mercredi 30 juillet 2008

La tomate cœur de bœuf



Je n’avais jamais goûté à la tomate cœur de bœuf. C’est une grosse tomate charnue qu’on trouve au marché. Elle est rouge tomate. Elle alterne rainures et enflures, un peu comme une montgolfière à l’envers.

Source photo : wikipedia.


Comme ça, crue dans l’assiette avec un peu de sel, elle est dégueulasse. On dirait de la pâte à modeler. Pas le moindre parfum de tomate, pas le moindre sucre. Elle est aussi intéressante qu’un agent de remplissage. On pourrait s’en servir pour épaissir les yogourts écrémés.

Deuxième essai : je la fais mijoter. Et là s’opère une métamorphose digne de l’incroyable Hulk. De cette tomate insipide, on obtient un coulis parfumé, tomaté, savoureux, juste assez acide mais pas trop. Une sauce onctueuse, pas trop mouillée, qui ira sublimement avec les pâtes. Ça goûte la vraie tomate de mes fantasmes gastronomiques à l’italienne. (J’ai d’ailleurs un « gastronomic-rape-fantasy » dans lequel je suis kidnappé par une belle grande brunette de la mafia qui me force à manger un tiramisu fait d’une mascarpone crémeuse, le tout accompagné d’un café bien tassé, pour ensuite s’enfuir, non sans m’avoir laissé un superbe carré de chocolat 70% que j’engloutirai une fois que je me serai défait de mes liens. Passons…)

La tomate cœur de bœuf, ça fait trois fois que je la cuisine en gros cave qui n’a rien dans le garde-manger. Un oignon, trois tomates, un peu d’huile et du sel. Même pas de basilic, pas d’herbes, pas d’épices, pas d’ail. Une recette super simple qu’on pourrait enseigner à la pré-maternelle. Pourtant c’est vraiment bon.

En fin de cuisson, je balance deux merguez, ou un bout de chorizo. Un morceau de jambon. Une viande qui traîne et qu’il faut passer ce soir. Et ça finit par ressembler à un plat qu’on nous vend 17$ dans un restaurant. Bon, faut dire que les merguez française sont quelque chose. Mais la sauce est bonne avant l’arrivée des merguez en son sein. (Les esprits pervers se réjouiront de cette dernière tournure de phrase)

Bon, ben c’est ça. Je voulais seulement parler de cette tomate. Je suis heureux d’avoir fait sa connaissance. Malgré sa bouille sympathique, elle ne parle pas beaucoup. Elle ne chiale même pas quand je la coupe en morceaux. J’espère qu’elle sait le plaisir qu’elle m’apporte. Quand on est loin de chez soi, c’est souvent par la bouche qu’on chasse la mélancolie. Au revoir, j’ai un morbier au lait cru qui me fait des clins d’oeil.

mardi 29 juillet 2008

Ralph Waldo Emerson live




Les Français ont ceci de bon qu’ils s’intéressent à la culture. On voit souvent dans le RER des bouquins qui dépassent le roman de gare (ou le blog publié). Traités de philo, ouvrages sur l’architecture, manuels de physique. Ce soir, le gars devant moi lisait un truc du genre « Améliorer son jeu de Bach au clavier ». Pas le genre de livre pour pianiste professionnel, mais quelque chose pour le débutant ou l’intermédiaire, pour le quidam intéressé.

Récemment, j’écrivais sur les chansons pop insipides qu’on entend à la radio. Ce que je n’ai pas dit, c’est que les Français, eux, ont le choix de ne pas écouter ces chansons.

À la radio montréalaise, on a à peu près les choix suivants :
-- Les clowns de CHOI qui gueulent des conneries.
-- Les clowns de CHOM qui gueulent des conneries en anglais.
-- Les prozaqués de Rock Matante qui susurrent.
-- Paul Arcand et Jean Lapierre qui déchirent leur chemise.
-- René Homier-Roy qui snobe.

Ici, depuis mon arrivée, j’écoute une station qui s’appelle simplement « Culture ». C’est du moins ce que je vois en cristaux liquides sur mon poste. Hier soir, pendant que je préparais mon souper, on me parlait de Ralph Waldo Emerson, de Henry David Thoreau, et du Transcendantalisme (philo américaine, vers 1850). J’avais étudié ça à l’Université Laval en 1991. Le premier vrai courant philosophique d’une certaine maturité aux USA.

Hier soir, l’exposé était super merveilleusement synthétisé, intéressant, et pensé aussi bien pour les initiés que pour les débutants. Pour rendre ça intéressant, « l’animateur » appliquait des comparaisons et des rapprochements avec certains aspects de Spinoza, Hegel ou Nietzsche. Absolument rien de péteux, pas de beurrage de culture. Des comparaisons en mots simples, pour nous permettre de bien situer les Transcendantalistes par rapport à autre chose. Pour bien montrer comment ils s’inscrivent dans l’esprit américain. Comment ils ont été nourris par les racines de cet esprit, et aussi comment ils ont contribué à sa définition contemporaine.

Source photo : wikipedia.


En écoutant l’émission, je me suis souvenu d’une réflexion que j’avais eue à l’époque. Plusieurs éléments assez « originaux » (je ne suis pas expert) de la pensée transcendantaliste refont surface 100 ans plus tard en Europe dans le courant existentialiste. L’absence d’un dieu à la sauce catholique romaine. Un certain fatalisme. L’extase sur terre, dans l’existence, et non après une vie de souffrance. Bon, je résume trop, et probablement mal, mais le gars de la radio me répétait ce que j’avais pensé en 1991.

Cette réflexion m’avait ouvert les yeux sur le fait que l’Amérique a rejoint « l’avant-garde culturelle » bien avant 1945. La révolution américaine est survenue 13 ans avant la révolution française. La constitution américaine date de 1787. Elle garantit la liberté religieuse. Elle interdit les perquisitions sans mandat. Elle interdit les châtiments cruels. Elle valorise les droits fondamentaux de l’individu, mieux connus dans leur version moderne de la Déclaration universelle des droits de l’homme (ONU – 1948). Elle met en place une démocratie. Elle dit « Nous, le Peuple… », à un moment où l’Europe est dirigée par des monarques, et ce en pleine face d’une Angleterre encore très puissante.

(Ça serait bien que George Bush relise sa constitution. Si les USA sont toujours à l’avant-garde culturelle aujourd’hui, ça ne promet rien de beau pour l’avenir…)

Côté littérature (mon champ d’étude), j’avais vu d’autres exemples de cette longueur d’avance américaine. Des trucs en poésie. L’apparition d’une écriture abstraite beaucoup plus tôt que chez les Européens. Et je ne parle pas des progrès technologiques, des sciences, etc.

