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Cet article de la Cyberpresse m’a laissé une impression étrange. Si le lien ne fonctionne pas, le titre est : « Un Noir élu à la tête du parti républicain ». Et le lead de l’article dit : « Les républicains ont élu pour la première fois vendredi un Noir, Michael Steele, pour diriger leur parti, dix jours après l'investiture du premier président noir des États-Unis Barack Obama. »
Tout ça m’a laissé songeur. Mon premier réflexe, ça a été de me dire que les républicains font de la récupération. Une manière maladroite de se mettre au « goût du jour ». Comme si Barack Obama était une nouvelle saveur qu’on pouvait imiter. Ça m’a fait pensé à ce moment de l’histoire du rock, quand Nirvana a percé, rendant obsolètes en quelque semaines tous les groupes heavy metal des années 80. D’un seul coup, les vieux du rock on rangé leur spray-net et leur leggings en spandex rose, qu’ils ont remplacés par la chemise à carreaux, le vieux pull mité, et le jeans déchiré. Voulant surfer sur la vague, les multinationales du disque se sont mises à fouiller toutes les armoires de Seattle pour nous sortir des quatuors d’héroïnomanes désabusés jouant sur des guitares vintage fêlées.
C’est un peu triste qu’on pense pouvoir se fabriquer son petit Obama en plaçant sous les projecteurs le premier noir qu’on a trouvé. À mes yeux, la couleur d’Obama n’a pas grand-chose à voir avec son élection. Les noirs comptent pour 14% de la population des USA. C’est pas avec 14% de l’électorat qu’on aurait pu battre l’équipe Clinton. Et « noir », c’est un drôle de terme. À partir de quand on est noir? Y’a-t-il un seuil officiel de négritude? Barack est-il noir? Sa mère biologique était blanche, et il a grandi à Hawaii. Selon moi, Obama doit sa victoire à son charisme. À sa capacité de nous faire espérer. Il a donné au monde l’impression que les choses pouvaient changer. Obama, c’est Kennedy version 2.0. La couleur n’a rien à voir dans son succès. Tout au plus, c’est une valeur ajoutée, un beau message de l’Amérique, pour l’Amérique, et pour le monde.
Mais après un moment, je me suis dit que ce Michael Steele est peut-être le candidat le plus qualifié pour le poste. Peut-être que les républicains n’ont pas promu un noir par opportunisme, mais simplement parce que c’était leur meilleur homme. Je suis sérieux ici, je ne fais pas de l’ironie. D’une certaine manière, j’ai peut-être un préjugé envers les républicains, pensant qu’ils sont nécessairement petits et mercantiles. Faut pas ramener ce parti à George Walker Bush. Lincoln était républicain, tout comme Eisenhower. Et j’affiche peut-être un préjugé en réagissant comme si la promotion d’un noir relevait nécessairement d’une tentative de se donner bonne conscience. La presse a peut-être le même préjugé, surtout que l’article tourne autour du fait que le mec est noir. Pourquoi la presse nous parle-t-elle tout à coup de la direction du parti républicain, un poste dont les responsabilités sont plutôt administratives, et dont le monde se fout complètement? Et quand Clinton a été élu, nous a-t-on dit « Les USA se choisissent encore un président blanc »?
