mardi 1 décembre 2009

Et puis après?



Bon, alors je vais tenter de clore avec ce billet ma série sur le Québec. Surtout qu’un petit PQ-Macoute m’a repéré et qu’il ne me lâche pas. Le bonhomme a l’air de croire que ce blog est un lieu de débat, alors qu’il est simplement le journal bien personnel de mes émotions, impressions, et accès de folie. Reste que ce teigneux de PQ-Macoute a certainement aidé ma thèse, illustrant à sa manière à quel point l’obsession du débat sur la souveraineté peut devenir gravement lassante.

Je vous propose de me suivre, une dernière fois, sur le sujet. Mais je vous parlerai d’une autre manière. Car l’avenir n’est jamais vraiment clair. Le présent non plus, d’ailleurs. Y’a que le passé qui soit bien figé, dans les revues et livres d’histoire. Presque… Alors ce sera plus flou, un peu décousu. Impressionniste. Des réflexions, simplement.

Voyager

Le défaut de bien des souverainistes (et de bien des Québécois d’ailleurs), c’est de ne jamais avoir mis les pieds en dehors du Québec, sauf pour l’occasionnel shopping à Plattsburgh ou pour une semaine dans un tout-inclus dominicain. Beaucoup de Québécois n’ont jamais vu les autres provinces canadiennes. Je dirais que 18 mois à l’étranger m’auront appris à ne plus trop me fier aux hypothèses identitaires d’un casanier.

Quelqu’un a certainement déjà dit ça : quand on va à la rencontre de l’autre, c’est soi qu’on trouve. Je ne peux avoir inventé cette boutade. Je suis certain que c’est une expérience universelle. En sortant de chez moi, j’ai découvert un paquet de trucs que j’ignorais à propos de ma culture. Simplement parce que, plongé dans ma société, ces trucs apparaissent comme la normalité. À Paris, ma normalité a été confrontée à celle des Français. Et à plusieurs moments, à cause de mes remarques et questions, mes collègues et amis français ont été forcé de jeter un regard différent sur leur propre culture. Quotidiennement, on fait un paquet de chose par réflexe, sans s’arrêter, « parce que c’est comme ça ». Ce sont souvent ces choses invisibles qui forment les fondations d’une identité.

Ce voyage, qui n’est pas terminé, a beaucoup renforcé mon amour du Québec. J’ai appris à remarquer et aimer un paquet de traits qui m’étaient invisibles. L’ordinaire, quand il n’existe pas ailleurs, devient tout à coup extraordinaire. Un exemple un peu con : parlez du cassoulet à des Parisiens. Ils vous répondront que c’est pas mauvais. C’est sympa. Mais un peu lourd. Parlez-en à des Français expatriés, et ils vous en feront l’éloge pendant deux heures. Moi, je suis devenu un fervent défenseur des micro-brasseries québécoises. Je le dis sans gêne aux Français : la bière que vous buvez est dégueulasse! C’est inadmissible, pour un peuple qui se dit fin palais, et qui soigne si bien son raisin.

La France

Pendant longtemps au Québec, y’a eu une sorte d’adoration de la France. Tout Français qui débarquait était considéré comme expert dans son domaine. Faut dire que le Français à cette manière de parler avec aplomb, même des choses auxquelles il ne connaît strictement rien. L’autre jour au resto, y’a ce Parigot qui me disait tout sérieux que la différence entre l’aligot et la truffade, c’est la truffe. Moi je savais pertinemment qu’aucun des deux plats n’en contient. C’était rigolo de le voir disserter sur le sujet, tout sûr de lui. J’aurais pu l’enfoncer devant tout le monde, mais je ne l’ai pas fait. Pour plusieurs raisons. Premièrement, le Québécois est poli, un beau trait de caractère probablement hérité des Britanniques. À Paris, la politesse n’est pas payante car presque jamais rendue. Deuxièmement, le Québécois est jovial et n’aime pas beaucoup la confrontation. Ce trait est moins joli. Nous devrions mettre une couille ou deux de plus dans notre sous-vêtement. Enfin, le Français déteste être ridiculisé publiquement. C’est assez pour qu’il se jette sous un métro. Nous, Québécois, savons souvent rire de nous-mêmes. Ça aide à rendre la vie moins stressante. À l’exception de certains souverainistes, nous savons aussi quand arrêter d’argumenter, quand il n’y a plus rien à gagner sinon un ennemi. Le Français se bat toujours pour l’honneur, même si c’est seulement « l’honneur d’avoir raison à propos de la truffade ». Alors parfois vaut mieux lui laisser. C’est moins compliqué comme ça.

