lundi 29 juin 2009

Gagner sa vie avec la poésie



Vous annoncez à vos parents que vous voulez devenir poète et changer le monde. Ils pètent les plombs et se mettent à gueuler : « Comment vas-tu gagner ta vie! Et qui va payer pour ton université! Petit ingrat! Petite frappe arrogante! ». Vous vous enfuyez, à la poursuite de votre rêve. Paris, cette grande ville de littérature, vous apparaît comme une terre promise. Mais Paris est une vieille dame dont l’heure de gloire est passée. La vie y est chère. Vos copains touchent leurs premiers salaires et entrent dans le cycle de la consommation. De votre côté, vos publications dans d’obscures revues littéraires génèrent d’occasionnels revenus. Mais ils suffisent à peine à payer ce mauvais alcool que vous vous envoyez, pour vous soulager de votre incapacité à accéder, par la possession de biens, à un certain statut social. Hormis quelques rêveuses de 22 ans mal sapées, les femmes se désintéressent de vous. Elles vous trouvent de plus en plus pathétique, avec votre béret et votre écharpe mitée. Vous mourez abandonné dans un parc à 37 ans, étouffé par vos vomissures. Vous n’aviez rien publié depuis au moins six ans. Quelques années plus tard, le département d’études françaises de l’Université de Winnipeg-Est organise un colloque d’une journée sur votre œuvre. Ça consiste en deux forums de discussion, entrecoupés d’un repas libre. Y participent huit chercheurs en littérature, dont au moins trois sont alcooliques et deux se suicideront dans l’année suivante. Le fruit de leur rencontre se résume à un billet de cinq paragraphes dans la revue spécialisée « Canadian Writers Abroad » (un trimestriel en photocopies noir et blanc), ainsi que la création d’une rubrique de dix lignes à votre sujet dans Wikipédia. Malheureusement, aucune photo de vous n’a été trouvée pour illustrer les articles. Même pas celle prise à la morgue. C’est votre dernière « étincelle » avant de sombrer définitivement dans un hermétique oubli.

Ça, c’est le parcours professionnel typique en poésie. Mais au fond de vous-même, y’a une petite voix qui dit : « C’est bien beau l’Art pour l’Art, et le fait de faire chier mes parents, mais j’aimerais bien manger foie gras/champagne de temps en temps. Et à l’occasion, j’aimerais aussi me taper une de ces blondes aux gros tétons, celles qui portent des lunettes Dolce & Gabana chinoises, qui déambulent en robe-soleil au ras de la fesse, et qui ne font pas la queue à la discothèque. »

J’ai peut-être la solution pour vous. Un métier qui vous permettra de bien gagner votre vie tout en baignant dans la poésie. Qui vous fera participer à une littérature contemporaine, free-style, tourmentée, conflictuelle, et impénétrable. Tout cela en amassant suffisamment d’argent pour porter du Armani et des chemises de chez l’tailleur. Vous serez respecté, admiré, craint. À la mention de votre profession, ou par la remise discrète d’une de vos cartes, on vous donnera illico la meilleure place au resto. Vous roulerez en BMW pour commencer, et peut-être en Maserati après quelques années d’efforts fructueux. Vos parents seront fiers de vous. Ils vous pardonneront votre mépris de leur vie nulle à chier de petits commerçants semi-bourgeois. Vous aurez un loft à Paris. Et une authentique peau de tigre au pied de votre lit, pour faire kitsch-chic. Les mannequins que vous ramènerez insisteront pour baiser dessus. Tout ce dont vous rêvez. Une réputation. Une vie de poète respecté. L’Art a sa juste valeur.

Ma solution, livrée pour vous sans aucun frais parce que je vous trouve sympa, est celle-ci : la pratique du Droit français.

Source photo : wikipedia.


Les recueils de Droit français sont les plus belles et les plus riches anthologies de poésie que l’on puisse trouver sur cette terre. Ils sont truffés de méandres philosophiques et métaphoriques dans lesquels fleurissent la contre-contradiction, l’esquive verbale, et l’absurdité existentielle. En Droit français, on vous versera un gros salaire pour que vous accouchiez de formules alambiquées et académiques. Des textes de cette teneur : "Le cas échéant, et en vertu de, le lésé, dans la réserve de son usufruit, ne pourra sans équivoque ne nier, tel que de l'accord volontaire des partis, et ce sans préavis, à moins d'avis contraire d'un article précédemment cité, sauf en cas de force majeur, lequel se doit d'être déclaré en l'absence d'un contrat en bonne et due forme, préalablement dans la mesure du bien commun." Non mais si ce n’est pas de la grande poésie, je me demande bien ce que c’est. Et je ne suis qu’un amateur! Imaginez ce à quoi vous arriverez après quelques années de pratique.

Au Québec, il y a une quinzaine années, a été livré un travail de simplification du Code Civil. Il a été vulgarisé. On a tenté d’y effacer les contradictions. De manière à ce qu’un quidam trouve rapidement réponse à ses questions légales. Ça permet de limiter les débats. Ça favorise les ententes à l’amiable. Se retrouvent devant un juge uniquement les questions pointues, ou les cas de mauvaise foi flagrante (le cas du mec refuse de payer même si la loi dit clairement qu’il doit payer, etc.).

En France, la justice semble être interprétée différemment. Les Français semblent détester les décisions finales et sans appel. On veut pouvoir dire un truc une semaine, et dire son contraire la semaine suivante. Tout est perpétuellement ouvert au débat. Les Français adorent le débat. Ils en mangent. Je le vis au travail. Je présume que c’est la même chose en Droit.

Suite à mon dégât des eaux de juillet 2008 (ça fait 1 année que le dossier est ouvert), je me suis renseigné un peu sur la législation française. Un vrai fouillis. Impossible de savoir qui est responsable des démarches : le locataire (moi), mon proprio, ou le voisin d’en haut (d’où origine la fuite). Sur le web, les pseudo-experts se contredisent. L’un renvoi à l’article 615 de 1983. L’autre soulève un article contradictoire de 1993. Un troisième cite une jurisprudence de 1904. Et un quatrième fait intervenir une convention signée hors tribunal par les grandes compagnies d’assurances. Tout ça pour quelques cloques sur la peinture et un peu de plâtre abimé. Imaginez ce que ça serait pour une cause de meurtre.

Depuis août, c’est moi qui m’occupe des démarches. Selon mon proprio, dans le cas d’un petit dégât, la charge des démarches revient au locataire. Et c’est vrai dans le cas des locations non-meublées. Mais moi, j’ai une location meublée. En France, ce type de location est couvert par un autre cadre légal. Une location meublée, c’est fiscalement traité comme un service. Un peu comme la location de chambres d’hôtels. C’est plus cher pour le locataire, mais c’est aussi moins d’obligations et de responsabilités. Plus je lis sur le sujet, plus j’ai l’impression que je n’ai rien à voir dans le dossier, parce que je ne suis ni responsable, ni lésé.

