dimanche 20 septembre 2009

Les obsèques du martyr québécois : préambule



Ça fait maintenant 15 mois que je casse un peu de sucre sur le dos des pauvres Français. Faut dire qu’ils aiment bien ça : 60% de mon lectorat est constitué de Français fidèles. Je les remercie. C’est une belle qualité qu’ils ont d’accepter la critique, d’entrer dans le débat, d’oser se voir remis en question. Je dirais que leur patriotisme est profond, mais souple.

Mais pour quelque temps, j’aimerais me tourner vers le Québec. Depuis longtemps, j’ai une grosse crotte sur le cœur (expression québécoise) à l’endroit de ma société. Je veux essayer d’en sortir un petit bout. Et de l’enterrer.

L’envie de me lancer m’est venue suite au grand psychodrame national (encore un autre) provoqué par les diverses activités visant à commémorer le 250e anniversaire de la Bataille des Plaines d’Abraham. Pour mes amis Français qui ne connaissent peut-être pas, c’est à l’issu de cette bataille que les colonies françaises du Canada sont passées aux mains des Anglais. Du jour au lendemain, les Québécois ont devenus des sujets de la couronne britannique.

Donc, pour marquer le 250e, certains ont eu l’idée de reconstituer la bataille, avec décors et costumes. Une sorte d’amuse-touriste, pour cette horde de visiteurs américains qui viennent à Québec, question de se croire en Europe le temps d’un week-end. Mais bien évidemment, ce projet plutôt mal avisé a suscité la levée du bouclier médiatique de l’habituelle garde nationaliste (ceux qui veulent faire du Québec un État souverain) : « Outrage! Honte aux organisateurs! Vouloir rejouer l’humiliation française en Amérique, c’est de la provocation. Comme si la Virginie reconstituait un débarquement de négriers suivi d’une vente d’esclaves africains sur la place publique de Jamestown. Scandaleux! » La tempête couche le navire; l’événement est annulé.

Quelques semaines plus tard, le camp nationaliste renchérit avec son propre projet : le Moulin à Paroles. Pendant 24 heures non-stop, des personnalités liront des textes importants de l’histoire québécoise. Félix-Antoine Savard, Claude-Henri Grignon, Anne Hébert, Maurice Duplessis. Des personnages de tous horizons qui ont jalonné l’histoire française en Amérique. On a même invité Andrew Wolfe Burroughs à lire des lettres et ordres transmis par son aïeul, le général James Wolfe, commandant des troupes anglaises lors de la bataille des Plaines d’Abraham (Le général y a d’ailleurs laissé sa peau, tout comme son adversaire français le Marquis de Montcalm).

Personnellement, je trouve que le projet est beau. Poétique. À tout le moins, il est grandement plus intéressant et créatif que la pathétique reconstitution (« reenactment » comme on dit aux USA) de la bataille. Ces espèces de guerres de soldats de plomb, pour et par de grands enfants, et dont les Américains sont friands, me paraissent toujours un peu ridicules.

Source photo : wikipedia.


Mais parmi la pléiade de textes qui seront lus lors du Moulin à Paroles figure le Manifeste du FLQ. Ce texte est une lettre de revendications adressée au gouvernement et au peuple québécois par le Front de Libération du Québec, un « groupement terroriste » (Les guillemets sont de moi. Le FLQ fera l’objet d’un prochain texte). Ce manifeste avait été lu en direct à la télévision, pendant la Crise d’Octobre (1970). À ce moment, le FLQ détenait en otage le ministre québécois Pierre Laporte. La diffusion du texte était une concession gouvernementale, dans le cadre des négociations visant à faire libérer le ministre. Malheureusement, et malgré cette diffusion, Laporte a été exécuté.

La présence du Manifeste dans la playlist du Moulin à Paroles déclenche un nouveau psychodrame. Cette fois, ce sont les fédéralistes (ceux qui défendent l’unité canadienne) qui déchirent leurs chemises.

Le Manifeste du FLQ est bel et bien un des jalons importants de l’histoire québécoise. On peut se réfugier derrière ce fait pour tenter de se justifier. Mais selon moi, sa lecture publique est une idée toute aussi mal avisée que le projet de reconstitution de la Bataille. Tout d’abord, le texte du FLQ est un bousin à la sauce « révolution prolétaire » écrit par des enfants d’école. Un ramassis ordurier des lieux communs de la tendance gauchiste 1970. Il y a mieux comme texte dans la littérature souverainiste. Ensuite, les blessures de la Crise d’Octobre sont encore ouvertes. Lire le Manifeste, c’est aussi de la provocation. À tout le moins, ça ajoute aigreur à un événement qui, bien que politisé, aurait pu être très fédérateur.

C’est un peu ça ma « crotte sur le cœur » : depuis bientôt 50 ans, le Québec est englué dans ce putain de débat nationaliste qui paralyse toute initiative, et ce jusque dans la vie privée. Depuis que je suis conscient politiquement, depuis le début de ma vie adulte, je vois tout débat québécois déraper ultimement vers l’affrontement nationaliste. On me gave et on me re-gave de cette obsession nombriliste, sans arrêt, à toutes les chaînes, dans tous les journaux, à tous les jours. Pendant ce temps la chute du Mur de Berlin, la fin de l’URSS, la mondialisation, Desert Storm, l’Euro, Hugo Chavez et Evo Morales, le 11 septembre, la Chine 2e puissance économique mondiale, Barack Obama, la plus gros crise financière de l’histoire. Pendant ce temps Toronto, Vancouver et Calgary.

Alors dans les prochains billets, j’aimerais bien présenter ma vision des choses. La vision d’un mec fatigué. Un mec écœuré. Qui a souvent honte du Québec, à cause de son « grand renfermement », de ses œillères et de son obsession. Une nation qui accepte d’être cantonnée dans un rôle de victime, le rôle du perdant, par ceux qui prétendent vouloir la « libérer ».

Me libérer de quoi? Si j’ai honte, c’est qu’on m’empêche d’être fier.

Certains me diront traître à la Nation. Ils feraient mieux d’apprendre la différence entre « état » et « nation ». Moi, traître au fantasme d’État québécois? Oui, absolument. Mais traître à la Nation, pas vraiment. Je suis de ceux qui saignent de la voir s’atrophier au fil des décennies. Ma Nation, elle a fait son choix. Deux fois. Démocratiquement. Qu’on la laisse regarder devant, maintenant.


1 commentaire:

Casimir a dit…

Bonsoir Paul,

D’abord je tiens à vous félicitez pour votre plume et pour le concept de votre blogue. J’aime bien l’idée du dialogue France/Québec.

Vous blâmez les indépendantistes pour le rôle de victime qu’ils font porter à la nation québécoise (selon vous). Est-ce que vous considérez que la volonté d’indépendance politique d’une nation signifie la victimisation ? Est-ce que les pays indépendants comme la France sont peuplés de victimes ?

Il est assez surprenant de voir que la majorité des événements qui se déroulent pendant qu’au Québec l’on «dérape ultimement vers l’affrontement nationaliste» concerne la nation et le nationalisme.

Mur de Berlin (réunification d’une nation)
la fin de l’URSS (fin d’un empire et naissance d’un dizaine de nouveaux pays)
la mondialisation (les États luttent pour leur pouvoirs)
Hugo Chavez (un État en lutte contre l’impérialisme américain)
la Chine 2e puissance économique mondiale (un État fier qui se prend en main)

Et le nationalisme ne veut rien dire….

Bonne soirée!