mardi 29 septembre 2009

Les obsèques du martyr québécois, acte 2 : la Révolte des Patriotes



La Révolte des Patriotes (1837) est dépeinte comme une grande tragédie québécoise par les souverainistes. À chaque année, une cérémonie se tient à la prison du Pied-du-Courant, à Montréal, lieu de pendaison des principaux acteurs de la révolte. S’y regroupent habituellement une poignée d’étudiants rebelles, et quelques vieux maîtres à penser nationalistes. On scande « Vive le Québec libre » et « Mort au Anglais ».

Séparés des acteurs originaux par presque six générations, ces gens me font penser aux vieux cons d’orangistes, qui sous le prétexte de commémorer une bataille de 1690, attisent encore le brasier des haines en Irlande du Nord.

Retour rapide sur les faits. Le Canada, à l’époque, est dirigé par un gouverneur nommé par Londres. Malgré l’existence d’une assemblée législative constituée par le peuple, le gouverneur garde la mainmise sur la colonie en matière décisionnelle. Le peuple revendique plus de pouvoir, ce qui lui est constamment refusé. Cette situation larvée évolue en conflit armé. En 1937, divers foyers de révolte éclatent. Ils sont tous matés par les forces britanniques.

Aujourd’hui, on joue souvent ce conflit comme grande tragédie de la nation québécoise, comme un acte de tyrannie barbare contre l’Amérique française. Ce qu’on dit moins, c’est que la province du Haut-Canada (Ontario), peuplée d’anglophones, a elle aussi connu des soulèvements à la même période. Le gouverneur britannique avait ceci de juste qu’il faisait chier également tous les Canadiens. On utilise aussi l’image des patriotes dans le cadre de revendications sécessionnistes (la souveraineté du Québec), alors que les combattants de l’époque ne revendiquaient pas la sécession.

Ces échauffourées, qu’on a vite qualifiées de « révoltes », n’ont jamais réuni plus de 1000 combattants. Les sources sont peu nombreuses, mais la plus grosse donnée que j’ai pu trouver parle d’un total d’environ 300 morts pour l’ensemble des combats. À l’issue du conflit, 12 leaders ont été pendus, et 58 acteurs principaux ont été déportés (approche couramment utilisée par l’Angleterre pour se débarrasser de ses fauteurs de trouble).


(source)

Y’a pas à dire, la Révolte des Patriotes, c’est vraiment un gros truc; un choc inédit dans la grande histoire de l’impérialisme et de la gestion d’une colonie. ..

Pour bien souligner l’évidente ironie de la phrase ci-dessus, amusons-nous un peu avec diverses données historiques.

La Commune de Paris, vous connaissez? Cherchez un peu dans Google. La France qui s’en prend à ses propres citoyens, sur son propre territoire. On parle de 20 000 morts. Certains avancent jusqu’à 100 000. Exécutions sommaires. Quand le calme revient, les procès font 10 137 condamnations, dont 93 à mort, 251 aux travaux forcés, et 4586 à la déportation.

Les Canuts, maintenant. « C’est qui ça, les Canuts? », me direz-vous. Des tisserands de Lyon, qui vivent et travaillent dans la misère. En 1834, leur deuxième grande insurrection est matée dans le sang. 600 Canuts sont tués. 10 000 insurgés sont faits prisonniers. Wikipédia rapporte qu’ils seront jugés dans un « procès monstre » à Paris en avril 1835, et seront condamnés à la déportation ou à de lourdes peines de prison.

Allez voir les Rébellions de 1857 en Inde. Au moins 100 000 morts (aux mains du bon vieil empire britannique). Allez voir la feuille de route des Irlandais contre Londres. Et pourquoi pas la mutinerie des soldats français, pendant la guerre de 14-18, et pour laquelle 2 878 hommes ont été condamnés, dont 629 au peloton d’exécution. Saviez-vous aussi que la Guerre civile finlandaise (ben oui, finlandaise) a fait 10 000 morts. Tiens, si vous voulez le « jackpot », suivez ce lien. Vous y apprendrez entre autres que la Révolte des Touaregs (Lybie, 1916) a eu à peu près la même ampleur que celle des Patriotes. La révolte des Touaregs… for God’s sake!