Mais mon but n’est pas de faire l’apologie de l’Oncle Sam. Je veux plutôt me re-poser mes questions d’hier soir. Pourquoi est-ce que notre barème culturel, au Québec, est (ou du moins a été jusqu’à récemment) la France? Pourquoi connaît-on bien Camus et Sartres, mais pas Emerson et Thoreau, qui sont nés à 500 km de Montréal? Avons-nous, américains du nord, besoin que nos idées transitent par l’Europe avant de les accepter? De les accepter en retard, après tout le monde?

Nos idéateurs trouvent-ils meilleures oreilles en Europe? Est-ce que c’est simplement ça? Je ne peux m’empêcher de penser à Borduas, à Ducharme, à Riopelle. À Hemingway, Ezra Pound, Scott Fitzgerald, Miles Davis, Duke Ellington, Frank Zappa… En tout cas, on pourrait le croire quand on écoute nos postes de radio.

Bon… peut-être que j’ai une vision one-way ce soir. Peut-être que je me pose trop de questions. J’aurais dû boire un peu de vin avec mes merguez.




lundi 28 juillet 2008

Convoi de bestiaux


Source photo : wikipedia.


Historiquement et habituellement, les transports en commun convergent vers le centre de la ville. C’est le cas à Paris, où la plupart des lignes de métro vont vers ou gravitent autour du secteur Châtelet-Les-Halles.

Mais Paris a un problème : son centre est historique. C’est un problème qui ne se pose pas trop en Amérique. Nos centres sont récents. Le transport en commun a été considéré assez tôt dans leur développement. Le problème ne se pose pas en Chine non plus, où on modernise avec la méthodologie « Rase tout ce qui est vieux, même si ça bouge » (c’est d’ailleurs pour ça que le vieux chinois n’ont pas beaucoup de cheveux).

À un moment donné, vers 1960, il n’y a plus de place au centre de Paris. Pas question d’aller verticalement comme en Amérique. On s’entend : c’est Paris, pas Kansas City. On ne rase pas Notre-Dame, une cathédrale qui a près de 900 ans, pour installer une tour en béton IBM. Ça aurait quand même été con. Et les Français peuvent être cons, mais pour ce genre de truc, ils font généralement preuve de bon sens.

Se développe alors à l’ouest de la ville le quartier de la Défense. Deux phases d’expansion, d’innovations architecturales, qui aboutissent aujourd’hui à un pôle d’affaires immense où travaillent 150 000 personnes. 150 000 fourmis qui entrent le matin entre 9h00 et 10h00, et qui repartent toutes en même temps vers 18h30 (les Français n’ont pas une gestion du temps très créative). Le plan du métro date de 1900. Pauvre lui, il n’avait pas prévu qu’on lui jouerait un tel tour.

Tous les efforts sont faits pour déplacer rapidement et confortablement la foule vers la Défense. Les trains du RER A se suivent à toutes les 2 minutes. Certains wagons ont deux étages. Mais c’est encore limite. On peut comprendre le problème. Si Montréal déplaçait son centre vers Longueuil, au bout de la ligne jaune, imaginez le bordel. Tout les passagers du métro, tous ceux des trains de banlieue, convergeraient vers Berry-UQAM pour prendre la même et unique ligne. C’est comme trois shows de Pink Floyd qui finissent en même temps au Stade Olympique. Watch out la station Pie-IX. On appelle ça un ostie de gros méga entonnoir. C’est ce qui se passe à Châtelet-Les-Halles. Heureusement, j’embarque avant, à Nations.

Ce qui ne m’empêche pas de vivre quotidiennement mon petit calvaire. Quand tu prends le RER, oublie ta bulle. Dans ta bulle, il y a les cheveux d’une madame, le livre d’un gars, des fesses et des bedaines qui ne t’appartiennent pas, et l’inévitable aisselle pas propre. C’est garanti, sur 10 personnes qui te touchent en même temps, il y en a au moins une qui pue. C’est normal. Au moins un humain sur dix pue, que ce soit pour cause d’hormone, d’hygiène douteuse, ou de deuxième assiettée de cassoulet. Laisse-moi te dire, dans un endroit exigu, à 42 degrés Celsius, un pet développe son plein potentiel.

Dans ce convoi de bestiaux, tout le monde devient un ti-peu plus stressé, un ti-peu plus impatient, un ti-peu plus égoïste, et un ti-peu plus épais. Ça joue au rugby. Ça donne de coups de pieds sur les sacs. Tu te fais tasser si t’es dans le chemin. La madame veut rentrer dans le wagon plein avant de laisser sortir le monde. Le monsieur décide que ta face est une bonne place pour accoter sa section des sports, pis là tout ce que tu vois pendant 10 minutes c’est un gros « h » minuscule. Je te jure, un jour je vais voir quelqu’un en train d’essayer de plier des draps.

Au début, j’étais le seul con qui donnait sa place aux madames. Mais je m’adapte. À Rome on fait comme les Romains. Quand je me trouve une place assise, je vais t’ignorer même si ta jugulaire me pisse le sang dans la face. Même si t’es enceinte de triplés depuis 26 mois. Même si t’as une canne dans chaque main et les deux jambes pétées qui pendent. Je ne suis pas encore assez « gutsy » pour tasser du monde, mais ça va venir. Ce soir, j’ai kické mon premier sac. J’étais fier de moi. Les habitudes se prennent plus vite que l’accent.


dimanche 27 juillet 2008

Petit carré de gazon


Source photo : wikipedia.


Si vous regardez bien les indices boursiers, tout juste un peu en dessous du baril de pétrole, y’a le kilo de gazon vert Premium A (PPRA) qui a fermé à 96 euros le kilo sur la Bourse de Paris ce vendredi.

Du gazon vert à Paris, c’est pas rien. Généralement, il est jaune et plein de caca de chien. Ça c’est le gazon Parisian Standard B. Il se transige sous le symbole PSTB. Le cours était à 6,27 euros le kilo vendredi soir à la fermeture. C’est un gazon rêche, pas trop touffu, et pas tellement invitant.

Le gazon vert, c’est celui avec les petites clôtures en broche autour. Celui qu’on n’a pas le droit de marcher dessus. Il est distribué dans la capitale avec parcimonie. On en met de 7 à 10 pieds carrés par parc. Parfois on en met un peu plus dans les lieux touristiques, ou si un cortège présidentiel doit passer dans le coin pendant l’été. Lorsque l’étendue dépasse 15 pieds carrés, on assigne un policier en permanence. Toute personne prise en flagrant délit de roupillon sur du Premium A sera tirée de son sommeil par un violent coup de matraque sur le crâne. Tout animal pris à faire caca sur du Premium A est confisqué et euthanasié dans l’heure qui suit.

