jeudi 10 juin 2010

Laisser le souverainiste parler



Dans un billet récent, je parlais de mon impression de stagnation à Montréal. N'en fallait pas plus pour stimuler un ami, que je prénommerai Michel. Parce que je veux reprendre ses propos ici, mais sans risquer de lui causer quelque tort là-bas. S'il veut se faire ennemis, il s'en fera lui même. Et c'est assez facile lorsqu'on chatouille certains tabous montréalo-centristes (à contresens du « centre du monde »).

Michel est un homme médiatique, il nage dans le culturel montréalais, et depuis longtemps. Nous ne partageons pas toujours les mêmes visions politiques. Mais sa correspondance m'a plu, parce qu'elle est dense et jouit d'un recul que je n'ai pas. Si pour ma part j'évoque des impressions, lui recense ce qui s'approche des faits. Je laisse son propos épistolaire vous parler :

J’ai été content de voir que tu reprenais ton bloque. Et surtout, avec un sujet qui moi, me passionne : la vertigineuse inertie de Montréal. C’est déjà préoccupant, mais s’y ajoute une couche de déni et de rationalisation à rendre fou. Toi qui ne nages pas dans le petit univers de la culture locale, j’admire ta perspicacité à repérer la fétichisation de la culture  – qui devrait nous servir encore un an ou deux.  
 
Voici deux ou trois réflexions si ça t’intéresse. (Finalement, c’est plus long que prévu, mais une fois parti, je suis intarissable.)

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À ce piétinement municipal, il me semble y avoir un élément dont on ne parle pas parce que tabou : le fait que nous ne soyons pas une ville de 3 millions, mais deux villes de 1.5 millions. Tu comprends l’idée ? Fais une somme des points de convergence de ces deux communautés linguistiques, et tu vas voir que ça fait pas une grosse synergie. Il y a quelque chose de symptômatique à voir un eunuque comme Gérald Tremblay élu deux fois comme candidat de compromis.
 
On dirait que dans le monde des affaires, la piastre ne suffit pas à rallier les 2 communautés. Ou peut-être justement, n’y a-t-il plus d’argent à Montréal ? Peut-être l’argent n’est-il pas, même ailleurs, le vrai moteur du développement ? Se peut-il même que l’argent montréalais travaille contre Montréal ? C’est quoi, le développement organique d’une ville au 21e siècle ? Ché pas, mais c’est sûrement pas de consacrer des millions à l’hypertrophie de la culture et du tourisme. 
 
Pourtant Montréal a longtemps prospéré avec sa double composition, non ?  Eh bien non ! Montréal prospérait tant qu’il n’y avait que les Anglos pour la runner. Pas parce qu’ils étaient Anglais-donc-compétents, mais parce qu’ils avaient, outre le capital, la cohésion sociale. Les Drapeau et cie vivaient au diapason de cette élite et profitaient de la richesse de la ville créée par elle.

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Ironiquement, les Francophones ont « pris leur place à Montréal » au fur et à mesure que l’élite financière anglophone quittait pour suivre naturellement le flot vers l’Ouest, Toronto. (Avec un peu d’aide des séparatistes-marxistes, d’accord.) Je le souligne, il y a eu la révolution Tranquille et tout, mais les francophones ont aussi joui de l’espace libéré par les Anglos. Dans ce contexte, l’Expo 67, full bilingue par ses grands artisans, a été le point d’équilibre idéal de collaboration.
 
L’Expo était aussi le chant du cygne de Montréal dont le déclin était inscrit dans les faits entre autres via la Voie Maritime. À moins de prendre les Olympiques déficitaires comme chant du cygne ? Choisissez votre symbole…
 
De plus en plus en contrôle, mais de seulement la partie symbolique de Montréal, les francophones se sont mis à privilégier la culture. Parfois avec raison : il y avait une vitalité dont il fallait profiter au max, à défaut d’avoir l’argent de Toronto. Et puisqu’on ne pouvait plus être grand-chose à l’échelle nationale, pourquoi ne pas se donner des prétentions internationales ?  Privé de la Bourse locale, Jean Doré s’est mis à parler de plaque tournante financière, etc.
 
Le résultats du 2e référendum, sidérants pour les Anglo-Montréalais, ont scellé la méfiance de ceux-ci. Eux qui avaient fait tant d’efforts bilingues depuis 20 ans, se sont renfrognés et leur méfiance des « Quebecwois » s’est accrue. Pas de quoi favoriser la collaboration pour les projets sont développés par the French. Le quartier des spectacles ne les excite donc pas beaucoup – avec raison hélas. La saga des fusion-défusions me paraît avoir consacré ces espaces de solitude.
   
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Nous voilà dans une situation assez désespérante, dont personne ne fait d’analyse sérieuse. On regarde Bilbao et on écoute Richard Florida à Toronto ! M’est avis qu’il y a des tabous qui vont nous enterrer. Et des gens réputés dynamiques qui ne contribuent rien. Marcel Côté de Secor suggérait à son petit sommet printannier que les francophones devraient mettre la pédale douce à leurs revendications linguistiques et travailler à la richesse de Montréal. OK, mais des gens d’affaires de Montréal qui ne réussissent pas à s’organiser et blâment le vilain PQ pour notre déconfiture, ça me paraît assez suspect. Un aveu en fait, comme quoi eux-mêmes, n’ont pas de solution à un problème STRUCTUREL.
 