Tous ces révoltés sont des gens qui se sentaient exploités. Des gens qui revendiquaient plus d’autonomie pour leur nation. Des gens qui en ont eu marre à un certain moment, et qui ont décidé de tenter leur chance, l’arme au poing. C’est un moyen comme un autre. La plupart d’entre eux ont été écrasés comme des moustiques. Ils ont souffert dans leur chair. Mais je mettrais 25 dollars (16 euros) sur la table que la majorité de ces populations, aujourd’hui, ont réussi à passer à autre chose.

Ça serait vraiment bien qu’on fasse pareil au Québec, au lieu de toujours rejouer le disque de notre « grande tragédie ». Notre grande tragédie, qui finalement n’est pas si extraordinaire. Elle perd beaucoup de son unicité, quand on ose la comparer, en tenant compte du contexte et de l’époque.


mercredi 23 septembre 2009

Les obsèques du martyr québécois, acte 1 : la Bataille des Plaines d’Abraham



Récemment, dans le cadre des événements entourant le 250e anniversaire de la Bataille des Plaines d’Abraham, le quotidien montréalais La Presse demandait à ses chroniqueurs de réagir à la question suivante : et si les Français avaient gagné? J’ai retenu un texte d’Yves Boisvert intitulé « Ne pas confondre histoire et anecdote », que vous trouverez ici. Ce texte permet un peu de mettre en perspective la fatidique « bataille » qui devait sceller l’histoire de la nation québécoise.

J’ai si souvent entendu parler de la fameuse « Bataille des Plaines » dans mon enfance. Elle servait toujours d’introduction à mes oncles, dans ces tirades souverainistes qu’ils nous balançaient entre la 8e et la 9e bière. Dans le Québec des années 70, la mode nationaliste battait son plein, et bien des petits québécois se tapaient régulièrement ces accablants soliloques vaseux qui s’achevaient inévitablement sur un lieu commun, comme le classique : « Mon ti-gars, en 1759, les maudits Anglais nous ont volé notre pays ! »

Devoir d’histoire oblige, remettons-donc la « bataille » dans son contexte. Boisvert le dit clairement dans son texte : en 1759, la France largue complètement ses possessions canadiennes. Les Anglais ne « volent » pas notre pays; ils le cueillent comme un fruit mûr. Quand on se documente un peu, cette « bataille » a plutôt l’air d’une escarmouche.

Certaines sources disent que l’assaut principal aurait duré 15 petites minutes. Les sources les plus courantes parlent d’une à deux heures, en greffant à l’affrontement principal quelques embuscades et échanges de tirs agoniques. C’est plus court qu’une finale à Wimbledon! Et du côté des victimes, que dit-on? Encore une fois, les chiffres varient. Mais on reste toujours en deçà de 500 morts. C’est quand même pas la Grande Guerre. Il y a plus de morts au marché aux fruits de Bombay lorsqu’on décide de solder les mangues sans préavis.

Mais ce n’est pas tant l’ampleur de la bataille qui compte. C’est le fait qu’elle présente un revirement historique qui changera à tout jamais l’avenir du Québec. Cette défaite est un drame. Une surprise monumentale. Le début de l’exploitation du peuple québécois par la Couronne Britannique. Le 13 septembre 1759 se joue le sort de l’Amérique française. Bou houhou… C’est ce qu’on aime nous dire.


(source)


Ce dont on nous parle moins, c’est que l’arrivée des Anglais à Québec s’inscrit dans le sens de l’histoire. La France est au beau milieu de la Guerre de Sept Ans, véritable « Guerre Mondiale » qui implique aussi le Saint-Empire, l’Angleterre, le Royaume de Prusse, le Portugal, l’Espagne, la Suède et quelques autres États. Le conflit a trois théâtres : l’Europe, l’Amérique et l’Asie. C’est une guerre de géants qui fait environ 1 million de morts, à une époque où il y a moins d’un milliard d’humains. À partir de 1759, la France est dans le pétrin. Ses finances se sont gravement amoindries. Elle a d’autres préoccupations que son réservoir de peaux de castor. Dès 1761, elle essaie de négocier la paix. Elle ne surviendra que deux années plus tard. La France en sort lessivée.

