samedi 30 janvier 2010

Le plus que buffet



Je ne me choisis pas ma nostalgie. Elle me tombe dessus, à l’occasion, sans raison valable : « Surprise! Aujourd’hui tu vas avoir envie d’un sundae Dairy Queen! »

Je n’allais presque jamais au Dairy Queen. Leur glace ressemble à celle de MacDo. Mais le Dairy Queen du coin est un des ancrages du quotidien. On passe devant tous les jours. Une fois par année on y bouffe un cornet pour marquer l’arrivée de l’été. Une sorte de rituel.

Je ne veux pas m’éterniser sur cet exemple. Il y a bien plus extraordinaire que le Dairy Queen à Montréal. Mais ce qui est étrange de la nostalgie, c’est qu’elle frappe sans discrimination dans la mémoire. Elle remonte le merveilleux, mais aussi le plus banal. Alors cette semaine, comme ça alors que je me fais du thé, me prend l’envie soudaine de revoir de mauvaises publicités.

C’est un truc qui n’existe pas vraiment en France. Enfin, je n’en vois pas souvent à la télé. Ce sont des pubs à petit budget, pour des petits commerces, des garages, ou des chaînes d’ameublement. Elles sont mal tournées, avec des gens pas sexy (souvent le personnel du commerce), sur un fond de musique débile. C’est toujours rigolo d’entendre une choriste s’égosiller de tout son cœur, sur un air enjoué, pour nous dire : « le buffet chinois Tom Yam offre plus de 150 mets asiatiques et son fameux bar à nouilles ».

Voici quelques exemples. Après ça, allez donc m’expliquer comment fonctionne la nostalgie.























samedi 23 janvier 2010

Les hymnes à l’héroïsme



Je viens d’aller voir Gainsbourg, vie héroïque. Cette fable distrayante revient sur le scandale qu’avait provoqué le compositeur avec sa Marseillaise reggae. Ça m’a donné envie de regarder d’un peu plus près la rengaine patriotique.

Allons enfants de la Patrie,
Le jour de gloire est arrivé!

Tout le monde connaît le début. Pas grand-chose à ajouter. Appel à tous, patrie, gloire, c’est classique.

Contre nous de la tyrannie
L'étendard sanglant est levé.

À partir d’ici, ça devient complètement tordu. Syntaxiquement, je parle. Exprimé naturellement, je présume que ce vers irait plutôt comme suit : « L’étendard sanglant de la tyrannie est levé contre nous ». Si je n’ai que présomption à propos de la signification, c’est qu’on a trop brassé les cartes. Peut être aussi que c’est « Contre la tyrannie l’étendard est levé de nous sanglant ».

Entendez-vous dans les campagnes
Mugir ces féroces soldats?

J’ai collé ces deux vers pour vous aider à comprendre ce qui se dit. Mais en réalité, dans la chanson, il se passe quelque chose de bien étrange : cette phrase est sciée en deux musicalement. Le premier vers met fin au phrasé musical de l’étendard sanglant. Après, pour mugir, on bascule presque dans une autre chanson. Le fa, qui était dièse depuis le début, devient bécarre. Et le si devient bémol. Je ne suis pas musicologue, mais c’est comme si on changeait de tonalité, d’un coup. Et on le fait en plein milieu d’une phrase.

Mugir ces féroces soldats
Ils viennent jusque dans vos bras
Égorger vos fils, vos compagnes!

Ce bout, c’est pour moi le tunnel de la Marseillaise. Dans le reste de la chanson, la mélodie fait des arpèges, bondit à coup de tierces, et se ballade sur toute la portée. Mais dans ces quelques mesures, elle se met à hésiter, à tergiverser entre le fa et le do. J’aime particulièrement l’utilisation du mot mugir pour décrire les féroces soldats. Le mugissement, c’est le cri du bovin. La France attaquée par une horde de vaches laitières déchaînées et assoiffées de sang… Très crédible.

Aux armes, citoyens
Formez vos bataillons
Marchons, marchons!
Qu'un sang impur
Abreuve nos sillons!

Quand arrive enfin le fameux « Aux armes » bien claironné, c’est comme si la France entière se réveillait. Comme si elle gueulait : « Putain, mais qu’est-ce que vous foutez depuis six mesures! Réveillez-vous! C’est pas un chant mortuaire! Y’a de féroces soldats mugissants qui nous attendent dans le champ, avec leur étendard sanglant de la tyrannie. Faut faire quelque chose, bon Dieu d’merde! » Et ça se termine à la Tarantino, avec du sang impur qui gicle sur les sillons. Wow! Les Français ont vraiment le sens du spectacle! Tu leur donne une rase campagne, et ils te font Attack of the Zombie Cows from Hell II.


Bon, et le Canada maintenant…

Source photo : wikipedia.



Ô Canada! Terre de nos aïeux,
Ton front est ceint de fleurons glorieux!

Ça commence vraiment bien dans la fausse représentation. Quels aïeux? Le pays existe depuis seulement 13 ans lorsque l’hymne est composé en 1880. Et cette terre, elle a été prise de force à des Indiens même pas indiens. Et pour les fleurons glorieux, on repassera : les pages de l’histoire canadienne sont un éloge à la tranquillité.

Car ton bras sait porter l'épée,
Il sait porter la croix!

Et ça continue. En 1880, le bras du Canada n’a pas porté beaucoup d’épées. Et j’aime bien l’association épée – croix. Ça envoie un beau message bien médiéval. Mon dieu catholique m’envoie te péter la gueule. Aujourd’hui, l’immigrant musulman doit un peu grincer des dents lorsqu’on lui demande de chanter ces vers au moment de l’attribution de sa citoyenneté canadienne.

Ton histoire est une épopée
Des plus brillants exploits.

Non mais c’est presque de la drague! On croirait entendre un Français qui parle de son cheminement de carrière : « Ouais, tu vois, à ma boîte j’suis managère en chef de l’approvisionnement en papier pour tout le secteur ouatère-cabinette. C’est pas mal de responsabilités et beaucoup de taf’; c’est pas tous les mecs qui peuvent faire ça. »

Et ta valeur, de foi trempée,
Protégera nos foyers et nos droits.

