dimanche 8 février 2009

Narcisse au bout de la nuit



Depuis une semaine je regarde les mèches qui me sortent de derrière les oreilles. J’ai fait ce que je j’ai pu avec le gel coiffant ces derniers jours, mais je dois me rendre à l’évidence : je suis arrivé au bout de ma dernière coupe de cheveux. Elle date d’avant Noël. Elle a tout donné, avant d’agoniser il y a environ deux semaines.

À l’approche de la quarantaine, on fait ce qu’on peut avec ses cheveux. Sur le dessus, ils sont minces et clairsemés. Le matin, on essaie de se les gonfler de quelques coups de doigt. On répartit les couettes stratégiquement pour couvrir un maximum de trous. Mais pas trop longtemps. On a deux ou trois chances. Après, faut arrêter peu importe le résultat. Un vrai homme ne se coiffe pas. Forcer la dose pourrait mener à une crise identitaire grave. C’est comme ça que ça commence. Et sans qu’on s’en rende compte, ça conduit à l’achat d’une Porsche Boxter, ou dans le pire des cas jusqu’au sacrifice de son mariage pour une blondasse de 25 ans à la recherche d’un sugar daddy.

Sur les tempes, c’est tout le contraire. Mes cheveux sont plus fournis que jamais. Un peu comme si ceux du sommet, fatigués de leur vie de montagnard solitaire, brûlés par les grands vents d’une contrée de plus en plus désolée, avaient migré vers la vallée pour rejoindre leurs copains du zinc. Sur les tempes, c’est comme le cul d’un gorille. Alors après un moment, ça fait deux beaux ponpons. L’aspect général de la chose rappelle Gilles Vigneault, dans un ton brun clair cheminant vers le début du gris.

Source photo : wikipedia.


Je déteste aller au salon de coiffure. Je suis radin, et c’est une des dépenses qui m’énervent le plus. Toujours à recommencer. Et c’est tellement cher, surtout à Paris. Bon, c’est pas tellement cher quand on voit ça du point de vue la coiffeuse. Elle consacre une trentaine de minutes à chaque client. Elle passe la journée debout. Elle a des frais. En plus, elle doit à l’occasion recevoir des clients pas trop propres de leur personne, le genre qu’on n’a pas vraiment envie de toucher, avec leur gueule de matelas pisseux et mité. Mais de mon point de vue, c’est cher pour une tonte. Me faire couper les cheveux, je vois ça comme une sorte de ménage, un mal nécessaire. Mais sortir les poubelles, faire la vaisselle, laver les draps, aérer la son taudis, ça ne coûte rien ou presque. Alors que les cheveux… Au moins je ne me vautre pas dans les lotions du dernier espoir que tentent de nous refiler les petits arnaqueurs du cuir chevelu.

À chaque fois que je prends place dans sa chaise, la coiffeuse me demande : « Qu’est-ce qu’on vous fait monsieur ? » Et à chaque fois j’ai envie de répondre : « Imaginez-moi il y a six semaines et faites ce que vous voyez dans votre tête, si c’est pas trop vous demander. » Non mais madame la coiffeuse, il me reste à peu près 122 cheveux sur le sommet du crâne et j’ai les tempes qui me débordent jusque sur les tympans. Réfléchissons bien ensemble à l’éventail de mes possibilités. Une queue de cheval? Une permanente? Des mèches? Pourquoi pas un afro, ça ferait changement. Une belle coupe microphone comme les Jackson Five en 1976, ça serait-y pas beau ça, non? Mais je me contente de faire mon petit laïus. Rendez-moi le tour d’oreille et la nuque présentables. Et sur le dessus, ne coupez rien; ceux-là on définitivement arrêté de pousser le 7 avril 1997, dans l’après-midi. Depuis, ils ont sombré dans une profonde dépression et, l’un après l’autre, ils se jettent dans le vide. Les plus chanceux atterrissent sur une taie d’oreiller rêche en mauvais coton. La plupart choisissent plutôt de se noyer dans le renvoi de ma douche, pour finir avec nos déjections dans le bassin d’épuration municipal.

À Paris, je n’ai pas encore trouvé mon salon. L’un vous fait ça au prix d’une couronne dentaire, l’autre fait toutes les coupes masculines à la tondeuse, comme dans l’armée. Je suis un peu old-fashioned. J’ai mieux quand c’est fait au ciseau. C’est moins lisse, moins uni. C’est me semble plus naturel, plus vivant, moins sculpté. Alors ce matin j’essaie un petit salon pas trop cher devant chez moi.

Le risque, avec les salons pas trop chers, c’est de tomber sur des gens qui n’ont pas beaucoup de talent. Du genre incapable de prendre une tête ordinaire et de la laisser ordinaire mais propre. Des barbiers maladroits qui vous font des entailles profondes dans le pelage. Des coiffeurs atteints de strabisme qui vous tirent une ligne de nuque comme une mauvaise imitation d’un Kandinsky. Des Figaro alcooliques qui bâclent leur travail, et à qui il faut toujours rappeler de donner le petit coup de rasoir sur les quelques égarés du milieu du cou. Sans blague, il m’est souvent arrivé de sortir du salon avec un favori qui pointait vers le haut, et l’autre vers le bas.

