Aujourd’hui j’ai vu un conducteur reculer dans un one-way. Pourquoi reculer dans un one-way serait une moindre offense que rouler à contresens? Oui, on se fait croire qu’on atténue l’offense en gardant l’avant du véhicule dans la bonne direction. Mais l’interdiction ne concerne pas la position du véhicule, mais dans quel sens il roule. S’il était légal de reculer à contresens dans un one-way, alors il serait illégal d’aller dans le bon sens à reculons. Mais qui s’engagerait à reculons dans un one-way, à moins que ce soit à contresens.
Ça m’a fait du bien de voir que la logique tordue du « one-way à reculons » est un truc international. Un point d’union entre les peuples. John Lennon aurait dû faire une chanson là-dessus. « Backing up on a One-Way Street ». Quelque chose sur la paix et les grandes valeurs qui nous unissent.
N’empêche que rouler à l’envers dans un one-way, c’est un peu comme de l’aventure légère. Un moyen gratuit de braver un peu les interdits du quotidien. Une expression de liberté individuelle, ou de douce délinquance. Avec une dizaine de one-way et quelqu’un pour jouer à roche-papier-ciseau, moi je m’organise une journée d’activités bien remplie.
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À Paris, je ne sais pas si c’est un avantage d’être belle. Quand je dis belle, je parle de la fille très mince, avec le petit menton, les lèvres charnues et les yeux cochons, comme dans les pubs de Revlon. Belle plastique. En Amérique, certaines tueraient pour être comme ça. Mais ici, c’est peut-être une tare.
Chaque boutique, chaque réception d’immeuble a sa poupée. C’est comme une nécessité de parquer un mannequin à l’entrée du building. Et l’entrée du building, c’est souvent un cul-de-sac professionnel. « Écoute Julie, t’es trop belle pour être promue. Des filles comme toi, c’est rare, et ça nous prend une fille canon à l’entrée. Désolé. Peut-être l’an prochain si Kate Moss se libère, mais faut pas trop compter.»
Ou à l’inverse : « Écoute Sophie, ça me plaît pas de te dire ça, mais côté look, t’es seulement… euh… correcte. Tu sais, pour les clients… On va devoir t’envoyer derrière. Directrice d’équipe, 100 000 euros pas année. On t’ajoute une semaine de vacances. C’est à prendre ou à laisser. J’ai besoin d’une réponse demain. »
Peut-être que les Français sont moins superficiels qu’on pense. Peut-être qu’ici une poupée est juste une poupée. Et peut-être que je n’ai rien compris.
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Je vais chez le banquier pour mon assurance-appart. Ici, les appartements n’ont pas de numéro. Il faut avoir son nom sur la boîte aux lettres. C’est ce que m’explique mon banquier. Et il insiste. « C’est important M. Brisson. Mettez votre nom dès ce soir. Lundi on va vous envoyer du courrier à signer. Attendez… » Et là, il ouvre MS-Word et me fait une page avec quatre fois mon nom, en quatre formats. Et là, il imprime la page, sort ses ciseaux et découpe mes petits noms. Il prend son temps et fait ça super clean. C’est quand la dernière fois que votre banquier a fait du bricolage pour vous? Je suis vraiment impressionné.
Au cimetière avec un poubelle (6 juillet)Profession : agente de police.
Affectation : cimetière du Père-Lachaise, tombe de Jim Morrisson.
Mission : assurer l’ordre.
Si le commissariat de police affecte quelqu’un à la surveillance d’une pierre tombale au Père-Lachaise, il doit bien y avoir une raison. Peut-être craint-on l’occasionnel vieux hippie qui trouble la tranquilité du lieu en se mettant tout-nu. Je passe.
Un peu plus loin, je suis heureux de voir que la tombe de Chopin est mieux entretenue et plus visitée que celle de Jim. On y a déposé des petits drapeaux polonais. Un jardinier s’affaire à renouveler les nombreuses gerbes de fleurs. Ça fait chier les touristes, qui voudraient une photo sans le jardinier. Mais le jardinier s’en fout. Je continue, avec ma poubelle orange.
Je suis tombé sur une poubelle en plastique à seulement 9 euros dans un bazar, quelques rues avant le Père-Lachaise. Neuf euros, c’est pas cher à Paris. En deux jours de recherche, c’est la moins chère que j’aie vue. On en voit souvent affichées à 25 euros. On parle ici d’une criss de poubelle cheap en plastique qu’on nous vend 5 dollars au Canada. Seule explication possible : le marché parisien de la poubelle en plastique est contrôlé par la mafia sicilienne.