La finale ne m’a jamais vraiment convaincu. Je sais pas, mais de la valeur trempée de foi, ça me paraît un peu trop vaporeux pour protéger quoi que ce soit. Si t’enduit une auto de valeur trempée de foi, je crois pas que ça va l’empêcher de rouiller après trois hivers.

Chose intéressante, et beaucoup plus représentative du pays, l’hymne existe aussi en version anglaise, because 2 official languages. Et là c’est complètement autre chose. Alors que la version française est une flatterie à l’endroit d’un Canada à ce point personnifié qu’on ose le tutoyer, les Anglos parlent pour leur part de patriotisme et d’action directe, utilisant le nous comme sujet. Grosse mutation pendant la traduction! Et une beau symbole des cette incompréhension qui persiste entre les deux peuples fondateurs. Voici la version anglaise, avec ma traduction littérale. Remarquez l’éloignement. Et cette fois, pour la protection, on fait appel à Dieu. Selon moi, c’est plus convaincant que de la valeur trempée de foi.

O Canada! Our home and native land!
(Ô Canada! Notre Patrie et terre natale!)
True patriot love in all thy sons command.
(Tu commandes à tous tes fils un amour patriotique véritable.)
With glowing hearts we see thee rise,
(Nos coeurs rougeoyant, nous voyons ton essor.)
The True North strong and free!
(Le Vrai Nord, fort et libre!)
From far and wide,
(De toutes tes terres…)
O Canada, we stand on guard for thee.
(Ô Canada, nous montons la garde / restons alertes pour toi .)
God keep our land glorious and free!
(Dieu garde notre pays glorieux et libre!)
O Canada, we stand on guard for thee. (bis)
(Ô Canada, nous montons la garde / restons alertes pour toi .)

Y'a ce bout à propos du Vrai Nord, fort et libre. C'est quoi le Vrai Nord? Ça commence où? Peut-être que le Nord, le vrai, c'est cet endroit nécessairement libre parce que personne n'ose l'envahir, de peur de se retrouver avec deux glaçons à la place des couilles. On prévoit -14 à Montréal cette semaine. Et février n'est même pas encore là.


Bon, tout ça m’a donné l’envie de regarder un bon match de hockey…


Si j’étais dictateur



J’interdirais la chanson YMCA parce que son désordre alphabétique invite à renverser l’ordre établi, ce qui est subversif.

Le drapeau de mon État serait cousu d’une substance intangible, une pure conception de l’esprit. Ainsi, personne ne pourrait le piétiner en guise de protestation. À la télé, on verrait les manifestants asperger d’essence un sol nu, puis mettre le feu à rien du tout. Ça enlèverait toute crédibilité à leur action. Ils auraient simplement l’air con.

Si j’étais dictateur, j’autoriserais les juges de paix à frapper la tête des chauffards avec la tranche d’une version reliée plein-cuir du code de la route. Les conducteurs dangereux verraient leur voiture être peinte en rose. Et la vitesse du véhicule serait limitée à 50 km/h, avec interdiction formelle de rouler sur l’autoroute. Ils n’auraient plus le droit d’avoir de passager ou de cargaison, et devraient conduire nus, les fenêtres baissées, même en hiver. Il serait autorisé de leur lancer de l’eau ou de la neige.

J’interdirais la pluie en plein jour. La pluie pourrait pleuvoir entre minuit et cinq heures du matin. Et juste ce qu’il faut pour faire pousser les carottes. J’interdirais aussi tout excès de température, négatif ou positif.

J’interdirais les embouteillages. Une personne ayant passé plus de dix minutes dans un bouchon serait autorisée à rentrer chez elle sans avoir à fournir de justification.

Il y aurait une taxe spéciale pour les personnes qui passent plus de 20 minutes dans la salle de bain, sauf si c’est pour terminer un magazine ou un chapitre d’une œuvre autorisée.

Source photo : wikipedia.


Il y aurait une amende pour les gens qui parlent au téléphone sans regarder où ils vont. Également pour les personnes qui sortent subitement d’une boutique. Aussi pour les individus qui louvoient sur le trottoir sans raison valable, sauf s’ils ont bu. Même chose pour ceux qui s’arrêtent en haut de l’escalier mécanique, pris au dépourvu par la soudaine nécessité de choisir une direction. Ce serait mon grand programme d’amélioration de la fluidité piétonnière.

Et pour ces gens qui, au café, après avoir attendu dans la queue pendant vingt minutes, ne savent toujours pas ce qu’ils veulent boire. Et bien, c’est gens seraient privés à vie de café. Ou de MacDo. Ou de ce pourquoi ils faisaient la queue. De plus, ils seraient forcés d’utiliser uniquement un système spécial de toilettes publiques où le temps d’attente serait de vingt minutes minimum.

Les gens méchants seraient déportés dans le pays de leur choix. Ils auraient 20 minutes pour y penser. En l’absence d’un choix, ils seraient expédiés à l’île de Gough avec un sac de patates et trois allumettes.

Si j’étais dictateur, les lundis seraient interdits. Serait instauré le Jour de l’Envers, période de 24 heures pendant laquelle la population devrait faire exactement l’inverse de ce qu’elle a fait la veille. L’interprétation du mot « inverse » serait laissée à la discrétion du citoyen.

Il serait obligatoire d’avertir un concitoyen lorsqu’il a un truc au bord de la narine, des restes de nourritures dans sa moustache, ou des pellicules sur les épaules de son veston. Il serait également interdit que la remarque soit accompagnée du traditionnel petit moment de silence inconfortable.

Les visiteurs qui abusent de la générosité de leurs hôtes, ou qui étirent leur séjour trop longuement, seraient forcés de faire le ménage et les menus travaux pendant une semaine avant de pouvoir rentrer chez eux.