Alors j’appelle le service d’aide juridique de mon assureur. J’explique mon truc. Je cite tel texte de loi, et tel autre article. Au bout d’un moment, le conseiller me dit que j’ai raison. Pardon? Après une année dans le dossier, tu me dis que j’ai raison? Toi, l’assureur, le supposé expert, qui a déjà payé pour certains travaux et pour l’administration du dossier, tu réalises que nous n’avons rien à voir là dedans?

Finalement, mon assureur décide de fermer le dossier. Je lui demande une petite lettre, qui expliquera à mon proprio pourquoi il doit lui-même prendre en charge les démarches. Sur la lettre, il y a l’essentiel de mes arguments. Mais ce qui est important pour moi, c’est surtout le logo imposant dans l’entête.

Pour obtenir un deuxième avis et m’assurer une défense béton, MissK me prend rendez-vous à l’ADIL. C’est une association de renseignement légal sur le logement. C’est un service public. Ça prend un mois, mais finalement on me rencontre. J’explique ma situation à la juriste d’office. Je lui cite les articles que j’ai trouvés. Elle avoue candidement qu’elle ne les connaissait pas. Il faut vraiment que le droit français du logement soit bordélique pour qu’un expert ne le connaisse pas dans sa totalité. C’est du petit droit anodin. Dans un état civilisé et fonctionnel, ça devrait tenir dans un recueil de 250 pages, maximum.

Après écoute de mon dossier, la juriste penche en ma faveur, jugeant mes arguments valables. Elle croit que mes propos sont les plus pertinents et les plus logiques. Sans toutefois oser matérialiser son appui par une lettre avec entête (Règle #1 : ne jamais laisser de preuve formelle, dans l’éventualité où on doive changer d’avis la semaine suivante). En sortant de l’ADIL, je me dis : « Au fond, Paris, c’est seulement Ouagadougou moins la chaleur ».

C’est ça le droit français. Ce n’est pas de faire valoir une règle claire. C’est plutôt de choisir un argument dans un grand bac rempli de contradictions, et d’essayer d’amasser un maximum d’appuis en sa faveur. C’est du théâtre, de la poésie. Dans le cinéma américain, l’avocat est dépeint comme un petit teigneux qui manœuvre à coups d’articles de loi. Un stratège à la guerre. Dans le cinéma français, l’avocat est plutôt un acteur dramatique, qui s’épanche grands cris d’outrage devant le juge. C’est le plus émouvant qui l’emporte. Et ici, faute de législation claire et simple pour le petit Droit de tous les jours, on se fait à qui mieux-mieux des procès au civil pour des sornettes de 1500 euros.

Alors prêtez-moi votre courage et votre talent. Dans les prochains jours, armé de la lettre mon assureur, et de l’avis verbal de l’ADIL, je dois bomber le torse et définitivement convaincre mon proprio qu’il doit prendre en charge les démarches. C’est le système légal dit « du meilleur bluffeur ».

Au fond, la France, c’est peut-être le meilleur pays pour apprendre à faire sa chance. Les conditions de vie y sont quand même correctes. Une jungle trois étoiles. Une sorte d’Afrique de luxe. Sauf si vous devenez réellement poète. Et encore…


dimanche 28 juin 2009

Mort au tartare de saumon





Quelqu’un pourrait-il dire aux restaurateurs du monde entier que le tartare de saumon, c’est une ignominie, une infamie, un crime contre l’humanité? Quelqu’un?

Le dernier tartare au saumon que j’ai goûté du bout des lèvres, c’était il n’y a pas longtemps, dans un resto corse. Un petit troquet sympa qui propose de beaux produits de l’île. Nous sortons du théâtre, je ne veux pas trop manger parce qu’il est déjà tard, alors j’opte pour une planchette style « un peu de tout ». Ce qu’on me présente est magnifique. Les saucissons sont charnus, les fines tranches de jambon sec sont presque fondantes, la terrine pimentée a du tonus, et les fromages sont somptueux. Notamment le Broccio. Je n’avais jamais goûté. On dirait une sorte de ricotta crémeuse, mais au goût très puissant. Selon ce qu’on m’a raconté, une version de ce fromage hébergerait des vers, qu’on retirerait avant de le consommer. Merci les vers!

Tous ces beaux produits auraient largement suffit. Mais en marge de cette savoureuse farandole, on a eu l’idée d’ajouter un petit tartare de saumon. C’était comme un ivrogne dans un jardin d’enfant. Comme un mec dans la toilette des femmes. Pire, comme une tranche de bacon dans une mosquée. À ma connaissance, il n’y a même pas de saumon dans la Méditerranée. Alors qu’est-ce qu’un tartare de saumon foutait sur une planchette corse?

J’aimerais faire une petite précision aux chefs du monde : le tartare de saumon, c’est dégueulasse. Ça goûte le néant. Ce n’est rien de plus qu’une bouillie de protéines poisseuse et rosâtre. Le tofu des mers. Quand je bouffe un tartare de saumon, j’ai l’impression de mastiquer une purée de gencives crues. (Ce genre de truc n’est possible que dans les films d’horreur, mais c’est pour bien vous illustrer ma détresse gastronomique devant cette horrible concoction).

Le saumon est l’équivalent aquatique du poulet : ça ne goûte pas grand-chose et ça fonctionne avec tout type de sauce. En fait, j’exagère. Le saumon a un parfum délicat, qui généralement s’évapore lorsqu’on le coupe en filet, qu’on le laisse dormir au frigo pendant 4 jours parce que les clients commandent autre chose, qu’on le rince 6 fois pour enlever l’odeur de poisson vieillissant, et qu’on le passe à la moulinette pour le refiler en « tartare » juste avant sa péremption définitive.

Je ne suis pas un super fan du saumon. C’est terne, ennuyant. Le poisson du lundi. C’est utile dans une soupe miso pour ajouter un peu de consistance. Le saumon fumé n’est pas mauvais non plus. Ça se mange. C’est joli. Même si le saumon fumé du commerce subit souvent de 2 à 4 cycles congélation-décongélation avant d’aboutir dans votre assiette. Vous ne le saviez pas?

J’avais vu ça il y a quelques années, dans un reportage de La semaine verte, l’émission agro-alimentaire de Radio-Canada. Excellente émission, soit dit en passant. Si vous souhaitez comprendre les impacts socio-économiques de ce que vous mettez dans votre estomac, et connaître les intervenants impliqués dans sa fabrication, c’est une bonne destination. La plupart des reportages sont disponibles sur le web gratuitement (vive la télé publique).

