mercredi 11 novembre 2009

Le prix des « conditions gagnantes »



Je lis sur le web mes journaux du Québec. Certains matins, plus gris, je sors de ma lecture avec une légère déprime. Parfois, je me dis qu’il y aura un troisième référendum, et il sera gagnant. Gagnant pour les souverainistes.

Avec cette « question nationale », le Québec est comme un bébé qui suce ses orteils. C’est le centre de sa vie, ce bout de pied qu’il se fout dans la bouche. Il est fasciné. On dirait qu’il n’a même pas conscience que ce membre fait partie de son propre corps. Il ne voit rien de ce qui se passe autour de lui.

Et pendant qu’on braque tous les projecteurs sur l’éternel débat, il fait noir ailleurs. Une belle nuit noire qui permet, par exemple, la croissance d’un système de corruption institutionnalisé à Montréal. Bien que municipale, l’affaire est devenue assez grosse pour qu’on en parle à l’étranger (voir ce papier du Monde).

Et puis, il y a cette impression que Montréal décline, se referme sur elle-même, avec ses festivals de plus en plus locaux, la valse du Grand Prix (ira, ira pas), les gros spectacles qui s’arrêtent uniquement à Toronto. Avec ses lignes ouvertes sur les nids de poule, la vente des Expos, le Canadien qui ne se relève plus. Avec comme seule ambition un tout petit projet, le nouveaux CHUM, qui s’enlise, alors que d’autres villes refont leur métro ou construisent de nouveaux quartiers d’affaires (et pas seulement en Chine, mais aussi en Occident). Et puis y’a ce texte qui nous rappelle que Montréal vient de glisser en troisième position pour le nombre de sièges sociaux importants, derrière Toronto et Calgary.

Et puis les « professionnels » de la Caisse de dépôt qui n’arrivent même pas à capitaliser sur la grosse bulle actuelle, le beau rebond de la Crise (voir ceci). Un de mes amis fait du 25% cette année avec ses actions. Malgré ce beau chiffre, il fait moins bien que le marché. Les actions des banques canadiennes ont cru en moyenne de 60% depuis mars 2009. Quelqu’un peut-il réveiller la Caisse de dépôt? Parce qu’il se fait tard; plusieurs croient qu’on approche la fin du rebond.

Et puis Cossette qui est vendu à des Américains. Et puis quoi encore… Grosse déprime.

Et les conditions gagnantes, dans tout ça? Quand Lucien Bouchard, chef du PQ, a pour la première fois utilisé cette expression à propos d’un éventuel troisième référendum, j’ai comme vous imaginé un truc positif. On proposera la souveraineté aux Québécois quand on aura amélioré la situation économique, quand on aura amélioré la santé de l’État, quand on aura convaincu une large majorité, etc.

Mais dans le fond, se pourrait-il que les « conditions gagnantes » puissent être réunies via un écoeurement généralisé? Par une grosse déprime collective? Vous en connaissez, vous, des révolutions lancées par un peuple satisfait? Alors on peut se poser une simple question. Qu’est qui est le plus payant pour les forces souverainistes? Quel effort risque d’être le plus rentable? Faire preuve d’un leadership de qualité supérieure? Offrir des projets porteurs? Démontrer les avantages d’un Québec souverain avec autre chose qu’une rhétorique poétique? Ou bien tout simplement attiser la grogne, l’indignation, jusqu’à ce que la rupture survienne naturellement, par érosion.

Source photo : wikipedia.


C’est en cultivant un sentiment d’indignation que Bismarck a réuni les conditions autorisant sa campagne contre la France en 1870. C’est avec l’indignation d’un traité de Versailles humiliant pour l’Allemagne qu’Hitler a pavé sa voie vers le pouvoir. C’est l’indignation qui a mené aux révolutions françaises et américaines. C’est toujours comme ça : tout sécessionniste aura avantage à jouer de l’indignation.

En fait, j’ai l’impression que toute organisation politique, pour asseoir son pouvoir, essaie de moduler trois grands sentiments du peuple : la satisfaction, l’indignation, et la peur.

Une des belles habitudes des souverainistes, c’est d’attiser l’indignation autour de thèmes purement symboliques. On dit que le peuple québécois est privé de la « vraie liberté ». Quelle liberté? C’est quoi, la liberté? De quelle liberté le Québécois moyen est-il actuellement privé, par rapport aux citoyens d’autres démocraties occidentales?

