dimanche 18 janvier 2009

Puisqu’il le faut bien



Depuis un moment, j’ai un peu de difficulté à alimenter ce blog. C’est bien beau la France, et je sais que les Français adorent entendre parler d’eux-mêmes, mais je suis un peu à sec. La routine commence à s’installer. Dans mon esprit, ce pays glisse vers une sorte de normalité. Je m’habitue tranquillement à voir les Français préserver certaines zones patrimoniales de profonde non-productivité. Je m’habitue à boire du bon vin pas cher. Et aussi à manger de la vraie nourriture préparée pour des êtres humains.

Des amis expatriés m’avaient parlé ce phénomène. Il vient un temps où on est fatigué de tout observer à travers la lorgnette de la comparaison. Je n’ai plus envie « d’étudier » la France. Les musées de la révolution, les Versailles et les statues équestres m’intéressent un peu moins. J’ai de plus en plus envie de regarder passer les trains en bouffant de l’herbe. Assister à des conférences sur la théorie des cordes, pour un jour arriver à comprendre ce truc. Aller voir des spectacles. Sortir avec les copains. Lire un livre au parc. Faire des mots croisés.

Je ne peux quand même pas parler de fromages et de fonctionnaires pendant les douze prochains mois. De toutes manières, mon opinion est maintenant figée : le fromage est bon et le fonctionnaire est con. Alors je n’ai pas envie de perpétuellement ressasser les mêmes trucs. Je ne sais pas quelle direction va prendre ce blogue. Je vais essayer de vous livrer mes surprises et déceptions, mais dans une direction plus large. Je vais essayer d’écrire des choses qui pourront vous intéresser. Si je tombe dans la liste d’épicerie, dans le quotidien banal, avertissez-moi. Il sera temps d’arrêter. Aujourd’hui, je solde certains sujets qui traînent depuis un moment.

Ticket-resto
Au pays de la carte à puce et des prélèvements bancaires mensuels automatisés persiste un système absolument byzantin, qui rend dingues les restaurateurs : le ticket-resto. Ce produit est un avantage social qu’offrent bon nombre de sociétés. À chaque mois, elles remettent à leurs travailleurs un petit carnet de chèques pour les aider à payer leurs repas du midi. Sympa.

Là où ça se complique, parce qu’on aime bien faire archi-compliqué de temps en temps, c’est qu’il y a plusieurs marques de ticket-resto. Et les petits chèques n’ont jamais un montant « rond ». Un patron décide qu’il donne 4.13 euros à ses employés. L’autre donne 5.39 euros. Lorsqu’on paie, il faut compléter avec de l’argent liquide. Un peu comme pour les cartes de crédit, les restaurateurs n’acceptent pas toutes les marques de ticket-resto. Et certains restaurateurs ne les acceptent pas en soirée.

Un serveur m’expliquait comment toute cette paperasse est gérée à la fin du mois. Il faut d’abord trier les tickets-resto de chacune des marques. Ensuite, à l’intérieur d’une même marque, il faut les regrouper par dénomination : une pile de 4.13 euros, une pile de 4.22 euros, une pile de 5.73 euros, etc. Ça fait beaucoup de petites piles. Ensuite, pour chaque pile, il faut produire un petit document de réclamation. Après, il faut se rendre en personne à l’un des six bureaux parisien d’une marque donnée de ticket-resto pour déposer ses réclamations et recevoir son paiement. Temps moyen d’attente : deux heures. Il y a au moins six marques de ticket-resto différentes, dont trois sont couramment acceptées. Si on compte le temps passé dans les embouteillages, un restaurateur perd mensuellement de huit à douze heure de temps de travail dans ce processus.

En l’an 3000, peut-être que la technologie sera assez avancée pour permettre d’émettre à l’employé une sorte de carte bancaire ticket-resto. Cette carte sera rechargée à tous les mois. Fin de la paperasse. En l’an 3000, il y aura peut-être une sorte de réseau de fils qui permettra les transactions bancaires électroniques. Une sorte de fil sur lequel passera l’information. Un peu comme le téléphone. Pour ceux d’entre vous qui ne connaissent pas le téléphone, c’est un appareil qui permet de parler à distance. C’est génial. On parle dans l’appareil, et la voix est convertie en signal électrique qui circule sur un fil de métal. On aime bien le cuivre, parce ça conduit bien l’électricité. Au bout du fil, un autre appareil transforme les signaux en son. Plus le fil est long, plus on parle loin. Ça fait rêver, non? Ceux d’entre vous qui ne savent pas ce que c’est l’électricité, allez voir sur Wikipedia, il y a une explication.