Donc, le saumon fumé, c’est du beau gros saumon obèse élevé à la moulée végétale antibiotique, bien à l’abri dans une pisciculture. On l’abat et on le congèle pour le transport vers l’usine de transformation. Là, il est décongelé pour être mis en filets, salé (parfois par injection), abondamment rincé, séché, puis fumé. Ces étapes sont entrecoupées de périodes de maturation. Ensuite, on recongèle les filets pour le tranchage à la machine. Pendant l’assemblage et l’emballage, les minces tranches ont souvent le temps décongeler, même si la chaîne du froid et maintenue. Et en finale, on recongèle pour la livraison au marchand. Imaginez quand vous attrapez le paquet qui a été abandonné près des caisses par un client, et remis au congélo par un épicier « zélé ». Certaines marques offrent un produit sans congélation, et tranché à la main. Mais regardez bien le prix!

Faut dire que j’ai été gâté dans mon enfance. Le saumon que je mangeais, il était pêché par mes oncles dans les rivières Godbout et Sainte-Marguerite (belle vidéo ici). Une belle bête pas trop grasse et goûteuse, qui venait remonter nos cours d’eau pour aller frayer. Un saumon sauvage, ça a un profil athlétique, une sale gueule, et un regard féroce. Pas les yeux de zombie pansu de son cousin d’élevage. Et ça se bat. Remonter un saumon de 12 kilos, ça demande parfois deux ou trois heures d’efforts, debout dans le courant de la rivière, l’eau jusqu’à la taille. C’est mouillé, il fait froid, et y’a des nuées de moustiques.

On le cuisinait « à la pauvre » : bouilli dans l’eau salée avec un oignon et des patates. C’était délicieux. Et y’avait aussi les fumoirs artisanaux, qui nous vendaient de beaux filets cuits à la fumée d’érable, avec cette forte odeur un peu pisseuse qu’a le bois brûlé. Ce saumon-là aurait pu se défendre honorablement contre le superbe Broccio corse. Beaucoup mieux que l’écœurante glue de grumeaux marins qu’on m’a servie.

Les tartares traditionnels (bœuf) sont tellement bons à Paris, je crois qu’on devrait en faire une AOC. Ça permettrait d’éviter certains abus de langage. La version poissonnière serait forcée d’adopter un autre nom, plus conforme à sa nature : « purée insipide de chairs maritimes ». Et ça permettrait d’éviter la grande arnaque du « tartare de mangue ». Non mais c’est quand même abuser des gens que de leur servir un fruit haché sous un nom aussi pompeux. Récemment, j’ai même vu « tartare de courgette ». Tartare de laitue frisée, tant qu’a y être! Ils nous prennent vraiment pour des cons avec leurs modes alimentaires.


dimanche 21 juin 2009

Compartiments sociaux



Je ne veux pas faire de grandes généralisations, mais j’ai l’impression que les Français savent mieux compartimenter les choses que nous, Québécois. Ou Américains. Ce n’est qu’une impression. Je n’ai pas de thèse aboutie sur le sujet, mais je m’explique tout de même.

À quelques occasions, lors de discussions avec des Français qui avaient voyagé en Amérique, il a été question d’une certaine impudeur chez l’Américain. Comme si chez nous, tout était naturellement d’ordre public, sans complexe. Ainsi, l’ami d’un ami, rencontré comme ça dans un bar, peut se mettre à te livrer des détails de sa vie personnelle après quinze minutes de conversation. « La relation avec mon père a toujours été difficile. » « Si tu permets, je vais plutôt prendre un gin-tonic, parce que la bière me donne des gaz. »

Moi j’aime bien cette attitude. C’est certain que ça manque un peu de classe. Mais ça permet de côtoyer l’autre d’une manière naturelle et décomplexée. De jouer cartes sur table. Mais c’est parce que j’y suis habitué. Pour les Français avec qui j’ai évoqué ce trait culturel, il y avait un malaise. La plupart m’ont confié avoir été un peu estomaqués par ce niveau immédiat de promiscuité. Ils préfèrent garder une certaine réserve, un minimum de diplomatie, lors des premiers rapports.

Des Français habitant au Québec m’ont parlé de cette habitude que nous avons d’être trop « accueillants », de faire copain-copain avec le premier venu. Ça paraît sympathique, mais au fond c’est du vent. Un code social ou une forme de politesse. Ça arrive souvent au bar, lorsqu’on se retrouve en groupe. Après trois bières, le mec que t’as jamais vu, le beau-frère d’un ami, finit par inviter tout le monde à son chalet : « Faut que vous passiez une bonne fois, ça serait vraiment cool, toute la gang… quelques caisses de bière, et on se ferait un BBQ, on aurait du fun. » Le pauvre Français qui débarque prend ça pour du « cash », comme on dit chez nous. Il croit qu’il vient de se faire nouveaux amis vraiment sympas. Mais ce ne sont que des « invitations de politesse ». Tout le monde (sauf le Français) sait que le petit BBQ au chalet relève du vœu pieux très improbable. Il est compréhensible que cette apparence d’hyper-cordialité déçoive un nouvel arrivant, surtout s’il vient d’une culture où les promesses sont moins fréquentes, mais tenues.

Le Français n’ouvre pas sa sphère personnelle immédiatement. Mais quand vient le moment, il le fait peut-être plus honnêtement que l’Américain (ou le Québécois). J’ai l’impression que le Français donne moins souvent son numéro de téléphone. Mais lorsqu’il le fait, c’est parce qu’il sera heureux de prendre l’appel. Le Français n’est pas ami avec tout le monde. Ce qui a du sens. Quand on y pense, on ne peut pas aimer tout le monde, même si notre éducation dégoulinante de bons sentiments a voulu nous laisser croire le contraire (Disney, Passe-Partout**).

Source photo : wikipedia.


Il semble y avoir chez le Français cette compartimentation claire entre la sphère personnelle et la sphère publique. Mais d’autres exemples de la vie courante me viennent en tête. Dans l’épicerie bio française, le Québécois sera surpris de constater la place qu’on donne aux viandes, charcuteries, aux fromages. Ici, l’expression « Gros steak saignant bio » n’est pas du tout un oxymore. C’est parce que le Français a su compartimenter les concepts de « bio » et de « végétarien ». Ainsi, un végétarien français pourra choisir de manger des légumes du supermarché, pesticides inclus.

Au Québec, j’ai souvent eu l’impression qu’on mélangeait tout. La majorité des épiceries dites « bio » sont aussi végétariennes. La chair animal semble y être taboue. Tout au plus, on y trouvera un obscur comptoir offrant de grisâtres imitations de viande hachée à la protéine de soja, ou le traditionnel pâté chinois aux lentilles. Pour manger bio au Québec, il faut être végétarien, membre de Greenpeace, et donner 10% de son salaire à PETA. Et préférablement porter des tricots andins.