Pissarro, Apollinaire, Molière et Jean de La Fontaine. La tombeau d’Oscar Wilde est couvert de graffitis et de traces de baisers rouges. On lui impose une postérité de drag-queen. Édith Piaf, Gilbert Bécaud, Marie Trintignant, Modigliani. Tiens donc, Henri Salvador. Comme c’est charmant, il est mort juste avant ma visite.
Avec ma poubelle je passe devant les cryptes richement ornées des familles fortunées. Plusieurs sont en mauvais état. Après deux siècles, peu se souviennent encore. Et qui aujourd’hui la les moyens d’entretenir ces monuments? « Allo, Monsieur Foucault?
-Oui.
-Vous êtes bien l’arrière-arrière-arrière petit fils et unique descendant de Léopold Ponce Foucault, Officier de la garde de la Courasse, et Délégué général au Ministère des Longitudes sous Napoléon II ?
-Euh… c’est possible, oui.
-Bien, ça fait un moment qu’on vous cherche. Ici le Père-Lachaise. Il serait temps que vous passiez réparer la crypte. Elle menace de s’affaisser.
-… (clic)
-M. Foucault?
La ville pestiférée (8 juillet)J’étais dans la voiture avec la fille de l’agence de mobilité X et une agente immobilière Y (deux couches d’intermédiaires généreusement rémunérés par mes deniers). X m’explique que les Parisiens fuient la ville dès qu’ils le peuvent pour échapper au stress et à la pollution. Y, qui est originaire de Suède et habite Paris depuis 8 ans, ajoute qu’elle a développé des allergies depuis son arrivée. Petits commentaires anodins, pour passer le temps dans les bouchons perpétuels.
Et puis, les jours qui suivent, j’observe les Parisiens. C’est vrai qu’ils ont l’air maganés. Pas seulement fatigués, pas seulement stressés. Ils sont usés. Même les jeunes.
Ils présentent des comportements et afflictions proches de ce qu’on voit dans les super-porcheries. Tics nerveux, eczéma, acné sérieuse. Le teint est gris avec un fond de jaune. Les yeux sont cernés. Le psoriasis est fréquent et très apparent. Ils éternuent, ils toussent. Je me souviens qu’un peu après mon arrivée, j’avais remarqué les quintes de toux. « Fuck, j’arrive pendant une épidémie de grippe. » C’est ce que j’avais pensé avec ma logique canadienne.
Une déception, c’est de constater que les Parisiennes sont beaucoup moins jolies que le laisse croire la légende. Sérieusement, la femme moyenne est beaucoup moins belle qu’à Montréal. À moins qu’on aime le look du surmenage. Il y a un désabusement dans le regard. Le cheveu grichou. Un peu comme à Montréal, pendant l’écoeurite généralisée de la fin mars, mais en plus intense.
Bon, donnons une chance au Parisiens, ils sont à quelques jours de leurs vacances annuelles, qu’ils prennent d’un seul coup, tous en même temps à la mi-juillet. Donc, ils attendent depuis onze mois. C’est normal qu’ils soient un peu fanés. Cela dit, je ne sais pas si c’est une bonne idée de partir tous en même temps vers les mêmes plages. Je réévaluerai tout ça fin août.
Le Louvre en 3 heures (13 juillet)On m’avait dit qu’il faut trois jours pour bien visiter le Louvre. Heureusement pour moi, le guichet des abonnements annuels était fermé. Alors j’ai pris un billet pour la journée. La bonne affaire, car le Louvre se visite en trois heures.
Au moins 90% des visiteurs du Louvre y viennent uniquement pour voir la Joconde, le Radeau de la Méduse et la Vénus de Milo. Ils sont des hordes et avancent au pas de course parce que leur autobus part à 16h00. Ils sont en shorts et photographient tout avec leur flash sous les yeux des gardiens qui ont l’air de s’en crisser. Ils sont des dizaines, flashe, flashe, flashe. On dirait « soir de première » dans un centre d’achat deux jours avant Noël. Trois heures, ça leur suffit amplement pour faire leur devoir touristique. Ceux qui ont plus de temps arrêtent au Starbucks du sous-sol pour un authentique machiatto (le Louvre a sa galerie commerciale).