Anvers a ses diamantaires, Paris a ses gazonniers. La rue des gazonniers est située pas loin de la Place des Vosges. C’est une petite allée, un cul de sac. Peu de gens la remarquent. Il faut en effet avoir de l’œil pour remarquer la présence accrue de caméras de surveillance et les portes blindées très ornementées. Peu de circulation, sinon l’occasionnel monsieur avec sa valise, escorté par deux rugbymen qui regardent à gauche et à droite en parlant dans leur walkie-talkie.

Quelle ne fut donc pas ma surprise de trouver ce superbe îlot de beau gazon vert lors d’une de mes promenades. Je ne vous dis pas où, c’est mon secret. Je ne vous dirai même pas dans quelle ville (mais bon…) Un magnifique parc entouré d’une sorte de muraille, elle aussi en gazon, qui coupe le bruit. Une espèce de bassin, une piscine verte où Paris n’existe plus. Un lieu paisible presque vide : seulement deux ou trois groupes d’étudiants étendus au gros soleil, en train de dormir ou de lire un bouquin.

Au Jardin du Luxembourg, les enfants courent dans la garnotte en criant, les pitous viennent te renifler le milieu, les vendeurs de machins te vendent des machins, les touristes prennent des photos, et les Parisiens râlent. Dans un autre coin de la ville, mais vraiment près du centre, une vingtaine de personnes se partagent un plein hectare de beau et tendre vert en écoutant le bruit de l’air dans les feuille, avec en ponctuation des petits cui-cui-cui tout mignons.

Deux constatations à propos de mon karma. Premièrement, je suis Canadien, alors si un jour je suis en manque de gazon, j’ai qu’à rentrer à Montréal pour me vautrer dans les steppes du Parc Lafontaine. Deuxièmement, le petit parc parisien secret est à 10 minutes de mon appart. Pas pire hein? J’ai vraiment été gentil dans une vie antérieure.


samedi 26 juillet 2008

Y’a plus le yayo


Source photo : wikipedia.


On aime Bashung, on aime Gainsbourg. Mais la France a elle aussi son lot de chanteurs de deuxième ordre qui s’essaient. Les ondes françaises sont infestés de chansonnettes un peu pop-créoles aux paroles impressionnistes poético-bonbon. Elles sont chantées par des cinquantenaires blasés comme Laurent Voulzy, Philippe Lafontaine, ou quelque vieux pou que le Star-system local hésite encore à mettre aux vidanges.

Les textes de ces chansons sont particuliers. C’est joli mais on ne comprend pas trop. Y’a toujours deux ou trois mots qui échappent à tout le monde. Ça manie la métaphore un peu yéyé, ça s’inspire des préoccupations de gauche, ça rajoute un peu de mélancolie. Y’a des couplets pleins de vers sans sujet ni verbe ni complément; que des mots anglo-cools collés ensemble, des mots à slogan placés pêle-mêle au gré des sonorités. En bout de ligne, on se retrouve avec une sorte de soupe aux syllabes proche de la comptine pour corde à danser.

Il semble quand même y avoir un business payant. Ce n’est pas pour rien que Plamondon s’est fiscalement sauvé en Irlande (« donne-moi des sous qui sonnent, des sous qui résonnent »). J’ai donc décidé de me lancer moi aussi. Voici mon premier super tube : « Y’a plus le yayo ».

(couplet 1)
Dans le bagou de mon bayou, tu me flashes
J’suis pas ripou mais je t’aurai, à l’arrache
Les funky pipoles flottent
Et le ouèzeure (weather) est hot
Je plane un peu sur la vallée des volutes qui vont m’avaler

(refrain)
Dance, in zee air (choristes : y’a plus le yayo)
Move, to ze flaire (y’a plus le yayo)
Jump, we’ve gat tou go (y’a plus le yayo)
Dance, l’été est chaud

(couplet 2)
Dans le bagou de mon bayou, pas de clash
Le vent est doux sur les cailloux, pas de masse
La funky miousique sonne
Le sud au téléphone
Je plane un peu sur tes cheveux, sur tes chevaux je pose un vœu

(Répéter le refrain jusqu'à ce que la chanson fasse 3 minutes 30 secondes, puis, fade out.)


jeudi 24 juillet 2008

À ma sainte maman



Je crois que j’ai un peu de sang italien : au fond de mon cœur je voue une dévotion sans borne à ma sainte maman et j’espère que le Bon Dieu me la gardera encore longtemps. Quand je vais à Baie-Comeau, j’apporte parfois ma poche de hockey pleine de linge sale. Il y a si peu à faire à Baie-Comeau, pourquoi ne pas faire un peu lessive?

Mais au fond de moi, je sais très bien que ma mère va insister pour tout nettoyer elle-même, avec soin, allant presque jusqu’à repasser mes bas. Des fois, j’ai l’impression qu’elle est contente. Un peu comme si c’est moi qu’elle tenait dans se bras lorsqu’elle transporte mes brassées de foncé. Elle n’a plus souvent l’occasion de me porter depuis que je fais au moins une fois et demie son poids

Si c’est comme ça pour toutes les mamans du monde, je dois lever mon chapeau aux mamans parisiennes. Sérieux, pour aimer faire la lessive à Paris, il faut avoir beaucoup d’amour dans son cœur ou avoir fait un stage avec Monsieur Miagi (le ti-vieux de Karaté Kid. Comment ça s’écrit « Miagi »? Dois-je mettre un « u » entre le « g » et le « i »? Parce qu’en français, sans le « u » ça donne « Miaji ». Mais pas en japonais. C’est la question du jour. Les lignes sont ouvertes…)

Donc, je disais… Faut avoir du cœur pour faire la lessive en France.

Source photo : wikipedia.


Premièrement, la laveuse française moyenne accepte trois bobettes et une paire de bas. C’est pas compliqué, il faut que ta brassée rentre dans un Ziploc à sandwich. Si t’en mets plus, tu risques de voir ta laveuse aux informations, poursuivie par quatre chars de police sur le boulevard Voltaire. Avec des brassées si petites, impossible de mélanger les couleurs, à moins d’avoir des bobettes léopard. Une serviette de plage? No-way. La laveuse accepte maximum 3.5 kilos de linge mouillé. Pèse ça, une serviette de plage trempée. Au moins 10 livres.

Et le linge tourne en petit tas au milieu pendant une heure et demie. Ça fait des nœuds. Ça vient tout pogné. Aucune chance de bien évacuer ce que j’appellerais « l’accumulé ». Quand je sors mes vêtements, ils sont pleins de petits poils tout propres. Et y’a des petites mousses rouges, jaunes, bleues, vertes, bien collées sur les collets de chemise. Même après trois brassées de blanc y’a des petites mousses colorées. Elles sont de toutes les couleurs. Sauf quand tu laves du noir; là évidemment elles sont blanches. C’est comme un commando des FARV, les Forces Armées Révolutionnaires Vestimentaires. De temps en temps elles kidnappent un bas.