Je ne sais pas si cette propension holistique du « tout ou rien » est généralisée dans la mentalité américaine. Mais j’ai été content de constater que les gymnases d’escalade, en France, ont souvent un bar, ou une petite terrasse, où on peut boire une bière en grillant une cloppe. Comme si on comprenait la séparation entre « pratique du sport » et « mode de vie sportif ». Chez nous, on dirait que le sport est nécessairement perçu dans une optique globale. Une sorte de thérapie holistique. Un clan. Je fais de l’escalade, alors je dois porter des vêtements de grimpeur. Adieu la cigarette, adieu les pizzas. Au gym, on boit des boissons réhydratantes et on bouffe des power-bars contenant des sucres non raffinés. Sinon, on n’est pas « un vrai ». Ça peut devenir lourd, surtout quand t’as juste envie de pratiquer un sport, simplement, sans adopter cette espèce de religion qui l’entoure.

Alors c’est ça mon impression. Les Français savent mieux compartimenter. Moi j’aime bien. Mais comme je l’ai dit plus haut, ce n’est pas une thèse aboutie. Alors n’hésitez pas à alimenter ma réflexion. Peut-être qu’il y a des aspects négatifs à trop savoir compartimenter.

** Note pour les lecteurs français : Passe-Partout est une émission de télé qui a bercé notre enfance. Conçu dans une optique un peu gauchiste et hippie, subventionné par le Ministère de l’Éducation, ce feuilleton quotidien mettait de l’avant les belles grandes valeurs catholico-onusiennes d’intégration, d’égalité, de partage, de tolérance. Ce qui était malsain dans cette émission, selon moi, c’est qu’en optant à tout prix pour l’harmonie sociale, elle étouffait complètement cette part de violence inhérente à l’humain. Y était peint un monde d’allégresse et de simplicité, où tous les gens sont gentils. Les conflits étaient simplistes et ne laissaient jamais de rancœur. Un monde sans méchant. Or, selon moi, promouvoir l’idée que « tout le monde il est gentil » est aussi malsain que promouvoir la vision plus manichéenne des bons et des méchants.


samedi 20 juin 2009

Histoire-fiction




Récemment, je lisais un bouquin d’histoire-fiction, ce genre à la mode où on réinvente l’histoire de l’humanité sous forme romanesque. Honnêtement, j’ai été déçu. Ils nous prennent vraiment pour des cons.

Ça se passe au milieu du 20e siècle. L’Allemagne, de toutes les nations possibles, vit sous la dictature d’un petit caporal laid comme un pou et sorti de nulle part. Dès le premier chapitre, et en quelques pages, le royaume germanique met l’Europe à genoux en envahissant pays après pays comme s’il s’agissait d’aller faire les courses. L’armée allemande prend la France en quelques semaines. La Russie est prise à partie. Seule l’Angleterre résiste tant bien que mal, isolée sur son île. Du grand n’importe quoi.

Question de nous la faire bien manichéenne, l’auteur nous dépeint un petit dictateur détestable, hystérique, mégalomane et narcissique. Et pour rendre son régime vraiment ignoble, le scribe lui attribue un plan sordide d’extermination des Juifs. Je lis ça et j’ai l’impression de revoir Star Wars en noir et blanc, avec Darth Vader et tout le tralala.

Après un premier chapitre où les événements se bousculent pêle-mêle, l’histoire enchaîne une suite de longueurs navrantes et répétitives. On tente de maintenir un petit suspense, avec une Amérique qui hésite à joindre le conflit pour équilibrer les forces; ira, ira pas…

Mais c’est la fin du livre qui nous laisse incrédule. L’Allemagne, présentée comme invincible tout au long du bouquin, s’écroule soudainement en quelques mois sous l’action conjuguée des Américains (finalement entrés dans le conflit), des Anglais, des Russes et d’autres nations. Les Russes et les Américains dans la même équipe? Non mais voyons… On dirait un scénario inspiré d’un comic book Marvel, dans lequel les super-héros meurtris s’unissent pour vaincre l’énorme monstre mécanique du Docteur Dark. Rocky qui soudainement se relève au douzième round.

Et là, chose étrange dans la structure narrative, au lieu de terminer le livre avec la chute de l’Allemagne, le centre du bouquin, l’auteur enchaîne sur un conflit secondaire entre les États-Unis et le Japon. Et il finit le tout à la sauvette, munissant tout-à-coup les Américains d’une « nouvelle arme » ultra-puissante. Deus ex machina. Incroyable.

À la fin, c’est le beau discours de l’Amérique triomphante et magnanime qui prend l’Europe sous son aile. Un Amérique tellement sympa qu’elle aide même ses ennemis d’hier, l’Allemagne et le Japon, à se relever. La seule ombre à ce beau Happy-Ending est une Russie un peu bourrue qui s’isole de manière suspecte, dans les derniers paragraphes. Comme si on voulait ouvrir la porte à un deuxième tome.

Sérieusement, j’ai trouvé ça gros. Les épisodes d’extermination des Juifs étaient superflus et dégueulasses. Les personnages étaient caricaturaux et trop nombreux. Pour tenter de donner de l’épaisseur à la mince ligne directrice, l’auteur a élaboré un paquet d’histoires secondaires sans lendemain, des conflits de personnalité entre les protagonistes du camp des « Alliés » (quel non bon enfant, soit dit en passant). Et ça déborde d’exagérations, de coups de chance. On enfile les centaines de milliers de morts à un rythme intenable. Pas réaliste du tout, quand on sait qu’avec des moyens modernes, la guerre en Irak a tout juste fait entre 100 000 et 150 000 morts (selon diverses sources). Autant croire au Père Noël… À trop donner dans la caricature, on perd toute trace de réalisme. Je suis désolé, mais l’humanité n’est pas comme ça.

(P.S. – Je fais du mauvais sarcasme. En réalité, je viens de finir le libre d’Antony Beevor « D-Day et la bataille de Normandie ». Perturbant. Parfois effrayant. Bien sûr, certaines icônes y sont dépouillées de leur vernis, ce qui est très à la mode dans le monde de « l’historical narrative ». Le déboulonnage est toujours vendeur. Mais surtout, cette impression que notre monde est une grande improvisation maladroite. Et que l’histoire est écrite, au prix de centaines de vies, par les mauvais calculs d’apprentis sorciers et les faux-mouvements de mécaniques gigantesques. Un rappel que demain, tout est possible. Même le pire dans sa version la plus absurde. Comme un Chaplin en noir et noir.)


jeudi 18 juin 2009

Mots clés



Récemment, j’ai installé l’outil Google Analytics sur ce blog. C’est un outil perfectionné qui me permet d’avoir plein de statistiques intéressantes : fréquentation, origine, type de fureteur, temps passé, pages lues, etc. Après une année, j’étais curieux de savoir.