Là je relis l’article et je note comment on orthographie le mot « noir ». Notez la majuscule : « Un Noir élu à la tête du parti… ». Après, ça dit : « … premier président noir… ». Donc, majuscule pour le nom et minuscule pour l’adjectif, comme pour « un Français » et « un ivrogne français » (excusez le pléonasme). Tout à coup, je me demande si être noir est une nationalité. Il y a peut-être un fond culturel qui unit les n(N)oirs, mais j’ai l’impression que le n(N)oir de la banlieue de Chicago est aussi loin du Sénégalais qu’un b(B)lanc de Thunder Bay. À ce je sache, la négritude n’est pas délimitée géographiquement. Alors peut-on dire qu’un b(B)lanc élevé par une famille de Jamaïcains est un Noir (avec la majuscule)? Ça commence quand le « Noir »? Si ça se limite à une affaire de pigmentation, est-il correct de mettre un « N » majuscule? Et qu’écrit-on déjà : juif ou Juif, catholique ou Catholique, chevalier de Colomb ou Chevalier de Colomb? Et si l’idée un peu absurde mais souvent colportée que la négritude établit automatiquement un lien de fraternité entre un Congolais et un Californien, est-ce qu’on peut dire la même chose d’un Finlandais et d’un Australien, simplement parce qu’ils sont tous les deux blancs? Et qu'est-ce qu'il veut le n(N)oir: être « noir » ou être « Noir »? Souhaiterait-il être « blanc » et si oui, à quel pourcentage?
Que c’est bizarre tout ça… Je commence à être très mélangé. Je me dis qu’à tout vouloir catégoriser, on finit par s’empêtrer dans nos zones grises. En plus, le fait d’insister constamment sur « noir » ou « blanc » ou « chinois » n’aide en rien notre espoir d’un jour se débarrasser du petit coccyx de racisme qui persiste dans notre cerveau reptilien.
Ensuite, j’essaie de m’imaginer dans la peau d’un n(N)oir. Même si c’est impossible, parce que je ne suis pas n(N)oir. Mais aussi parce que, comme mentionné plus haut, un n(N)oir de la banlieue de Chicago et un Sénégalais noir doivent vivre leur négritude respective de manières bien différentes (je dis Sénégalais noir parce qu’il doit bien exister des Sénégalais blancs, ou café-crème, ou même jaune). Alors dans la peau de quel n(N)oir je me mets? Peu importe… Donc, comment je réagirais si j’étais n(N)oir et que l’élection de Michael Steele n’était qu’une récupération? Est-ce que je serais furieux, me disant que le n(N)oir est maintenant réduit à une mode, et que dans une situation donnée je pourrais être préféré non pas pour mes qualités intrinsèques, mais plutôt pour officier à titre de « nègre de service »? Me sentirais-je réduit à l’état de remplaçant potentiel du chihuahua de Paris Hilton, cette petite bête affectueuse mais plus vraiment fashion en 2009? Ou plutôt, est-ce que je serais heureux, me disant que, mode ou non, je vois enfin arriver une époque ou ma couleur n’est plus prétexte d’exclusion, mais plutôt une sorte d’avantage social?
C’est compliqué tout ça. Et ça m’ennuie. Peut-être devrions-nous devenir aveugles pour quelques générations. En tout cas, ça me fait penser à une vieille blague qui m’avait bien fait rigoler. Un chauffeur de bus de Montgomery en Alabama était très fatigué des tensions raciales qui venaient perturber son trajet. Un jour, après une escarmouche entre un blanc et un noir, il péta les plombs. Il stationna son véhicule, se leva, et cria aux passagers : « C’est fini ces conneries raciales? À partir d’aujourd’hui, y’a plus de noirs, y’a plus de blancs! Dans mon fucking bus, tout le monde est vert! Vous m’entendez? VÉ – E – ER – TÉ : VERT! Alors, les vert foncé, vous allez vous assoir derrière et vous fermez votre gueule! »
(P.S. – j’ai utilisé dans ce texte le mot « négritude » dans sa définition de courant réunissant l'ensemble des valeurs économiques, politiques, intellectuelles, morales, artistiques et sociales des peuples d'Afrique et des minorités noires d'Amérique, d'Asie et d'Océanie, tel que rapporté par Wikipédia. Et surtout, ne commencez pas à me traiter de raciste. Je ne le suis pas vraiment plus que vous, que vous soyez b(B)lanc ou n(N)oir. Même qu’à force de vivre à Paris, j’ai l’impression que tout le monde a le teint verdâtre.)