mardi 1 juin 2010

Les Français râlent



(Là, je ne râle pas; je constate. N'allez pas dire que je râle. À la limite, je trouve ça rigolo.)

En France, le râle est un signe vital. Il est mentionné dans les protocoles médicaux. Si le patient râle encore, c'est qu'il vit toujours. Même s'il ne respire plus depuis une bonne heure. Parce qu'un Français peut râler très longtemps sans reprendre son souffle. Jacques Mayol, il venait d'où vous pensez ? Et il faisait quoi lorsqu'il est descendu à 106 mètres en apnée ? Je vous le dis dans le mille : il râlait.

Vous allez protester : « il faisait du yoga ! Il était ultra-relax ! Il savait abaisser sa fréquence cardiaque à 20 battements par minute ! Pas du tout le style râleur ! »

Vous vous trompez. Pour le Français, le râle est un moyen de rester calme. C'est une expression naturelle, harmonieuse. C'est un mantra. Essayez pour voir. Répétez d'une voix monocorde : « putain-d'merde-de-connards-de-mouvement-social-de-mes-deux-de-scandale-inadmissible-j'suis-venere-tellement-c'est-relou ». Répétez... doucement... Répétez.

Essayez aussi la forme abrégée en successions rapides : « venere-tellement-c'est-relou ». Voyez comment après un moment elle se transforme en ronronnement apaisant.

Faites 500 mètres dans Paris et vous tomberez inévitablement sur un Français qui râle tout seul en marchant. Il semble pester. Parfois il gesticule un peu. Il vous paraît énervé. Mais en fait il relaxe. Il ventile. Et souvent le râle sert à chasser l'ennui : constatez à quel point les Français l'utilisent lorsqu'ils sont dans une queue. Surtout qu'ils font souvent la queue. Alors ils ont perfectionné la technique. Le râle leur permet de se distraire en attendant leur tour. L'équivalent humain de l'onanisme simiesque souvent observé au zoo.

Source photo : wikipedia.


Au delà de l'individu, le râle occupe une importante fonction sociale en France. Un peu comme le chant pour les oiseaux. Avec le râle, le Français marque son territoire. Ou bien, il réunit sa tribu. Avez-vous déjà remarqué comment les Français se déplacent en troupeau ? À l'aéroport, s'ils y a des Français, ils sont toujours au moins 20 à monter dans le même avion, et ils sont tous assis dans les mêmes rangées. Ils bouffent ensemble à la cantine le midi, ils font Club Med ou UCPA, ils fréquentent les même plages lors de leur grande migration estivale, et hivernent dans les mêmes stations de ski, ils chantent dans la chorale, ils sont 500 000 sur les Champs Élysées dès qu'ils y sont conviés par l'une de leur 700 centrales syndicales (les ténors du râle). Avec les flamants roses et les fourmis, l'espèce française présente un des plus hauts niveaux de cohésion sociale au sein du règne animal. Le râle est un élément primordial de cette exceptionnelle solidarité du cheptel humain hexagonal.

Dans n'importe quel pays, les titres du marchand de journaux en disent long sur une société. Partout, on trouvera une majorité de publications tournant autour des deux besoins élémentaires de l'espèce humaine, soit se nourrir (les magazines de cuisine) et se reproduire (les magazines de mode, et accessoirement Playboy). Mais fouiller un peu les rayons permet de se constituer une sorte de condensé sociologique de l'endroit visité. Ainsi, aux USA on trouvera des revues sur les armes automatiques. Au Canada, des mensuels traitant d'aménagement paysager (because fatigue politique et désir profond de jardiner pendant les deux mois où c'est possible). Et en France, chose assez unique dans le monde, des périodiques sérieux qui se consacrent, dans le ton ou dans le propos, au râle. Le Canard enchaîné, ou Marianne, pour ne citer qu'eux.

Les Français ont même aménagé, au sein de l'espace professionnel, des séances de râlage à l'horaire plus ou moins souple, qu'ils désignent sous le nom de « réunions ». Et leur système politique maximise le nombre de partis, donc d'opposants au pouvoir.

Comprendre le râle, c'est comprendre la France. Et comprendre le râleur, c'est comprendre le Français. S'il avait pu le faire manière plus succincte et élégante, René Descartes aurait ainsi complété sa thèse : « Je pense donc je suis, mais en plus je vais râler, comme ça on sera bien certain que je suis. »


3 commentaires:

Anonyme a dit…

Exact
Tout ce que je déteste ( tiens je râle ?)
ah ah ah
Ce Paul !!
Le français râle -t-il aussi pour dire ses bonheurs ?

Sinon, Paul, les flamants ont un T, c'est pour voler au dessus des étangs camarguais.
Attention : les flamands vont te tomber dessus et te montrer la vie en rose..en troupeaux belges.
Et là tu vas râler !!!

Mon nom est Paul a dit…

Merci pour la couille. (Oups, la "coquille").

Unknown a dit…

hilarant!