lundi 2 novembre 2009

Les obsèques du martyr québécois, acte 4 : les « défaites référendaires »




(Restez avec moi encore un moment. J’ai bientôt fini de régler mes comptes avec l’histoire. Bientôt, je vous parlerai de mon Québec d’aujourd’hui. Et surtout de l’avenir.)

Deux fois, en 1980 et en 1995, les citoyens du Québec ont été invités à se prononcer par référendum sur la souveraineté du Québec. Deux fois, à l’initiative du Parti Québécois (PQ), ils se sont fait proposer la sécession d’avec le Canada. Deux fois, les Québécois ont dit NON.

Quand on revient sur ces deux moments importants de l’histoire canadienne récente, on utilise souvent l’expression « défaite référendaire ». On nous montre toujours les images du Centre Paul Sauvé, le soir du 20 mai 1980 : les sympathisants souverainistes dépités, leur chef René Lévesque résigné, et ce mec qui pleure à chaudes larmes en tenant son enfant dans ses bras.

Toujours ce mec qui pleure. Au Québec, avec les années, il est devenu une image médiatique aussi reconnaissable que celle de John Lennon dans son t-shirt New York City, ou celle des soldats américains levant leur drapeau à Iwo Jima. Dans les documentaires sur les référendums québécois, ce mec qui pleure fait partie du traitement-image par défaut. Et ce traitement-image est celui d’un drame.

Ma question est la suivante : pourquoi on ne dit presque jamais « victoire référendaire »? Moi, le soir du 30 octobre 1995, j’aurais bien aimé qu’on me filme, dans mon salon, les bras levés au ciel en signe de victoire. Moi qui gueulais « oouuiiiii! » alors qu’on m’annonçait en direct la victoire du « non ». Moi souriant, soulagé, et heureux. En 1995, une MAJORITÉ de Québécois a gagné. Pourquoi cette insistance sur les perdants?

Anecdotes de mon petit référendum personnel

J’étais trop jeune en 1980 pour saisir l’importance du moment. Mais en 1995, j’ai vécu la campagne, le vote, et le lendemain du vote. Je vous envoie quelques anecdotes qui ont contribué à forger mon opinion, ou à la renforcer.

À l’été 1995, j’étais « journaliste » dans un hebdomadaire local, sur la Côte-Nord. Au Canada, la plupart des étudiants, surtout ceux des régions, ont à prendre un travail d’été pour financer leurs études en ville. La campagne battait son plein, les chefs faisaient le tour Québec, multipliant assemblées partisanes et rencontres avec les médias. Dans mon coin perdu, mes confrères et moi avions surtout à assister aux conférences de presse insipides de représentants locaux qui nous récitaient la propagande leurs partis respectifs. Malgré ma jeunesse et mon peu d’expérience, je les trouvais tellement pathétiques, ces représentants. Au bulletin national, l’organe d’un parti lançait son thème de la semaine, et le lendemain, le plus prévisiblement du monde, le gars local nous invitait pour nous lire sa ration hebdomadaire de slogans pré-mastiqués. La « cassette », comme on dit chez nous. Ce qui était soûlant, c’est que ces pots-à-fleurs refusaient d’émettre un quelconque commentaire sur des thèmes locaux. La direction des communications de chaque parti tenait ses porte-parole bien en laisse. Sur ce chemin vers un vote critique pour l’avenir de la nation, il était primordial d’éviter les dérapages similaires à celui des Yvettes. En gros, c’était un été génial à la télé, mais ennuyant au village. Mais bon, nous savions qu’un beau matin, le grand autobus bleu du PQ finirait par passer dans notre coin. Politique québécoise oblige.

C’est donc cet été là que me fut donnée la chance d’interviewer le chef des forces péquistes, monsieur Jacques Parizeau. Il est un de ces politiciens magnifiques, old-fashioned, un peu théâtraux. Encyclopédique et charismatique, monsieur Parizeau nous est d’autant plus engageant qu’il cache mal sa gourmandise des belles choses. Il jouit d’une vivacité d’esprit admirable, qui fait de lui un rhétoricien hors-pair.

Parmi ses petites manies, monsieur Parizeau a celle de nous lire de petites cartes qu’il sort de la poche intérieure de son veston, cartes sur lesquelles figurent des citations qui corroborent son message politique. Je trouve le petit stratagème charmant. Un homme de ce calibre n’a pas besoin d’aide-mémoire. Mais avec la petite carte, il se rapproche de son interlocuteur, en donnant l’impression qu’il a lui aussi, parfois, besoin de consulter ses notes. La petite carte est aussi intéressante parce qu’elle donne du poids à la citation. C’est un peu comme dire : « C’est pas moi qui l’invente; c’est écrit ici. »

