mercredi 23 septembre 2009

Les obsèques du martyr québécois, acte 1 : la Bataille des Plaines d’Abraham



Récemment, dans le cadre des événements entourant le 250e anniversaire de la Bataille des Plaines d’Abraham, le quotidien montréalais La Presse demandait à ses chroniqueurs de réagir à la question suivante : et si les Français avaient gagné? J’ai retenu un texte d’Yves Boisvert intitulé « Ne pas confondre histoire et anecdote », que vous trouverez ici. Ce texte permet un peu de mettre en perspective la fatidique « bataille » qui devait sceller l’histoire de la nation québécoise.

J’ai si souvent entendu parler de la fameuse « Bataille des Plaines » dans mon enfance. Elle servait toujours d’introduction à mes oncles, dans ces tirades souverainistes qu’ils nous balançaient entre la 8e et la 9e bière. Dans le Québec des années 70, la mode nationaliste battait son plein, et bien des petits québécois se tapaient régulièrement ces accablants soliloques vaseux qui s’achevaient inévitablement sur un lieu commun, comme le classique : « Mon ti-gars, en 1759, les maudits Anglais nous ont volé notre pays ! »

Devoir d’histoire oblige, remettons-donc la « bataille » dans son contexte. Boisvert le dit clairement dans son texte : en 1759, la France largue complètement ses possessions canadiennes. Les Anglais ne « volent » pas notre pays; ils le cueillent comme un fruit mûr. Quand on se documente un peu, cette « bataille » a plutôt l’air d’une escarmouche.

Certaines sources disent que l’assaut principal aurait duré 15 petites minutes. Les sources les plus courantes parlent d’une à deux heures, en greffant à l’affrontement principal quelques embuscades et échanges de tirs agoniques. C’est plus court qu’une finale à Wimbledon! Et du côté des victimes, que dit-on? Encore une fois, les chiffres varient. Mais on reste toujours en deçà de 500 morts. C’est quand même pas la Grande Guerre. Il y a plus de morts au marché aux fruits de Bombay lorsqu’on décide de solder les mangues sans préavis.

Mais ce n’est pas tant l’ampleur de la bataille qui compte. C’est le fait qu’elle présente un revirement historique qui changera à tout jamais l’avenir du Québec. Cette défaite est un drame. Une surprise monumentale. Le début de l’exploitation du peuple québécois par la Couronne Britannique. Le 13 septembre 1759 se joue le sort de l’Amérique française. Bou houhou… C’est ce qu’on aime nous dire.


(source)


Ce dont on nous parle moins, c’est que l’arrivée des Anglais à Québec s’inscrit dans le sens de l’histoire. La France est au beau milieu de la Guerre de Sept Ans, véritable « Guerre Mondiale » qui implique aussi le Saint-Empire, l’Angleterre, le Royaume de Prusse, le Portugal, l’Espagne, la Suède et quelques autres États. Le conflit a trois théâtres : l’Europe, l’Amérique et l’Asie. C’est une guerre de géants qui fait environ 1 million de morts, à une époque où il y a moins d’un milliard d’humains. À partir de 1759, la France est dans le pétrin. Ses finances se sont gravement amoindries. Elle a d’autres préoccupations que son réservoir de peaux de castor. Dès 1761, elle essaie de négocier la paix. Elle ne surviendra que deux années plus tard. La France en sort lessivée.

Vue dans ce contexte, la Bataille des Plaines d’Abraham n’est qu’une rixe mineure. Une banalité, un événement presque fortuit. Je trouve un peu triste qu’on choisisse cette base ténue pour asseoir une « grande tragédie » québécoise. En y voyant une défaite, on choisit de facto pour le Québec le rôle de victime. Et ma question est : pourquoi serait-ce une défaite? Pourquoi pas une opportunité? C’est une bien drôle de question, me direz-vous. La France, notre Mère-Patrie, a quand même perdu, non?

Le Québec de 1759 est majoritairement peuplé des rejets de la France. Traverser l’Atlantique à cette époque n’est pas une croisière sur le Queen Élizabeth. Ceux qui s’y risquent sont des gens qui n’ont rien à perdre. D’autres y sont contraints. L’Amérique est une porte de sortie. Que doit le colon à la France? Un lopin de terre gratuit sur un continent immense, où tout est à prendre sans justification. Je pose la question encore : que doit le colon à la France, qui l’a abandonné sans réelle bataille? Pourquoi tant de loyauté pour le royaume, dans une Amérique qui sera faite, dans le quotidien, non pas par la couronne, mais par ses sujets expatriés ?