D’entrée de jeu, soyez rassurés chers visiteurs : je ne sais pas qui vous êtes. Tout au plus, je sais quelles régions du globe vous habitez, et la moyenne du temps que vous passez sur le site. Mais il n’y a pas de statistiques individuelles. Y’a que des chiffres du genre « 33,72 % des visiteurs proviennent du Canada ». Tout reste anonyme.

Il m’a été agréable de constater que j’avais sous-estimé le nombre de mes visiteurs. C’est flatteur. Bon, ce n’est quand même pas le succès planétaire, mais pour un site où j’étale en détails la profondeur de ma connerie, c’est quand même bien.

Google Analytics est truffé de statistiques dont les trois quarts sont pour moi une sorte de chinois technique incompréhensible. Mais certaines données sont intéressantes. Par exemple, deux tiers de mes lecteurs proviennent de la France. Je savais déjà que les Français aiment entendre parler d’eux, que ce soit en bien ou en mal. Ce n’est pas pour rien que le livre « A year in the merde », de Stephen Clarke fait un tabac ici. À part le Canada et la France, je reçois aussi des gens du Pays-Bas, de la Suisse, de la Belgique, du Maroc, de la Guyane Française, et d’ailleurs. Bienvenue chez-moi! D’autre part, beaucoup d’amis blogueurs m’envoient leurs lecteurs. Merci MissK, Noèse et TaxiBrousse, et les quelques autres.

Le truc que j’aime le plus, ce sont les recherches par mots clés qui aboutissent sur mes pages. Dans leur engin de recherche préféré, des gens entrent des mots-clés, cliquent sur « recherche », et je sors dans les résultats. La plupart du temps, c’est accidentel. Je ne suis pas ce qu’ils recherchent. Ils passent trois secondes sur mon site, comprennent leur méprise, et repartent. Mais ils laissent une trace de leur passage. Dans mes statistiques, j’ai leurs mots-clés.

Pour que ce blogue ne leur soit pas complètement inutile, je tenterai ici de répondre, au meilleur de ma connaissance, à quelques unes de ces interrogations anonymes. Alors voici :

Mots clés : « parlure quebecoise »
Ma réponse : Kessek-tu veux sawouère mon chum, m’a t’dire ça, moé?

Mots clés : « casse toi con en quebecois »
Ma réponse : Décalisse mon ostie d’chien sale!

Mots clés : « tache blanche sur radiographie pulmonaire / tache blanche sur radiographie cancer / radiographie+taches foncées »
Ma réponse : Je ne sais pas, mais si vous apprenez ce que ça veux dire, svp laissez-moi un commentaire pour m’en informer.

Mots clés : « transporteurs de bestiaux »
Ma réponse : Je vous suggère le RER de Paris.

Mots clés : « repassage à la verticale »
Ma réponse : Ça va changer votre vie, croyez-moi.

Mots clés : « retraite 30000€ brut/an »
Ma réponse : Bonne chance…

Mots clés : « le surnom de queen city »
Ma réponse : Toronto.

Mots clés : « nevrose et reflexion »
Ma réponse : Pour la névrose, vous êtes peut-être au bon endroit. Mais pas pour la réflexion.

Mots clés : « où trouver du porridge en France dans les supermarchés ? »
Ma réponse : Pourquoi poser la question si vous savez la réponse?

Mots clés : « nutella Québec France »
Ma réponse : Je ne comprends pas trop la nature de cette association d’idée, mais je vous soutiens dans votre initiative de rapprochement des peuples.

Mots clés : « muriel millard photos »
Ma réponse : Est-ce vraiment, absolument nécessaire? Du genre que votre vie en dépend?

Et la section sexe…

Source photo : wikipedia.


Et oui, un paquet de personnes ayant des loisirs particuliers finissent accidentellement sur mon site. Et le fait de les rapporter ici ne fera qu’augmenter leur nombre. Mais leurs recherches sont parfois croustillantes.

Mots clés : « gros pénis dans grandes fesses »
Ma réponse : S’il vous faut tout en grand format, c’est peut-être parce que votre vue a baissé. Je vous recommande de passer chez l’opticien.

Mots clés : « video femme couche avec son chien »
Ma réponse : Est-ce que ça doit absolument être le sien, le chien ? Et puis, qu’est-ce que vous foutez sur mon blog?

Mots clés : « enculée par une bouteille »
Ma réponse : Il est important de préciser. Ce n’est pas la bouteille elle-même qui vous encule. C’est plutôt le caviste retors qui vous a refilé cette bouteille de mauvais vin. Soit dit en passant, moi aussi je vous encule.

Mots clés : « photos de couilles atrophiées »
Ma réponse : Quand j’ai utilisé cette expression, c’était purement métaphorique. N’allez pas répandre des ragots à mon endroit.

Mots clés : « slip portée scato pipi »
Ma réponse : Les bébés d’aujourd’hui sont étonnants. Ils possèdent trois mots de vocabulaire, ils ne savent pas faire une phrase complète, ils sont encore dans leur phase anale, mais ils savent déjà utiliser un ordinateur. Bravo petit! Tu es l’avenir du pays! Continue!

J’espère que cela répond à vos questions. Au revoir.


lundi 15 juin 2009

Praha IV : eat my meat



Si j’étais cardiologue et que je devais organiser un congrès pour les membres de ma confrérie, je ferais ça à Prague. Pour l’ironie de la chose. Selon ce site, la République Tchèque arrive quatrième, loin devant les USA, pour le risque d’attaque cardiaque.

Prague est sans l’ombre d’un doute la ville rêvée du suicide par caillot graisseux. Dans tout bon resto, on trouvera un plat national composé d’une généreuse portion de viande en sauce, de choucroute bien grasse, et d’une sorte de pain-vapeur expressément conçu pour éponger tout ce qui pourrait rester du jus de cuisson. Saucisses, jambons, charcuteries, canard entier, pièces braisées, steaks. On accompagnera le tout, bien sûr, d’une belle choppe de bière. Et pour finir, une pâtisserie, et une cigarette, puisqu’on peut fumer partout. Magnifique!

Moi, je ne m’en plains pas. J’aime bien l’occasionnelle orgie protéinique. Je suis Américain, après tout. J’ai d’ailleurs mangé à Prague l’entrecôte la plus succulente depuis mon arrivée en Europe. Un beau morceau argentin juteux, bien saignant, et parfaitement fondant malgré ses deux centimètres d’épaisseur.