Ensuite, faut faire sécher. « Au naturel ». Tout le monde a son gros rack à linge de six pieds avec un pouce d’espace entre les broches cheaps. Ça accroche, ça veut pas rentrer, les broches plient, elles vont rouiller dans trois semaines et laisser l’impression d’une trace de break sur le fond de tes boxers Calvin Klein à 40 piasses.

À Paris c’est plein de porches, de cours intérieures, de petites allées entre les façades, de passages, d’impasses, etc. Vraiment joli. Mais pas une maudite corde à linge. J’ai de belles grandes fenêtres qui ouvrent sur l’arrière, avec un bel espace où je fantasme comme c’est pas possible d’installer une corde à linge.

Je veux bien tolérer un certain retard technologique. Je peux vivre avec le fait que les Français viennent juste de découvrir le rideau de douche (je comprends pourquoi est disponible partout un formulaire appelé « Constat amiable de dégât des eaux »). Mais là, même les Espagnols ont des cordes à linge. J’en ai vu à Bilbao et à Salamanca, deux villes suffisamment éloignées pour présumer que l’habitude est nationale. Calisse, est-ce si difficile de traverser les Pyrénées avec deux poulies de 8 pouces et 50 pieds de fil d’acier recouvert de gaine? Y’a des tunnels, me semble? Y’a le train, non? Je propose d’organiser une expédition.

Ça fait trois heures que je lave et j’achève juste de faire le blanc. Ma laveuse à un cycle « 32 minutes ». Je ne l’ai pas essayé. Il me tente en maudit, mais il ne fait le spin et le linge reste mouillé. 32 minutes de lavage, mais 3 jours de séchage. Je commence à comprendre pourquoi certaines pensions européennes ne fournissent pas les serviettes.

En tout cas… L’amour d’une maman est infini. Les laveuses européennes peuvent en faire la preuve hors de tout doute.



mardi 22 juillet 2008

Les « Turcs »




Il y a des restaurants « turcs » partout. Chez-nous, ce sont des « libanais ». Avec le fallafel, le shish taouk, le shawarma, le taboulé. Le pain est un peu différent, ils ajoutent des frites dans le sandwich, ce qui est conforme à la manière grecque, mais c’est à peu près la même chose.

La différence, c’est qu’il y a un paquet de ces restaurants, et qu’ils ont l’air de vivoter. Le « Turc » est dans son coin et s’emmerde à côté de sa colonne de viande grillée un peu sèche. Il attend l’occasionnel client. Au Canada, le « libanais » a généralement bonne réputation et les clients se succèdent à un rythme acceptable. Ici, ça ne semble pas être le cas.

Source photo : wikipedia.


Il y a les « turcs » et les « arabes du coin », ces dépanneurs parisiens. Toujours un peu crades. Pas vraiment un succès commercial. Un truc de première nécessité où, à la fin d’une journée, la vente d’une douzaine de canettes de Coca-Cola pourrait faire la différence entre profit et perte.

J’ai l’impression qu’un Français de souche ne pourrait pas se partir un « turc » ou un « arabe du coin ». J’ai l’impression que ces sphères commerciales sont réservées aux Algériens, Marocains Tunisiens et autres catégories de « Turcs ». Et j’ai l’impression qu’on ne veut pas trop les voir ailleurs. Comme si les rôles sociaux étaient figés.

Je ne sais pas s’il existe vraiment une situation. S’il y en a une, je ne sais pas si les gens s’en plaignent, ou plutôt s’ils l’entretiennent volontairement. Par exemple, il y a un look « jeune arabe » : barbe de trois jours, cheveux rasés à 1, lunettes Ray-Ban, bracelet en or, chemise blanche, jeans très classe, souliers habillés un peu pointus. Un look bien, à la fois propre et jeune. Un peu poseur, mais ça va avec la jeunesse. Un truc méditerranéo-branché. À la base, il n’y a rien d’arabe dans ce look. Il irait bien à un caucasien, un japonais, un black (comme ils disent ici), ou un indien d’Amérique. Mais j’ai vu ce look uniquement sur des Maghrébins. Y’a-t-il un message culturel à décoder dans ce look, ou c’est juste un hasard?

Chose certaine, la question raciale n’occupe pas le même espace qu’au Québec. Le langage est différent. Dans le cinquième, j’ai vu un restaurant appelé « Au nègre joyeux ». Devant un verre, mes collègues blancs font des blagues sur les Arabes qui ne passeraient pas au Québec. Et mes collègues arabes rigolent aussi entre deux gorgées de bière. Y’a juste moi qui ne sait pas trop comment réagir.

Est-ce que les « Arabes » se disent qu’il est plus payant de rire comme les autres et de fermer sa gueule? Y’a-t-il ou non une tension sous-jacente? Y’a-t-il ou non une France qui regrette une quelconque homogénéité perdue? Les communautés seraient-elles assez intégrées pour se permettre de rire honnêtement l’une de l’autre? A-t-on ici compris la différence entre « arabe » et « musulman » (ce qui n’est pas toujours le cas en Amérique)?

Je ne sais même pas si mes observations et questions sont pertinentes. Elles sont peut-être présomptueuses. Je ne veux pas asseoir une opinion avant d’avoir vécu un peu. Seuls les vrais Français font ça.

samedi 19 juillet 2008

Le banquier qui fait du bricolage




Aujourd’hui j’ai vu un conducteur reculer dans un one-way. Pourquoi reculer dans un one-way serait une moindre offense que rouler à contresens? Oui, on se fait croire qu’on atténue l’offense en gardant l’avant du véhicule dans la bonne direction. Mais l’interdiction ne concerne pas la position du véhicule, mais dans quel sens il roule. S’il était légal de reculer à contresens dans un one-way, alors il serait illégal d’aller dans le bon sens à reculons. Mais qui s’engagerait à reculons dans un one-way, à moins que ce soit à contresens.


Ça m’a fait du bien de voir que la logique tordue du « one-way à reculons » est un truc international. Un point d’union entre les peuples. John Lennon aurait dû faire une chanson là-dessus. « Backing up on a One-Way Street ». Quelque chose sur la paix et les grandes valeurs qui nous unissent.


N’empêche que rouler à l’envers dans un one-way, c’est un peu comme de l’aventure légère. Un moyen gratuit de braver un peu les interdits du quotidien. Une expression de liberté individuelle, ou de douce délinquance. Avec une dizaine de one-way et quelqu’un pour jouer à roche-papier-ciseau, moi je m’organise une journée d’activités bien remplie.