Je disais donc qu’à une époque, nous avions le regard tourné vers la France en quête d’approbation. Pour nos artistes, une reconnaissance parisienne signifiait la consécration. Nous avons boudé plusieurs de nos Riopelle, Pellan, Ducharme pendant des années, pour ensuite les porter au panthéon à la première mention honorable dans une revue parisienne. Aujourd’hui, la France est de plus en plus perçue comme un gros marché. Je crois que c’est bon signe.

Côté politique, les souverainistes ont dans un passé récent envoyé délégations sur délégations pour quémander la bénédiction de Paris. Les chefs d’un futur État indépendant qui font la queue à l’Élysée pour demander l’aumône diplomatique, c’est humiliant. En plus, c’est d’un amateurisme désolant. Parce que ça met le corps diplomatique français dans l’embarras, en le forçant à se prononcer sur une question qui n’est pas la sienne. Ça l’oblige à ménager la chèvre et le chou. N’oubliez pas qu’en Normandie, c’est le drapeau canadien qui flotte à côté des autres pavillons des alliés. La France n’a aucun avantage diplomatique à mettre son doigt dans cet engrenage sécessionniste. Les plus bêtes dirons en frétillant : « Oui, mais la France a bien appuyé les Américains pendant leur guerre d’indépendance! » C’est vrai, mais la France à ce moment était aussi en guerre contre l’Angleterre.

Bon, un paquet de détours par le passé pour dire qu’aujourd’hui, je crois ça a changé un peu. Ce n’est pas que le Québec aime moins la France. C’est qu’il s’aime un peu plus lui-même.

L’Amérique

Malgré la vieille fascination des souverainistes envers la France, notre mère patrie comme ils disent parfois, je ne me suis jamais senti si Américain que depuis mon arrivée à Paris. En fait, j’ai commencé à comprendre les valeurs qui font cette « américanité ». Sorties de leur milieu naturel, où elles se camouflaient dans le sous-jacent de la vie, mes valeurs américaines sont ici mises à nu, exposée. Elles qui me paraissaient normales, voire insignifiantes, me révèlent aujourd’hui toute leur beauté. Je comprends à quel point elles me sont précieuses.

Amis Français, pour les prochains paragraphes, pardonnez-moi d’utiliser votre pays comme base de comparaison. Surtout que je serai injuste envers vous. Mon but de faire ressortir les forces de l’équipe américaine, ce qui par effet de bord soulignera certaines de vos faiblesses. Ne m’en voulez pas trop : il faut choisir sa patrie. Et j’aurai dans l’avenir beaucoup d’occasions de dire du bien de la France.

Même si on a souvent proclamé sa fin, le Rêve Américain est vivant et fort. Il suffit de vivre un moment en France pour s’en rendre compte. Ce n’est pas une question de situation économique ou politique. Le American Dream est appuyé sur une foi que la France ne semble pas posséder. En Amérique, nous avons encore la belle naïveté, peut-être l’idiotie, de croire que tout est possible. Qu’il suffit que vouloir quelque chose assez fort pour que ça se produise. Cet espoir, il est beau, et nous devons l’entretenir. Il nous mène peut-être souvent à l’échec, mais au moins il nous pousse à essayer. Il permet au moins d’anesthésier un peu le cynisme, ce qui n’est pas rien.

Source photo : wikipedia.


J’ai l’impression ici que la maxime « Liberté, égalité, fraternité » est toujours un work-in-progress. Seul le premier item a été confirmé, avec un cadre civique et légal en faveur de l’individu. Pour la partie « égalité », on n’y est pas encore. La candidature à l’EPAD d’un fils de président, d’un gosse même pas diplômé, confirme qu’une certaine partie de la population jouit de privilèges. C’est pas moi qui le dis; ça vient de mes collègues français. Personnellement, j’ai été choqué par la manœuvre. Une telle effronterie ne peut être tentée que dans un État où elle risque de passer, ou à tout le moins d’échouer sans conséquences graves. Que dans une société qui accepte de fermer les yeux sur certains cas de népotisme. Mon opinion est que si le poste avait été un peu moins ambitieux, Bébé-Sarko aurait passé. Quant à la partie « fraternité », elle progresse certainement, mais Paris n’est pas le meilleur endroit pour le vérifier.

En France, je ressens un truc indéfinissable que je désigne par « les plafonds ». Il y a ici des plafonds dans la vie. Mauvaise école. Mauvais quartier. Mauvais nom... Un des plafonds très lourd ici, c’est le conformisme. Même s’il voudra prétendre le contraire, le Français moyen me semble très conformiste. J’entends souvent le mot « impossible » dans des situations où on devrait plutôt dire « inédit ».