Certains d’entre vous pourraient vouloir me traiter de « maudit pollueur », me rappeler que produire un kilo de viande nécessite treize fois plus d’eau qu’un kilo de céréales. Moi aussi j’ai vu Home. Et bien sachez que je suis très environnemental depuis mon arrivée en France. Je ne mange presque plus de steak. Il faut dire que depuis la vache folle, les Français mangent du Charolais, une race locale. Ancienne bête de somme, le Charolais semble avoir conservé dans sa génétique une certaine coriacité. Pour déguster cette viande, je suggère d’utiliser comme couverts une fourchette et une machette.

Là j’entends mes lecteurs français commencer à houspiller, mus par un patriotisme bien compréhensible. « Le steak étranger est plein de liquide », dira-t-on. Peut-être, mais au moins il est comestible. « C’est mieux qu’attraper la vache folle », me criera-t-on. Ce à quoi je réponds que cette maladie vaut bien les autres formes de sénilité enduites par une trop longue exposition à la vie parisienne. Et je suis certain que la race Charolaise cause un nombre insoupçonné d’asphyxie par obstruction de la trachée. Amis Français, acceptez le fait que vous êtes nuls en steak. On ne peut pas réussir dans tout. Consolez-vous en vous rappelant que je vendrais ma mère pour vos charcuteries, mon père pour votre confit de canard, et le reste de ma famille pour votre foie gras.

Mais revenons à Prague. Le supermarché praguois est un festival pour les yeux du meat-lover. Saucisses-à-gogo déclinées dans toutes leurs versions, des cuites fumées aux crues. Saucissons. Mortadelle. Lard fumé, lard salé, jambons à l’infini, bacon. Toute une longue rangée de chaire fraîche, rose et tendre, devant sa cohorte de bouchers moustachus et bedonnants, comme on les aime (il n’y a rien de plus suspect qu’un boucher maigre).



Paris fait dans le raffiné, dans la tradition, et c’est très bien. Prague aussi, sait faire. Mais la capitale Tchèque offre également le populaire. L’économique. La charcuterie du prolétaire. Ici, je parle du saucisson de Bologne. Au Québec, on dit familièrement « Baloney ». C’est jamais super au goût, mais moi, ça me parle. Je trouve ça révélateur. J’ai l’impression que ça raconte l’histoire d’un peuple. C’est un indice de son passé économique. Si on a « inventé » le pied de porc au Pays basque, ce n’est pas par ennui de l’opulence. Et si on a mangé des tripes à Caen, ce n’est pas parce qu’on était fatigué du jambon. Vous comprenez où je veux en venir? Alors à Prague, j’ai été fasciné par la large variété de saucissons industriels, ces espèces de pâtés ultra-moulinés, artificiellement-savourés, et qu’on saucissonne dans de gros tubes de plastique alimentaire. Souvenirs d’une alimentation soviético-industrielle. Il y en avait dans toutes les couleurs et variantes. J’ai même vu des versions vraiment moches, dans un emballage vieillot. Le genre de produit qu’on n’a pas abandonné, malgré la chute du mur. Parce qu’on avait l’habitude. Et ça se vend encore un peu, aux nostalgiques, et aux p’tits vieux qui aiment bien leurs bons vieux trucs.



Chose certaine, les Tchèques aiment leurs charcuteries comme en fait foi cette photo de saucisson en forme de cœur. Un joli cadeau pour un cardiologue gourmand.




mardi 9 juin 2009

Praha III : le complexe du pénis



Qu’on se le tienne pour dit, la grande majorité des hommes a le complexe du pénis. À moins d’être propriétaire d’un membre pathologiquement surdimensionné, un mec est rarement satisfait de ses mensurations. Même rassuré par la moyenne mondiale (environ 5.5 pouces ou 14 cm selon cette source http://en.wikipedia.org/wiki/Penis_size), même s’il découvre qu’il est un peu en haut de cette moyenne, et même en sachant que l’humain est le plus membré des primates (plus que le gorille!), monsieur aimerait bien en avoir un peu plus.

Ce sentiment d’insécurité est probablement similaire à celui que ressentent les femmes à propos de leur poitrine. Sentiment qui pousse certaines d’entre elles à se doter chirurgicalement d’absurdes et artificielles pastèques en silicone. Mais comme le pénis est une mécanique complexe à laquelle on demande de performer à tout moment et sur commande, la prise de risque, dont celle du bistouri, est rarement envisagée. Ces messieurs se contentent généralement de ce qu’ils ont. Un peu comme on se contente d’une voiture compacte… C’est pourquoi, si on veut être sympa, vaut mieux éviter les commentaires ou les allusions. Même quand le problème n’existe pas, la zone sensible est là.

Je suis dans un centre commercial de Prague, et soudain me prend l’envie de faire un peu de place. Mis à part son goût supérieur, la bière tchèque est semblable aux autres bières du monde. Alors je m’excuse et je vais à la salle des messieurs. Rien de plus normal, me direz-vous? Sauf que le lieu où doit se dérouler la banale opération ressemble à ceci :







C’est pas sympathique de mettre ce genre de photos au dessus des urinoirs. Une dame qui rigole, une autre avec son ruban à mesurer et un air déconfit, une autre qui ignore la tienne et regarde celle du mec à côté, etc. Pas sympa du tout.

Ce qui m’amène à autre sujet. Un ami français qui a vécu au Québec pendant quelques années m’a déjà dit : « Vous les mecs québécois, vous savez ce que vous devriez demander à Noël?
-Non, quoi?
-Des couilles! »

C’est vrai qu’au Québec, le mec a le dos large. En pub, s’il doit y avoir un con dans le couple, c’est généralement l’homme. Je me souviens d’une pub McDo qui ventait je ne sais plus quel trio deluxe santé aux grains bio (probablement « Best-of Light» en France). La pub voulait montrer que McDo faisait aussi de la bouffe pour adulte. Y’avait le mec et sa copine. La copine bouffait un burger à la sciure de bois alors que le mec cherchait un truc dans le sac, tout excité. Le mec cherche et cherche, et y’a sa copine qui tout à coup lui dit sur un ton maternant : « Mon amour, y’a pas de petit jouet avec ce trio là ». À la télé québécoise, le mâle est souvent dépeint comme un gamin, un attardé, ou un rustre. Et si on osait inverser les sexes dans certaines scènes, je vous jure que des gens seraient forcés de démissionnés devant le tollé.

Dans les années 80, y’a eu un mouvement qu’on a appelé « les hommes roses ». Conciliant de nature, le mec québécois voulait accompagner sa copine, la nouvelle femme libérée, dans son émancipation vers le statut de « wonderwoman ». Le Québécois a enterré son attitude macho, il est devenu gentil et compréhensif. Il est devenu la meilleure amie de sa copine. Il a mis ses couilles au placard. C’était le temps des chemises Polo et des chandails Lacoste proprets.