Vue dans ce contexte, la Bataille des Plaines d’Abraham n’est qu’une rixe mineure. Une banalité, un événement presque fortuit. Je trouve un peu triste qu’on choisisse cette base ténue pour asseoir une « grande tragédie » québécoise. En y voyant une défaite, on choisit de facto pour le Québec le rôle de victime. Et ma question est : pourquoi serait-ce une défaite? Pourquoi pas une opportunité? C’est une bien drôle de question, me direz-vous. La France, notre Mère-Patrie, a quand même perdu, non?

Le Québec de 1759 est majoritairement peuplé des rejets de la France. Traverser l’Atlantique à cette époque n’est pas une croisière sur le Queen Élizabeth. Ceux qui s’y risquent sont des gens qui n’ont rien à perdre. D’autres y sont contraints. L’Amérique est une porte de sortie. Que doit le colon à la France? Un lopin de terre gratuit sur un continent immense, où tout est à prendre sans justification. Je pose la question encore : que doit le colon à la France, qui l’a abandonné sans réelle bataille? Pourquoi tant de loyauté pour le royaume, dans une Amérique qui sera faite, dans le quotidien, non pas par la couronne, mais par ses sujets expatriés ?

Il y a un autre moment de l’histoire québécoise, un moment qu’on passe sous silence. Pour celui qui serait resté loyal à la France, il est aussi dramatique que la « défaite » des Plaines. Si on parle peu de cet événement, c’est parce qu’il s’agit d’un non-événement pour le Québec. Seulement 15 années après avoir abandonné presque sans combat ses colonies du Canada, la France s’engage aux côtés des colonies américaines dans sa Guerre d’indépendance contre l’Angleterre. Le non-événement, c’est que la France n’ouvre pas de front au nord pour reprendre le Québec. Elle envoie plutôt 15 000 hommes et une bonne partie de sa flotte vers le sud, chez l’Oncle Sam. (Plus d’info ici.) Pour la France du moment, le Québec est chose du passé, un territoire complètement largué. Alors pourquoi tant de loyauté envers la « mère-patrie » dans les épanchements de nos pleureuses souverainistes ?


Un peu d’histoire-fiction


L’arrivée des Anglais à Québec, une opportunité? Vous trouvez que je pousse le bouchon un peu trop loin. Mais analysons un peu les autres options qui se présentaient à l’époque. Faisons nous aussi comme la Presse, et basculons dans l’histoire-fiction.

Je viens de parler de la Guerre d’indépendance américaine. Savez-vous quelle a été la première initiative majeure des États-Unis au début de leur Guerre d’indépendance? Je vous le donne dans le mille : ils ont tenté de prendre le Canada en 1775. En nombre, les Américains sont alors aussi nombreux que les troupes de Wolfe 15 ans plus tôt. Si en 1759 Montcalm n’a pas su résister à 4000 Anglais fraîchement débarqués, et ce malgré sa position fortifiée, aurait-il vraiment fait mieux s'il avait dû affronter ces 4000 Américains habitués aux conditions du terrain? Permettez-moi d'en douter.

Que serait devenu le Québec si ça avait été les Américains au lieu des Anglais? Pour une idée de réponse, on peut regarder du côté de la Louisiane… Je ne suis pas certain que le texte de ce blog serait aujourd’hui en Français. Et comme bien des petits Américains, j’aurais passé mon enfance à faire le salut au drapeau, le matin à l’école. Mais bon, les Anglais ont résisté et nous sommes restés des sujets britanniques.