D’ici là, les sociétés émettrices de ticket-restos songent à mettre en place d’autres mesures visant à améliorer le système. Entre autres, il deviendrait obligatoire de faire ses réclamations sur des tablettes d’argile. Il est aussi question de convertir les diverses dénominations en chiffres romains. Et les sommes seraient exprimées en sesterces.

Source photo : wikipedia.


Au Grand Palais

Récemment, le Grand Palais m’a fait découvrir de belles choses. Premièrement, j’ai découvert avec joie que je déteste le peintre Emil Nolde. Figure importante de l’expressionisme allemand, il a peint de belles grosses bouses sans éclat, enfants bâtards de Gauguin et Van Gogh, exécutées avec la main d’un paralytique. Une naïveté forcée, beaucoup de croûte. S’il vivait aujourd’hui, il ferait sans doute partie de ce groupe d’artistes très sérieux qui enduisent leurs toiles de caca humain.

Heureusement, et aussi pour deux fois moins cher, le Grand Palais m’a offert « 6 milliards d’Autres ». C’est un projet de Yann Arthus-Bertrand (vous avez tous vu les photos « La terre vue du ciel »). Il s’agit de 5000 portraits vidéo tournés dans 75 pays. Des humains qui répondent à des questions simples, comme « Quel rêve avez-vous abandonné », « Qu'avez-vous appris de vos parents », et « Que représente pour vous l'amour ».

Il faut dire que cette expo partait de loin en ce qui me concerne. Elle est présentée dans un Grand Palais glacial ; le lieu n’est pas chauffé pendant la durée de l’événement pour faire écolo. C’est une espèce de village de yourtes, dans lesquelles les visiteurs se rassemblent pour regarder sur des écrans plasma des témoignages de gens pas beaux et sans maquillage. J’aime pas trop le mouvement « environnementalo-socialo-gaugauche ». Je le trouve trop moralisateur, parfois sectaire, et souvent obnubilé par une conception romantique du Bon Sauvage. Mais bon, j’avais payé et il y avait foule à l’expo Picasso.

De yourte en yourte, j’ai fini par me laisser prendre au jeu. Et j’ai fini par rire, et aussi presque pleurer (je suis un mec, quand même). D’ailleurs, une des questions était « Quand avez-vous pleuré pour la dernière fois ». Je me suis souvenu de ma dernière fois, quand j’ai quitté le Canada. Je me trouvais tellement stupide de partir loin de ceux que j’aime. Je le pense encore, même si la France est un joli pays. Même si c’est kétaine, Beau Dommage à raison : quitter ceux qu’on aime pour aller faire tourner des ballons sur son nez, c’est stupide. Point barre. Donc, à cette question un américain répondait qu’il avait pleuré à la mort de son chien. Opposé à son témoignage, un Africain disait qu’il avait pleuré à la mort de sa vache. Bon montage. Je ne sais pas si on avait voulu encore une fois me faire la morale avec « pays riche / pays pauvre », mais je m’en foutais. Je comprenais qu’on puisse s’attacher profondément à un animal de compagnie, même si c’est un ignoble chihuahua. Et je comprenais qu’on puisse lier une vraie amitié avec un animal de subsistance, en l’occurrence une vache presque neurasthénique. Pour combattre la solitude. Ou par gratitude dans la survie. Peu importe la raison.

Cette expo m’a rappelé pourquoi j’aime l’ordinaire de la vie, loin des paillettes et des osties de iPods dont on me gave. Je suis fatigué du cynisme, même s’il permet les meilleures blagues. Le cynisme, c’est franchement passé date. C’est drôle pour badiner et rigoler un peu, mais le cynisme blasé comme mode de vie, ça pue. Et je suis épuisé de la branchitude. Je me torche avec les cocktails dinatoires, les Blackberries, les tapas, etc. Moi, je veux être désespérément « out ». Pas rétro-cool, mais complètement « out ». Platte. Ordinaire. Je veux porter les vêtements d’il y a deux ans, pas encore assez vieux pour redevenir intéressants. Je veux m’en crisser. Je veux être une statistique. Dans l’anonymat, la liberté. Et j’espère que c’est « out » de vouloir être « out ». Alors à cette expo ça m’a fait du bien de voir du vrai monde parler de choses simples. Des gens qui veulent être enterrés dans leur pays natal. Des gens qui ont fait la guerre et qui ont réussi à réparer leur vie.

Les témoignages sont disponibles en ligne sur http://www.6milliardsdautres.org. Le site n’est pas totalement à la hauteur de l’expo. Mais allez dans les « témoignages 6ma », et cherchez par thème. N’oubliez pas de prendre des témoignages sous-titrés en français ou en anglais, parce que le roumain, ce n’est pas à portée de tous. Essayez « épreuves /mort » pour le fun. Écoutez. Vous allez vous sentir très humain. Il y a des courants de fond qui nous unissent beaucoup plus que la « génération Pepsi » ou le café Starbucks.