Par souci d’égalité entre les sexes, un homme serait autorisé à aborder une inconnue uniquement pendant les mois de janvier, mars, mai, juillet, septembre et novembre. Les autres mois, la nécessité de faire les premiers pas reviendrait aux dames.

Il serait formellement interdit d’inventer un nouveau cocktail. La terre compte assez d’hérésies alcoolisées comme ça. Il faudrait choisir parmi ceux qui existent. Le breuvage national serait le sidecar (recette ici), mais dans un verre old-fashioned et sans sucre sur le bord.

Un label « mauvais restaurant dégueulasse » serait créé pour les mauvais restaurants dégueulasses. Il devrait être affiché sur la porte, ainsi que sur le front du proprio, en tout temps. Pour bien dégoûter sa clientèle, le patron d’un mauvais resto devrait faire le service torse-nu, s’il est ventripotent, ou enduit de rillettes, s’il est mince.

À tous les carrefours, on mettrait de grands panneaux sur lesquels seraient affichées les recettes préférées du chef de la nation (moi).

Les buveurs de thé devraient porter la salopette, simplement parce que c’est un vêtement rigolo. Et pourquoi les buveurs de thé? Parce que je l’aurais décidé.

Ceux qui oseraient questionner ou critiquer le régime seraient forcés de payer tous leurs achats en menue monnaie, même si c’est pour une maison.

Il serait interdit de convoquer une réunion sans ordre du jour. Si une réunion devait se terminer sans décision, échéancier de travail, ou définition claire de tâches à accomplir, tous les participants seraient expédiés dans le grand nord pendant six mois afin de prendre part à l’effort national de reboisement.

Si j’étais dictateur, une mode devrait obligatoirement durer un minimum de cinq ans. Les nouvelles modes ne pourraient être lancées que le 31 janvier des années se terminant par un zéro ou un cinq.

Le jour de la fête nationale (date à confirmer), dans le but de maintenir les citoyens aptes au combat, chaque ville devrait organiser une grande bataille de nourriture. Les personnes ayant des réserves face au gaspillage alimentaire seraient autorisées à lancer des médicaments périmés, des vêtements démodés, ou des bibelots de moins de 250 grammes.

Un registre national des chansons qu’on ne veut plus jamais entendre serait créé. Pour une chanson donnée, une fois atteint le plafond des 5 000 plaintes, l’œuvre serait définitivement retirée des ondes publiques, exception faite de l’hymne national.

L’hymne en question irait comme suit : « Ô cher dictateur, comme j’aime tes cheveux dans le vent de la liberté. Je rêve d’un jour prendre mon bain en ta compagnie, mais tu me permettras dans ta grande générosité de conserver mon maillot car je suis un peu timide. Ô splendide guide de ton peuple adoré, tu es mon meilleur ami Facebook. Jeudi soir prochain, si tu daignes passer par mon humble demeure, je ferai de la fondue. Je t’envoie à l’instant des bisous par SMS. »


mardi 19 janvier 2010

Paris pas sport



Dans mon dernier billet, j'ai évoqué ma difficulté à faire du jogging à Paris. Et là on m’a nargué un peu : « Viens pas me faire croire que c’était plus facile au Canada, avec l’hiver, gna-gna-gna. » Ma réponse : oui c’était plus facile. Je vais vous dire pourquoi.

Mais avant, je vais vous parler de la cigarette. Il y a deux ou trois ans, le gouvernement du Québec a adopté une loi qui interdit de fumer dans les bars et restos. Et puis le premier hiver est arrivé. Je ne me souviens plus de la statistique exacte, mais en une seule saison, le taux de fumeurs dans la population est passé d'environ 24% à 20%. À cause de cette petite loi toute conne, 17% des fumeurs on écrasé d’un coup. Un résultat nettement plus efficace que les nombreuses hausses de taxes et les images dégueulasses sur les paquets.

Ceux qui ont arrêté étaient des fumeurs légers. Prêts à endurer une hausse de taxe. Mais pas prêts, au milieu d’une soirée, à enfiler le manteau, à mettre la tuque, à sortir du bar et à aller se les geler par -30 pendant dix minutes. Surtout si on a bien dansé et qu’on a la nuque mouillée. La petite loi a ceci de dissuasif qu’elle impose un châtiment corporel immédiat. Et non pas la menace lointaine, en image, d’un éventuel cancer, ou bien une hausse de prix parmi tant d’autres. Le fumeur se dit toujours qu’il va arrêter avant de se faire rattraper par le cancer. Ou que si les taxes augmentent trop, y’a toujours un contrebandier pas loin. Alors que fumer par -30, avec la brulure du froid sur les mains, les bouts des oreilles qui gèlent, et l’impression que ses dents vont fendre, ça a convaincu bien des gens d’abandonner. Reste les vrais, les irrécupérables, ce 20% de fumeurs (selon une étude gouvernementale que me citait un ami) qui n’arrêteront jamais, même à la menace du fusil.

Source photo : wikipedia.


Revenons à Paris. Faire du sport à Paris, c’est invivable. C’est possible, mais dans le quotidien c’est difficile. Et pour un tas de petites raisons insignifiantes, mais qui finissent pas s’accumuler et par décourager les sportifs légers. Des gars comme moi, qui ont toujours eu une petite bedaine, mais qui veulent seulement maintenir un fond de santé. Garder les choses dans un état acceptable. De quoi supporter une rando de quelques jours en montagne. À Paris, seuls les vrais accros tiennent le coup. Et encore. Demandez à MissK, une ancienne abonnée des salles de sport au Canada.

Des petites raisons insignifiantes, je vous en donne un tas comme ça. À Paris, un abonnement annuel dans une salle de sport frôle les 1000 euros par année. Faut être malade pour payer ça. En plus, ici, la mode est aux groupes : aérobie, cadio-flex, yoga. L’approche « j’arrive à n’importe quelle heure, je fais mon jogging, et foutez-moi la paix » n’est pas très populaire. De plus, les gyms ouvrent tard en matinée. Impossible d’y aller avant le boulot. Alors on y va quand? En soirée? Pas vraiment.

