mardi 20 janvier 2009

Basculements



Il y a un personnage que j’apprends à aimer de plus en plus en France : Ségolène Royal. Cette « souvent-mal-citée » m’inspire de profond moment de jouissance. La politique canadienne est truffée de comiques absurdes, mais personne n’arrive à l’ongle du petit orteil gauche de cette géante.

Sa dernière déclaration nous est rapportée par Le Monde, ici. Oh my God! Quel sens du timing en matière de récupération politique. Et quelle confiance en la France! Faut du courage pour oser dire un truc aussi gros sans craindre pour sa crédibilité.

J’ai l’impression que quelque part en France, il y a une boîte de pilules qui a été oubliée au fond d’un tiroir.

Pour poursuivre dans la même veine, une amie vient enrichir ma collection de basculements vers l’irrationnel, la mythomanie et la paranoïa, en me rappelant que la crise de la listériose achève lentement mais sûrement les petits producteurs québécois de fromages au lait cru (voir ceci). Le problème est complexe. J’ai l’impression que la listériose n’a pas grand-chose à voir avec la crise. Elle sert probablement de prétexte, un peu comme les armes de destruction massive l’ont été pour Georges Bush.

Source photo : wikipedia.


Je ne suis pas un expert du dossier. Je peux seulement dresser une sorte d’échiquier et spéculer. Les cas d’intoxications à la listériose relevés l’été dernier au Canada étaient majoritairement, sinon totalement dus à des produits de charcuterie industrielle et des fromages au lait pasteurisé. Pourtant, les entreprises les plus affectées sont les petites fromageries au lait cru : inspections intempestives du MAPAQ (Ministère de l’agriculture, des pêcheries et de l’alimentation du Québec), lots de fromage saisis ou jetés, méthode d’analyse contestées.

Il existe au Québec un organisme qui se nomme l’UPA, Union des producteurs agricoles. C’est joli comme nom. Ça laisse croire que ce syndicat défend le fermier et les artisans liés à l’agriculture. Mais en réalité, dans son rôle de représentation auprès des instances politiques, l’UPA a surtout pour premiers clients les méga-porcheries, les abattoirs géants et les industriels du lait. L’UPA jouit d’un pouvoir politique très fort. Toutes proportions gardées, il ressemble à la force qu’ont les centrales syndicales françaises. Le 29 janvier, en toute impunité, les syndicats français vont paralyser les transports du pays. Le seul prétexte de ce mouvement généralisé est de souligner l’importance de protéger les petits salariés en cette période de crise mondiale. Beaucoup de ces petits salariés devront donc prendre une journée sans solde, faute de transport, pendant que les grévistes, une minorité, toucheront leur compensation financière. Le même genre d’impunité qui a déjà permis à l’UPA de bloquer l’autoroute 20, principale tronçon du transport routier au Québec, sans qu’aucun policier n’abatte une matraque bien méritée. L’UPA, soit dit en passant, a ses entrées au MAPAQ.

Sur l’échiquier, il y a aussi le contexte de cette obsession de la sécurité qui affecte l’Amérique. Je dis souvent que bientôt au Canada, on remettra un casque à l’achat d’une baignoire. L’Américain moyen (et j’inclus le Québec) est pris dans un syndrome collectif de peur panique. Tout doit être propre, toute bactérie est un meurtrier qui dort. Le summum, je l’ai vu lors de mon voyage à Hawaii : le petit distributeur de serviettes enduites de désinfectant, pour nettoyer la poignée du caddie au supermarché. L’obsession de la vie sans risque. Un trauma du 11 septembre? Je ne sais pas. En Amérique, on craint maintenant son voisin et ses doigts contaminés.

Avant la listériose, les fromages au lait cru prenaient de plus en plus de place sur le marché québécois. Ils offraient une qualité gustative avec laquelle les industriels avaient peine à rivaliser. En plus, ils jouissaient d’une aura « nature / terroir / vache qui broute les marguerites », chose que perd l’industriel dès qu’il dépose son logo, même à la sauvette, dans la toute dernière image de son spot publicitaire stylé « nature / terroir / vache qui broute les marguerites ».

Sur mon échiquier spéculatif du fromage au lait cru, il me semble que toutes les pièces sont rassemblées pour une jolie élimination en toute discrétion : le puissant qui a des moyens, le faible qui n’en a pas, le contexte d’insécurité, et le prétexte de la listériose.

À l’été 2008, des Canadiens meurent après avoir ingéré de mauvaises charcuteries sorties de méga-usines ontariennes. L’affaire de la listériose éclate. Peu de temps après se crée dans les esprits l’association « fromage au lait cru = bactéries mortelles ». Dans la grande chaîne des causes et des effets, il y a comme un grand trou que mon échiquier pourrait combler.

Mais ce ne sont là que des spéculations tirées de mon esprit fertile. Elles sont mêmes presque romanesques. J’ai probablement été influencé par « Les bienveillantes », que j’ai lu récemment. Ce roman illustre avec éloquence la facilité d’éliminer quand le contexte s’y prête. Et dans « Une exécution ordinaire », que je lis en ce moment, on me montre comment contextes et prétextes peuvent être habilement créés quand vient le moment de purger, surtout si la providence se laisse trop attendre. Souvent, on dirait que « prétexte » rime avec « version officielle ».