Cette pression du parce-que-c’est-comme-ça est magnifique pour préserver les traditions. C’est peut-être à cause d’elle que les grandes recettes françaises n’ont pas encore été trop dénaturées par l’industrie alimentaire. Mais le conformisme peut aussi agir comme œillère, comme frein à l’initiative.

Je vous donne trois petits exemples. Ici, c’est toujours compliqué de se faire servir le café en même temps que le dessert. Faut toujours insister. Ça bouleverse toujours un peu le serveur. Pourtant, qu’est-ce qu’il y a de mal à boire un café en même temps qu’on mange un dessert, ou même un steak? Oui c’est inhabituel, mais y’a aucune raison de s’y objecter au point de contrarier un client. Autre exemple : ici les gens font la queue là où il y a la queue, sans imaginer d’alternative. Ça m’est souvent arrivé de voir deux queues alors qu’il y avait trois guichets. Comme tout le monde, je me suis dit que le troisième guichet devait être fermé. Mais je suis quand même allé vérifier. Surprise : le troisième guichet était ouvert, et je n’ai pas eu à me taper la queue. Dernier exemple, survenu samedi dernier au Salon des vignerons indépendants. Je sors fumer une cloppe. Il y a deux portes vers l’extérieur. Pendant que je fume, une des deux portes se referme (quelqu’un a dû l’accrocher en passant). À travers la vitre, je vois le débit de gens qui devient trop fort pour une seule porte. Un attroupement se crée graduellement. Les gens se mettent en queue pour sortir par la porte qui reste. Personne ne sonde la deuxième porte pour voir si elle peut être ouverte. C’est finalement moi qui l’ouvre (pour rentrer), au moment où la petite foule maintenant agglutinée est sur le point de lancer l’interjection préférée de la France : « Mais c’est inadmissibles! Mais c’est un scandale! » Ce ne sont que de petits exemples, mais je les crois révélateurs. J’observe ce même phénomène à d’autres échelles. Les vacances en août pour tout le monde, avec l’horreur sur les autoroutes nationales, ça vous dit quelque chose? J’attends encore qu’on me donne une bonne raison pour justifier ce phénomène. L’effet de masse? À partir d’une certaine densité, la foule élimine l’individu? Je ne sais pas trop comment décrire la chose, mais parfois on dirait que le Français attend que l'initiative viennent d'ailleurs.

Il arrive que l’Américain moyen se plaigne que sa société est un peu minable, avec son manque de traditions, avec sa petite histoire. Mais je découvre qu’une tradition vient également avec son poids social. Alors il y a peut-être certains avantages à ne pas être trop embourbé dans un passé, ou des manières traditionnelles de faire les choses.

Je parle beaucoup. Je suis probablement en train de vous endormir. Alors voici en rafale quelques points desquels les Québécois devraient tirer une fierté. L’aptitude naturelle à travailler en équipe. Notre candeur. Notre capacité à douter, surtout de nous-mêmes. Notre côté villageois sympa, qui favorise la simplicité dans les rapports. (Croyez-moi, c’est difficile de vivre dans une ville qui croit que la politesse et la gentillesse, c’est pour les cons.) La capacité à négocier. La recherche du compromis. Le dialogue. Toutes ces qualités, je découvre qu’elles ne sont pas réparties également entre les peuples.

Le Québécois a aussi de mauvaises habitudes. Celle de se considérer comme une victime de l’histoire. Son ambition timorée. Son autocritique souvent intempestive. Mais je ne devrais même pas vous en parler. Parce qu’un des buts de mon billet est de rappeler à mes compatriotes que nous aussi, nous avons le droit d’être chauvins. Même que ça nous ferait du bien, un petit débordement de patriotisme. Trop d’humilité, ça devient humiliant.

Les Maudits Anglais

Une dernière chose dont j’aimerais parler, avant de clore pour un long moment cette série de billets-fleuves sur le nationalisme québécois, c’est de notre rapport aux Anglo-Canadiens. Je crois certains de mes concitoyens sont injustes. Je crois qu’on a trop cassé de sucre sur le dos des « Anglos ». Quand j’ai visité Londres, j’ai redécouvert une manière de vivre et des attitudes très proches de ce qui m’est naturel. Et au travail, je suis beaucoup plus près des Ontariens, ou même des New-Yorkais. Et mes amis Terry et Rob me ressemblent beaucoup plus que mes copains français. L’Halloween, fête importante dans le calendrier québécois, est un truc anglais. Et la dinde à Noël. Il n’y a rien qui ressemble à une tourtière en France, alors que les Anglais ont leur meat pies. Les chips au vinaigre. Le ketchup. Le bacon. Les beans au petit déjeuner. La journée de travail qui commence et finit tôt. La bière au lieu du vin. L’ivresse sur la voie publique… Les Québécois sont beaucoup plus anglais qu’ils n’osent l’admettre.