Paris est une ville qui encourage la petite ambition. Faut donner l’impression qu’on fait des heures. Quitter le boulot avant 18h30, c’est mal vu. À partir de 17h30, ils sont un tas à glander, à aller sur internet, à se tourner les pouces en attendant qu’il soit au moins 18h45. Ils sont arrivés à 10h00, ils ont pris trois cafés, ils ont bouffé de midi à 14h00, mais ils ne partiront pas avant 18h30. Certains vont même jusqu’à disparaître une partie de l’après-midi. Mais ils sont tous là quand, vers 18h40, les huit patrons du projet se lèvent les yeux et font leur petit recensement de l’open-space.

Et le gym, il ferme à 22h00. Donc tu pars vers 18h30, tu fais presque une heure de transport (parce que ton gym en banlieue coûte moins cher), tu fais tes deux heures de sport, douche, un autre transport, t’arrives à la maison vers 23h00. Et t’as pas encore mangé. T’as pas pris tes courriels. T’as pas appelé ta mère. T’as pas embrassé ta copine. T’as payé le compte d’EDF. T’as pas repassé ta chemise. T’as pas écrit ton billet de blog. T’as pas de vie.

La semaine à Paris, c’est pas compliqué : tu te lèves, tu travailles, tu bouffes, tu te couches. Occasionnellement, tu vas prendre trois bières avec les copains, ou tu vas au cinéma, et tiens donc : il est déjà une heure du matin. Quand le samedi arrive, t’as pas envie de courir. T’as envie de dormir. Et de faire les courses pour mettre quelque chose dans le frigo. Et si t’es un vrai Français, le dimanche tu dois passer chez le fleuriste avant d’aller bouffer avec la famille. Je l’ai déjà dit : à Montréal je partais du boulot à 17h00, j’allais faire de l’escalade deux ou trois fois par semaine (ou prendre une bière avec les copains), et j’étais chez moi à 21h00. Trois heures avant minuit, ça fait une grosse différence. Et le samedi matin, pas trop fatigué, j’avais toute une belle fin de semaine devant moi. Mon sport était déjà fait. Je pouvais en faire encore si je le souhaitais, mais ce n’était pas une obligation.

Exception faite des fonctionnaires, la plupart des gens qui travaillent dans un bureau ont des horaires de travail instables. C’est pas comme conduire un métro. Parfois tu finis tôt, parfois tu finis tard. Alors ça rend difficile la pratique de sports collectifs. Surtout qu’à Paris, la plupart des trucs collectifs commencent à 18h30 ou 19h00. Je suis encore au bureau à ces heures là! Il reste quoi? Il reste la natation et le jogging. J’aime pas la natation. J’avale toujours un peu du pipi chloré des autres nageurs. Il me reste donc le jogging.

Où faire du jogging à Paris, si on n’habite pas près du Bois de Vincennes ou du Bois de Boulogne? Et pour ce dernier parc, une fois la noirceur venue, c’est pas une très bonne idée. Donc il reste les rues, pour la plupart petites, avec de petits trottoirs, qui sont plantés de petits poteaux pour empêcher les conducteurs délinquants de se stationner sur le chemin des piétons. Des petites rues avec des cacas de chiens et des attroupements de fumeurs. Je peux me considérer chanceux : dans le coin de place de la Nation, certaines avenues sont plus larges. Mais si t’habites dans le Marais, t’es cuit. Le jogging à Paris, ça fait chier. À Montréal, j’étais jamais à plus de cinq minutes d’un beau grand parc où tourner en rond. Et en hiver, y’avait le tapis-roulant du gym à seulement 300 $ par année (200 euros), de 6h00 à minuit. Ça laisse une certaine liberté d’action.

Déjà que le jogging, c’est le suppositoire du sport. Y’a aucun plaisir dans le jogging. C’est une lente et morne agonie de X kilomètres pendant laquelle, si t’as un peu de chance, quelques endorphines viendront t’abasourdir juste assez pour t’empêcher de râler. On prend le jogging comme on prend un supplément alimentaire : parce qu’on n’a pas de légumes frais à la maison, parce qu’on a juste le temps de manger un hot-dog sur la rue, etc. Le vrai sport, c’est celui où on marque des buts, où on fait des paniers, où les copains se donnent de petits coups d’épaule. Le jogging est au sport ce que la branlette est à la baise, point final. C’est exactement ça : les coureurs de fond me font la même impression que les obsédés du dieu-seul-me-voit.

Alors il reste quoi? Il reste un trésor inexploité en France. Les deux belles heures de liberté et de plein soleil qu’on peut prendre entre midi et 14h00. Pourquoi ne pas en profiter pour faire du sport? Disons une heure d’activité, une douche, un petit sandwich, et hop, de retour au boulot. Le problème, c’est la douche. Y’a pas de douche à proximité. À la Défense, j’ai deux options : squatter les douches du personnel d’entretien, ou passer l’après-midi à me sentir comme une frite bien salée. Peu d’entreprises offrent des douches à leurs employés. En tout cas, pas la mienne. Et paradoxalement, les douches du personnel d’entretien sont dégoûtantes. Je me souviens, au milieu de l’été dernier, d’avoir eu un spasme nauséeux lorsque j’ai ouvert la porte du local. Ça puait le cadavre à l’ammoniac, c’était étouffant. Et y’a toujours le risque de se faire attraper, parce qu’on n’a pas l’autorisation. Oui, y’a un gym municipal à Puteaux. À quinze minutes de marche. Avec cette option, faut manger son sandwich devant l’écran lorsqu’on revient vers 14h05. Et si y’a une réunion, tu bouffes à 15h30 ou 16h00 (parce que les réunions françaises ne finissent jamais à l’heure prévue).