Le jour où je l’ai interviewé, monsieur Parizeau a utilisé une de ses petites cartes pour répondre à ma question sur l’avenir économique d’un Québec souverain. Le bout de carton citait la prestigieuse agence de notation financière Moody’s. En gros, ça disait à peu près ceci : « La fin du débat référendaire aura un effet bénéfique sur l’économie du Québec. » Rangeant sa petite carte, le chef souverainiste a enchaîné en arguant que l’accès à l’indépendance ne pouvait être que positive pour le Québec, ajoutant quelque chose de bien senti comme « Et c’est pas moi qui le dit! C’est Moody’s en personne! »

Dans ma tête, je me suis dit : « Quel artiste! » Ce que j’avais vraiment envie de répondre au chef péquiste, c’est ceci : « Monsieur Parizeau, vous essayez de m’entuber. Ce qu’il dit votre carton, c’est que la FIN du débat sur la souveraineté sera positive. Mais ce débat, votre parti persiste à l’entretenir depuis 15 ans, et contre la volonté d’une majorité de Québécois. » Malheureusement, en ti-cul de 23 ans, je n’avais pas les couilles de m’adresser ainsi à un Premier Ministre. Occasion manquée. J’ai souri un peu, quelques années plus tard, lorsque j’ai vu monsieur Parizeau utiliser le même petit carton devant une assemblée d’étudiants. L’homme a son style bien à lui.

À la fin de l’été, de retour à Québec pour débuter ma maîtrise (que je n’ai pas terminée, soyez rassurés), j’ai trouvé dans ma boîte aux lettres un petit livret de propagande souverainiste. Il expliquait l’entente survenue le 12 juin 1995 entre les trois partis de la coalition du « oui », soit le Parti Québécois, le Bloc Québécois, et l’Action Démocratique. C’est un texte que j’ai lu avec attention. Et j’y ai trouvé une autre raison de douter de l’honnêteté des souverainistes. À un endroit, on y disait qu’après un vote en faveur de l’indépendance, le gouvernement du Québec ferait preuve de bonne foi en donnant à Ottawa une année pour négocier les termes de la sécession. Ce délai expiré, qu’il y ait entente ou non, la souveraineté du Québec serait déclarée unilatéralement.

Une année de négociation. Une seule petite année! Tout politicien digne de ce nom sait très bien que de telles négociations ne pourraient aboutir en douze mois. Le cheminement qui a mené au traité de l’Aléna a duré presque quatre années. Le traité de Maastricht sur l’Union Européenne est le fruit d’une gestation longue de 30 années. Et ces deux négociations ont réuni des partenaires engagés vers un objectif commun. Clamer sa « bonne foi » parce qu’on a généreusement accordé douze mois aux négos, surtout quand il s’agit d’un divorce, c’est mentir à la population. Et c’est même vouloir abuser de la candeur des gens, car aucun État n’accepterait de participer à des discussions devant mener à son morcèlement par une de ses provinces. Ce serait complètement absurde.

Le soir du référendum, le camp du « Non » l’a emporté par une courte victoire. Par la peau des dents, comme on dit, le Québec a échappé aux desseins du PQ. Mais mon vrai soupir de soulagement, je l’ai poussé après le discours de Jacques Parizeau. Je vous rappelle ses mots : « C'est vrai, c'est vrai qu'on a été battus, au fond, par quoi ? Par l'argent puis des votes ethniques, essentiellement. »

Comme le reste du Québec, j’ai été estomaqué par le fameux raccourci « argent + votes ethniques » du chef péquiste. Ce soir là, les premières boîtes de scrutin dépouillées pointaient fortement (et faussement) vers une victoire du « oui ». On a souvent entendu la rumeur selon laquelle, au vu de ces résultats positifs, monsieur Parizeau aurait commencé à célébrer par anticipation. Et que son discours, plutôt brouillon et visiblement amer, était celui d’un homme éméché. En échappant cette mauvaise formule, j’ai l’impression que monsieur Parizeau nous a livré le fond de sa pensée. Qu’il a mis à nu ce trait de mauvais nationalisme qui surnage au sein du PQ. Ce genre de nationalisme hermétique, rétrograde et xénophobe, qui nous fait honte parfois. In vino veritas.

Dans les jours qui ont suivi le référendum, les péquistes avaient un peu la gueule de bois. Grognons, ils ont crié à l’injustice à propos du rassemblement sur la Place du Canada. Trois jours avant le vote, les forces fédéralistes avaient réuni 150 000 citoyens d’autres provinces canadiennes, afin qu’ils puissent souligner leur attachement au Québec. Geste de propagande, certes. Pour se rendre au Unity Rally, ces personnes avaient bénéficié d’importants rabais sur leurs billets d’avion ou de train. Les souverainistes ont argué que ces rabais auraient dû figurer au rapport de dépenses du Comité du Non, et qu’il y avait là violation de la loi électorale.