Je reprends alors le scénario de la Presse. En 1759, c’est Montcalm qui l’emporte. Le Québec reste une colonie française. Pour ce scénario, je me cite moi-même : « Le Québec peut s’estimer chanceux d’avoir été abandonné si rapidement par sa mère-patrie, surtout quand on regarde ce qu’ont dû subir la plupart des autres colonies françaises. On mentionnera seulement, en guise d’exemple, l’Algérie et l’Indochine… Et, même s’il n’est pas un pays, le Québec est la 44e économie mondiale. C’est comparable au Portugal. À une époque plus contemporaine, la France se serait peut-être battue très longtemps avant de laisser aller un si beau morceau de gâteau. L’Algérie, 112e économie mondiale, a saigné pendant 8 ans pour arriver à son indépendance… en 1962! »

Back to reality

Je tiens à rappeler à tous que sous le giron anglais, le Dominion du Canada a obtenu son indépendance sans conflit armé, et ce dès 1867. Dans ce nouvel État, le Québec jouait un rôle prépondérant, avec 33% de la population et plus de 50% du territoire. En 1896, Wilfrid Laurier, un Québécois de Saint-Lin (rien de moins) accédait aux plus hautes fonctions du pays.

Dans le Québec d’aujourd’hui, la culture francophone doit être défendue, mais reste quand même florissante. Pour une simple colonie, ce fait est exceptionnel. On peut presque dire « inédit ». Avec leur impérialisme « soft », les Anglais ont quand même été sympa de ne pas trop s’imposer dans nos églises, dans nos écoles, dans nos journaux. On est quand même plutôt loin du génocide arménien, pour prendre un exemple. On est loin de la « pacification » de la Chine par le Japon, en 1937. Loin du Congo Belge, ou de la Tchétchénie. Loin du camp de concentration de Bloemfontein.

Alors que ceux qui chialent encore, à coup de « Les maudits Anglais nous ont exploités! » ou de « Les maudits Anglais nous ont volé notre pays! », ben qu’ils aillent donc prendre un café avec un autre colonisé, question de discuter un peu. Qu’ils aillent donc parler à un Algérien. Quand on se compare, souvent, on se console. Mais ça implique de regarder ailleurs que dans son nombril.


dimanche 20 septembre 2009

Les obsèques du martyr québécois : préambule



Ça fait maintenant 15 mois que je casse un peu de sucre sur le dos des pauvres Français. Faut dire qu’ils aiment bien ça : 60% de mon lectorat est constitué de Français fidèles. Je les remercie. C’est une belle qualité qu’ils ont d’accepter la critique, d’entrer dans le débat, d’oser se voir remis en question. Je dirais que leur patriotisme est profond, mais souple.

Mais pour quelque temps, j’aimerais me tourner vers le Québec. Depuis longtemps, j’ai une grosse crotte sur le cœur (expression québécoise) à l’endroit de ma société. Je veux essayer d’en sortir un petit bout. Et de l’enterrer.

L’envie de me lancer m’est venue suite au grand psychodrame national (encore un autre) provoqué par les diverses activités visant à commémorer le 250e anniversaire de la Bataille des Plaines d’Abraham. Pour mes amis Français qui ne connaissent peut-être pas, c’est à l’issu de cette bataille que les colonies françaises du Canada sont passées aux mains des Anglais. Du jour au lendemain, les Québécois ont devenus des sujets de la couronne britannique.

Donc, pour marquer le 250e, certains ont eu l’idée de reconstituer la bataille, avec décors et costumes. Une sorte d’amuse-touriste, pour cette horde de visiteurs américains qui viennent à Québec, question de se croire en Europe le temps d’un week-end. Mais bien évidemment, ce projet plutôt mal avisé a suscité la levée du bouclier médiatique de l’habituelle garde nationaliste (ceux qui veulent faire du Québec un État souverain) : « Outrage! Honte aux organisateurs! Vouloir rejouer l’humiliation française en Amérique, c’est de la provocation. Comme si la Virginie reconstituait un débarquement de négriers suivi d’une vente d’esclaves africains sur la place publique de Jamestown. Scandaleux! » La tempête couche le navire; l’événement est annulé.