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À Paris, je ne sais pas si c’est un avantage d’être belle. Quand je dis belle, je parle de la fille très mince, avec le petit menton, les lèvres charnues et les yeux cochons, comme dans les pubs de Revlon. Belle plastique. En Amérique, certaines tueraient pour être comme ça. Mais ici, c’est peut-être une tare.


Chaque boutique, chaque réception d’immeuble a sa poupée. C’est comme une nécessité de parquer un mannequin à l’entrée du building. Et l’entrée du building, c’est souvent un cul-de-sac professionnel. « Écoute Julie, t’es trop belle pour être promue. Des filles comme toi, c’est rare, et ça nous prend une fille canon à l’entrée. Désolé. Peut-être l’an prochain si Kate Moss se libère, mais faut pas trop compter.»


Ou à l’inverse : « Écoute Sophie, ça me plaît pas de te dire ça, mais côté look, t’es seulement… euh… correcte. Tu sais, pour les clients… On va devoir t’envoyer derrière. Directrice d’équipe, 100 000 euros pas année. On t’ajoute une semaine de vacances. C’est à prendre ou à laisser. J’ai besoin d’une réponse demain. »


Peut-être que les Français sont moins superficiels qu’on pense. Peut-être qu’ici une poupée est juste une poupée. Et peut-être que je n’ai rien compris.


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Je vais chez le banquier pour mon assurance-appart. Ici, les appartements n’ont pas de numéro. Il faut avoir son nom sur la boîte aux lettres. C’est ce que m’explique mon banquier. Et il insiste. « C’est important M. Brisson. Mettez votre nom dès ce soir. Lundi on va vous envoyer du courrier à signer. Attendez… » Et là, il ouvre MS-Word et me fait une page avec quatre fois mon nom, en quatre formats. Et là, il imprime la page, sort ses ciseaux et découpe mes petits noms. Il prend son temps et fait ça super clean. C’est quand la dernière fois que votre banquier a fait du bricolage pour vous? Je suis vraiment impressionné.





Au cimetière avec un poubelle (6 juillet)



Profession : agente de police.
Affectation : cimetière du Père-Lachaise, tombe de Jim Morrisson.
Mission : assurer l’ordre.

Si le commissariat de police affecte quelqu’un à la surveillance d’une pierre tombale au Père-Lachaise, il doit bien y avoir une raison. Peut-être craint-on l’occasionnel vieux hippie qui trouble la tranquilité du lieu en se mettant tout-nu. Je passe.

Un peu plus loin, je suis heureux de voir que la tombe de Chopin est mieux entretenue et plus visitée que celle de Jim. On y a déposé des petits drapeaux polonais. Un jardinier s’affaire à renouveler les nombreuses gerbes de fleurs. Ça fait chier les touristes, qui voudraient une photo sans le jardinier. Mais le jardinier s’en fout. Je continue, avec ma poubelle orange.

Je suis tombé sur une poubelle en plastique à seulement 9 euros dans un bazar, quelques rues avant le Père-Lachaise. Neuf euros, c’est pas cher à Paris. En deux jours de recherche, c’est la moins chère que j’aie vue. On en voit souvent affichées à 25 euros. On parle ici d’une criss de poubelle cheap en plastique qu’on nous vend 5 dollars au Canada. Seule explication possible : le marché parisien de la poubelle en plastique est contrôlé par la mafia sicilienne.

Pissarro, Apollinaire, Molière et Jean de La Fontaine. La tombeau d’Oscar Wilde est couvert de graffitis et de traces de baisers rouges. On lui impose une postérité de drag-queen. Édith Piaf, Gilbert Bécaud, Marie Trintignant, Modigliani. Tiens donc, Henri Salvador. Comme c’est charmant, il est mort juste avant ma visite.

Avec ma poubelle je passe devant les cryptes richement ornées des familles fortunées. Plusieurs sont en mauvais état. Après deux siècles, peu se souviennent encore. Et qui aujourd’hui la les moyens d’entretenir ces monuments? « Allo, Monsieur Foucault?
-Oui.
-Vous êtes bien l’arrière-arrière-arrière petit fils et unique descendant de Léopold Ponce Foucault, Officier de la garde de la Courasse, et Délégué général au Ministère des Longitudes sous Napoléon II ?
-Euh… c’est possible, oui.
-Bien, ça fait un moment qu’on vous cherche. Ici le Père-Lachaise. Il serait temps que vous passiez réparer la crypte. Elle menace de s’affaisser.
-… (clic)
-M. Foucault?




La ville pestiférée (8 juillet)


J’étais dans la voiture avec la fille de l’agence de mobilité X et une agente immobilière Y (deux couches d’intermédiaires généreusement rémunérés par mes deniers). X m’explique que les Parisiens fuient la ville dès qu’ils le peuvent pour échapper au stress et à la pollution. Y, qui est originaire de Suède et habite Paris depuis 8 ans, ajoute qu’elle a développé des allergies depuis son arrivée. Petits commentaires anodins, pour passer le temps dans les bouchons perpétuels.

Et puis, les jours qui suivent, j’observe les Parisiens. C’est vrai qu’ils ont l’air maganés. Pas seulement fatigués, pas seulement stressés. Ils sont usés. Même les jeunes.

Ils présentent des comportements et afflictions proches de ce qu’on voit dans les super-porcheries. Tics nerveux, eczéma, acné sérieuse. Le teint est gris avec un fond de jaune. Les yeux sont cernés. Le psoriasis est fréquent et très apparent. Ils éternuent, ils toussent. Je me souviens qu’un peu après mon arrivée, j’avais remarqué les quintes de toux. « Fuck, j’arrive pendant une épidémie de grippe. » C’est ce que j’avais pensé avec ma logique canadienne.

Une déception, c’est de constater que les Parisiennes sont beaucoup moins jolies que le laisse croire la légende. Sérieusement, la femme moyenne est beaucoup moins belle qu’à Montréal. À moins qu’on aime le look du surmenage. Il y a un désabusement dans le regard. Le cheveu grichou. Un peu comme à Montréal, pendant l’écoeurite généralisée de la fin mars, mais en plus intense.

Bon, donnons une chance au Parisiens, ils sont à quelques jours de leurs vacances annuelles, qu’ils prennent d’un seul coup, tous en même temps à la mi-juillet. Donc, ils attendent depuis onze mois. C’est normal qu’ils soient un peu fanés. Cela dit, je ne sais pas si c’est une bonne idée de partir tous en même temps vers les mêmes plages. Je réévaluerai tout ça fin août.




