dimanche 13 juin 2010

L'appel à la prière



Il y a quelques semaines, avec des amis Québécois vivant à Paris, je suis allé à Istanbul. C'était la première fois que j'allais dans un pays à dominante musulmane. Ça m'a fait du bien de sortir un peu de l'Occident. Bon, vous me direz que ce n'est quand même pas l'Iran, et que les Stambouliotes sont très occidentalisés. Oui mais ils sont aussi assez orientaux pour dépayser le Canadien.

Istanbul est une très jolie ville. Proximité de l'eau, couleurs, parfums. Et beaucoup de vie. Une ville habitée, grouillante, chaleureuse. On sent dans le peuple turc une fierté très forte. Et ces grands drapeaux, le croissant blanc sur fond rouge, qui flottent paresseusement sur les brises du Bosphore.

Le truc qui m'a le plus marqué, c'est l'appel à la prière. Cinq fois par jour l'espace sonore est rempli par ces champs fascinants. C'est absolument magnifique. Je recommande, lors d'une visite, de marquer la pause, de fermer ses yeux, et d'écouter.



Je ne connais pas la langue arabe, et pas grand chose de la religion musulmane. Je crois que c'était mieux comme ça, pour une première fois, car j'ai pu apprécier ces chants comme on goûte un fruit, sans chercher à comprendre ou interpréter. Souvent, l'analyse est la grande ennemie de l'appréciation. J'ai fait de la musique dans une autre vie, et il m'est difficile aujourd'hui d'entendre une oeuvre ou un morceau sans décortiquer. C'est probablement la même chose pour un chef qui goûte un plat, ou un botaniste qui regarde une fleur : y'a le réflexe de chercher à expliquer le résultat, l'assemblage, la méthode.

Donc un soir comme ça, je me suis assis dans le parc près de la grande Mosquée bleue, et j'ai écouté. C'est un son unique, et incroyable. Aux minarets de toutes les mosquées de la ville sont accrochés d'énormes mégaphones, très puissants. Lorsqu'on est tout près, il en sort un hymne électrique, chargé de distorsion et d'harmoniques puissantes. Sauf votre respect, on dirait un flamenco chanté par la guitare de Jimmy Page (Led Zep) ou Jack White (White Stripes). Un son qui s'impose, qui commande. Un son envoutant et antique.

Mais ça c'est quand on est à côté de la mosquée. Parce que vient également à nos oreilles l'appel d'un autre minaret, un peu plus loin. Celui-là, à cause de la distance, a perdu son crépitement. Il est plus capiteux, plus rond. Tout aussi affirmatif dans son attaque, mais plus ancien, plus posé. Cette fois on dirait David Gilmour (Pink Floyd).

Ce qui est grandiose, c'est le concert donné par toutes les mosquées de la ville. Elles se répondent, elles se relancent. Elles remplissent l'espace. Une troisième, là-bas. Puis une autre, plus loin dans un quartier voisin. Et encore une autre, de l'autre côté de Corne d'Or. Dans l'ordre et dans le désordre, elles se donnent la réplique dans une cacophonie suave d'appels et d'échos. Comme la fédération des loups dans la nuit boréale, comme un gigantesque rituel, millénaire et sacré.

Pendant un moment, on dirait qu'Istanbul est captivée par ce son qui l'emplit et la soude, qui lui dit : "Voici qui tu es, voici d'où tu viens". Un son qui impose son rythme, d'une lenteur glissante, synchrone à celui des astres.



Je ne sais pas si c'est la même chose pour un asiatique, lorsqu'il visite Montréal et qu'il entend le carillon des clochers, le dimanche matin. Les cloches, c'est notre appel à nous. Je ne les remarquais plus vraiment, à cause de l'habitude. Mais quand j'y repense, c'est vrai que ça mérite d'être entendu. On dirait une sorte de fête. Je me souviens de l'église Saint-Jean-Baptiste, sur la rue Rachel, et de ses cloches qui s'éteignaient pendant une bonne minute après la volée. Une sorte de d'onde palpitante, flottant sur l'air humide de l'été, comme une braise luisante. Et après un peu silence, la ville qui se réveille.

Pour ceux qui n'ont pas visité Istanbul, il y a plusieurs vidéos sur YouTube. Cherchez « Istanbul call to prayer ». J'ai choisi celle-ci parce que, même si la qualité est mauvaise, on entend les mosquées se répondre :



Et y'a cette vidéo qui vous donnera une idée de l'intensité sonore de l'appel.


3 commentaires:

Anonyme a dit…

Depuis que je t'ai lu, soudainement, tous les jours, j'entends les cloches de l'église qui se trouve à un coin de rue. Tu m'as ouvert les oreilles ;-)

sylviane a dit…

Au secours!!! Je suis en manque de tes articles Paul!!! Que pasa? Panne d'ordinateur ou retour au pays ?
Au plaisir de te lire à nouveau, bon et bel été quelques soient les circonstances de ton absence, @+, Sylviane

sylviane a dit…

"quelles que soient" autant pour moi :-(