À un moment, il y avait toute cette crise autour de la reconnaissance de la « Nation québécoise ». Dans les médias, les tempêtes souverainistes se suivaient comme les ouragans dans le Golfe du Mexique, parce qu’Ottawa refusait de reconnaître le Québec comme nation. Et puis en 2006, sans avertir personne, le PM Stephen Harper a tout simplement accordé cette reconnaissance. Tout à coup, les forces souverainistes se sont retrouvées sans épouvantail. Mais le Québec comme « nation », ça change quoi dans votre vie de tous les jours, quand vous bouffez vos céréales le matin?

C’est l’affaire du Moulin à Paroles, à la fin de l’été, qui a motivé ma prise de position et cette série de billets quelque peu ennuyante (j’ai bientôt fini). À ce moment, le journal Le Devoir avait publié ce texte : « La reconquête de la dignité ». Dès le titre, on retrouve cette rhétorique souverainiste visant à créer un sentiment d’indignation. On évoque une « dignité » volée, perdue. À lire certains textes, on croirait que le Québécois moyen vit sous un régime esclavagiste.

Le propos souverainiste, c’est de la vente. Vous êtes comme ça, chez-vous devant la télé, acceptablement satisfait de votre forfait bancaire. Puis, une belle pub réussit à vous convaincre que vous êtes malheureux. Vous payez trop cher. Il y a des frais cachés. Votre argent est coincé. Vous n’êtes pas libre de vos choix. Vous savez, les pubs de la banque orange et son monsieur avec un drôle d’accent? Tout à coup, pour faire une vente, on vous a inventé une indignation à propos de vos conditions actuelles.

Une autre belle réussite des forces souverainistes, c’est la création de cette bébête appelée le Bloc Québécois. Ce parti qui depuis bientôt 20 ans « défend les intérêts des Québécois à Ottawa ». Le Bloc se vante entre autres de la reconnaissance de la Nation québécoise, alors que cette manœuvre a été imaginée par le gouvernement Harper, précisément pour saper l’élan du Bloc, en le privant de son principal cheval de bataille.

Étrangeté politique s’il en est une, le Bloc joue sur la scène fédérale, mais ne fait élire des députés qu’au Québec, rendant ainsi impossible l’avènement d’une majorité bloquiste. Résultat, le Bloc se cantonne dans l’opposition, le meilleur terreau pour l’indignation. Et justement, c’est de cette indignation que le Bloc joue dans toutes ses communications politiques.

Autre manœuvre très fine depuis quelques saisons, le Bloc y va d’alliances contre-nature, tantôt avec le Parti libéral, tantôt avec le NPD. Sur d’autres questions, le Bloc fait cavalier seul. En somme, on arrive ainsi à empêcher la cristallisation d’une vraie opposition à Ottawa. Ainsi, à l’instar de l’économie, on assiste depuis quelques années à un déplacement du pouvoir politique vers l’Ouest canadien. S’est installée à Ottawa une sorte d’instabilité politique paralysante, propice à la formation d’une césure entre l’est et l’ouest du Canada.

Depuis la Constitution de 1867, le Québec jouait un rôle prépondérant dans la politique canadienne. Il suffit de compter les PM d’origine québécoise pour comprendre la force qu’avait la province dans la balance du pouvoir. Mais, par le jeu des dissensions souverainistes, cette force s’amenuise. Cet automne, dans l’éventualité d’élections générales, on a même envisagé la formation d’un gouvernement Conservateur majoritaire au sein duquel la proportion de députés québécois aurait été la plus faible de toute l’histoire politique du pays. Le Bloc défendrait les intérêts du Québec en l’éloignant du pouvoir? Je crois plutôt qu’avec un PM de l’ouest un peu revanchard, et une si faible représentation québécoise, on serait mal barrés, comme disent les Français. Une situation si propice à la frustration a de quoi faire rêver les souverainistes. Ça ressemblerait pas mal à des « conditions gagnantes ». Mais à quel prix?


5 commentaires:

Casimir a dit…

Bonsoir Paul,

Il y aurait tant de choses à dire sur votre billet, mais il est tard. Je m’attarderai donc à un seul point celui de la liberté.