Le Louvre en 3 heures (13 juillet)



On m’avait dit qu’il faut trois jours pour bien visiter le Louvre. Heureusement pour moi, le guichet des abonnements annuels était fermé. Alors j’ai pris un billet pour la journée. La bonne affaire, car le Louvre se visite en trois heures.

Au moins 90% des visiteurs du Louvre y viennent uniquement pour voir la Joconde, le Radeau de la Méduse et la Vénus de Milo. Ils sont des hordes et avancent au pas de course parce que leur autobus part à 16h00. Ils sont en shorts et photographient tout avec leur flash sous les yeux des gardiens qui ont l’air de s’en crisser. Ils sont des dizaines, flashe, flashe, flashe. On dirait « soir de première » dans un centre d’achat deux jours avant Noël. Trois heures, ça leur suffit amplement pour faire leur devoir touristique. Ceux qui ont plus de temps arrêtent au Starbucks du sous-sol pour un authentique machiatto (le Louvre a sa galerie commerciale).

J’ai commencé par le dernier étage. Dans un musée, il y a habituellement moins de monde au dernier étage. Très beau programme : dans l’aile Richelieu, les maîtres flamands et hollandais, et dans l’aile Sully, les français du XVIIe au XIXe. Un étage suffirait pour la journée. Je reviendrais pour les autres.

Mais voilà, après 20 salles, c’est l’overdose. Les murs sont surchargés, les tableaux sont pêle-mêle, c’est assommant. Comme une soirée diapo trop longue. Au lieu de bien choisir les pièces, le Louvre veut tout montrer. La crème fouettée, c’est bon. Mais dix litres de crème fouettée, ça rend malade.

Et si la section hollandaise est souvent sobre et teintée d’un certain réalisme, l’aile française est vraiment grasse. Ça roule dans la bouche de baronnes cochonnes qui lévitent les fesses à l’air dans des poses théâtrales. Bon, ce n’est jamais explicitement la baronne. C’est toujours Aphrodite ou la Liberté ou une nymphe quelconque. Mais sur la petite carte, on mentionne au conditionnel que telle ou telle aristocrate aurait « inspiré » l’artiste.

Après trois heures, j’en avais vraiment assez. Tout ce que je voyais, je l’avais vu en mieux ailleurs. Mieux filtré. Mieux regroupé. Mieux expliqué. Et le bruit, les poussettes, les flashes. Alors j’ai fait comme tout le monde : je suis descendu faire du jogging dans l’aile Denon. Botticelli, le Radeau de la Méduse, du monde pâmé tout-nu, Vinci, La Joconde, next, next… Fuck les 80 salles de l’Antiquité, je reviendrai peut-être en janvier.

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(Petite précision : ma critique est biaisée. J’aime mieux le contemporain, alors le Louvre n’est pas l’endroit idéal pour moi. Mais avec son ambiance d’aéroport, je doute que le musée puisse offrir à quiconque d’apprécier les œuvres à leur juste valeur.)

Source photo : wikipedia.



Les Rafales à ma fenêtre (14 juillet)




Vers la fin de la Marseillaise, ça dit : « Marchons, marchons, blaaaa-bla-bla-bla ». À chaque fois, j’entends dans ma tête : « Marchons, marchons, leeees pieds devant ». Ce n’est pas que je veuille manquer de respect. C’est un peu comme le « Ô Canada » qu’on ne peut s’empêcher de faire suivre par « crotte de chat ».

Aujourd’hui c’est le défilé du 14 juillet avec toute la pompe, le gratin, les militaires et madame Bruni. Vu de ma télé, ça a de la gueule. Les Français prennent ça très au sérieux et mettent toute la gomme. On pourrait presque croire que la France est une puissance militaire. Il y a même le scandale bon ton : un politicien a été interpellé alors qu’il voulait manifester contre la présence du président syrien sur la tribune d’honneur.

Je ne suis pas allé sur les Champs Élysées. Parce que je ne sais pas où sont les bonnes places. Parce qu’il y a trop de monde. Parce que je ne suis pas encore assez Français pour connaître d’intuition le bon protocole. Et j’ai de la lessive à faire.

(Ma laveuse me cause des soucis. Elle shake comme pas possible. Je l’ai mise au niveau, mais elle continue. À spin, je ne peux pas la laisser sans surveillance. Sinon, se sauverait. On la retrouverait probablement trois jours plus tard, dans un café près de la Gare du Nord, à boire des bières avec des électroménagers de mauvaise compagnie. Ma laveuse a une gueule de délinquante.)

Donc, je suis resté chez moi. Mais peu importe. Les Rafales et tous les avions sont venus jusqu’à moi. Ils sont passés à la queue leu-leu dans le ciel de ma fenêtre. J’ai pris des photos. Une vieille dame criait « Bravo! » Les pigeons se sauvaient. Sympathique.



La file : guide d’estimation (15 juillet)



Selon le mythe, les Français prennent deux heures pour dîner, ou « déjeuner » comme ont dit ici. C’est faux. En moyenne, les Français s’absentent pendant 90 minutes, dont la moitié (45) sont perdues dans des files d’attente.

Ce midi, j’ai attendu 35 minutes dans la file du bureau des postes pour une simple lettre au tarif régulier. Au lieu de perdre mon temps, j’ai conçu ce petit guide d’estimation du temps d’attente, qui je crois sera très utile à quiconque visitera la France. Il est très simple et fonctionne comme suit :
a) Trouvez votre contexte dans la liste LIEUX et multipliez le temps qui lui est associé par le nombre de personnes qui sont devant vous dans la file.
b) Parmi les personnes qui sont devant vous, il y a peut-être un ou des cas spéciaux répertoriés dans la liste CAS SPÉCIAUX. Ajouter ce temps à celui calculé en « a ».

Un exemple : s’il y a 5 personnes devant vous au supermarché (lieu 2), dont deux vieilles personnes (cas spécial 3), vous passerez un total de 23 minutes dans la file.

LIEUX :
1. Banque : 10 min. / pers.
2. Supermarché : 3 min. / pers.
3. Fournisseur de téléphonie cellulaire : 12 min. / pers.
4. Service de transport : 7 min. / pers.
5. Service des postes : 1.5 min. / pers.
6. Ministères et organismes gouvernementaux : non-documenté.
7. Boutique, commerce au détail : 4.5 min. / pers.
8. Autres : 5 min. / pers.

