dimanche 16 août 2009

Vive le boulanger… vive le boulanger LIBRE!




Le 24 juillet 1967, un vieux président français un peu gâteux nommé Charles de Gaulle lance à la foule réunie devant le balcon de l’hôtel-de-ville de Montréal ces mots fatidiques : « Vive le Québec. Vivre le Québec LIBRE! »

Le lendemain de cet appel sécessionniste, le Premier Ministre du Canada, Lester B. Pearson réagit par un simple communiqué de presse : « Certaines déclarations faites par le président ont tendance à encourager la faible minorité de notre population qui cherche à détruire le Canada et, comme telles, sont inacceptables pour le peuple canadien et son gouvernement. Les habitants du Canada sont libres. Toutes les provinces du Canada sont libres. Les Canadiens n'ont pas besoin d'être libérés. Le Canada restera uni et rejettera toutes les tentatives visant à détruire son unité. »

On note dans cette réaction une tempérance toute canadienne, qui à mes yeux honore Pearson (Prix Nobel de la paix en 1957, soit dit en passant). Car il s’agissait littéralement d’un incident diplomatique qui, selon moi, aurait mérité une affirmation de souveraineté beaucoup plus cinglante. Déjà que de Gaulle, ce vieil insolent, avait plutôt mal commencé sa visite officielle en terre canadienne, accostant à Québec à bord du croiseur Colbert et faisant ainsi fi de la règle protocolaire qui commande qu’un chef d’État arrive via la capitale nationale, Ottawa. Fallait-il qu’il en rajoute, et autant?

On a quand même laissé de Gaulle séjourner deux jours de plus en terre canadienne. Je ne sais pas trop, mais si j’avais eu à réagir à une telle impolitesse, j’aurais sorti le général du pays à grand coup de pieds dans le cul, dans l’heure qui a suivi sa divagation populiste. Non, mais sérieusement, comment réagiraient les Français si un officiel canadien venait gueuler « Vive la Corse libre! » ou « Liberté aux Basques! » dès qu’on le laisse monter sur une balustrade? Moi, de Gaulle, je lui aurais montré la sortie manu militari. Mais bon, ma réaction épidermique doit être due à un reste de sang latin (lire français) que m’ont légué mes ancêtres.

D’une certaine manière, si la France souhaitait que le Québec fût libre, elle n’aurait peut-être pas dû l’abandonner aux Anglais. Le 8 septembre 1760, le Canada et toutes ses dépendances sont cédés comme de la menue monnaie, en prélude au traité de Paris, qui sera ratifié au début de 1763. Après, quand un Français me dit que la langue québécoise est anglicisée, j’ai envie de répondre que ça aurait pu être pire, et que c’est quand même bien d’avoir tenu deux siècles et demie sous le giron des Anglais. Et tant qu’à parler de « liberté », j’ai envie de pousser l’insolence en affirmant que le Québec peut s’estimer chanceux d’avoir été abandonné si rapidement par sa « mère-patrie », surtout quand on regarde ce qu’ont dû subir la plupart des autres colonies françaises. On mentionnera seulement, en guise d’exemple, l’Algérie et l’Indochine… Et, même s’il n’est pas un pays, le Québec est la 44e économie mondiale. C’est comparable au Portugal. À une époque plus contemporaine, la France se serait peut-être battue très longtemps avant de laisser aller un si beau morceau de gâteau. L’Algérie, 112e économie mondiale, a saigné pendant 8 ans pour arriver à son indépendance… en 1962!