Quelques semaines plus tard, le camp nationaliste renchérit avec son propre projet : le Moulin à Paroles. Pendant 24 heures non-stop, des personnalités liront des textes importants de l’histoire québécoise. Félix-Antoine Savard, Claude-Henri Grignon, Anne Hébert, Maurice Duplessis. Des personnages de tous horizons qui ont jalonné l’histoire française en Amérique. On a même invité Andrew Wolfe Burroughs à lire des lettres et ordres transmis par son aïeul, le général James Wolfe, commandant des troupes anglaises lors de la bataille des Plaines d’Abraham (Le général y a d’ailleurs laissé sa peau, tout comme son adversaire français le Marquis de Montcalm).

Personnellement, je trouve que le projet est beau. Poétique. À tout le moins, il est grandement plus intéressant et créatif que la pathétique reconstitution (« reenactment » comme on dit aux USA) de la bataille. Ces espèces de guerres de soldats de plomb, pour et par de grands enfants, et dont les Américains sont friands, me paraissent toujours un peu ridicules.

Source photo : wikipedia.


Mais parmi la pléiade de textes qui seront lus lors du Moulin à Paroles figure le Manifeste du FLQ. Ce texte est une lettre de revendications adressée au gouvernement et au peuple québécois par le Front de Libération du Québec, un « groupement terroriste » (Les guillemets sont de moi. Le FLQ fera l’objet d’un prochain texte). Ce manifeste avait été lu en direct à la télévision, pendant la Crise d’Octobre (1970). À ce moment, le FLQ détenait en otage le ministre québécois Pierre Laporte. La diffusion du texte était une concession gouvernementale, dans le cadre des négociations visant à faire libérer le ministre. Malheureusement, et malgré cette diffusion, Laporte a été exécuté.

La présence du Manifeste dans la playlist du Moulin à Paroles déclenche un nouveau psychodrame. Cette fois, ce sont les fédéralistes (ceux qui défendent l’unité canadienne) qui déchirent leurs chemises.

Le Manifeste du FLQ est bel et bien un des jalons importants de l’histoire québécoise. On peut se réfugier derrière ce fait pour tenter de se justifier. Mais selon moi, sa lecture publique est une idée toute aussi mal avisée que le projet de reconstitution de la Bataille. Tout d’abord, le texte du FLQ est un bousin à la sauce « révolution prolétaire » écrit par des enfants d’école. Un ramassis ordurier des lieux communs de la tendance gauchiste 1970. Il y a mieux comme texte dans la littérature souverainiste. Ensuite, les blessures de la Crise d’Octobre sont encore ouvertes. Lire le Manifeste, c’est aussi de la provocation. À tout le moins, ça ajoute aigreur à un événement qui, bien que politisé, aurait pu être très fédérateur.

C’est un peu ça ma « crotte sur le cœur » : depuis bientôt 50 ans, le Québec est englué dans ce putain de débat nationaliste qui paralyse toute initiative, et ce jusque dans la vie privée. Depuis que je suis conscient politiquement, depuis le début de ma vie adulte, je vois tout débat québécois déraper ultimement vers l’affrontement nationaliste. On me gave et on me re-gave de cette obsession nombriliste, sans arrêt, à toutes les chaînes, dans tous les journaux, à tous les jours. Pendant ce temps la chute du Mur de Berlin, la fin de l’URSS, la mondialisation, Desert Storm, l’Euro, Hugo Chavez et Evo Morales, le 11 septembre, la Chine 2e puissance économique mondiale, Barack Obama, la plus gros crise financière de l’histoire. Pendant ce temps Toronto, Vancouver et Calgary.

Alors dans les prochains billets, j’aimerais bien présenter ma vision des choses. La vision d’un mec fatigué. Un mec écœuré. Qui a souvent honte du Québec, à cause de son « grand renfermement », de ses œillères et de son obsession. Une nation qui accepte d’être cantonnée dans un rôle de victime, le rôle du perdant, par ceux qui prétendent vouloir la « libérer ».

