mercredi 30 mars 2011

Le Français râle parce qu'il a raison

Y'a deux trucs qu'on remarque dès qu'on pose le pied en terre de France. Primo, le Français râle toujours. Deuxio, le Français a toujours raison. Ou plus précisément, le Français se comporte comme s'il avait raison, même quand il a tort.

J'ai longtemps considéré qu'il s'agissait de deux traits de caractère distincts et dissociés. Et puis récemment, comme ça, au milieu d'un repas à la cantine, j'ai eu une petite épiphanie : le Français râle parce qu'il a raison. Il y a corrélation, les deux phénomènes s'alimentent. Eureka.

Il est impossible de critiquer ouvertement et honnêtement quelque chose si on n'est pas persuadé d'avoir mieux à proposer. La licence de râler est obtenue par la possession d'une proposition supérieure à celle de la partie adverse. En gros, pour râler, faut croire qu'on a raison et que l'autre a tort.

Or, le Français a toujours raison. Ça fait partie de sa culture, de son éducation. Dès sa tendre enfance, il apprend à avoir toujours raison. Dans les maternelles françaises, c'est du dessin, un peu de Descartes, et beaucoup de Schopenhauer. Avant l'âge de 10 ans, tout petit Français aura obtenu un certificat attestant qu'il a droit au râle perpétuel. La nation française ne cherche pas le consensus, mais la domination (voir 'Napoléon' et 'Traité de Versailles'.)


Source photo : wikipedia.


Là, vous vous dites : « Ben voyons, on ne peut pas toujours avoir raison ! » Si vous vous dites ça, c'est que vous croyez naïvement qu'il n'existe qu'une seule vérité, pure et indélogeable. Je me vois forcé de vous recommander la lecture des diverses versions de l'Encyclopédie Russe publiées sous Staline.

La raison et la vérité ne sont en réalité que matières malléables, qu'on peut adapter aux circonstances. Encore mieux, elles ne sont que des ballons de foot qu'on cherchera à prendre à l'adversaire.

Le Français n'est pas con. Souvent, il sait qu'il a tort. Pour préserver son droit au râle, il s'est entraîné à modifier subtilement, au cours d'un débat, tout son argumentaire. Il faut se méfier du Français : en cas de besoin, il n'hésitera pas à paraphraser vos propres arguments, et à vous attribuer les siens, pour conclure que vous avez tort.

La manoeuvre est subtile, et toute en finesse. À un moment du débat, vous aurez l'impression que le Français dit la même chose que vous. Il est déjà trop tard : il vous a pris par le flanc et occupe votre position. Vous lui avez permis de manoeuvrer hors de sa position originale. Son prochain mouvement sera de vous forcer à vous rabattre sur ses anciennes positions, pour ensuite vous critiquer. Attention, ça peut aller très vite ! Suffit de quelques répliques. Un exemple :

Vous : Attends ! Tantôt tu disais que l'asphalte était blanche !
Lui : Tu m'as mal compris, je n'ai jamais parlé de 'blanc', mais plutôt de l'impossibilité d'un 'noir pur'. C'est toi qui disait 'noir'. Or le 'noir pur', tel que tu l'entends, n'existe pas, sinon il ne serait pas visible, parce qu'il absorberait toute la lumière.
Vous : Ben là, on dit la même chose. L'asphalte est plutôt noire.
Lui : Mais pas du tout ! Moi je défends depuis toute à l'heure une asphalte dans le spectre de la lumière visible, et qui tend vers la blancheur à mesure qu'elle vieillit. Alors que toi tu parles de 'noir pur', ce qui est aussi absurde que le 'blanc pur'. C'est important d'être clair quand on s'exprime.


Notez au passage la petite remarque assassine à votre endroit : « C'est important d'être clair quand on s'exprime. » Il s'agit d'un mouvement classique de diversion. Voulant solidifier ses bases nouvellement acquises sur vos anciennes positions, le Français utilisera ce genre de stratagème pour gagner du temps. Pendant que vous répondrez à l'insulte, il en profitera pour vous repousser encore plus loin sur ses anciennes positions.