Parlant de « prétexte », il me semble que pas mal d’entreprises saines et profitables font des mises à pied dans l’actuel « contexte de crise mondiale ». Mais peut-être que je deviens confus et parano. Je mêle les choses. Je dois être stressé ces temps-ci. Je vais prendre congé sans solde le 29 janvier pour penser à tout ça. Pour penser au très gros salarié qui décide pour le petit salarié. Et aussi à celui qui le « défend ». Et au petit salarié lui-même, qui parfois lève son index dans l’espoir d’attirer l’attention, mais pas trop haut et sans insister, car une matraque de CRS est si vite abattue.

En attendant, je vais aller regarder les reportages sur l’assermentation d’Obama. Je vais regarder les mecs en costard, avec leurs oreillettes et leurs petits micros. Et je vais bouffer un morceau de mon somptueux camembert au lait cru. Rien de mieux pour calmer mes angoisses existentielles. Maybe we can (if we try very very hard).


4 commentaires:

FA a dit…

Comment imaginer que quelqu'un ait le cran de dire tout le mal qu'il pense de Maple Leaf ? En ce moment, on voit 2 publicités odieuses de ces vendeurs de cochonneries qui se surveillent eux-même au lieu de santé Canada . une avec le CEO qui dit que tout va mieux, sans s'excuser auprès des familles ; l'autre avec une bande de chimistes asiatiques qui rassurent en disant qu'ils contolent ce qui sort du cul des usines de cette marque de porcs morts. C'est lourd, faussement sirupeux, méprisant. Espérons que le boycott tacite engendré par la peu de crever pour une saucisse de trop aua aison de leurs résultats futurs. Et pour ce qui est du fromage québécois, quelques guerres lui feront le plus grand bien - ça commençait un peu vite à se pêter les bretelles par icite...

Mon nom est Paul a dit…

FA, au sujet des fromages, t’as un peu raison. C’est vrai que nos meilleurs fromages au lait cru sont à peu près au niveau du « Camembert de campagne » de Président. Pas si mal, mais pas encore au top. Le Québec est au fromage ce que la France est au hockey sur glace… Non, n’exagérons rien quand même; disons plutôt « ce que l’Italie est au hockey sur glace ».

Mais tu rentres après deux ans au Québec. Donc tu n’a pas connu l’avant, d’il y a huit ou dix ans. Si tu veux vivre l’expérience avant de partir, attable-toi devant un beau bloc de Velveeta Kraft et quelques tranches de salami Maple-Leaf. Ou du P’tit Québec, disponible dans toute bonne quincaillerie au rayon « produits de calfeutrage ». Après, tu verras pourquoi je chiale un peu de voir disparaître un artisanat naissant qui nous donne enfin des nourritures humaines.

Pop-tarts, Capitaine Crunch, Jell-o, Pepsi, Molson, Doritos, Sauce Catelli, Chicken Nuggets, Oreo, Hot Chicken, Poutine, c’était ça l’alimentation au Québec il y a dix ans. Et c’est encore comme ça dans les régions plus reculées, ou les petits produits artisanaux ne se rendent pas, parce que les canaux de distribution sont pensés pour l’industrie et gérés par l’industrie.

Je n’ai absolument aucune donnée pour prouver ce que je vais dire. Mais regarde comment le taux d’obésité est en croissance en France, à mesure que le marché est envahi par les produits industriels archi-sucrés, trop salés, pleins d’huiles tropicales. En Amérique, l’alimentation est industrialisée depuis les années 50. On s’y connaît en bedaine et en infarctus.

sylviane a dit…

Je te rejoins Paul sur le taux d'obésité en croissance en France.
Je travaille depuis plus de 15 ans maintenant dans une association d'insertion professionnelle. Nous accueillons le public 16/25 ans qui a quitté le système scolaire, public que ne gère pas les ANPE et qu'elles nous renvoient systématiquement(c'est un fait administratif que je ne développerai pas là, trop long...) Nous avons constaté avec nos collègues, et ce depuis quelque années déjà, que les jeunes en grande difficulté (sociale, financière, physique) que nous accueillons avait beaucoup changé physiquement.
La pauvreté, malheureusement, se distingue. Ces jeunes filles et jeunes hommes, bien souvent issus de familles en difficulté, sont le reflet d'une société qui n'a pas ou plus les moyens de leur apprendre à se nourrir convablement.
Faire le marché en légumes, viande ou fruits frais, est pour eux financièrement impossible. Ils se rabattent sur des produits tous conditionnés (et souvent moins chers, voyons donc!) et le résultat est malheureusement visible physiquement.
Et ce ne sont pas les ateliers de cuisine et diététique que nous mettons régulièrement en place qui les font changer d'avis. Pour eux, manger c'est avant tout les plats préparés, ils ne connaissent que ça.
Bon, j'ai été longue mais c'est mon quotidien au boulot et ça me désole autant que mes collègues.

Bon Président (camembert, Oups!!) cependant et que l'avenir nous soit beau, doesn't it?

Anonyme a dit…

Je viens de découvrir ton blogue. Ça promet ! J'adore ceux qui n'ont pas peur de dire la vérité....