C’est pas grand-chose. Des petits désagréments. Y’a toujours moyen de faire du sport. Mais ces petites complications s’empilent, s’accumulent. Et quand t’es un sportif mou, celui qui veut juste garder la forme, ces petits trucs finissent par te décourager. Tu sautes un mercredi, puis le lundi suivant. Tu te sens coupable et tu tiens bon pendant deux autres semaines. Et là y’a un marathon de réunions. Et le jeudi d’après il pleut. Et à un moment tu ne fais plus de sport. Parce que c’est compliqué. Parce que t’es pas un athlète. Parce que t’es pas accro. C’est comme pour la cigarette. Dans ces conditions, seuls les vrais drogués et les désespérés persistent.



Petite note – je suis allé courir dimanche et ce soir. Aucun plaisir. Mes collègues voulaient que je les suive au resto. J’ai dû avoir recours à toute ma volonté pour résister. Faut vraiment vouloir.


samedi 16 janvier 2010

Cette ville me veut gras


Source photo : wikipedia.


Ça fait deux semaines que je suis rentré du Canada, et deux semaines que je veux faire un peu de jogging. Depuis mon arrivée ici en juin 2008, j’ai fait ce que tout Américain fait en France, c'est-à-dire prendre du poids. Vin, bière, bouffe, zéro sport. C’est ça la « joie de vivre » parisienne. Ça fonctionne plus ou moins bien, selon tes prédispositions génétiques. Et moi je me suis retrouvé avec un excès de bedaine.

Avant Noël, j’étais pas bien. Je le sentais dans mes veines. L’impression d’avoir le sang sirupeux. Une certaine angoisse, même. L’essoufflement facile, les petits maux de dos, le fond de fatigue permanente. J’ai donc pris comme résolution de ramener les choses à un état correct. Pas que je veuille ressembler à Brad Pitt. Juste assez pour affronter une semaine de rando en montagne.

Depuis mon retour, je mange mieux et je m’impose une routine d’exercices à la maison. Je sens déjà une légère amélioration. Mes collègues alcolos semblent vouloir m’aider : ils sont beaucoup moins insistants quand vient le temps de me traîner au bar. Ils abusent un peu moins de ma faiblesse. Je suis une vraie pute quand on me propose un petit verre avec les copains. Faut m’entendre : « Non! Non! Bon, ok, juste un. MAIS UN SEUL! » Ils savent bien que je trébuche après le premier. Alors on dirait qu’ils ont choisi de m’épauler en limitant leurs tentations.

Mon seul problème, c’est que je n’arrive pas à faire du jogging. J’y suis allé une fois. La côte du Père-Lachaise a été un cauchemar, mais je m’y attendais. Depuis, il y a eu deux semaines de froid. Courir sous zéro, c’est la bronchite assurée pour moi. J’attendais avec impatience le retour d’une météo positive, mais voilà qu’arrive aussi la pluie. Cette ville gourmande me veut gras. Elle m’engraisse pour me dévorer bien juteux, fatiguée de son lot de chaires sèches à gruger sur l’os. Mais je t’avertis, salope, je vais aller courir quand même! Au prix d’une pneumonie, s’il le faut.

Vous avez le droit de me trouver futile avec mes problèmes de poids, alors qu’on meurt à Port-au-Prince, dans ce pays qui aime sécher sa viande. Je suis désolé, mais je n’arrive pas à connecter. Je suis comme ça. Quand c’est trop immense, ça me gèle les émotions, complètement. Partout à la télé, c’est Haïti. Et les flaques de sang poussiéreux, les affamés qui déguerpissent avec des boîtes sorties des décombres, les pansements déjà purulents, la gangrène-express, les machettes aiguisées. Les images puent la sueur, la pisse, les pneus qui brûlent, la viande avariée, l’ammoniac.

Je ne connais pas Haïti. Mais de loin, j’ai vu tomber les merdes sur ce pays, année après année. Et je me suis toujours posé cette question : pourquoi rester dans ce cloaque infernal? Une question simpliste avec une réponse trop vaste. Dans les suites de la rentrée littéraire, je lisais un peu Dany Laferrière. Pourquoi cette obsession de la terre natale, burinée dans l’âme, et qui continue à faire mal même après l’amputation? Depuis que je vis à Paris, je comprends l’expatrié. Ce n’est pas une affaire de pire ou mieux. En fait, ce que je ressens ne répond pas à la question; ça ne fait que la souligner. Et j’ai l’impression qu’il ne faut pas chercher la réponse dans des logiques quantitatives.

Sur une terre chienne comme Haïti, je comprends que puissent naître des mythologies où se côtoient cruauté et générosité, souvent dans le même personnage. C’est facile, dans nos étendue blanches et paisible, uniformes, de se faire un seul dieu de bonté. Le mal vient de l’extérieur, il est l’envahisseur. Un peu plus au sud, on dirait que tout peut être à la fois diamant et grenade à fragmentation. Chance et malchance, remède et poison. Une dualité fluide, incontrôlable. L’omniprésence du risque, la mort dans la vie et la vie dans la mort, inséparables.

Je devrais fermer ma gueule. Qu’est que je peux ajouter, moi Toto. Mais y’a encore plus con que moi qui se fait aller la margoulette. Y’a ce vieux pasteur complètement sénile, Pat Robertson, qui a dit que le tremblement de terre est le résultat d’un pacte avec le Diable fait à il a 200 ans. Pour obtenir son indépendance de la France, Haïti aurait signé un deal avec Satan. Selon les données, Robertson rassemble 1 million d’auditeurs devant son émission. Et puis Rush Limbaugh, avec ses 13 millions d’auditeurs, qui critique l’intervention rapide d’Obama. Et puis de ce côté, y’a mégalo-Sarko qui propose une conférence mondiale sur Haïti. Au Ritz? Ça sent la photo-op (pseudo-événement à fort rendement de capital politique). Les récupérateurs sont déjà à l’œuvre sur le cadavre tiède. Il ne manque qu’Ahmadinejad pour déclarer que le séisme a été causé par les homos. Et Medvedev (aka Poutine) qui pourrait profiter de l’œillère médiatique pour envahir un bout de l’Azerbaïjan…

Me comprenez-vous, un peu, de parfois vouloir simplement m’occuper de ma bedaine? C’est beaucoup plus simple. Et moins effrayant.


jeudi 14 janvier 2010

Attache ta tuque



« Attache ta tuque avec d’la broche » est une expression québécoise qui pourrait être traduite en hexagonal par un truc comme « Agrafe-toi le képi sur le cabochon ». Ça veut dire qu’il faut tenir son chapeau, parce que ça va brasser. La dernière fois, je vous ai livré à nu mon côté moumoune en musique québécoise. Cette fois, c’est le tour du rock’n’roll. Et vous allez trouver que Johnny, avec sa deux-roues (une de chaque côté de la chaise), il commence à se faire vieux.


