe avec de jolies notes de cuir. Parfait pour soigner ma grippe.

Pour éviter la foule sur Rivoli, je prends une rue parallèle. Et par pur hasard, je tombe sur « Thanksgiving », une petite épicerie à l’américaine. Ils ont tout : du Dr Pepper, des crêpes Aunt Jemima, du beurre de pinottes, des Oh Henry et du Kraft Dinner. Paris a mille manières de se faire aimer.