Mais bon, assez de politique-fiction. Assez de couteaux remués dans les plaies… Et puis non, encore un petit dernier :-)

C’est Camus, un écrivain français, également « pied-noir » d’Algérie (dis-donc!), qui posait la question : « Que préfères-tu, celui qui veut te priver de pain au nom de la liberté ou celui qui veut t'enlever ta liberté pour assurer ton pain? » C’est une question qui mérite réflexion, surtout quand on doit y répondre personnellement. Mais quand on est un visiteur étranger, comme moi ou comme le général gâteux, c’est plus facile de répondre à l’emporte-pièce la première insolence qui nous traverse l’esprit. Alors moi, du haut de ma basse tribune, je gueule : « Vive le boulanger… vive le boulanger libre! »

Et vous êtes en droit de vous poser une question moins compliquée, mais certes légitime : « Mais pourquoi il dit ça, ce con? »

La raison, c’est que j’ai découvert récemment une drôle de chose par le lien des amitiés. Via Marie-Julie, qui l’a dit à MissK, qui a ensuite rapporté le blog de Josie Baker, qui mettait récemment en ligne cette vidéo de Libé. La vidéo, ce qu’elle nous explique, c’est que les boulangers parisiens ne peuvent prendre de vacances à leur guise. Depuis 200 ans, c’est la préfecture qui décide quand le boulanger prendra ses vacances.

À mes yeux d’Américain, c’est DÉBILE MENTAL (comme on dit au Québec). Allô la France? Il y a quelqu’un au bout du fil? Même si en cette ère moderne, les supermarchés débordent de pain, les boulangers sont soumis à la préfecture. Aux yeux des Parisiens, il semble que le pain frais de bonne qualité soit une denrée à ce point essentielle qu’on en vienne à accepter une diminution des libertés individuelles de certains citoyens. Pas question de manger du gâteau, comme l’avait suggéré Marie-Antoinette. Au diable le boulanger et sa soif de soleil niçois! Nous, on veut de la baguette! On pouvait bien critiquer George Bush et son Patriot Act…

Sérieusement (juste un peu), ce n’est pas ce règlement quelque peu ridicule qui me choque. C’est plutôt qu’il soit encore toléré. Que les boulangers acceptent de vivre avec, « parce que c’est comme ça ». À mes yeux, est inadmissible une telle intervention de l’État dans des domaines qui relèvent complètement de la vie privée : la gestion libre de son petit commerce, et la liberté de choisir la date de ses vacances. Nom de Dieu, on ne parle pas de l’euthanasie ou de l’avortement, ici. On parle de toutes petites libertés individuelles sans conséquence! Qu’est-ce que l’État vient faire là dedans?

D’une certaine manière, ça m’aide à comprendre un peu plus les Français. Et surtout à comprendre pourquoi les Français ne comprennent pas toujours bien l’Amérique (la partie USA). « Pourquoi ils n’ont pas de système santé public aux États-Unis? » « Pourquoi ils défendent le droit de porter une arme? » Les Français trouvent rigolo et un peu arriéré la devise du New Hampshire : « Live Free or Die ». Pourtant, il est sérieux quand il dit ça, le fermier du New Hampshire.

Parce que les États-Uniens, en majorité, sont complètement allergiques à l’intervention de l’État dans le domaine privé. C’est viscéral. C’est un des traits fondateurs de cette nation. Si un fonctionnaire américain décidait d’imposer une date de vacances à un boulanger, ce dernier prendrait probablement les armes. Bon, j’exagère un peu. Mais chose certaine, le fonctionnaire serait forcé de démissionner devant le tollé provoqué par sa décision quelque peu plénipotentiaire. Aux USA, on ne veut pas de fonctionnaire. On préfère le communautaire. L’association du coin. Le pasteur baptiste d’à côté, et sa congrégation. Aux yeux d'un États-Unien moyen, le socialisme à la sauce française, c'est presque du communisme.

Au Québec, on accepte beaucoup mieux le socialisme à l'européenne. (Et ça se reflète dans nos prélèvements fiscaux.) Mais nous avons certains réflexes américains, notamment en ce qui à trait à la liberté de prise de vacances. Déjà que le Québécois n'a pas droit à beaucoup de vacances annuelles (2 semaines selon la loi), il n'accepterait pas de se voir imposer une date pour les prendre. Du moins pas par un fonctionnaire. Par un patron, peut-être. Business is business.