We Are Wolves

Je commence avec les plus cinglés, et probablement mes préférés. We Are Wolves me rappelle The Stooges croisé avec les Beastie Boys, en version synthé débile. Ça se danse magnifiquement bien si on se fait aller les bras comme un orang-outang. Voici L.L. Romeo, Coconut Night, et Fight & Kiss.








Robert Charlebois

Bon, il se fait vieux le Robert. Mais faut pas oublier tout ce qu’il a laissé derrière lui. Tout écartillé, en 1969, c’était du rock au bord de la scène, à fond la caisse, et pas adulte du tout. Écoutez-le bien gueuler « qu’on fesse dedans! » et vous saurez d’où vient la référence sur ce blog. En prime, l’espèce de court-métrage commence par un beau solo de batterie, comme dans le bon vieux temps. (Désolé pour la piètre qualité de l’image)




Arcade Fire

Dans les Anglos qui se donnent à fond, y’a Arcade Fire. Ils ont été repérés par Bowie et U2. D’ailleurs, ils ont volé le show en première partie de la bande à Bono, à Montréal il y a quelques années. Voici le hit Wake Up, et Laika.






Daniel Boucher

Je modère un peu avec Daniel Boucher. Un peu plus rock classique (guitare + Hammond B3), Daniel donne quand même un gros show, en bel argot québécois. Voici Boules à mites et ses références aux années glorieuses du hockey.




Vincent Vallières

J’aime bien Vincent Vallières avec son folk-rock sans complication. Une belle découverte qui a été acheminée jusqu’à mes oreilles par MissK. Écoutez Café Lézard.




Dédé Fortin et les Colocs

J’aimais pas trop les Colocs jusqu’à Dehors Novembre, leur troisième galette. Sous un reggae un peu garage, ils nous ont livré un album rempli de détresse et d’humanité. Tassez-vous d’là est le monologue d’une personne à la recherche un ami qu’il a abandonné au pire moment. Les sous-titres anglais vous aideront peut-être. Dédé est disparu en 2000, emporté par son mal de vivre. Une grande perte.




Wolf Parade

Je sais pas trop si c’est une coïncidence, mais un autre groupe avec « loup » dans son nom. Mais c’est mon genre de rock un peu cassé. Modern World.




Jean Leloup

Celui-là, on ne peut passer à côté. À lui seul, il a sorti la musique québécoise de son coma des années 80. En 1990, Jean Leloup a tout changé. Clown ou artiste, personne ne sait vraiment. Un peu des deux. C’est ce qu’il faut, je crois. La vie est laide (montez le volume), La vallée des réputations, et Le monde est à pleurer (avec son segment d’ouverture qui donne une idée du personnage).








Ariane Moffatt

Et pour atterrir en douceur, cette rengaine d’Ariane Moffatt. Bon, Ariane n’est pas vraiment rock. Mais elle est sympa. Le clip est rigolo et donnera aux Parisiens l’envie de partir un peu vers le nord de l’Amérique.




PS – pour ceux qui trouvent que je termine trop gentiment ce segment rock, allez voir Mononc’ Serge dans son « hommage » aux Beatles : Sous-marin brun. (À vos risques et périls)




dimanche 10 janvier 2010

Musique moumoune



Suite au décès de Lhassa De Sela m’est venue l’idée de présenter à mes lecteurs français quelques voix québécoises. J’ai fouillé parmi ceux que j’aime. J’ai mis ceux pour qui j’ai trouvé un peu de contenu sur le web. Ça vous changera de Garou, Céline Dion, et Lynda Lemay.

Je commence avec la facette « moumoune » de ma personnalité. Ça veut dire « fleur bleue ». Eh oui, faut savoir s’assumer dans la vie… Je vous ferez un billet plus rock la prochaine fois. En attendant, bonne écoute.


Patrick Watson


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J’attaque fort dans le moumoune avec ce pianiste échevelé, un peu mal-léché, un peu Coldplay, mais qui fait craquer les dames, surtout avec son hit The Great Escape.


Dumas


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Steve Dumas fait du rock relax, souvent ambient. Voici J’erre. La qualité de l’image n’est pas au top, mais c’est tout ce que j’ai trouvé.


Le clan Wainwright

Y’a du talent dans la famille. À commencer par maman Kate et tante Anna qui trimbalent leur folk partout en Amérique depuis les années 60. Dans Petite Annonce, vous entendrez leur charmant accent anglo-québécois.


La vedette de la famille, c’est Rufus Wainwright. Assez exubérant, Rufus me fait penser à Elton John à ses débuts. Écoutez-le ici dans 14th Street, ou dans sa version de Across the Universe des Beatles.



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Ma préférée ces jours-ci, c’est la sœur de Rufus, Martha. La voici dans Far Away. (Pas de vidéo, malheureusement)


Daniel Bélanger


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Impossible d’éviter Daniel Bélanger lorsqu’on parle de musique québécoise. Écoutez ici La fin de l’homme, ou bien Rêver mieux.


Avant le vol


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Sur son dernier album, Charlotte Gainsbourg reprend un classique de Jean-Pierre Ferland, Le chat du café des artistes. Avant que la France ne revendique la paternité de l’œuvre, la voici dans une version remix parue il y a quelques années (la vidéo démarre vers la 30e seconde). Portishead avant le temps…



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Un autre petit truc sympa qui marche bien en France, c’est Cœur de pirate. C’est joli, c’est naïf, c’est sympa. Écoutez la québécoise vous faire Comme des enfants.


