samedi 21 février 2009

Dunkerque



J’ai mon fard à paupières, mon bâton de rouge, ma robe, ma perruque et mon boa. Demain matin, Dunkerque m’attend. TGV direct de Gare du Nord, arrivée vers midi. Retour en soirée, je ne sais trop dans quel état de conscience.

Dunkerque, c’est probablement la seule ville du monde qui arrive à sentir mauvais quand on la regarde sur Google Maps. Du haut des airs, on la voit cachée derrière un littoral d’industrie lourde. Bien présentes sur la photo satellite, les fumées des hauts-fourneaux obscurcissent un sol taché de rouille et de charbon. En plongée, c’est un paysage Mad-Max de chemins de fer, de chenaux et barges, d’étangs de décontamination, de citernes. Un ami qui a déjà travaillé dans une aciérie locale me disait que les bureaux se couvrent de suie en dix minutes si on a la mauvaise idée d’ouvrir une fenêtre.

Source photo : wikipedia.


Pour ajouter au charme du lieu, rappelons que cette ville a été rasée à 70% pendant la seconde guerre mondiale. J’ai pu voir à Caen, l’été dernier, les résultats de la reconstruction. Pas toujours joli. En 1946, il fallait loger les gens rapidement, à peu de frais. Alors on favorisait le style « Bauhaus pour les masses » : le truc bien carré, symétrique, préférablement terne. Contre un arrière-plan de fumée d’usine et de ciel gris à la façon Nord-Pas-de-Calais, ça te fait un beau gros cafard qui te titille l’envie de boire chroniquement. Alors, dites-vous, qu’est-ce que je peux bien aller foutre là demain? Pourquoi Dunkerque, au lieu de trucs jolis et peinards comme l’Alsace ou le Mont Saint-Michel. La réponse tient en un seul mot : le Carnaval.

Le Carnaval de Dunkerque, du moins la partie à laquelle j’assisterai, c’est une beuverie de quatre ou cinq jours pendant laquelle une foule d’hommes déguisés en femmes se promènent dans les rues de la ville en chantant des chansons de marin. On y organise diverses activités édifiantes, comme le lancer du hareng. Imaginez : des poissons gluants sont lancés dans une foule compacte d’ivrognes qui, pour l’honneur et rien d’autre, essaient de les attraper. Un gars saoul ferait n’importe quoi pour son honneur, y compris piétiner son voisin.

Mes sacs à vin de collègues, qui sont déjà là, entendent passer quatre jours à alterner entre consommation de bière et sommeil improbable dans leur voiture. Au cours des dernières semaines, ils ont tout fait pour que j’y aille. Ils ont négocié, supplié, menti. J’ai finalement accepté d’y passer une seule petite journée. Pas question de dormir une nuit dans une auto avec un copain ronfleur. Je suis trop vieux pour ce genre de projet. Et faut oublier l’option lit douillet. L’événement a du succès : les hôtels sont infestés de fêtards et les citoyens essaient de nous refiler des chambres médiocres à 90 euros. En plus, la SNCF profite de l’occasion pour nous arnaquer. L’aller-retour vers Londres en Eurostar se vend moins cher.

J’ai bien hâte de voir la chose. Avant que j’accepte d’y aller, on me parlait de jolies parades bon-enfant dans une belle ambiance régionale. Depuis que j’ai confirmé, mes amis ont plus ouvertement discuté de protège-tibias, de nez cassés et d’autos amochées. Deux de mes copains se sont procuré des bottes à coque d’acier. On m’a recommandé d’au moins porter mes bottes de montagne, sans quoi j’aurai peut-être quelques orteils bleuis. Et quand j’ai dit que j’allais apporter une deuxième paire de lunettes, on m’a répondu « très bonne idée » le plus sérieusement du monde. Il ne faut pas se leurrer : Dunkerque est une ville de gaillards qui travaillent en usine ou sur des bateaux de pêche. Des mecs qui se fendent le cul sur l’Atlantique Nord en pleine nuit pour que le Parisien puisse manger son petit hareng à l’huile. C’est bien normal qu’ils aient envie d’un peu de casse une fois par année. Ça promet. Disons que je serai loin du Festival des tulipes d’Ottawa.


2 commentaires:

Anonyme a dit…

Je viens de lire un texte sur le KANAVAL en Haiti...
Ça semble plus coloré, plus gai que votre affaire...
Bonne chance !

christophe a dit…

Comment peut-on faire une caricature aussi définitive d'une ville et ses habitants en 1 journée de présence, journée de carnaval de surcroît?
...Dunkerque n'est ni une ville de pêcheurs trimant à remonter des poissons gluants pour Parisiens pressés, ni une enclave d'ouvriers travaillant dans la suie et la crasse d'un environnement pouilleux et pollué pour alimenter en produits sidérurgiques les automobiles dans lesquelles vous daignez venir rendre visites aux bons sauvages du Nord!
De la part d'un Dunkerquois totalement disposé à prendre une journée pour vous faire découvrir sa ville et ses richesses, et désolé pour l'image!