Me libérer de quoi? Si j’ai honte, c’est qu’on m’empêche d’être fier.

Certains me diront traître à la Nation. Ils feraient mieux d’apprendre la différence entre « état » et « nation ». Moi, traître au fantasme d’État québécois? Oui, absolument. Mais traître à la Nation, pas vraiment. Je suis de ceux qui saignent de la voir s’atrophier au fil des décennies. Ma Nation, elle a fait son choix. Deux fois. Démocratiquement. Qu’on la laisse regarder devant, maintenant.


samedi 12 septembre 2009

Insolent!



Un jour, j’ai dit à un collègue français qu’à Paris, l’insolence est valorisée. Comme c’est le propre du Français de débattre, et donc de contredire, il n’était pas d’accord. Selon lui, le Parisien est souvent impoli, mais pas insolent. Déclaration qui fut suivie d’une longue discussion sur la valeur sémantique du mot « insolence », discussion dont je vous ferai grâce.

C’est Jean Piaget, un Français, et pionnier de la sémantique, qui a le premier exposé la notion de nuage sémantique associé à un mot. En gros, le même mot trouve en chaque personne une signification différente. Le sens d’un mot, chez un individu, serait la somme de toutes ses expériences avec ce mot. Ainsi, le mot « chien » évoque chez l’allergique une réaction qui diffère de celle du vétérinaire. Dans le même ordre d’idée, le moine et la pute percevront différemment le mot « sexe ». (Notez ici un moyen détourné de hausser la fréquentation de ce blog.)

D’où je viens, il est considéré impoli de couper la parole à son interlocuteur. La première fois, c’est juste impoli. Mais le faire constamment, ça devient de l’insolence. C’est un peu comme dire : « Vos idées ne valent pas la peine d’être entendues. » À Paris, c’est très différent. Personne ne se formalise des perpétuelles interruptions. Les discussions sont faites de bouts de phrases hachurées. À chaque 30 secondes, il y a bataille pour le droit de parole. Un peu comme des joueurs de basket qui driblent pour garder le ballon. À Montréal, la joute ressemble un peu plus à un tir de barrage : t’as droit à ton lancer, ensuite j’ai droit au mien. Je ne peux pas blâmer les Parisiens pour ce trait culturel. Ils ne sont pas les seuls à faire comme ça. Oscar Wilde, un Anglais, disait qu’il est irrespectueux d’écouter quelqu’un sans l’interrompre.

Un autre classique parisien, c’est l’histoire du mec qui dépasse toute la queue, en jouant un peu l’urgence. Sur la pointe des pieds, l’index en l’air, il essaie d’attirer l’attention du commis. Tout son corps essaie de dire : « Je sais que je passe devant tout le monde, mais ma situation est vraiment exceptionnelle. Mais vraiment. » Ce qui me frustre le plus, c’est que ça fonctionne. Je n’ai jamais entendu un seul commis dire : « Écoutez monsieur, tous ces gens qui attendent depuis 40 minutes vivent aussi des situations exceptionnelles. Alors faites comme eux et attendez votre tour. »

Source photo : wikipedia.


Pour un Montréalais, on dirait qu’à Paris, l’échelle qui va d’impoli à outrageux est légèrement décalée. « L’impoli » parisien équivaut à « l’insolent » montréalais. « L’insolent » parisien équivaut à « l’outrageux » montréalais. Et « l’outrageux » parisien, s’il survient à Montréal, aboutit généralement à une condamnation à perpétuité pour homicide volontaire.

Il est donc primordial, lorsqu’on visite Paris, de tenir compte de ce décalage sémantique. C’est différent du Canada. Les mots n’ont pas le même poids. Lorsqu’un Parisien t’engueule sans retenue, il n’est pas socialement acceptable, comme ça l’est à Montréal, de le frapper au visage jusqu’à ce qu’il saigne abondamment. Ici, l’engueulade n’annonce pas le début du premier round. Elle indique seulement l’amorce d’une négociation qui devrait, en principe, déboucher sur un compromis satisfaisant et l’échange d’une poignée de main. Quoique que les bastons, au Québec, finissent souvent par une accolade s’ils ont été précédés d’une consommation suffisante d’alcool.