CAS SPÉCIAUX :
1. Personne culturellement « bargaineuse » : 3 min.
2. Personne culturellement « astineuse » : 4 min.
3. Personne âgée : 4 min.
4. Personne âgée sans son appareil auditif : 7 min.
5. Enragé qui pète sa crise de nerfs et qui se met à râler : 2.5 min.
6. Mère de famille avec enfant de 0 à 2 ans : 1 min. par enfant
7. Mère de famille avec enfant de 2 à 9 ans : 3 min. par enfant
8. Personne qui paie par chèque : 2 min.
9. Personne qui paie avec de l’argent à un commis qui a déjà vu de l’argent et sait quoi faire avec : 2 min.
10. Personne qui paie avec de l’argent à un commis qui n’a jamais vu d’argent et doit consulter l’assistant-gérant : 10 min.
11. Touriste : 2 min.
12. Expatrié : 4 min.

Cette méthode donne une très bonne estimation du temps d’attente. Mais dans les prochains mois, je la rendrai plus précise en lui ajoutant divers facteurs d’ajustement, par exemple :

a) Proximité des collègues de travail : tout commis français doit nécessairement consulter un collègue qui se trouve à moins de trois mètres.
b) Groupe d’amis dans un fast-food : ils jasent et ne savent jamais ce qu’ils veulent manger une fois arrivés à la caisse.
c) Nombre de téléphone cellulaires dans la file.




Au pas de course (aujourd'hui)


Les pigeons font des cacas énormes on dirait du plâtre mélangé avec de l’herbe. La pâtisserie près de chez moi cuit de gros biscottis qu’ils appellent des croquants ils sont magnifiques et remplis de noisettes entières je suis en train de devenir accro. Il y a une poubelle à tous les 25 mètres. Certains robineux passent la journée à genoux les mains jointes les yeux fermés sans dire un mot avec leur verre en carton devant eux. Dans le RER les gens ont l’air fatigués. J’ai bouffé chez un Marocain et c’était vraiment bon. Ici personne n’a le temps de faire du sport et j’ai les muscles qui commencent à avoir hâte. À la Défense on entre au travail au pas de course. Il se boit trop de café mais il est bon même dans les machines t’as un super cappuccino pour 50 sous. À la télé, slogans en anglais et pilules pour maigrir. Je vais au marché dimanche mais le marché est le samedi alors je bouffe des légumes en conserve. Au travail les priorités ne sont pas celles de l’Amérique et j’essaie de bien comprendre. Je dois récupérer une nouvelle carte bancaire à ma banque en plein milieu de la journée parce qu’elles ne sont pas envoyées par la poste. « Mangez au moins cinq fruits ou légumes à tous les jours. » Ma laveuse ne prend pas plus que 3.5 kilos de vêtements mouillés alors je dois aller à la laverie pour les draps. Il fait soleil 5 minutes mais au moins il ne pleut pas trop. Je cherche un barbier. Mes tomates ont poussé dans une terre étrangère. La station Strasbourg-Saint-Denis est beaucoup moins grande que dans mon souvenir d’un incident en 1989. Ici les Algériens ont mauvaise réputation. Un bourgogne de 2000 payé 8.50 euros a une belle couleur ambrée. La présence physique de mes amis me manque, j’ai envie de les voir sourire.

samedi 5 juillet 2008

C’est ici que je vis maintenant


Je viens de signer mon bail. La signature du traité de Versailles a dû être moins laborieuse. Un peu plus et on fumait le calumet de la paix au son des tams-tams. J’ai tellement signé de trucs; sans le savoir j’ai peut-être autorisé le prélèvement d’un de mes reins mardi matin. Je suis dans mon appart et je sais pas si je devrais me sentir chez moi ou à l’hôtel. Je sors essayer le bistrot d’à côté (littéralement la porte à côté).

Au Québec, on a la moutarde forte qui monte au nez. Ici, ils ont la moutarde forte qui te drill un trou dans le sinus avec une mèche 3/8. J’essaie de rester le plus stoïque possile pendant que mon hypophyse fond. Je bouffe un tartare. Depuis mon arrivée, à tous les soirs y’avait quelqu’un à côté de moi qui commandait un tartare. Ce soir, c’est moi. Excellente source de protéine et de sang frais. C’est comme un t-bone malaxé, avec les épices, mais pas le BBQ. Super environnemental. C’est très bon, sauf qu’il faut apprendre à bien doser la moutarde.


Source photo : wikipedia.


Comme dessert, un pain perdu. Un pain perdu crissement bon. Du pain perdu, c’est des French Toasts. Mais là, c’est de la baguette avec un coulis de fraise, une boule de crème glacée et des feuilles de menthe. Rien de spectaculaire, sauf que c’est spectaculaire. La crème glacée est vraiment bonne, le contraste chaud-froid est merveilleux et le coulis ne fait pas trop confiture. La feuille de menthe goûte la vraie menthe, avec la petite arrière-odeur légèrement pisseuse qui contraste bien.

(Bon, là j’écoeure du monde avec le mot « pisseuse ». Mais il faut appeler les choses par leur nom. Le cumin frais, ça sent un petit peu le swing. Le parmesan sent les pieds. Certains scotches sentent le fard à ski. Certains fromages sentent presque la merde. La morue salée pue en criss. Et tout est bon.)

Alors on résume. Pour 25 euros, soit 40 piasses canadien, taxes et tip inclus, j’ai eu :

-Un kir

-Une bière

-Un tartare pomme frite

-Un pain perdu

-Un café

-Un calvados

Pas pire pantoute…

Le pain perdu était tellement bon, il m’a donné envie de rester pour un bout. C’est ici que je vis maintenant. Pour au moins 18 mois. Pour le meilleur et pour le pire.



jeudi 3 juillet 2008

Paris ne rigole pas



Ça doit faire une semaine que je n’ai pas ri de bon cœur.

Aujourd’hui j’ai pris le tram pour passer au bureau, puis le RER dans la mauvaise direction, ensuite le RER dans la bonne direction pour passer à ma nouvelle banque, puis le métro jusqu’à l’Hôtel de ville. On y tenait un rassemblement pour célébrer la libération d’Ingrid Bétancourt. J’ai traversé la foule vers Notre-Dame. Devant la cathédrale, une autre foule m’a fait rebrousser chemin. J’ai marché jusqu’au Centre Pompidou où je suis entré.

Aujourd’hui tu me manques. J’ai l’impression de glisser dans la ville sans que rien n’adhère. J’avance comme quelqu’un qui cherche quelque chose.

La collection du musée est si vaste qu’on dirait un buffet chinois où on bouffe et on bouffe. Rapidement, on est plein mais on a pas tout goûté. On passe rapidement devant les dernières salles en se disant : « Du Picasso, non du Braque, du cubisme anyway, ok, next, Jackson Pollock, ben oui y’en a un tas à New York, une salle complète de Mondrian, on s’en crisse, bouettes expressionnistes de chépaki, encore des bouettes, des nus pudiques de Man Ray (ils vont-tu en revenir du Paris des années 20?), bon kessé qui reste? Trois salles, let’s go. »

Après tu te cherches un restaurant et c’est plein de bistrots. Partout du magret, du confit, des charcuteries, tout est magnifique, mais quand tu bouffes c’est insipide.