Il y a un autre moment de l’histoire québécoise, un moment qu’on passe sous silence. Pour celui qui serait resté loyal à la France, il est aussi dramatique que la « défaite » des Plaines. Si on parle peu de cet événement, c’est parce qu’il s’agit d’un non-événement pour le Québec. Seulement 15 années après avoir abandonné presque sans combat ses colonies du Canada, la France s’engage aux côtés des colonies américaines dans sa Guerre d’indépendance contre l’Angleterre. Le non-événement, c’est que la France n’ouvre pas de front au nord pour reprendre le Québec. Elle envoie plutôt 15 000 hommes et une bonne partie de sa flotte vers le sud, chez l’Oncle Sam. (Plus d’info ici.) Pour la France du moment, le Québec est chose du passé, un territoire complètement largué. Alors pourquoi tant de loyauté envers la « mère-patrie » dans les épanchements de nos pleureuses souverainistes ?


Un peu d’histoire-fiction


L’arrivée des Anglais à Québec, une opportunité? Vous trouvez que je pousse le bouchon un peu trop loin. Mais analysons un peu les autres options qui se présentaient à l’époque. Faisons nous aussi comme la Presse, et basculons dans l’histoire-fiction.

Je viens de parler de la Guerre d’indépendance américaine. Savez-vous quelle a été la première initiative majeure des États-Unis au début de leur Guerre d’indépendance? Je vous le donne dans le mille : ils ont tenté de prendre le Canada en 1775. En nombre, les Américains sont alors aussi nombreux que les troupes de Wolfe 15 ans plus tôt. Si en 1759 Montcalm n’a pas su résister à 4000 Anglais fraîchement débarqués, et ce malgré sa position fortifiée, aurait-il vraiment fait mieux s'il avait dû affronter ces 4000 Américains habitués aux conditions du terrain? Permettez-moi d'en douter.

Que serait devenu le Québec si ça avait été les Américains au lieu des Anglais? Pour une idée de réponse, on peut regarder du côté de la Louisiane… Je ne suis pas certain que le texte de ce blog serait aujourd’hui en Français. Et comme bien des petits Américains, j’aurais passé mon enfance à faire le salut au drapeau, le matin à l’école. Mais bon, les Anglais ont résisté et nous sommes restés des sujets britanniques.

Je reprends alors le scénario de la Presse. En 1759, c’est Montcalm qui l’emporte. Le Québec reste une colonie française. Pour ce scénario, je me cite moi-même : « Le Québec peut s’estimer chanceux d’avoir été abandonné si rapidement par sa mère-patrie, surtout quand on regarde ce qu’ont dû subir la plupart des autres colonies françaises. On mentionnera seulement, en guise d’exemple, l’Algérie et l’Indochine… Et, même s’il n’est pas un pays, le Québec est la 44e économie mondiale. C’est comparable au Portugal. À une époque plus contemporaine, la France se serait peut-être battue très longtemps avant de laisser aller un si beau morceau de gâteau. L’Algérie, 112e économie mondiale, a saigné pendant 8 ans pour arriver à son indépendance… en 1962! »

Back to reality

Je tiens à rappeler à tous que sous le giron anglais, le Dominion du Canada a obtenu son indépendance sans conflit armé, et ce dès 1867. Dans ce nouvel État, le Québec jouait un rôle prépondérant, avec 33% de la population et plus de 50% du territoire. En 1896, Wilfrid Laurier, un Québécois de Saint-Lin (rien de moins) accédait aux plus hautes fonctions du pays.

Dans le Québec d’aujourd’hui, la culture francophone doit être défendue, mais reste quand même florissante. Pour une simple colonie, ce fait est exceptionnel. On peut presque dire « inédit ». Avec leur impérialisme « soft », les Anglais ont quand même été sympa de ne pas trop s’imposer dans nos églises, dans nos écoles, dans nos journaux. On est quand même plutôt loin du génocide arménien, pour prendre un exemple. On est loin de la « pacification » de la Chine par le Japon, en 1937. Loin du Congo Belge, ou de la Tchétchénie. Loin du camp de concentration de Bloemfontein.

Alors que ceux qui chialent encore, à coup de « Les maudits Anglais nous ont exploités! » ou de « Les maudits Anglais nous ont volé notre pays! », ben qu’ils aillent donc prendre un café avec un autre colonisé, question de discuter un peu. Qu’ils aillent donc parler à un Algérien. Quand on se compare, souvent, on se console. Mais ça implique de regarder ailleurs que dans son nombril.


7 commentaires:

Grégoire. a dit…

Salut!!