J’ai commencé par le dernier étage. Dans un musée, il y a habituellement moins de monde au dernier étage. Très beau programme : dans l’aile Richelieu, les maîtres flamands et hollandais, et dans l’aile Sully, les français du XVIIe au XIXe. Un étage suffirait pour la journée. Je reviendrais pour les autres.
Mais voilà, après 20 salles, c’est l’overdose. Les murs sont surchargés, les tableaux sont pêle-mêle, c’est assommant. Comme une soirée diapo trop longue. Au lieu de bien choisir les pièces, le Louvre veut tout montrer. La crème fouettée, c’est bon. Mais dix litres de crème fouettée, ça rend malade.
Et si la section hollandaise est souvent sobre et teintée d’un certain réalisme, l’aile française est vraiment grasse. Ça roule dans la bouche de baronnes cochonnes qui lévitent les fesses à l’air dans des poses théâtrales. Bon, ce n’est jamais explicitement la baronne. C’est toujours Aphrodite ou la Liberté ou une nymphe quelconque. Mais sur la petite carte, on mentionne au conditionnel que telle ou telle aristocrate aurait « inspiré » l’artiste.
Après trois heures, j’en avais vraiment assez. Tout ce que je voyais, je l’avais vu en mieux ailleurs. Mieux filtré. Mieux regroupé. Mieux expliqué. Et le bruit, les poussettes, les flashes. Alors j’ai fait comme tout le monde : je suis descendu faire du jogging dans l’aile Denon. Botticelli, le Radeau de la Méduse, du monde pâmé tout-nu, Vinci, La Joconde, next, next… Fuck les 80 salles de l’Antiquité, je reviendrai peut-être en janvier.
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(Petite précision : ma critique est biaisée. J’aime mieux le contemporain, alors le Louvre n’est pas l’endroit idéal pour moi. Mais avec son ambiance d’aéroport, je doute que le musée puisse offrir à quiconque d’apprécier les œuvres à leur juste valeur.)
Les Rafales à ma fenêtre (14 juillet)Vers la fin de la Marseillaise, ça dit : « Marchons, marchons, blaaaa-bla-bla-bla ». À chaque fois, j’entends dans ma tête : « Marchons, marchons, leeees pieds devant ». Ce n’est pas que je veuille manquer de respect. C’est un peu comme le « Ô Canada » qu’on ne peut s’empêcher de faire suivre par « crotte de chat ».
Aujourd’hui c’est le défilé du 14 juillet avec toute la pompe, le gratin, les militaires et madame Bruni. Vu de ma télé, ça a de la gueule. Les Français prennent ça très au sérieux et mettent toute la gomme. On pourrait presque croire que la France est une puissance militaire. Il y a même le scandale bon ton : un politicien a été interpellé alors qu’il voulait manifester contre la présence du président syrien sur la tribune d’honneur.
Je ne suis pas allé sur les Champs Élysées. Parce que je ne sais pas où sont les bonnes places. Parce qu’il y a trop de monde. Parce que je ne suis pas encore assez Français pour connaître d’intuition le bon protocole. Et j’ai de la lessive à faire.
(Ma laveuse me cause des soucis. Elle shake comme pas possible. Je l’ai mise au niveau, mais elle continue. À spin, je ne peux pas la laisser sans surveillance. Sinon, se sauverait. On la retrouverait probablement trois jours plus tard, dans un café près de la Gare du Nord, à boire des bières avec des électroménagers de mauvaise compagnie. Ma laveuse a une gueule de délinquante.)
Donc, je suis resté chez moi. Mais peu importe. Les Rafales et tous les avions sont venus jusqu’à moi. Ils sont passés à la queue leu-leu dans le ciel de ma fenêtre. J’ai pris des photos. Une vieille dame criait « Bravo! » Les pigeons se sauvaient. Sympathique.
La file : guide d’estimation (15 juillet)Selon le mythe, les Français prennent deux heures pour dîner, ou « déjeuner » comme ont dit ici. C’est faux. En moyenne, les Français s’absentent pendant 90 minutes, dont la moitié (45) sont perdues dans des files d’attente.