Arnaque marketing

Je crois qu’une des plus grandes arnaques du marketing depuis la création de l’univers est le yogourt avec les fruits au fond. Pourquoi les fruits au fond? Quelle valeur cela peut-il avoir pour le consommateur? Je comprends que l’industriel veuille sauver une étape de production, ne pas avoir à mélanger les fruits et le yogourt. Je comprends que la ligne de production soit plus efficace, qu’on ait seulement à remplacer la citerne de framboises par une citerne d’ananas. Un simple aiguillage de tuyaux.

Mais pourquoi l’inscrire sur le petit pot, comme si c’était une révolution dans le monde yogourt? Pourquoi essayer de nous faire croire que c’est vraiment plus cool quand les fruits ne sont pas mélangés? Pourquoi ils ne ferment pas leur gueule, tout simplement, au lieu de me prendre pour un idiot? Je m’en fous copieusement d’avoir ou non à mélanger moi-même les fruits et le yogourt. Ça prend trois secondes. Publicitaire, ferme ta gueule et ne me prend pas pour un con. Au moins, ment-moi un peu en me disant que tu me refiles l’économie de coûts de production en baissant le prix de vente. Je n’ai pas les moyens de vérifier, alors je vais te laisser le bénéfice du doute. Comme tout citoyen, le publicitaire est non coupable jusqu’à preuve du contraire, non? (Ha, ha, ha, et moi qui dit être fatigué du cynisme, quel mauvais menteur je fais…)


3 commentaires:

FA a dit…

Après deux ans de Montéal, je rentre en France la semaine prochaine. Ton délicieux blog résonne donc paticulièrement à mes oreilles.

Pour le yaourt non remué, je crois volontiers au vice mareting qui consiste à vende un produit qui commence comme du yaourt et se termine comme de la confiture. Le cerveau ravi par ce petit high de glucose retient mieux la marque pour la prochaine virée au supermarché.

Anonyme a dit…

«e suis fatigué du cynisme, même s’il permet les meilleures blagues. Le cynisme, c’est franchement passé date. C’est drôle pour badiner et rigoler un peu, mais le cynisme blasé comme mode de vie, ça pue.» Ah bon? ;-)

Quant à l'effet «normalité», c'est exactement la raison pour laquelle je trouve qu'on laisse souvent trop longtemps les correspondants à l'étranger en poste dans le même lieu. C'est le déséquilibre et l'étonnement qui sont les meilleurs dépisteurs de sujets. En même temps, rien de pire qu'envoyer un zigoto en reportages quelques jours seulement pour couvrir de gros dossiers! Dans un cas comme dans l'autre, j'ai du mal à les trouver crédibles. La comparaison n'est pas forcément la meilleure manière de se positionner face à un lieu. Être capable de jeter ses repères par-dessus bord et redevenir un enfant en réapprenant tout pas à pas peut, en contrepartie, être un exercice douloureux. Quelque part entre les deux, il y a ceux qui arrivent à devenir des espèces de satellites et observent le monde de l'extérieur, en oubliant pas d'où ils viennent mais en étant capable de voir un pays d'au-dessus, d'à-côté, par en-dessous... De tourner autour sans prendre pour acquis qu'il y a un seul chemin pour y aller. Ou pour revenir.

Même chez soi, il ne faut pas obliger que le monde qu'on voit par la fenêtre est différent de celui de la fenêtre voisine, d'en face... (Perso, c'est la partie qui me donne le plus de fil à retordre!)

Anonyme a dit…

Bonjour Paul,

En lisant tes analyses et observations, j'ai un peu l'impression de me replonger dans la lecture de "Pas si fous ces Français" de Jean-Benoît Nadeau.

Une bonne impression qui me donne envie d'en lire plus.

J'ai quitté la France il y a un peu plus de 7 ans pour venir à Montréal et en lisant les pages de ton blog, je me rends compte que certaines choses sont immuables.

Comme Jean-Benoît Nadeau le dit dans son livre, nous (mes compatriotes et moi-même) sommes 2les aborigènes de France" et la France "ressemble parfois à une démocratie d'aristocrates".

Finalement, je me suis aperçu que, comme beaucoup de Français, j'aime mon pays... quand je n'y suis pas. Et que je ne l'aime pas quand j'y suis...

Le sentiment est encore plus perturbant quand comme moi "on a le cul entre deux chaises".

Peut-être un sentiment que tu finiras par partager quand tu serais resté assez longtemps en France pour y devenir une statistique...