Taïma


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Pour ceux qui ont envie de l’aventure, voici une pièce du duo Taïma, Inutuulunga. C’est en langue inuktitut (les fameux eskimos). La chanteuse Élisapie Isaac fait maintenant carrière solo. C’est tout sauf froid.


Bon, c’était une partie de mon côté moumoune.La prochaine fois, je serai un peu plus rock. Mais comme on dit, les femmes et les enfants d’abord.


jeudi 7 janvier 2010

Inflation sémantique




Les superlatifs épicent les histoires. Les pêcheurs le savent bien; c’est pas pour rien qu’ils en ajoutent toujours un peu sur la longueur de leurs captures. Au Québec, pour insister sur le fait qu’un spectacle était excellent, on dira « hallucinant ». Certains ont sûrement halluciné pendant un spectacle, surtout si c’était Pink Floyd au stade olympique en 1977. Mais personne n’a jamais halluciné à cause d’un spectacle.

Ces superlatifs, ils sont partout dans le discours. On ne les remarque plus. Un superlatif dont on s’est lassé tombe en désuétude. À l’occasion, il faut même un upgrade. C’est comme les drogues à accoutumance : toujours plus fort. Mais quand on est plongé dans une autre culture, ça devient intéressant. On remarque les superlatifs locaux. Leur force nous étonne.

Mardi de cette semaine, le RER A été un peu lent. Beaucoup de trafic, environ 10 minutes de retard sur l’horaire habituel. À la sortie, un mec en rejoint un autre qui l’attendait. Et pour expliquer son retard, il dit : « Ce matin sur la ligne, c’était HORRIBLE! » Moi, j’utiliserais ce mot pour décrire la Shoah, ou peut-être à l’occasion certains restos chinois. Mais pas pour un petit 10 minutes de retard. C’est quand même fort comme mot, quand on y pense, non? Mais bon, à Paris, « horrible » semble n’être qu’un superlatif parmi tant d’autres.

Souvent, on entend aussi le fameux « Mais! C’est un SCANDALE! » On a oublié de mettre la fève dans ma galette des rois : « C’est un SCANDALE! » La queue du supermarché n’avance plus depuis un moment : « Mais… mais… c’est un SCANDALE! » Comme les Français sont champions-râleurs, ils ont beaucoup de superlatifs bien théâtraux pour signifier leur désaccord. Inacceptable. Inexcusable. Insoutenable. Intolérable. Révoltant. Abject. Dégoûtant. Honteux. Odieux. Ignoble. Indigne. Outrant. Monstrueux. Infâme. Inhumain. Immonde. Abominable. Énorme. (Sauf qu’énorme peut aussi être utilisé quand c’est trop cool).

Je me souviens même d’un moment à Nice. J’étais hébergé chez une amie. Un matin, dans l’escalier, un couple déménageait. Les copains étaient là pour aider. Comme lors de tout déménagement, il y avait du monde dans le corridor, quelques meubles empilés, et des cartons pour tenir les portes. C’était un peu encombré, mais y’avait moyen de circuler sans obstacle. Un peu devant moi, une dame de l’immeuble se dirige elle aussi vers la sortie. Toutefois, elle s’arrête un moment, regarde la scène, et déclare solennellement : « Mais c’est INADMISSIBLE! »
J’ai failli éclater de rire. J’avais envie de renchérir : « Faut appeler l’armée, madame! Vite, donnez-moi votre portable! Alertons le président de la République en personne! Des gens déménagent, croyez-vous ça! Et en plein jour, SANS AUCUNE HONTE! »

D’un autre côté, j’imagine bien le Parisien sourciller lorsque, lors d’un passage à Montréal, il entendra des choses comme : écoeurant (extraordinaire). Capoté (spectaculaire). Chien (cruel). Colon (rustre). Croche (malhonnête). Épais (stupide). Patente à gosses (truc mal fait). Kétaine (ringard). Manger ses bas (s’inquiéter). Paqueté (ivre). Taouin (nigaud). Pas vargeux (décevant). Pas d’allure (inacceptable). Avoir du front tout le tour de la tête (avoir du toupet). Pas de bon sens (insensé). Ça regarde mal (échec en vue). En arracher (de qualité passable). Broche à foin (mal organisé). Être bleu, ou être en beau joual vert (être en colère). Avoir son voyage (en avoir assez). Un sapin (une arnaque).

Bon, tout ça pour dire qu’un jour, les Français se lasseront des mots très forts comme inadmissible et scandaleux. Je ne sais pas trop vers quoi ils iront. Peut-on aller plus loin? Y’a-t-il un sommet au superlatif?

Mais! c’est un ATENTAT!
Mais! c’est un CATACLYSME!
Mais! c’est un POGROM!
Mais! c’est une DESQUAMATION!
Mais! c’est un GENOU PLIÉ À L’ENVERS SANS ANESTHÉSIE!
Mais! c’est un TUNNELIER DANS L’ANUS!
Mais! c’est SARKO À L’EPAD!


lundi 4 janvier 2010

Montréal meurt un peu




(source photo)


J’ai été bouleversé d’apprendre ce matin le décès de la chanteuse Lhasa De Sela. Après plusieurs mois de combat contre un cancer du sein, elle nous a été littéralement volée. Elle n’avait que 37 ans.

Lhasa chantait avec la voix de l’âme, une voix chaude et suave comme le bois poli. Loin de l’industrie des star-académiciennes, qui louvoient des vocalises hystériques aux artifices sirupeux, Lhasa chantait comme on souffle sur des braises. On l’entendait s’écouter pour poser délicatement les notes, la bonne note, un peu comme le faisait Miles Davis sur sa trompette. Elle avait compris que le silence, c’est aussi de la musique.

