mardi 29 juillet 2008

Ralph Waldo Emerson live




Les Français ont ceci de bon qu’ils s’intéressent à la culture. On voit souvent dans le RER des bouquins qui dépassent le roman de gare (ou le blog publié). Traités de philo, ouvrages sur l’architecture, manuels de physique. Ce soir, le gars devant moi lisait un truc du genre « Améliorer son jeu de Bach au clavier ». Pas le genre de livre pour pianiste professionnel, mais quelque chose pour le débutant ou l’intermédiaire, pour le quidam intéressé.

Récemment, j’écrivais sur les chansons pop insipides qu’on entend à la radio. Ce que je n’ai pas dit, c’est que les Français, eux, ont le choix de ne pas écouter ces chansons.

À la radio montréalaise, on a à peu près les choix suivants :
-- Les clowns de CHOI qui gueulent des conneries.
-- Les clowns de CHOM qui gueulent des conneries en anglais.
-- Les prozaqués de Rock Matante qui susurrent.
-- Paul Arcand et Jean Lapierre qui déchirent leur chemise.
-- René Homier-Roy qui snobe.

Ici, depuis mon arrivée, j’écoute une station qui s’appelle simplement « Culture ». C’est du moins ce que je vois en cristaux liquides sur mon poste. Hier soir, pendant que je préparais mon souper, on me parlait de Ralph Waldo Emerson, de Henry David Thoreau, et du Transcendantalisme (philo américaine, vers 1850). J’avais étudié ça à l’Université Laval en 1991. Le premier vrai courant philosophique d’une certaine maturité aux USA.

Hier soir, l’exposé était super merveilleusement synthétisé, intéressant, et pensé aussi bien pour les initiés que pour les débutants. Pour rendre ça intéressant, « l’animateur » appliquait des comparaisons et des rapprochements avec certains aspects de Spinoza, Hegel ou Nietzsche. Absolument rien de péteux, pas de beurrage de culture. Des comparaisons en mots simples, pour nous permettre de bien situer les Transcendantalistes par rapport à autre chose. Pour bien montrer comment ils s’inscrivent dans l’esprit américain. Comment ils ont été nourris par les racines de cet esprit, et aussi comment ils ont contribué à sa définition contemporaine.

Source photo : wikipedia.


En écoutant l’émission, je me suis souvenu d’une réflexion que j’avais eue à l’époque. Plusieurs éléments assez « originaux » (je ne suis pas expert) de la pensée transcendantaliste refont surface 100 ans plus tard en Europe dans le courant existentialiste. L’absence d’un dieu à la sauce catholique romaine. Un certain fatalisme. L’extase sur terre, dans l’existence, et non après une vie de souffrance. Bon, je résume trop, et probablement mal, mais le gars de la radio me répétait ce que j’avais pensé en 1991.

Cette réflexion m’avait ouvert les yeux sur le fait que l’Amérique a rejoint « l’avant-garde culturelle » bien avant 1945. La révolution américaine est survenue 13 ans avant la révolution française. La constitution américaine date de 1787. Elle garantit la liberté religieuse. Elle interdit les perquisitions sans mandat. Elle interdit les châtiments cruels. Elle valorise les droits fondamentaux de l’individu, mieux connus dans leur version moderne de la Déclaration universelle des droits de l’homme (ONU – 1948). Elle met en place une démocratie. Elle dit « Nous, le Peuple… », à un moment où l’Europe est dirigée par des monarques, et ce en pleine face d’une Angleterre encore très puissante.

(Ça serait bien que George Bush relise sa constitution. Si les USA sont toujours à l’avant-garde culturelle aujourd’hui, ça ne promet rien de beau pour l’avenir…)

Côté littérature (mon champ d’étude), j’avais vu d’autres exemples de cette longueur d’avance américaine. Des trucs en poésie. L’apparition d’une écriture abstraite beaucoup plus tôt que chez les Européens. Et je ne parle pas des progrès technologiques, des sciences, etc.

Mais mon but n’est pas de faire l’apologie de l’Oncle Sam. Je veux plutôt me re-poser mes questions d’hier soir. Pourquoi est-ce que notre barème culturel, au Québec, est (ou du moins a été jusqu’à récemment) la France? Pourquoi connaît-on bien Camus et Sartres, mais pas Emerson et Thoreau, qui sont nés à 500 km de Montréal? Avons-nous, américains du nord, besoin que nos idées transitent par l’Europe avant de les accepter? De les accepter en retard, après tout le monde?

Nos idéateurs trouvent-ils meilleures oreilles en Europe? Est-ce que c’est simplement ça? Je ne peux m’empêcher de penser à Borduas, à Ducharme, à Riopelle. À Hemingway, Ezra Pound, Scott Fitzgerald, Miles Davis, Duke Ellington, Frank Zappa… En tout cas, on pourrait le croire quand on écoute nos postes de radio.

Bon… peut-être que j’ai une vision one-way ce soir. Peut-être que je me pose trop de questions. J’aurais dû boire un peu de vin avec mes merguez.




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