D’oû doit venir la cohésion, l’élan, qui relanceraient Montréal ? Les médias sont un peu coupables de reprendre le discours de « wishful thinking » sans questionner, mais bon… Mais qui peut poser les questions, faire des propositions ?  Notre horizon se réduit tellement qu’on n’ose rien bousculer de peur que tout foute le camp. Ironiquement, même le PQ n’ose pas croire que son projet d’indépendance serait bien pour Montréal. Alors pourtant que l’urbaniste Jane Jacobs avait sérieusement suggéré dans son fameux (?) The Question of Separation que « la » solution pour Montréal était de devenir la métropole d’un petit pays séparé plutôt que d’être la 3e ville d’un grand pays. L’ironie : c’est pour sauver Montréal qu’elle voulait que tout le Québec se sépare !
 
Tout souverainiste que je sois, je ne tiens même pas que ce soit là « la » solution au problème de Montréal. Faudrait-il au contraire redevenir encore plus bilingue ? Parlons-en. Il y a trop de tabous dans la non-discussion en cours.


Source photo : wikipedia.


J'ai continué la dicussion avec Michel :

Sur facebook, à travers les amis montréalais, je vois passer un tas de petites iniatives intéressantes. Un petit groupe pour ci, une association pour ça, des blogueurs qui organisent une rencontre. Des photographes, des artistes sans le sou qui persistent, des clubbers, des pro-vélo, etc. Selon moi, ces gens sont le dernier poul de Montréal. Il font que cette ville respire et devient formidable dès qu'on va au delà du guide touristique. Il y a encore une énergie vitale. Mais ces initiatives sont celles de ghettos; elle ne sont pas vouées à dépasser le groupe des intéressés. Elles ne pourront jamais servir de phare. Y'a comme une structure ronflante, au dessus, qui les empêche de croître, qui bloque le renouveau.

Dare-dare, Michel relance, un tout p'tit peu ironique et amer (selon moi) :

Au sujet de ces petites initiatives que tu perçois, ce fragile coeur qui bat de Montréal, jamais portées par une vague de fond, toujours au bord de l’effondrement. Pourquoi ?
 
Eh bien, parce que Montréal (et le Québec ?) n’en a plus besoin : nous nous sommes développés un très bon petit système culturel et n’avons plus besoin de rien, merci. Nous contrôlons l’input. Nous avons nos Audiogram, nos gros festivals, nos théâtres qu’on aime tant depuis si longtemps. Ils sont fiables et sérieux. Toutes les initiatives imprévues qui sortent de nulle part, elles sont... trop petites pour se colleter aux industries culturelles subventionnées et commanditées que nous avons travaillé fort à monter, mais qui semblent devoir rester relativement fermées pour subsister. (Je reste dans le showbiz, mais ça s’applique ailleurs, je crois.)  
 
C’est pas seulement la faute des affreux boomers au sommet qui ont décidé de ne pas partager la tarte. Notre dispositif est vraiment fragile parce qu’il a copié avec succès le modèle lourd et coûteux de la culture de masse mondiale, alors que nous ne sommes que sept millions pour le « consommer ».
 
Paradoxalement, notre beau développement culturel depuis 1970, nous a légué des institutions (et peut-être une mentalité) qui étouffent la croissance organique de phénomènes encore non-identifiés, donc finalement de la créativité.   
 
Ne cherchez pas l’équivalent 2010 de l’Osstid’show. Si un show semblable existe, il trouvera à peine son public premier, des jeunes branchés et enthousiastes, hélas toujours plus individualistes. Il sera à peine réverbéré dans les médias « jeunes » inexistants. (VOIR est criminellement responsable de pépérisme à l’égard de la culture.)
 
On en est donc rendus à voir des entreprises multimillionaires comme le Jazz et Juste pour rire, créer de toutes pièces des « petits événements » fous aux airs spontanés ! Comme un festival Fringe, alors que Montréal en avait déjà un, surtout anglo, indépendant, qui survivait avec la vente de bière, comme dans une vraie sous-culture.  Ben là, mononcle Gilbert a décidé de faire de Montréal un nouvel Édimbourg, au mépris de tout ce qui gigote dans une ville qui n’est jamais assez internationale pour lui.
 
Le plus beau, c’est que ces poids lourds (GSI, Festival de Québec, etc) réussissent à faire croire qu’ils incarnent la culture québécoise, si précieuse et tout. Ce ne sont plus de simples entrepeneurs, si leurs projets ne fonctionnent pas comme ils veulent, c’est la culture qui prend le bord ! Beau chantage, non ? Pistes bien brouillées, non ?

« J’ai ici un petit événement sympa et tout plein créatif, qui pourrait devenir un nouveau Juste pour Rire, dans 10 ans. » Que veux-tu qu’un ministre de la culture, un maire de Montréal, un brasseur-subventionneur, répondent à ça dans le contexte actuel ?


C'était des idées, pour alimenter les vôtres. Elles ont nourri les miennes. Vous avez le droit d'être d'accord, pas d'accord, ce que vous voulez. Exprimez-vous si le coeur vous en dit. C'est déjà mieux qu'attendre.


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