Donc, dans mon salon pas trop cher, je trouve une petite vieille en train de se badigeonner le visage d’une épaisse couche de fond de teint couleur jaunisse létale. Avant que j’aie le temps de me décider à filer, la vieille, visiblement avide de clientèle, se jette sur mon manteau. Le temps de compléter son glaçage technicolor, elle me confie à une assistante à l’orée du coma qui me lave la crinière en mâchant bruyamment un bon kilo de chewing-gum. Comme je sors de la douche, c’est mon deuxième shampooing ce matin. Deux vagues de suicides capillaires en un seul jour.

Je rejoins la chaise, et la coiffeuse sort ses ciseaux. Du travail à l’ancienne, que je me dis, c’est au moins ça de gagné. Mais elle n’a pas coupé deux couettes qu’entre une mémé, probablement cliente fidele depuis la Troisième République. Dans la vie, surtout dans les villes, tout le monde développe ses petits trucs pour obtenir le service V.I.P. Pour passer devant la queue. Pour avoir le plus beau morceau de viande. La mémé, elle, son truc, c’est la complainte et le mouvement pénible. « Je sors de l’hôpital, je suis en convalescence, mon arthrite me fait souffrir, il fait si froid cet hiver, ah vous savez madame les temps sont durs pour les vieilles personnes, j’ai mal aux genoux, choux, hiboux, cailloux, tralalère », tout ça débité d’une voix fluette et tremblotante. Et la coiffeuse de répondre « oui-oui ma p’tite dame, je suis à vous tout de suite ». Et elle lâche ses ciseaux pour prendre le clipper. Zzzzap, zzzapp, elle me coupe les cheveux à grands coups de tondeuse, comme on récolte à la moissonneuse géante les hectares d’avoine des plaines de l’ouest canadien. Je me vois déjà avec des lignes verticales derrière la tête, comme le gazon d’un terrain de golf, un hommage posthume à Max Headroom.

Je déteste les vieillards qui abusent de leur état de décrépitude, qui prétextent leurs petits maux pour obtenir des faveurs. Où qui, dans les transports publics, la jouent un peu gâteux pour me tirer de mon sommeil et m’imposer leur conversation. Quand ce n’est pas simplement pour me piquer mon siège. Et si j’ai le malheur de me montrer un tantinet impatient, j’ai droit aux reproches de mes voisins de banquette, ces sales hypocrites qui au fond sont bien heureux de conserver leur place assise. Les anciens pleurnichards, avec leurs yeux purulents et leurs rides veinées, je les place dans la même catégorie que ces gitanes qui passent la journée prostrées dans le couloir du métro, à lancer leurs jérémiades de boulevard, souvent munies, pour appâter la pitié, d’un enfant qui devrait être sur un banc d’école. Il y a de ces gens insolents dans la vie… Et je ne parle pas de ces marâtres qui pour fendre la foule se servent de leur progéniture; elles vous foncent dessus avec leur landau, en vous regardant droit dans les yeux et vous laissant une demi-seconde pour dégager la voie, comme un CRS armé d’une poussette. Et s'il devait arriver quelque chose au chérubin, c’est sur vous que s’abattrait l’opprobre public. On aurait tôt fait de vous traîner à la gendarmerie pour agression d’enfant, et vous moisiriez au cachot pendant un bonne nuit, en compagnie de petits criminels bronzés qui qualifient leur arrestation de geste discriminatoire, nonobstant le fait qu’ils ont été écroués alors qu’ils venaient de dérober le sac à main d’une touriste américaine.

Donc, la coiffeuse a précipité son travail, a saisi ses émoluments sans trop de politesse, et m’a laissé un sourire plastifié en guise d’au revoir. J’ai couru chez moi pour constater les dégâts. Heureusement, tout est correct. Pas ma meilleur tête, mais je suis présentable pour au moins deux ou trois semaines. Je peux donc me replonger dans ce bouquin de Céline (l'auteur, pas la sirène d'incendie épileptique) que j’essaie de terminer depuis un moment. Il faudrait que je le finisse bientôt ce livre; j’ai l’impression qu’il déteint sur mon tempérament.


4 commentaires:

Véronique Lebel a dit…

Sache qu'en Chine, le prix d'une coupe de cheveux est de 20 yuan ou environ 2,50 euros. Et ça comprend un massage du cuir chevelu et des épaules! Il ne reste qu'a espérer que le coiffeur chinois ait compris le genre de coupe qu'on veut...

sylviane a dit…

Là, franchement, chapeau bas!!! Lire Céline, WOuahh!!
J'ai découvert et apprécié Dugain en lisant "la Chambre des officiers", j'ai dans ma bibli perso "La malédiction d'Edgar", ai énormément aimé "Une exécution ordinaire" mais là!!! Lire Céline!!! ReWouah!!! Tu es "Une tête" Paul, comme on dit chez nous, ben dis donc!

Bonne et belle lecture Paul et "te fais pas trop de cheveux" Oups!!!

Unknown a dit…

Il me semble que vu le titre, on aurait pu terminer la lecture de cet article très drôle par une "tit' photo" histoire de savourer le résultat.

C'est marrant que tu parles de Céline, je pensais justement à me mettre à "Voyage au bout de la nuit" dont j'entends parler depuis longtemps ... c'est celui-là que tu as attaqué ??

Anonyme a dit…

«Et je ne parle pas de ces marâtres qui pour fendre la foule se servent de leur progéniture; elles vous foncent dessus avec leur landau, en vous regardant droit dans les yeux et vous laissant une demi-seconde pour dégager la voie, comme un CRS armé d’une poussette.» Attend que j'aille à Paris, toi, t'as rien vu! lol

P.S.: «Sirène épileptique». M'en souviendrai de celle-là.