samedi 23 janvier 2010

Les hymnes à l’héroïsme



Je viens d’aller voir Gainsbourg, vie héroïque. Cette fable distrayante revient sur le scandale qu’avait provoqué le compositeur avec sa Marseillaise reggae. Ça m’a donné envie de regarder d’un peu plus près la rengaine patriotique.

Allons enfants de la Patrie,
Le jour de gloire est arrivé!

Tout le monde connaît le début. Pas grand-chose à ajouter. Appel à tous, patrie, gloire, c’est classique.

Contre nous de la tyrannie
L'étendard sanglant est levé.

À partir d’ici, ça devient complètement tordu. Syntaxiquement, je parle. Exprimé naturellement, je présume que ce vers irait plutôt comme suit : « L’étendard sanglant de la tyrannie est levé contre nous ». Si je n’ai que présomption à propos de la signification, c’est qu’on a trop brassé les cartes. Peut être aussi que c’est « Contre la tyrannie l’étendard est levé de nous sanglant ».

Entendez-vous dans les campagnes
Mugir ces féroces soldats?

J’ai collé ces deux vers pour vous aider à comprendre ce qui se dit. Mais en réalité, dans la chanson, il se passe quelque chose de bien étrange : cette phrase est sciée en deux musicalement. Le premier vers met fin au phrasé musical de l’étendard sanglant. Après, pour mugir, on bascule presque dans une autre chanson. Le fa, qui était dièse depuis le début, devient bécarre. Et le si devient bémol. Je ne suis pas musicologue, mais c’est comme si on changeait de tonalité, d’un coup. Et on le fait en plein milieu d’une phrase.

Mugir ces féroces soldats
Ils viennent jusque dans vos bras
Égorger vos fils, vos compagnes!

Ce bout, c’est pour moi le tunnel de la Marseillaise. Dans le reste de la chanson, la mélodie fait des arpèges, bondit à coup de tierces, et se ballade sur toute la portée. Mais dans ces quelques mesures, elle se met à hésiter, à tergiverser entre le fa et le do. J’aime particulièrement l’utilisation du mot mugir pour décrire les féroces soldats. Le mugissement, c’est le cri du bovin. La France attaquée par une horde de vaches laitières déchaînées et assoiffées de sang… Très crédible.

Aux armes, citoyens
Formez vos bataillons
Marchons, marchons!
Qu'un sang impur
Abreuve nos sillons!

Quand arrive enfin le fameux « Aux armes » bien claironné, c’est comme si la France entière se réveillait. Comme si elle gueulait : « Putain, mais qu’est-ce que vous foutez depuis six mesures! Réveillez-vous! C’est pas un chant mortuaire! Y’a de féroces soldats mugissants qui nous attendent dans le champ, avec leur étendard sanglant de la tyrannie. Faut faire quelque chose, bon Dieu d’merde! » Et ça se termine à la Tarantino, avec du sang impur qui gicle sur les sillons. Wow! Les Français ont vraiment le sens du spectacle! Tu leur donne une rase campagne, et ils te font Attack of the Zombie Cows from Hell II.


Bon, et le Canada maintenant…

Source photo : wikipedia.



Ô Canada! Terre de nos aïeux,
Ton front est ceint de fleurons glorieux!

Ça commence vraiment bien dans la fausse représentation. Quels aïeux? Le pays existe depuis seulement 13 ans lorsque l’hymne est composé en 1880. Et cette terre, elle a été prise de force à des Indiens même pas indiens. Et pour les fleurons glorieux, on repassera : les pages de l’histoire canadienne sont un éloge à la tranquillité.

Car ton bras sait porter l'épée,
Il sait porter la croix!

Et ça continue. En 1880, le bras du Canada n’a pas porté beaucoup d’épées. Et j’aime bien l’association épée – croix. Ça envoie un beau message bien médiéval. Mon dieu catholique m’envoie te péter la gueule. Aujourd’hui, l’immigrant musulman doit un peu grincer des dents lorsqu’on lui demande de chanter ces vers au moment de l’attribution de sa citoyenneté canadienne.

Ton histoire est une épopée
Des plus brillants exploits.

Non mais c’est presque de la drague! On croirait entendre un Français qui parle de son cheminement de carrière : « Ouais, tu vois, à ma boîte j’suis managère en chef de l’approvisionnement en papier pour tout le secteur ouatère-cabinette. C’est pas mal de responsabilités et beaucoup de taf’; c’est pas tous les mecs qui peuvent faire ça. »

Et ta valeur, de foi trempée,
Protégera nos foyers et nos droits.

La finale ne m’a jamais vraiment convaincu. Je sais pas, mais de la valeur trempée de foi, ça me paraît un peu trop vaporeux pour protéger quoi que ce soit. Si t’enduit une auto de valeur trempée de foi, je crois pas que ça va l’empêcher de rouiller après trois hivers.

Chose intéressante, et beaucoup plus représentative du pays, l’hymne existe aussi en version anglaise, because 2 official languages. Et là c’est complètement autre chose. Alors que la version française est une flatterie à l’endroit d’un Canada à ce point personnifié qu’on ose le tutoyer, les Anglos parlent pour leur part de patriotisme et d’action directe, utilisant le nous comme sujet. Grosse mutation pendant la traduction! Et une beau symbole des cette incompréhension qui persiste entre les deux peuples fondateurs. Voici la version anglaise, avec ma traduction littérale. Remarquez l’éloignement. Et cette fois, pour la protection, on fait appel à Dieu. Selon moi, c’est plus convaincant que de la valeur trempée de foi.

O Canada! Our home and native land!
(Ô Canada! Notre Patrie et terre natale!)
True patriot love in all thy sons command.
(Tu commandes à tous tes fils un amour patriotique véritable.)
With glowing hearts we see thee rise,
(Nos coeurs rougeoyant, nous voyons ton essor.)
The True North strong and free!
(Le Vrai Nord, fort et libre!)
From far and wide,
(De toutes tes terres…)
O Canada, we stand on guard for thee.
(Ô Canada, nous montons la garde / restons alertes pour toi .)
God keep our land glorious and free!
(Dieu garde notre pays glorieux et libre!)
O Canada, we stand on guard for thee. (bis)
(Ô Canada, nous montons la garde / restons alertes pour toi .)

Y'a ce bout à propos du Vrai Nord, fort et libre. C'est quoi le Vrai Nord? Ça commence où? Peut-être que le Nord, le vrai, c'est cet endroit nécessairement libre parce que personne n'ose l'envahir, de peur de se retrouver avec deux glaçons à la place des couilles. On prévoit -14 à Montréal cette semaine. Et février n'est même pas encore là.


Bon, tout ça m’a donné l’envie de regarder un bon match de hockey…


3 commentaires:

La tortue légère a dit…

Dimanche
Bé quoi tu changes de look ? J'étais pas prête moi !
T'as mis des chaussures de ville et Moi chui encore pieds nus.
Ah bé je vois mon nom de tortue sur le côté, ça c'est sympathique, dis donc merci !
Bon alors t'as bien fait de refaire une toilette...
Je vais lire tout ça, mais plus tard, je reviens...allons zenfants...

Biscotte a dit…

HA ! J'ai bien ri en lisant le truc sur la valeur de foi trempée parce que moi aussi ça m'a toujours intrigué et j'ai cette image d'un foie trempé dans une genre de sauce... :oD

Unknown a dit…

Super ton blog Paul.
Québecoise a Paris aussi depuis quelques mois, j'en ai lu l'integralité et j'avoue que ce fut fort agreable!