Née au nord des États-Unis, d’un père mexicain et d’une mère américaine, elle a connu une enfance de nomadisme. Avec ses parents ainsi que ses neuf frères et sœurs, elle a sillonné le continent à bord de l’autobus qui lui servait de maison. Elle s’est posée à Montréal au tournant de la vingtaine. Lentement elle s’est bâti une carrière dans trois langues : espagnol, français et anglais.

Je ne sais pas trop pourquoi, mais Lhasa me faisait penser à Montréal. Ce mélange des cultures. Où plutôt cette acceptation décomplexée de l’imprécision culturelle. Ce droit à tout, même si on vient de nulle part (ou de partout). J’ai l’impression que si elle a adopté Montréal, c’est parce que cette ville lui ressemblait un peu. Je ne cherche pas à « revendiquer » Lhasa. Je dis seulement qu’elle me faisait rêver d’un endroit où tout est permis, car il n’y a plus de dictats culturels. Chose certaine, elle faisait partie de mon décor imaginaire, des choses dont je suis fier, des saveurs qui me ramènent à la maison. J’ai si souvent écouté ses albums en boucle, sur les hypnotiques 750 kilomètres de route 138 qui séparent Baie-Comeau de Montréal. La nuit, enveloppé par les étoiles, la ligne droite et le flou des épinettes noires, Lhasa me ramenait jusqu’au port.

Je vous laisse sur ces belles choses trouvées ici et là sur Youtube. Écoutez, vous aimerez. Merci Lhasa De Sela.

Pa’llegar a tu lado, de son deuxième album, ici en spectacle.

Con toda palabra, de son deuxième album (The Living Road).

Rising, de son troisième album, éponyme.

La marée haute, sur The Living Road.

La confession, aussi sur The Living Road.

De cara a la pared, ainsi que La Celestina, de La llorona, son premier disque (ici en version live).

Who By Fire, lors d’un hommage à Leonard Cohen.

Et ceci, avec Patrick Watson il y a quelques mois.


vendredi 1 janvier 2010

Pas de commentaire



Je lis tous vos commentaires. C’est pas comme si j’en avais 500 par jour, anyway… Je les apprécie beaucoup. Votre point de vue m’intéresse. Votre « plume » aussi. Votre manière de dire les choses. Ce que j’aime encore plus, c’est quand vous discutez entre vous, le temps de deux ou trois messages. Quand vous m’oubliez. Merci de me lire, et tant mieux si vous en pensez quelque chose.

Je ne réponds pas beaucoup à vos commentaires. Parfois, je salue un ami, ou un visiteur assidu. Récemment, lors de ma petite série sur mon Québec, j’ai un peu « viré » un lecteur. Au lieu d’argumenter, j’ai volontairement été stupide et insultant. Parce que le truc virait au débat : attaque rhétorique, contre-attaque, bla bla bla. Un tunnel fétide et stérile. Le cul de la pensée.

Ce blog est ma toile expressionniste, arbitraire, souvent biaisée. J’y jette mes impressions. Je parle de moi. Et quand vous me répondez, j’aime bien quand vous me parlez de vous. Ne me dites pas que j’ai tort ; je le sais déjà. Parlez-moi de vous. Jetez vous aussi votre pot de peinture sur ma toile. Quand ça arrive, on dirait que le texte choisit librement sa direction, comme un oiseau sorti de mes mains.

Quand je ne vous réponds pas, c’est qu’il n’y a rien à ajouter à ce petit bout de vous. Je me contente de le lire et de l’apprécier. Sachez cependant que partout dans ce blog, entre les lignes, et à votre attention, il y a mille « Bonjour » et mille « Merci ».

Et à ceux qui dansent pieds-nus, sachez que j’ai passé mon enfance à jouer dehors sans mes chaussures. Je me souviens qu’à la fin de la journée, j’avais la plante des pieds tellement noire que ma mère devait me la laver avec de la poudre à récurer. Elle m’assoyait sur le comptoir de la cuisine, sortait le Old Dutch, et me brossait les pieds dans l’évier. Ça chatouillait. Je me souviens de la tendresse qu’elle savait cacher dans les gestes de cette besogne. C’est souvent comme ça. La majorité de l’amour qu’on donne, on le passe clandestinement, entre les lignes.

Saint-Sylvestre

Source photo : wikipedia.


Hier soir, un ami français m’a convié à sa petite fête de la Saint-Sylvestre. C’était sympa. J’ai rencontré des gens intéressants, on a bien mangé, on a bien rigolé, les femmes étaient jolies. Une belle soirée, qui a bien commencé mon année, et pour laquelle je le remercie.

Rien à rapporter sur le front de l’anthropologie, à part quelques notes. On a bouffé des huîtres, tradition oblige. Pourquoi? On ne sait pas. Peut-être qu’il faut simplement en profiter car c’est le dernier jour du dernier mois en « bre ». À minuit, on boit le champagne et on éclate de gros pétards d’où sortent serpentins et sifflets. Puis comme partout ailleurs, on danse sur de vieux tubes ringards, question de se rappeler que les années filent. France Galle, Indochine, groupes qui ont duré un seul été. Des choses qui ne s’exportent pas trop. Un peu l’équivalent des B.B. ou de Martine Saint-Clair, au Québec. « On va s’aimer, sur une étoile ou sur un oreiller »…

À un moment, j’ai fait rire mes convives avec une de mes observations d’expatrié. À la mi-décembre, quand je suis parti pour le Canada, le RER A était en grève depuis quelques jours. À chaque jour, la grève était reconduite. Ça a duré presque deux semaines. On ne nous a jamais expliqué pourquoi. La grève pour la grève. Pourtant, en cette nuit du 1er janvier, le plus sacro-saint des jours fériés, on fait rouler métros, trains, bus, et RER. Tous les transports, toute la nuit. Paradoxe qui a bien fait sourire, mais qu’on n’a pu m’expliquer. Peut-être qu’en France, le plus important des acquis sociaux est le droit de fêter. You gotta fight, for you right, to paaaaaarty!

Bonne année à vous, à la France, au Canada, et aux autres.