Je viens de lire une partie de ton blog. C'est excellent!! Etant moi-même passionné d'Histoire j'ai lu avec grand plaisir ce dernier article! Je suis Français et je dois dire que ca fait beaucoup de bien de pouvoir lire un point de vue différent sur mon pays. Les regards étrangers sont de loin les meilleurs pour pouvoir prendre un peu de recul et se regarder dans un miroir... Et ca fera beaucoup de bien aux plus prétentieux d'entre nous... Beaucoup de Français n'ont sans doute pas conscience de notre arrogance et les touristes étrangers ont bien du courage de venir encore à Paris quand on voit à quel point on peut être désagréable et peu accueillant...Bravo pour ce blog!
J'aurais cependant une seule remarque, par rapport à ta comparaison avec l'Algérie. La plupart des Québécois sont des descendants de colons, non de colonisés. A l'inverse l'écrasante majorité des Algériens n'était pas des colons mais des colonisés et cette terre d'Afrique du Nord était habitée avec une population se comptant par million au moment de la conquête par la France en 1830. On ne peut donc pas la comparer avec le Québec (je n'occulte évidemment pas le massacre et la réduction en esclavage des populations amérindiennes par les Européens). La différence que tu soulèves entre l'impérialisme "soft" anglais et l'impérialisme français est tout à fait juste. Et ton analyse sur les éventualités d'une guerre d'indépendance sanglante et longue si le Québec était resté une possession française est également juste. Je suis entièrement d'accord. Mais encore une fois, la comparaison avec l'Algérie n'est vraiment pas possible. Je me rapporte à l'une de tes dernières phrases : "ben qu’ils aillent donc prendre un café avec un autre colonisé, question de discuter un peu. Qu’ils aillent donc parler à un Algérien."
La France a volé la terre des Algériens et les a réduit en esclavage, ca n'est donc absolument pas comparable à la situation au Québec( sauf si tu parles des populations amérindiennes à qui on a non seulement volé la terre mais qui eux ne l'ont jamais récupéré, même s'ils ont malheureusement été presque tous exterminés)
Je suis pratiquement d'accord avec la totalité de tes propos, mais cette dernière affirmation m'a choqué. Elle m'a rappelé la posture américaine durant les guerres de décolonisations, qui consistait, lorsque les Etats-Unis dénoncaient la colonisation (et ils avaient évidemment raison de le faire) à se faire passer pour "une ancienne colonie, libérée de ses colonisateurs" qui comprenait les souffrances des peuples colonisés. Les Américains étaient pour la plupart des descendants de colons également, et ont d'ailleurs continué à coloniser le territoire nord-américain jusqu'au début du XXe siècle...Il est évident que la France n'a de loin pas effectué le travail de mémoire suffisant sur son passé colonial, ni même présenté les excuses nécessaires. Et il est évidemment impératif de dénoncer l'horreur de la colonisation. Mais il devrait être inconcevable pour les Québécois, les Canadiens ou les Américains, descendant d'Européens colonisateurs, de se faire passer pour des colonisés.

Mon nom est Paul a dit…

Merci Grégoire pour ce commentaire.

Je me suis peut-être mal exprimé, ou tu m'as mal compris. Quand j'invite un "colonisé" québécois à discuter avec un Algérien, c'est pour qu'il puisse mesurer la petitesse du supposé "drame" québécois.

"C'est en se comparant qu'on se console" : notre drame nous paraîtra bien petit si on ose le comparer à celui des Algériens.

La conquête anglaise est encore chez-nous dépeinte comme une des grandes tragédies de l'histoire humaine. Ce qui à mes yeux est une enflure de la réalité. C'est ce que j'ai essayé de passer comme message.

Le but de cette série qui commence, c'est d'inviter mes compatriotes à revoir certains des faits d'histoire que nos vieux politiciens canadiens, par partisanerie, nous rejouent en boucle.

Je suis fatigué d'une certaine vision de l'histoire du Québec. Je crois que mon point de vue trouve un écho dans ma génération.

Je t'invite à continuer à me lire. Tu assisteras à une dissection de notre histoire, figée depuis trop longtemps. Je veux proposer autre chose.

Merci beaucoup de ton passage et de ton intérêt.