Peut-être. Mais on parle ici d’un geste de propagande dont les effets sont difficilement mesurables. Comment évalue-t-on les retombée d’un « love in », illégal ou non, en termes de voix dans l’urne? Si injustice il y a, elle est bien pâle en comparaison de l’affaire des bulletins rejetés. Dans la circonscription de Chomedey, fortement fédéraliste, plus de 11% des bulletins ont été déclarés nuls, alors que la moyenne de rejets dans l’ensemble du Québec était de 1,8%. Dans d’autres circonscriptions majoritairement en faveur de l’unité canadienne, comme Marguerite-Bourgeoys ou Laurier-Dorion, le taux de bulletins rejetés oscillait entre 3,5% et 6%, encore très au dessus de la moyenne. Quand on sait que les scrutateurs du référendum ont été choisis par le parti souverainiste, ça sent très mauvais. Cette grossière entorse à la démocratie serait facilement quantifiable. Toutefois, la Loi référendaire (adoptée par le PQ, tiens donc) empêche la réouverture des urnes. Dans les mois qui ont suivi le référendum, des accusations ont été portées, sans aboutir à une condamnation. Malgré les hauts cris de comités anglo-québécois, le scandale a été étouffé dans les médias. Tout ça sous le règne d’une formation politique qui se proposait de diriger un nouvel État « démocratique » .

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Le soir du référendum de 1995, après son fameux « l’argent puis des votes ethniques », Jacques Parizeau a évoqué « la prochaine fois ». En somme, il a décidé de faire fi de cette petite carte qu’il aime bien citer. Vous savez, celle de Moody’s à propos de la fin du débat sur la souveraineté. Deux fois non, il semble que ça ne soit pas assez pour la minorité souverainiste, peu importe le prix économique.

Pendant la campagne référendaire, on a souvent entendu les péquistes dire qu’en démocratie, il suffit d’une voix pour l’emporter. Selon eux, 50% plus une voix, c’est assez pour faire la souveraineté. Moi, ça me paraît peu pour une décision aussi critique. Je ne sais pas trop ce que vous en pensez, mais il me semble que c’est risqué de faire sécession avec seulement 50% d’appui populaire. Certains choix commandent qu’on soit plus qu’à moitié convaincu.

Chose certaine, si on parle de respecter la démocratie, il faudrait commencer par respecter ces DEUX fois où une majorité a gagné son référendum.


3 commentaires:

Casimir a dit…

Bonsoir Paul,

Par pitié ne jouez pas la vierge offensée !!!

Vous dîtes une chose et son contraire dans le même paragraphe. Vous savez très bien que Jacques Parizeau a fixé un délai de 1 an aux négociations car le Canada ne voudrait jamais négocier de bonne foi. Il n’a jamais voulu abuser la population à ce sujet, car cela tombe sous le sens commun. Même un fédéraliste comme vous le reconnait. Je vous cite :

«Et c’est même vouloir abuser de la candeur des gens, car aucun État n’accepterait de participer à des discussions devant mener à son morcèlement par une de ses provinces. Ce serait complètement absurde.».

Oups…démasquez par votre inconscient.

Vous savez la démocratie c’est d’accepter la décision de la majorité. Ce que les indépendantistes ont fait en 1980 et 1995.

La démocratie ce n’est pas de renier ses convictions et de cesser de militer pour une cause qui nous tient à cœur parce que la majorité est en désaccord. Les indépendantistes peuvent proposer le programme qu’ils jugent pertinent…à l’électorat de trancher.

Bonne soirée!

Sebastien a dit…

Casimir,

De grâce, tenez-vous en à votre logique... Je vous cite à mon tour:

«Vous savez la démocratie c’est d’accepter la décision de la majorité. Ce que les indépendantistes ont fait en 1980 et 1995» Euh... s'ils l'avaient acceptée... pourquoi recommencer? Il n'y aurait pas contradiction dans vos propos???

Vous êtes tellement tombé dans l'absurdité indépendantiste que vous frappez à coup d'illogismes et vous croyez attraper les gens dans des contradictions.

En écrivant de la sorte, vous donnez raison à vos adversaires...

Casimir a dit…

Bonsoir Sébastien,

La règle de la majorité en démocratie signifie de mettre en œuvre les seules décisions approuvées par une majorité de la population. Et non de ne pas véhiculer des idées qui ne sont pas partagées par la majorité.

Est-ce que vous considérez que le Parti Vert, le NPD ou QS ne respecte pas la démocratie parce que leur programme politique ne reçoit pas l’appui de la majorité ?

En démocratie, un parti politique peut présenter n’importe quel programme à l’électorat.

Un fait demeure, les indépendantistes ont respecté la décision de la majorité en 1980 et 1995. Ils n’ont pas réalisé l’indépendance. En contrepartie, notre régime démocratique leur permet de continuer à présenter l’indépendance devant l’électorat.

Je n’y vois pas de contradiction ou d’illogisme.