Mais je reviens en France (pour ainsi lâchement éviter d'avoir à expliquer la contradiction toute québécoise que je viens d'illustrer au paragraphe précédant...) À Paris, le boulanger accepte son sort. Il dit : « Bof, fait chier, mais ça va ». La France est fière de sa république. Elle aime son État. Assez pour tolérer certains de ses égarements.

Je ne dis pas que c’est mieux en Amérique, loin de là. Hormis le général mégalo ci-haut mentionné, je ne condamne rien ni personne. Les Français peuvent bien vivre comme ils l’entendent, et voir le monde comme ils le souhaitent. C’est bien comme ça. C’est leur version du bonheur, et de la liberté. Ce que je fais, en réalité, c’est prendre conscience de l’ampleur de cet océan culturel qui sépare les deux continents. Absolument fascinant! Vraiment.

Au fond, le général, peut-être qu’il n’a pas eu le temps de terminer sa phrase. Peut-être qu’il a été stoppé dans son élan par la foule enthousiaste. Peut-être qu’il voulait seulement dire : « Vive le Québec libre… de légiférer sur son territoire en matière de vacances des boulangers! » Mais il a manqué de rythme. Il a fait la pause au mauvais endroit. Et il était trop tard : la foule a réagi, et l’histoire s’est écrite d'elle-même, comme c’est son habitude.


4 commentaires:

Anonyme a dit…

bonjour.
je me suis permis de reprendre une partie de vos commentaires sur notre site en y mettant le lien.
Ils sont trop droles.
Si cela vous derange, nous les retirerons sans soucis.

http://bonneau.siteparc.fr/forums/viewtopic.php?f=11&t=37117

Unknown a dit…

Même pour un français, la nouvelle est franchement étonnante (je pense qu'à part les boulangers, personne ne connait cette affaire). A mon avis, c'est un reste d'un temps où le pain était une affaire politiquement et symboliquement sensible (http://correcteurs.blog.lemonde.fr/2007/09/04/sans-la-brioche-marie-antoinette-aurait-elle-chu-dans-loublie/) et si aujourd'hui ce n'est plus vraiment un problème (on trouve effectivement du pain en supermarché toute l'année), l'habitude, le fait que ce ne soit ni franchement prioritaire, ni franchement connu et que ça ne gêne au final pas grand monde (à part les boulanger) fait que personne ne se préoccupe vraiment de changer cette vieille habitude...

Renaud a dit…

Bonjour,

Les américains sont complètement allergiques à l’intervention de l’État dans le domaine privé.
Sauf :

- pour sauver leurs banques d'affaires (JP Morgan et Morgan Stanley, Bank of America, Citigroup, etc;) et banques hypothécaires (Fannie Mae et Freddie Mac)
- leurs constructeurs automobiles (Chrysler, GM, Ford)
- subventionner leur agriculture (blé, maïs)

En France, la Révolution est arrivée à cause du manque de pain. Du coup, le pain a été un produit longtemps réglementé, de même que la farine et le blé d'ailleurs.
N'importe quelle boulangerie française peut-être réquisitionnée par un simple arrêté préfectoral. C'est parce que le pain est encore l'aliment n°1 des français et finalement, tous les boulangers en sont très contents.

Mon nom est Paul a dit…

À Rraffier:

je réponds rarement aux commentaires à propos de mes impertinences.

Mais j'avoue que vous amenez un bon point avec les sauvetages récents. Ils ont été violemment décriés, mais comme ils semblent pour le moment fonctionner, ce pourrait être une amorce de changement dans la mentalité américaine. Mais il faudra voir ce qui se passe avec la réforme de la santé, qui rencontre une vive opposition. Laissons le temps aller, peut-être êtes-vous visionnaire.

Toutefois, pour l'agriculture, je crois que les subventions sont des stratégies couramment employées par une majorité d'États pour le maintien de la balance commerciale, etc. Je ne crois pas qu'on puisse d'un seul trait relier ces pratiques économiques et le sujet des libertés individuelles.

Merci de votre commentaire pertinent, et surtout de votre lecture.