Évidemment, cette attitude, tout aussi contre-nature que certains des excès du féminisme, a fini par avoir ses effets. Départi de son rôle traditionnel, monsieur s’est mis à se chercher une nouvelle identité. De l’homme rose à l’übersexuel épilé, en passant par le métrosexuel parfumé, le mâle québécois a erré maladroitement, et erre encore, ne sachant trop à quel « sein » se vouer.

De leur côté, ces dames, ennuyée par l’homme rose qui bande trop gentiment (et avec raison), se sont mises à réclamer un nouveau « vrai » mâle. Un beau Che Guevara mal rasé, mais pas trop mal rasé. Un gladiateur luisant, mais de sueur qui sent bon. Un aventurier, mais casanier et qui paie ses comptes temps. Une rock star fidèle. Un dominant sensible. Un cow-boy qui aime les enfants. Un truc impossible à livrer, finalement. Et monsieur, à qui revient le rôle ingrat de séduire et de performer, s’est retrouvé dans une situation encore plus impossible, dans laquelle sa nouvelle incompétence saute aux yeux. C’est pas pour rien que le Québécois a l’air du con dans le couple : il est perdu. Plus de repères.

De son côté, la Québécoise de l’ère post-féministe a son propre projet de vie tout bien dessiné : université, carrière, middle-management, deux bébés vers 34 ans, super entraînement pour effacer les varices, MBA, retour au travail, vice-présidence, et bed and breakfast en Estrie pour relaxer vers la fin. Dans ce plan, le mec est facultatif. La Québécoise moderne saura très bien s’arranger sans homme si l’horaire est trop chargé. Un père biologique, connu ou non, c’est facile à trouver. La Québécoise montre à la face du monde qu’elle est capable toute seule, comme une grande. Si elle accepte de prendre un mec, c’est pour avoir une « présence masculine » à la maison. C’est pour les enfants. Avec un mec gentil et un chien, c’est parfait : les photos de familles sont vraiment réussies.

De son côté, le Québécois ne sait pas trop. Il essaie d’avoir l’air cool, sans trop de succès. En cachette, il fouille les revues de sa copine à la recherche de réponses. Il a un peu peur de s’engager, surtout avec une femme qui a le pouvoir de lui dire : « Mon coco, je n’ai plus besoin de toi, les enfants sont à l’université maintenant ». Il glande avec ses copains et boit des bières devant la télé, où on lui montre son portrait en abruti… Couille molle… Pauv’ type.

Les féministes ont gagné la bataille.

La société n’a plus besoin des hommes.

Je suis devant un urinoir pragois, avec mon complexe du pénis, mes couilles atrophiées (ça c’est une métaphore), et la photo d’une femme qui rigole en me regardant pisser. C’est un coup bas…

Mais si la guerre n’était pas finie… Si les hommes ripostaient? Si nous en finissions de ce qui nous reste de galanterie? Si les mecs arrêtaient d’être sympa avec les femmes, sauf quand c’est le temps de les conduire au lit? Les femmes revendiquent l’égalité, non? Alors pourquoi ne pas leur donner : œil pour œil, et dent pour dent.

« Équité salariale automatique pour compétences égales? Fuck you madame! Apprends à négocier ton salaire. Je connais un tas de mecs qui ont des salaires inégaux pour le même boulot. Au plus fort la poche, comme on dit.
Les années paires, c’est toi qui paie le resto à la Saint-Valentin. Et si tu n’as pas envie de baiser après, je vais aux danseuses avec mes amis.
Tu veux un diamant? Économise.
Tu veux massage? Ça tombe bien, moi aussi, mais pas dans le cou.
Tu veux que je te respecte? Réussis à tenir un mois sans pleurer.
La première fois que tu es entrée chez moi, le couvercle de la toilette, il était levé : alors laisse les choses comme tu les as trouvées.
Tu dis que mes vêtements sont moches? C’est vrai, mais moi au moins, il me reste assez d’argent pour me payer la moto de mes rêves.
Et en passant, oui t’as grossi. »

Le vrai salop. Le vrai Che Guevara. Pas le rebelle sexy de la photo de Korda, mais celui qui est resté aux côtés de Fidel, lorsqu’il faisait exécuter ses anciens frères d’arme dans les premiers mois du régime castriste. La vraie guerre sans pitié, comme dans les vrais sports d’hommes. C’est ça l’égalité.

Sur le mur des toilettes, y’a cette femme qui fait mine d’ignorer ce qu’on lui montre, avec un petit air las. Elle est magnifique. Une superbe brunette comme je les aime, avec un look un peu « fille d’à côté », pas trop coiffée, pas trop artificielle. Et elle a vraiment un beau regard :



En temps normal, je serais super sympa avec une femme comme ça. Mais là, c’est la guerre. Je lui parle : « Désolé chérie, mais c’est une question de survie. Je dois sauver ma race. T’es vraiment jolie, et je suis triste d’avoir à faire ça, mais je n’ai pas le choix. Toi et tes copines vous rigolez des mecs qui viennent ici se soulager. Tu rigoles de mon pénis, même s’il est dans la moyenne, et même un peu au dessus, je tiens à le souligner à ta copine avec son ruban à mesurer. Tu te permets de m’attaquer publiquement dans ma vulnérabilité.

Mais tu t’es regardée, toi? Ils sont où tes seins? Parce que je ne les vois pas, moi. J’ai beau me forcer, cligner des yeux, mais je ne vois vraiment rien. Sérieusement, y’a rien du tout. C’est plat comme la Saskatchewan! C’est pas ‘Alerte à Malibu’, mais plutôt ‘Alerte, on a volé mes boules’! Tu pourrais même pas allaiter un moustique! Tu dois savoir ça toi : dans l’alphabet, c’est quoi la lettre avant A? Et s’ils t’ont coupée à la taille, s’ils t’ont caché le cul, il doit bien y avoir une raison. »

À la guerre comme à la guerre…

À moins qu’on arrête un peu de la faire, la guerre des sexes?


lundi 8 juin 2009

Praha II : the miracle!



En 1628, le petit Jésus débarque à Prague sous la forme d’une statuette de bois et de cire, haute d’environ 50 centimètres. La figurine connaît un certain succès et attire les dévots pendant quelques mois. Mais à cette époque, des conflits entre catholiques et hérétiques d’appartenances diverses déchirent la nation. Prague est prise et les religieux doivent fuir. Les églises sont saccagées, et la statuette est endommagée, ses mains coupées. Elle passe ainsi quelques années sur un tas de débris, derrière un autel.