Le but du jeu, ce n'est pas d'avoir raison, mais de prendre possession de la raison. Un fois la raison acquise, on peut râler jusqu'à plus soif : « Vous, les Canadiens ! Dire que l'asphalte est 'noir pur', comme si c'était possible. Après, vous vous demandez pourquoi nous avons de la difficulté à vous comprendre. Et menteurs, en plus ! Vous osez prétendre que nous avons dit 'blanc'. C'est vraiment de la mauvaise foi ! Ou à tout le moins, un profond manque de culture ! »

Vous croyez que j'ai tort ? Lisez ceci. Vous verrez que l'auteur est allemand, mais que le texte est très français.

samedi 19 mars 2011

Belle folie

Quiconque vit quotidiennement les transports du matin, à Paris, a fait l'expérience d'un flirt avec la folie. Les retards, la cohue, la saturation, les gens qui courent, les gens qui poussent, la petitesse. Assez rapidement, t'as envie de frapper quelqu'un. N'importe qui.

Moi, j'aime démarrer lentement. Alors au cours de mes premiers mois ici, je vivais mal cette injection d'agressivité, si tôt après ma sortie du lit. Il a fallu que je trouve des moyens pour me protéger le mental matinal.

Ma première adaptation a été de ralentir. De laisser courir les gens, au lieu de les suivre stupidement. Dans les couloirs du RER, les Parisiens se mettent à courir sans trop savoir pourquoi. Comme tout le monde, ils veulent attraper le prochain train. Mais le matin, il y a un train à toutes les trois minutes, alors moi je ne cours plus.

Autre adaptation : je laisse passer les gens. Vous êtes pressé monsieur ? Vous aimez tellement votre super boulot que vous voulez arriver au moins 13 secondes avant tout le monde à la machine à café ? Passez.
Et vous madame, qui me poussez dans le dos avec votre sac à main, vous la voulez à ce point, cette marche dans l'escalier roulant ? Je vous en prie, allez-y, elle est à vous.




Jusqu'à récemment, je faisais mon trajet penché sur mon BlackBerry, à lire emails et nouvelles. Mais le 8 mars dernier, j'ai trouvé une nouvelle activité pour me détendre : je regarde les femmes. C'est magique. Une caresse sur ma zénitude. Un verre d'eau fraîche par une chaude journée d'été.

Je me demande bien pourquoi je n'y ai pas pensé avant. Y'a-t-il plus beau au monde qu'une femme ? Dans un RER bondé, y'a toujours un paquet de femmes magnifiques. Celle-là a 20 ans de plus que moi, mais quelle élégance, quelle détermination sur ses lèvres ; on dirait qu'elle s'en va conquérir un continent. Et cette Africaine qui écoute de la musique ; elle porte de gros écouteurs or et noirs qui s'agencent bien au charmant contraste de ses quelques mèches blondes. Tiens, une jeune BCBG : lunettes en écaille, cheveux lissés, joue satinée, un visage à craquer. Ici et là les cils infinis, les yeux noisettes, les sourires timides, les faussettes, les franges raffinées, les lobes délicats, les grains de beauté heureux, les beaux grands nez droits et les petits nez fouineurs, les doux angles de mâchoire, les nuques somptueuses, les ovales parfaits, les coiffures brillantes, les rubans coquets.

Et les lèvres ! Les lèvres rouge orage, rose comète, sycomore, bois des îles, sari doré, patchouli, folie de grenat, fabulous rouge, pêche frivole, rêve d'or, pushy pink, orange fashionista, prune glitter rescue, rouge enflammé, abricot soyeux, tulipe noire, violine sucrée, vanilla truffle, cherry passion, les impudiques lèvres nues. Des dizaines de bouches exquises, fragiles ou charnues, sur lesquelles se pencheront des milliers d'yeux, et bien sûr quelques visages privilégiés.

Je vous entends me juger, bigots que vous êtes : « Ah le cochon ! Ah le reluqueur éhonté ! » Sachez que dans le RER, on ne voit que les têtes. On est trop les uns sur les autres pour voir autre chose. Et puis j'ai le regard naïf de celui qui aime la beauté pour la beauté. C'est beau, une femme. C'est comme un arbre. Ou la mer. Mais en plus beau.

Dans la grisaille quotidienne des tunnels, s'il n'y avait que les hommes avec leurs uniformes et ridicules complets-gris-cravate-bleue, on aurait envie de se pendre. Merci mesdames d'éclairer un peu mes matins. Vous me transportez beaucoup plus que le RER.


(Je vous ai écrit ce mot le soir du 8 mars. C'était ma manière de souligner votre Journée internationale. Désolé pour la mise en ligne tardive. Mais comme on dit, faut se laisser désirer.)