Ce midi, j’ai attendu 35 minutes dans la file du bureau des postes pour une simple lettre au tarif régulier. Au lieu de perdre mon temps, j’ai conçu ce petit guide d’estimation du temps d’attente, qui je crois sera très utile à quiconque visitera la France. Il est très simple et fonctionne comme suit :
a) Trouvez votre contexte dans la liste LIEUX et multipliez le temps qui lui est associé par le nombre de personnes qui sont devant vous dans la file.
b) Parmi les personnes qui sont devant vous, il y a peut-être un ou des cas spéciaux répertoriés dans la liste CAS SPÉCIAUX. Ajouter ce temps à celui calculé en « a ».
Un exemple : s’il y a 5 personnes devant vous au supermarché (lieu 2), dont deux vieilles personnes (cas spécial 3), vous passerez un total de 23 minutes dans la file.
LIEUX :
1. Banque : 10 min. / pers.
2. Supermarché : 3 min. / pers.
3. Fournisseur de téléphonie cellulaire : 12 min. / pers.
4. Service de transport : 7 min. / pers.
5. Service des postes : 1.5 min. / pers.
6. Ministères et organismes gouvernementaux : non-documenté.
7. Boutique, commerce au détail : 4.5 min. / pers.
8. Autres : 5 min. / pers.
CAS SPÉCIAUX :
1. Personne culturellement « bargaineuse » : 3 min.
2. Personne culturellement « astineuse » : 4 min.
3. Personne âgée : 4 min.
4. Personne âgée sans son appareil auditif : 7 min.
5. Enragé qui pète sa crise de nerfs et qui se met à râler : 2.5 min.
6. Mère de famille avec enfant de 0 à 2 ans : 1 min. par enfant
7. Mère de famille avec enfant de 2 à 9 ans : 3 min. par enfant
8. Personne qui paie par chèque : 2 min.
9. Personne qui paie avec de l’argent à un commis qui a déjà vu de l’argent et sait quoi faire avec : 2 min.
10. Personne qui paie avec de l’argent à un commis qui n’a jamais vu d’argent et doit consulter l’assistant-gérant : 10 min.
11. Touriste : 2 min.
12. Expatrié : 4 min.
Cette méthode donne une très bonne estimation du temps d’attente. Mais dans les prochains mois, je la rendrai plus précise en lui ajoutant divers facteurs d’ajustement, par exemple :
a) Proximité des collègues de travail : tout commis français doit nécessairement consulter un collègue qui se trouve à moins de trois mètres.
b) Groupe d’amis dans un fast-food : ils jasent et ne savent jamais ce qu’ils veulent manger une fois arrivés à la caisse.
c) Nombre de téléphone cellulaires dans la file.
Au pas de course (aujourd'hui)Les pigeons font des cacas énormes on dirait du plâtre mélangé avec de l’herbe. La pâtisserie près de chez moi cuit de gros biscottis qu’ils appellent des croquants ils sont magnifiques et remplis de noisettes entières je suis en train de devenir accro. Il y a une poubelle à tous les 25 mètres. Certains robineux passent la journée à genoux les mains jointes les yeux fermés sans dire un mot avec leur verre en carton devant eux. Dans le RER les gens ont l’air fatigués. J’ai bouffé chez un Marocain et c’était vraiment bon. Ici personne n’a le temps de faire du sport et j’ai les muscles qui commencent à avoir hâte. À la Défense on entre au travail au pas de course. Il se boit trop de café mais il est bon même dans les machines t’as un super cappuccino pour 50 sous. À la télé, slogans en anglais et pilules pour maigrir. Je vais au marché dimanche mais le marché est le samedi alors je bouffe des légumes en conserve. Au travail les priorités ne sont pas celles de l’Amérique et j’essaie de bien comprendre. Je dois récupérer une nouvelle carte bancaire à ma banque en plein milieu de la journée parce qu’elles ne sont pas envoyées par la poste. « Mangez au moins cinq fruits ou légumes à tous les jours. » Ma laveuse ne prend pas plus que 3.5 kilos de vêtements mouillés alors je dois aller à la laverie pour les draps. Il fait soleil 5 minutes mais au moins il ne pleut pas trop. Je cherche un barbier. Mes tomates ont poussé dans une terre étrangère. La station Strasbourg-Saint-Denis est beaucoup moins grande que dans mon souvenir d’un incident en 1989. Ici les Algériens ont mauvaise réputation. Un bourgogne de 2000 payé 8.50 euros a une belle couleur ambrée. La présence physique de mes amis me manque, j’ai envie de les voir sourire.