Puis en 1637, miracle! De retour à Prague, le très dévot Père Cyrille retrouve le petit Jésus dans les décombres. La statue va même jusqu’à lui parler. Elle lui propose un deal : « Aie pitié de moi et j’aurai pitié de toi. Rends-moi mes mains et je te rendrai la paix. Plus tu m’honoreras, plus je te favoriserai ». La statue est réparée, et peu de temps après, les troupes hérétiques sont chassées. Puis, les miracles se multiplient. On porte le petit Jésus au chevet de comtesses mourantes et elles guérissent. La peste épargne la ville. La réputation du Jésus se propage rapidement dans toute l’Europe, et les pèlerins affluent.

Aujourd’hui, ils viennent de partout dans le monde pour admirer la chose. Croyants et touristes passent en horde dans l’église Sainte-Marie de la Victoire, dans Mala Strana. Beaucoup de latinos qui se signent, beaucoup de retraités avec leurs kodaks, plein de monde de l’ouverture à la fermeture. Jésus est vêtu de riches parures qu’on change à l’occasion, un peu comme le Manneken pis. Sous sa cloche à gâteau lourdement ornée, entourée de marbres et de dorures, la statuette regarde la procession :



Et les touristes processionnent :



Moi, je suis sur mon banc d’église depuis 20 minutes et je regarde la figurine. Dehors il pleut et j’attends que ça cesse pour sortir. Le petit Jésus ne me parle pas. Il est impassible. Il a l’air de s’en crisser un peu.

Je suis là et je regarde l’autel sur lequel la statuette est posée. Un œuvre énorme, détaillée, couverte d’or, de bas-reliefs, et de sculptures. Des pierres précieuses. Du bois noble. J’ai comme un sentiment de révolte. Je réfléchis : « Combien vaut cet autel? Un million? Deux millions? C’est quand même gros en ostie. Et si on avait placé l’argent, pour aider les pauvres, au lieu de bâtir ce gros cossin inutile. À 5% de rendement par année, ça ferait quand même 100 000$ en intérêts. C’est beaucoup de paniers-repas ça, non? Au lieu d’abuser de la crédulité des gens. Non mais franchement… » Ce genre de réflexions de gauchiste du dimanche.

Puis, tout à coup, c’est l’illumination. Je comprends. Le petit Jésus est toujours impassible, mais j’entends sa voix résonner dans ma tête : « Paul! Paul! Pauvre pécheur. Ne vois-tu pas tous ces fidèles qui passent ici, dans cette église? Combien sont-ils à venir éclairer cette nef du flash de leurs appareils jetables? Cinq cents par jour? Mille par jour? Peut-être même plus? Paul, don’t you see where I’m going?

- Excuse-moi Tit-Jésus, que je réponds, mais je ne suis pas certain de bien comprendre.

- Paul, my child, disons un minimum de 500 visiteurs par jour. Au minimum, chacun d’eux prendra un repas à Prague. Soyons cheap et disons qu’ils mangent tous chez McDo. Environ 5 euros chacun. Ça fait 2500 euros par jour qui restent à Prague. Ça mon fils, c’est environ 1 million d’euros chaque année dans l’économie locale. Et ça c’est le strict minimum, la donnée la plus pessimiste. La réalité, c’est qu’un touriste dépense en moyenne 100 euros par jour à Prague. That’s a whole lotta jobs for the people! That’s money in their pocket and food on their table. Do you see the MIRACLE, my son!

- Praise the Lord, ô sweet baby Jesus!

- Oui Paul, tu vois enfin la Lumière!

- Yes Jesus! I see the light!

- Oh yes my son! Mon autel à 2 millions, ça fait au moins 300 ans qu’il est rentabilisé. Les coûts d’entretien sont minimes. Pas besoin de pub-télé, pas de staff, pas de logistique, même pas besoin de D.J. Un peu de dorures, un peu de marbre, quelques anges, and that’s it! The money is flowing. Peace on your soul, Paul.»

Je suis subjugué. Je suis flabbergasté. J’ai eu mon épiphanie. J’ai compris l’histoire. J’ai compris cette humanité faite à l’image de son Dieu. En 1637, Prague est en ruines après de longes guerres. La business est mauvaise. Les auberges sont vides. Qu’est-ce qu’on fait? Un festival de la bière? Trop compliqué… Un Goulash-Fest? Trop bizarre… Un parc Euro-Disney? Trop avant-gardiste… On n’a pas les moyens de ce genre d’organisation. Il faut trouver quelque chose de plus simple.

Une figurine de bois et de cire, des rumeurs de miracles, et voilà! Tadadam! THANK YOU JESUS!


dimanche 7 juin 2009

Praha I : disco subway



Prague a probablement 300 000 manières d’étonner un visiteur. Le fameux Pont Charles, le château, les édifices magnifiques. Aussi encore quelques traces de son passé communiste, notamment les occasionnelles Trabant, et les tramways très est-européens, qui malgré leur petit look rétro semblent encore indestructibles. L’approche « simple and sturdy » de l’industrie communiste a quand même livré quelques beaux succès. On n’a qu’à penser à la Kalachnikov, ou au tank T34, deux mécaniques simples à produire et extrêmement efficaces.

Mais bon, si vous souhaitez voir la grande beauté des côtés plus connus de Prague, faites une recherche dans Google Images et vous serez submergés. Moi, j’aimerais vous montrer quelques images d’un truc un peu plus « underground » (c’est le cas de le dire) : le métro.

Tout amateur de néo-kitsch, toute drag-queen, et tout abonné de la revue Wallpaper doivent un jour prendre le métro à Prague. Je ne sais par qui ni quand a été imaginé le décor des stations. Mais j’ai l’impression cet été là, par la fenêtre grande ouverte du bureau des fonctionnaires-décorateurs, entrait un air de disco. Probablement une ado tchèque qui affichait sa dissension en jouant en boucle un morceau occidental : « You can dance, you can jiii-iive, having the time of your life. See that girl, watch that scene, dig in the dancing queen. »



Passagers à la station Mustek:



Station Namesti Miru, dans les tons silver-blue :



Du chrome à profusion :



À Namesti Republiky, il ne manque que la boule disco :



À Nadrazi Holesovice, on a choisi un look « préfini » de lounge branché :



Les interminables escaliers roulants, pour lesquels on a choisi le look « chrome sur blanc » :



Tous ces petits looks funky semblent avoir un impact rigolo sur les passagers :



(Pour la dernière photo, j’ai triché un peu. En fait, dans les escaliers roulants, les joints du plafond et les publicités sont dans l’angle de l’escalier. Il n’y a que les gens qui sont droits. En penchant un peu l’appareil, on obtient cet effet. Reste que certains escaliers font 100 mètres de long. L’illusion d’optique est parfois si intense qu’on a l’impression de tomber. À éviter quand on a trop bu d’excellente bière tchèque.)