Ce décalage de l’échelle nous aide aussi à comprendre pourquoi le concept de « politesse » n’est pas compris par le Parisien moyen. Il ne faut donc pas s’étonner, lorsque vous cédez votre siège de métro à une dame, qu’elle vous jette un regard rempli de doute, avec l’air de se dire : « Mais qu’est-ce qu’il a celui-là? Pourquoi il me cède sa place? Il s’est fait pipi dessus ou quoi ? »

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P.S. : Récemment, je parlais de me lancer dans une grande analyse de la France. Un truc un peu plus objectif que mes écrits habituels. Plus journalistique. J’ai fait une liste de sujets. Il y en avait une trentaine. Des sujets sérieux.

En fait, je voulais faire le tour une fois pour toutes, et ensuite passer à autre chose. Mais je n’y arrive pas. Je n’en ai pas envie. Je suis fatigué de parler des « Français » et de la « France ». De poser des observations, de tirer des conclusions. Alors je passe directement à autre chose. Je change d’approche (au risque de perdre mes lecteurs français, qui adorent entendre parler d’eux-mêmes, selon ce qu’on dit). Si vous souhaitez continuer sur le thème du « Français », venez vous-mêmes vous faire une opinion, ou lisez « A Year in the Merde » de Stephen Clarke.

Vous venez d’assister à une autre étape de ma vie d’expatrié.


mardi 8 septembre 2009

L’injustice génétique



Les Français sont sveltes. Ils sont vraiment minces. Le businessman parisien a une petite taille, de petites épaules, un petit menton pointu. Il fait 5 pieds 8 pouces, et pèse 135 livres. Son costard cintré lui va vraiment bien; il est vraiment classe. Top fashion, extrait de GQ. Le genre de mec que tu rêves de planter dans la bande pendant une partie de hockey, pour le plaisir d’entendre ses os craquer. La Française, quant à elle, a sous les poches de son jeans de quoi rendre jalouse toute femelle de l’espèce humaine. La Française accouche de jumeaux et sort de l’hôpital avec les fesses intactes de Vanessa Paradis. Je sais pas trop… elles doivent mettre au monde des petits pois verts.

Les Français aiment bien se vanter de leur minceur. Et ils aiment bien rire des Américains. « Sont gros », « mangent de la merde », « leurs enfants obèses, c’est incroyable! » Les Français expliquent ainsi leur minceur : « Nous on mange bien. Et SURTOUT on ne mange pas entre les repas. » Le Français croit qu’en Amérique, on bouffe continuellement. Le Français est fier de sa minceur. Il est convaincu qu’elle est le résultat d’une bonne hygiène de vie, d’une discipline, d’une maîtrise de soi.

Il est nécessaire de corriger cette méprise profonde. C’est moi que le ferai.

Premier postulat français complètement débile : « Nous, on ne mange pas entre les repas ». Lorsqu’il fait cette affirmation, le Français démontre qu’il souffre d’un grave cas d’aveuglement volontaire. Un matin sur deux, au boulot, y’a quelqu’un qui apporte des viennoiseries. Et les collègues, qui arrivent vers 10h00 (donc après le petit déjeuner), vont bouffer un beau petit pain au chocolat-c’est-tellement-sympa-merci-beaucoup. Quand c’est pas les viennoiseries, c’est la brioche maison ou les pâtisseries marocaines. Ensuite, il y a le café. Dans la distributrice, la programmation par défaut, c’est trois sucres. TROIS sucres. C’est sucré en ostie. Quand j’oublie de réduire la quantité, je jette mon café tellement il est sirupeux. La majorité des collègues aiment bien les trois sucres. Plusieurs montent à quatre ou cinq. Des cafés comme ça, y’en aura au moins deux autres dans la journée. Pour faire la conversation en buvant son troisième sirop de café, le Français aime bien dire que les Américains boivent trop de boissons sucrées…

Source photo : wikipedia.