Grégoire. a dit…

Je pense que j'avais effectivement mal saisi tes propos. C'est beaucoup plus clair maintenant. Merci pour le complément d'information! Je continuerai évidemment à lire tes articles qui sont très intéressant et surtout remarquablement bien écrit!
Je vais avoir l'occasion d'aller au Québec pendant 4 mois à partir du mois de janvier et j'ai hâte de pouvoir rencontrer tes compatriotes et de pouvoir visiter la belle Province!

sylviane a dit…

Histoire quand tu nous tiens!!!
J'ai vécu au Québec en 75 et 76. J'étais venue tenir compagnie à ma soeur dont le mari était parti travailler dans la baie James. J'avais un job dans une société d'import-export de bijoux. J'ai passé un an à me faire traiter de "maudite française" par un québécois (Jacques le bien nommé) qui me reprochait sans cesse d'être la descendante de ceux qui avaient abandonné ses colons à leur triste sort. "Quelques arpents de neige...",on l'a connait tous celle-là, du moins ceux qui s'intéressent à l'histoire du Québec. Heureusement, dans la compagnie où je travaillais, il y avait deux charmantes personnes (Rose et Jacinthe) qui elles étaitent passées à autre chose et qui ne ressassaient pas le passé comme ce beau "patriote". Elles m'ont formidablement aidé à traverser cette épreuve et font toujours aujourd'hui partie de mes amies de coeur. Je n'ai jamais manqué de leur rendre visite quand je viens au Québec et elles sont de ces personnes qui pense un Québec d'avenir, libéré de tout ce passé.
C'était mon petit commentaire du jour.

Casimir a dit…

Bonjour Paul,

Je me permets de débuter ce commentaire par une maxime en apparence banale mais qui mérite d’être utilisée à l’occasion : « On ne fait pas l’histoire avec des si… ».

Je peux sans doute vous paraître paternaliste, mais en méditant cette courte phrase l’on évite bien des dérives de la pensée.

Il est valable de réfléchir à la portée et aux conséquences de la Bataille des plaines d’Abraham, mais le texte de Boisvert ne remet pas cette bataille en perspective. Il fait de l’histoire-fiction de mauvais goût. La preuve que de nombreux journalistes s’improvisent spécialistes de tout et de rien.

En ce qui concerne votre point de vue, vous démarrez assez bien, vous remettez la bataille en contexte assez honnêtement. Par contre, vous divaguez clairement par la suite. Il est impossible d’entamer un dialogue constructif en prenant appui sur des spéculations historiques.

Je vous demande de vous mettre en situation inverse afin de comprendre mon point de vue. Vous tombez sur un billet indépendantiste qui dresse un scénario idyllique du Québec 25 ans après l’indépendance. J’aimerais bien lire votre réaction.

Je ne commenterai pas toutes vos approximations et vos raccourcis. Je m’attarderai à un seul point. Je vous fais une confidence. Vous savez, que la France se soit battue vaillamment pour la conservation de la Nouvelle-France puis qu’elle ait cédé sa colonie où qu’elle l’ait abandonné lâchement ne change absolument rien à la suite des choses. Vous savez, le fait que la France n’ait pas libéré la Nouvelle-France lors de la guerre d’indépendance des États-Unis ne charge rien non plus.

La Nouvelle-France est passée sous la domination anglaise et les Canadiens (anciens noms des Québécois pour les lecteurs français) ont été écartés du pouvoir économique et politique. Les idées libérales et démocratiques des Patriotes ont été bafouées et le Québec est enfermé dans une fédération. Le Québec ne contrôle pas une grande partie des pouvoirs politiques essentiels aux nations indépendantes.

Le nœud du problème est là. Les fédéralistes acceptent le partage des pouvoirs avec le gouvernement fédéral et les indépendantistes ne l’acceptent pas. Ils veulent les pouvoirs des États souverains et indépendants.

Vous avez beau faire de l’histoire-fiction vous ne changerez pas cette situation.

Bonne journée!

Unknown a dit…

Etre loin...

Thibault, français à Montréal depuis deux ans.

J'aimerais savoir de quelle "opportunité" tu parles. Il me semble que la condition des québécois francophones, encore de nos jours, sous entend une iniquité non acceptable.

Ayant vécu un an dans la banlieue francophone d'Hochelaga, il me semble avoir vu un certain nombre de disparités avec ce qui se fait plus à l'ouest de l'île...

Vas donc dire au monde qui vit sur le BS qu'ils sont chanceux de vivre sous les lumières de la Reine Mère et l'empathie des conservateurs...

Car ils sont là, les "chialeux" à Molson dont tu parles avec si peu de cas.

Bonne journée,

En espérant qu'il fasse moins gris sur Paris qu'en province.

Mon nom est Paul a dit…

@Martine : je savais bien qu'écrire sur ce sujet allait me poursuivre pendant des siècles...

Je n'ai jamais défendu les Conservateurs...

Et si tu veux voir des BS anglais, t'as qu'à sortir d'Hochelaga. Prends la ligne verte jusqu'à GriffinTown. Ou va à Terre-Neuve. Ou à Thunder Bay. Je ne vois pas ce que le BS a à voir avec la souveraineté. Attends ? Tu veux dire que dans un Québec libre, il n'y aurait plus de pauvreté ? Les Anglais ont le dos large, mais quand même...

Pauvreté dans le débat...