Votre question :

«De quelle liberté le Québécois moyen est-il actuellement privé, par rapport aux citoyens d’autres démocraties occidentales?»

Ma réponse :

1) La liberté d’être représenté aux Nations Unis;
2) La liberté de contrôler le transport ferroviaire, aérien et maritime sur son territoire;
3) La liberté de contrôler les télécommunications sur son territoire;
4) La liberté de posséder son armée;
5) La liberté de posséder sa propre monnaie;
6) La liberté de participer à l’Alena comme acteur à part entière;
7) La liberté de contrôler la totalité de ses impôts;
8) La liberté de faire respecter la langue française sur l’ensemble de son territoire et dans l’ensemble des secteurs d’activité économique.
9) etc.,

Bonne soirée!

Sebastien a dit…

Casimir,

J'aimerais simplement vous rappeler que nous parlons ici d'une province. Le Québécois moyen n'est pas privé des "libertés" incluses dans votre réponse étant donné qu'ils ont ces "libertés" en tant que Canadiens. Vous faites abstraction du pays auquel la province appartient ce qui ressemble étrangement à de la mauvaise foi. Les départements français se disent-ils lésés dans leurs "libertés"? Avez-vous vu un état américain avec sa propre armée?

Pour ce qui est du point 8 de votre liste, j'aimerais vous rappeler que le Québec a effectivement la capacité de faire respecter la langue française à coup de lois. Malheureusement, les organismes de contrôle sont tellement enlisés dans la bureaucratie qu'ils arrivent à peine à fonctionner (et encore, il s'agit d'une province; imaginez si ça devient un pays). Je vous recommande une courte lecture: http://www.olf.gouv.qc.ca/charte/reperes/reperes.html

J'aimerais toutefois vous demander pourquoi vous considérez le contrôle de la langue comme une "liberté"... n'est-ce pas plutôt une oppression pour ceux qui ne désirent pas rallier votre vision de la liberté?

Paul dit tout haut ce que plus de 50% de la population a exprimé à deux reprises. Il serait peut-être temps de se faire une raison et de passer à autre chose.

Casimir a dit…

Bonsoir Sébastien,

D’abord, j’aimerais clarifier un point en ce qui concerne le statut provincial du Québec. Il est difficile de comparer un département français et/ou un état américain avec le Québec.

Prenons l’exemple d’un état américain. La population de l’Illinois considère qu’elle fait partie de la nation américaine. Elle accepte donc plus facilement qu’une partie de ses pouvoirs (ou de ses libertés dans le cas qui nous occupe) soit assurés par l’État fédéral qui les utilisera pour le bien-être de la nation américaine. En contrepartie, les Québécois forment et se perçoivent comme une nation. Le partage des pouvoirs (des libertés) avec la nation canadienne est donc envisagé différemment, car ces pouvoirs seront utilisés pour le bien-être de la nation canadienne avant tout et parfois au détriment du Québec.

L’histoire commune, la langue et les institutions définissent les nations et orientent leurs actions politique, économique et culturelle. Dans ce contexte, le partage des pouvoirs avec l’État fédéral a beaucoup plus de conséquences au Québec que dans le reste du Canada ou aux États-Unis. La nation québécoise est privée de nombreux outils pour orienter son développement économique et culturelle en fonction de ses besoins et de ses valeurs.

En ce qui concerne la langue française, je ne mentionnerai qu’un chiffre : 200. Le fédéralisme canadien nous a obligé à faire 200 modifications à la loi 101. Et vous parlez de liberté ?

En passant, je n’aie jamais mentionné le mot «contrôle». J’ai mentionné la liberté de faire respecter la langue officielle du Québec sur notre territoire.

Bonne soirée!

Mon nom est Paul a dit…

Je vois que Casimir est devenu un fidèle lecteur. Tant mieux.

Au delà des arguments, j'exprime une seule idée: je fais partie de cette majorité un peu lasse des souverainistes. Cette majorité qu'ils n'arrivent pas à convaincre.

Mais je termine bientôt ma série de billets sur "Mon Québec". Ce bon vieux débat stérile pourra donc retourner à ses antichambres habituelles.

J'espère tout de même conserver votre lectorat. Il y a d'autres sujets dans la vie que la souveraineté.

Casimir a dit…

Bonsoir Paul,

Je lis principalement les blogues politiques, mais je continuerai à vous suivre.

Au plaisir!