Source photo : wikipedia.


Et t’as l’impression de glisser comme une goutte d’huile sur l’eau. Et dans le fond, même si tu te payes un petit trip de carte postale, ce dont t’aurais vraiment envie, c’est de rigoler avec les amis dans le premier bar du coin. Mais Paris ne rigole pas beaucoup.

En bouffant seul, j’écoute les Parisiens. On dirait qu’ils n’ont pas droit à l’erreur. Dans leurs conversations on entend beaucoup de marketing personnel. Ça ne déconne pas vraiment, ça ne badine pas beaucoup, ça ricane par exprès au bon moment. La garde est haute.

Je m’ennuie de toi, qui est dévernie et dont la main a la douceur du bois nu. Ne t’inquiètes pas, ce sont des choses qui arrivent. Je te le dis pour le dire, mais aussi parce que c’est un compliment pour toi.


mercredi 2 juillet 2008

De l’espace et de la masse


Source photo : wikipedia.


Les Français sont généralement sveltes, ce qui mystifie les scientifiques. Ces dernières années, les esprits mal avisés et les vendeurs de régimes se sont mis à évoquer l’existence d’un « diète méditerranéenne ». Quelle lubie!

En réalité, les citoyens de la république sont de grands consommateurs de jambons-beurres, de charcuteries adipeuses, et de boissons alcoolisées. Leurs jus de fruit contiennent des sucres ajoutés. Le déjeuner habituel est un croissant gras. Le café se boit souvent avec crème. Le Français moyen mange beaucoup de fromages et de yogourts entiers. Les pâtisseries sont populaires. Tout plat cuisiné baigne dans la sauce ou l’huile. Et à Paris, il est difficile de trouver un seul légume cru sans qu’il soit noyé dans de la mayonnaise.

Certains ont avancé l’hypothèse d’une dépense calorifique élevée due à la contraction des muscles de la bouche. Mais il s’avère que le parlage en cul-de-poule est pratiqué par une minorité de Français. De plus, la dépense énergétique est moins grande qu’anticipé.

Mais alors, d’où vient donc cette propension à la maigreur dans l’Hexagone?

Éminent anthropologue de terrain dont les travaux sont reconnus à l’échelle internationale, le docteur Paul Brisson s’est penché sur la question. Et ses récentes découvertes annoncent un bouleversement mondial dans le traitement de l’obésité, en plus de sonner le glas de l’industrie des diètes miracles.

Après de multiples observations, le docteur Brisson arrive à ce constat : il n’y a aucun lien de cause à effet entre le contrôle du poids et l’alimentation. La cause de l’obésité est… (roulement de tambour)… l’espace.

Déjà, d’anciennes écritures et éléments de la sagesse populaire laissaient entrevoir cette conclusion. Qui n’a pas déjà entendu le fameux dicton « La nature a horreur du vide », ou la bien connue tirade « Quand je m’achète des culottes trop grandes, je les remplis »?

Les habitants de France sont sveltes car ils vivent dans des endroits exigus. À tous les jours, ils sont soumis à un yoga intense dans leurs minuscules douches. Entrer dans leurs petites voitures demande la participation de muscles insoupçonnés. Ils baisent dans de petits lits. Ils boivent à de petites tables dans de petits cafés, en tenant de petits verres (250 ml), et rentrent aux petites heures de la nuit. Leurs habits sont petits, leurs cravates aussi.

Les Japonais, qui vivent dans des conditions similaires au Français, sont tout aussi sveltes. En fait, le niveau de svelteur est encore plus élevé au Japon, en corrélation direct avec la pénurie d’espace qui affecte l’archipel nippon.

Par opposition, les nord-américains n’ont jamais été aussi gros que depuis qu’on leur propose des vêtements XXL et des Lincoln Navigator. Leurs grands terrains et leurs amples bungalows leur imposent des volumes énormes à remplir. Or, la suralimentation n’est qu’un dérivé de la surconsommation, une réponse maladive au trauma du vide.

L’évidence saute aux yeux. La preuve est incontestable et d’une simplicité désarmante. Et la seule réponse valable à la découverte du Docteur Brisson est la suivante : « Mais pourquoi ni ai-je pas pensé? » Merci Docteur Brisson!


mardi 1 juillet 2008

L'usine à voix


Source photo : wikipedia.


« Suite à l’agression d’un conducteur, le trafic sur la ligne A est nul. Pour la direction de Paris, veuillez emprunter la ligne 1. Pour vous rendre à Cergy-Roissy, veuillez vous rendre à Saint-Lazare. »

C’est ce que répète la petite voix suave à chaque minute. La petite voix existe vraiment. Des variantes dans le message, comme un changement de préposition, nous laissent deviner qu’on n’a pas affaire à du préenregistré. Quelque part, une personne est assise devant un micro.

« Suite à l’agression d’un conducteur…» est répété ad nauseam pendant que je fais la file pour ma carte orange. Et plus tard, quand je me dirige vers Pont de Neuilly. Le même message, avec une petite hésitation entre deux phrases, ou bien les mots « vous rendre à » remplacés par « vous diriger vers ». Toute la journée, non-stop, une parisienne gagne son pain.

La petite voix est suave, dans un endroit du spectre vocal entre les sections « cochonne » et « blasée ». Une version auditive de Juliette Binoche après une surconsommation de Prozac. À la longue, il y a même quelque chose qui rappelle les murs coussinés.

La voix est dans tous les lieux publics : centres commerciaux, grandes surfaces, métros, autobus, toilettes publiques, vols Air France. Tout endroit présentant un automatisme ou une borne électrifiée, toute interface vers l’humain est paré de la petite voix.

Dans le marché de la petite voix, il y a assez de travail pour des centaines de Françaises. Mais voilà, il y a une seule petite voix, un seul style, une seule tonalité. Est-ce qu’on nait avec? Plus probablement, il y a une école quelque part qui produit une trentaine de petites voix par année, et peut-être plus. Quelque chose comme l’École Nationale de Voix Sexy : l’ENVS. Juste en face de l’ENAP, attention en traversant.

Plus sinistre encore, peut-être avons-nous affaire à des clones. Il faut se rappeler que le premier à s’être engagé publiquement à cloner un humain s’appelle Claude Vorilhon, un Français mieux connu sous le nom de Raël. Je suis dans le bon pays pour ce genre de chose. Peut-être que dans un champ à 37 km de Lyon, dans un bâtiment gris anonyme encerclé de clôtures Frost, on clone ce gène qui dirige la France moyenne.