Alors je lance un petit défi aux souverainistes : sortez du Québec pour une année ou deux. Je vous le promets, vous n’en serez que plus amoureux du Québec. Mais vous trouverez aussi en vous un amour pour bien de ces choses que pensiez détester. Après une année à l’étranger, et malgré les vieilles chicanes, vous verrez à quel point Mordecaï Richler et vous appartenez en fait à la même tribu.



(Encore une fois, merci à la France pour sa patience envers moi. Je la remercie d’accepter quelques tomates. Je la sais assez forte et confiante en ses qualités pour tolérer mes éclaboussures. C’est promis, le prochain billet sera sur les points admirables de l’esprit français. Il y en a beaucoup, du bon à imiter.)



3 commentaires:

Unknown a dit…

Je crois que se plier au conformisme n’est pas caractéristique des Français, mais bien des humains en général, car en tant que Français imigré au Quebec je suis bien souvent confronté à la théorie des moutons de Panurge ici aussi (si il y en a un qui le fait, tout les autres suivront sans réfléchir).
Quand au côté villageois des québécois, c’est ce que bon nombre de français apprécient chez leurs cousins d'Amérique, mais expression à évité fortement car très mal interprété par la grande majorité (rabaissant et titillant leur sentiments d’infériorité d’après leur dire), et pour ne pas se faire traiter de maudit français et éviter le sempiternel conseille de rentrer chez nous si on est pas content !
Les bonnes intentions (comme l’humour) ne franchissent pas toujours bien les frontières, et pour appuyer la thèse de ce texte, l’essentiel est toujours de voir ailleurs comment ca se passe, et de se dire qu’entre un peuple un peu trop pacifiste et un peuple un peu trop révolutionnaire, il y a de grandes leçons à tirer des 2 côtés.

Casimir a dit…

Bonsoir Paul,

Je pourrais cesser de répondre à vos billets, mais je ne cèderai pas à vos tentatives d’intimidation. Ce n’est pas dans ma nature, veuillez m’en excuser.

Votre billet est intéressant.

Je suis d’accord avec vous en ce qui concerne l’américanité des Québécois. J’ai beaucoup de difficulté avec les Québécois qui perçoivent la France comme la mère patrie. Je vois plutôt la relation que nous entretenons avec le France comme un partenariat.

Je ne tenterai pas de démonter votre argumentaire cette fois-ci, mais je me permets un commentaire sur votre vision du mouvement indépendantiste.

Vous prenez pour acquis que les indépendantistes détestent les anglophones afin c’est ce qui ressort de vos nombreux billets. Certes, de nombreux Québécois, indépendantistes comme fédéralistes, démontrent de l’animosité envers les anglophones.

Personnellement, je ne déteste pas les anglophones, ni le Canada, ni ne renie l’apport de la Grande-Bretagne à nos institutions et notre culture. De plus, je me sens beaucoup plus près du monde anglo-saxon, culturellement parlant, que de la France. Pourtant, je suis pour l’indépendance.

Je suis pour l’indépendance, car je suis fier de la nation québécoise. J’ai confiance en la capacité de ses citoyens, peu importe leurs origines ethniques, de construire un pays basé sur les valeurs démocratiques (laïcité, égalité homme femme, respect des minorités) et ayant comme langue commune le français. Un projet simple qui mérite le respect tout comme le projet des fédéralistes.

Dans mon esprit, il est sain de discuter de ces deux options. Ce débat fait partie de la vie démocratique du Québec.

Bonne soirée

La tortue légère a dit…

Très sympa tout ce que tu écris. je suis d'accord. Le conformisme est chiant et je lutte contre. Bon, c'est vrai que tu vis à Paris, en plus, (?)et c'est une vie particulière, que j'ai vécue... Je me sens super bien chez toi au Québec, même si je ne fais qu'y "passer". J'aime ( entre autre )le naturel des relations, et en tant que femme je ne me sens jamais "agressée" ou en passe de l'être potentiellement. Une fille française grandit avec ça et apprend à se comporter en fonction, surtout en ville. En Amerique du Nord je me sens libre. J'aime aussi beaucoup la mentalité " tout est possible" qui est la mienne. Ici je fuis les rabats-joie...mais je ne suis pas la seule.
Au fond le Monde est peuplé de gens, de gens et de cultures et il y a l'universel entre quelques uns, c'est ce qui m'interesse. Des points communs, des complicités, d'ouvertures et de possibles universaux. Les autres, les cons de partout, ils n'habitent pas ma maison, mon monde... hum ! quel rêve hein ?
Vivre loin de "chez soi" est une expérience formidable qui change le regard et la vie.