Le Français est super généreux (belle qualité). Alors quand c’est pas les viennoiseries le matin, c’est les friandises l’après-midi. Y’a toujours quelqu’un qui passe au supermarché pour prendre un énorme sac de bonbons. On parle de bonbons vendus au kilo. Le sac doit faire au moins deux kilos. C’est gigantesque. Au bout de l’après-midi, le sac est vide. Mon constat : je n’ai jamais mangé autant entre les repas, ni vu autant de personnes le faire régulièrement, que depuis mon arrivée en France.

Parlons des repas, maintenant. Le midi, à la cantine, le collègue français moyen prend une entrée, un plat, un dessert, une boisson, un petit yogourt, un fruit, et un bout de pain. Le plateau-repas du Français est un festin cinq services. Et ils bouffent tout. Ils sont là à me regarder, avec mon plat et ma salade verte, et ils me demandent : « Tu fais un régime? » Non, je ne fais pas de régime. J’ai toujours mangé comme ça, c'est-à-dire deux fois moins que toi. J’entends souvent les Français dire que les portions américaines sont énormes. Ma réponse : pas plus qu’en France. Quand je bouffe tout ce qu’on met dans le plateau, ou tout ce qu’on me sert dans un resto parisien, je sors de table dans un état d’accablement physique. J’ai peine à marcher. L’assiette spartiate, c’est vraiment pas à Paris qu’on la trouve.

En Amérique, on nous rabat les oreilles avec la fameuse « diète méditerranéenne ». Elle expliquerait la minceur de Français. Petit précision : les Parisiens sont aussi minces que les Niçois. Pourtant, leur diète est loin d’être méditerranéenne. La diète parisienne, c’est steak-frite, saucisson, fromage, baguette, encore de la baguette, pâtes, viandes en sauce, foie gras, choucroute, couscous, boudin aux pommes, œufs mayonnaise, jambon bien lardé, pommes purée, le tout recouvert de crème brûlée, de fondant au chocolat, et d’un ou deux petits pots de yaourt. Quand je vois ce qui se bouffe ici, j’ai l’impression que le bon vieux cheeseburger est l’ami du cardiologue.

Le Français dit qu’il mange bien. Archi faux! Le Français mange BON. Les aliments sont bien traités ici. Bien préparés, respectés, délicieux. Tous les aliments, sauf les légumes frais. L’endroit le plus déprimant du supermarché parisien, c’est la section des légumes. Le Français semble croire qu’un légume frais est une sorte de poisson qui survivra uniquement dans un océan de beurre ou de vinaigrette. Le Français a un malaise lorsqu’il voit une feuille de salade. Il se sent obligé de la couvrir de gésiers confits, d’une « tartine » (énorme tranche de pain recouverte de fromage grillé), d’oignons confits, et même de patates rissolées. Un vampire mangera de l’ail avant qu’un Parisien n’ait l’audace de servir un plateau de légumes crus. On dirait qu’ici, manger un légume cru, c’est un peu comme manger de la farine : un produit non cuisiné. Alors pour cacher le cru, on asperge de vinaigrette.

Ajoutez à ça le fait qu’il est impossible de faire régulièrement du sport à Paris. Trop cher. Et les horaires de travail te bousillent ta soirée. Que font les gens pour relaxer, vous croyez? La réponse : un petit verre de rouge.

Même s’il s’est laïcisé depuis la Révolution, le Français devrait quand même prendre un petit moment pour faire la prière suivante : « Merci mon Dieu. Je suis indigne de ma minceur. Je ne mérite pas d’entrer comme ça, gratuitement et sans efforts, dans les plus belles coupes de vêtements. Merci mon Dieu d’avoir pour moi retiré la gourmandise des sept péchés capitaux. Merci de me laisser m’empiffrer sans conséquence, alors que le pauvre Américain tremble d’angoisse à la vue d’une minuscule tranche de bacon. Au nom du Père, du Fils et de Paul Bocuse, amen. »