dimanche 19 juin 2011

French Touch = Chaos

Ça fait trois fois que cette conne me pousse dans le dos. Pas qu'elle me pousse vraiment ; elle s'appuie un peu. Elle me "souffle dans le cou", comme on dit. Elle n'aime pas que je laisse un espace entre moi et la personne devant. Elle sait que quelqu'un pourrait chercher à s'y glisser. D'ailleurs, elle aimerait bien le faire. Je la sens qui veut me déborder par la droite. Discrètement, un centimètre à la fois. Au risque d'être séparée de son groupe. Dilemme en partie solutionné par le fait que deux de ses potes essaient aussi une progression par mon flan gauche.

La zone embarquement d'un vol low-cost est un excellent endroit pour observer le comportement du Français moyen en file d'attente. Fascinant. Un immense caillot humain qui s'abandonne au chaos, ignorant conscience et consignes.

Tous savent que les premiers à passer seront ceux qui ont payé pour un billet coupe-file. Mais dès l'appel, le troupeau se resserre, interdisant toute pénétration. C'est ensuite les passagers ayant besoin d'assistance qui doivent jouer du coude, béquilles et poussettes à bout de bras, sous des regards fusillants de jalousie. Et malgré les annonces répétitives rappelant la politique stricte d'un seul bagage en cabine, on continue à râler sans se préoccuper de ses trois sacs du duty-free.

La conne cherche toujours à me dépasser. Même si c'est Budapest, et que nous serons d'abord entassés dans un bus, parce que le vieux bâtiment n'a pas de passerelle. Et qu'ensuite, deux portes de l'appareil seront ouvertes pour l'embarquement. Des facteurs de brassage susceptibles d'annuler tout avantage positionnel gagné dans la queue (si on ose appeler ça une queue). Et impossible de feindre l'ignorance, car tout est à portée de vue : les bus qui font cérémonieusement la navette sur les ridicules 20 mètres qui séparent le coucou du terminal.

La conne est conne, aussi parce que les low-cost pratiquent un certain égalitarisme en matière d'inconfort aérien. Que les trois bons sièges ont déjà été pris par les quelques détenteurs de billets easy-je-vous-nique-tous. Mais surtout, parce qu'il y a de la place pour tout le monde.

(Classique gracieusement emprunté à ses créateurs et diffuseurs)



C'est ce qui m'étonne le plus dans la version française du chaos en file d'attente. Entendez-moi, ce chaos n'est pas typiquement français ; je l'ai vu dans d'autres sociétés. Mais à la différence de la France, il s'agissait de sociétés sujettes aux pénuries. La particularité du Français, c'est qu'il conserve ses comportements chaotiques dans des situations non pénuriques.

Aux USA, quand on meurt piétiné sur le linoléum d'une grande surface un 23 décembre, c'est qu'il ne reste plus que 10 poupées Elmo dans toute la ville. En Grèce, quand on fout son doigt dans l'oeil d'une vieille en guise de riposte à ses coups de canne, c'est qu'il n'y a que 20 places dans le mini-bus, pour 62 personnes à la station. À Calcutta, quand on fait un croc-en-béquille au mutilé devant soi, c'est parce qu'il ne reste que deux kilos de riz au comptoir de la Croix Rouge. Toutefois, dès que l'approvisionnement est garanti, ces peuples retrouvent civisme et courtoisie.

Mais pas en France. Les MacDo du pays sont les seuls au monde à ne pas voir défiler des rangs de clients souriants et bien alignés. Ici, on lance comme on peut burgers et sundaes à un mur mouvant de corps humains qui gesticulent et gueulent.

Je trouve ça paradoxal, venant d'une société qui se revendique de Descartes et des Lumières. Au terminal de Budapest, à côté des Français, un beau rang d'Anglais, tout droit et bien espacé, attendait patiemment son vol vers Luton UK. Pas de rouspétage, malgré l'annonce d'un retard de deux heures.

Si je m'étonne du comportement français, sachez que je ne le condamne pas. Je me dis qu'il est peut-être le fruit d'un esprit plus fin, supérieur. Il y a quelques années, j'avais lu dans Science et Vie qu'une simulation informatique avait comparé des modèles d'évacuation chaotiques et ordonnés. À la surprise des chercheurs, les modèles chaotiques s'étaient avérés légèrement plus efficaces.

6 commentaires:

Cynthia a dit…

Pour l'avion, j'ai décidé d'attendre la dernier moment pour embarquer, je ne suis pas capable de faire sereinement face à tout ce chaos.

Par contre, les français essaient aussi de dépasser dans les queues de Disney ... un gros choc culturel ;)

Véronique Lebel a dit…

Tu veux voir du vrai chaos dans les files d'attente? Viens faire un tour en Chine!

Silvano a dit…

Dieu que c'est vrai !
Les vols low-coast en Italie sont du même acabit, il est juste de le relever.
Syl. de SylGazette

Mon nom est Paul a dit…

Je n'ai jamais voyagé en Chine. Et en Italie, c'était toujours sur des vols français. Alors je ne peux me prononcer de manière catégorique.

Mais je crois que vos comparaisons avec ces deux pays ne sont pas pertinentes. Malgré ses progrès économiques, la Chine est un pays qui subit encore des pénuries sérieuses. Quant à l'Italie, depuis la chute de l'Empire romain, elle a tacitement abandonné le modèle classique de civilisation, pour adopter un système de soft-anarchie consentante qui relève plutôt de l'état d'esprit : la dolce vita.

De bonnes comparaisons avec la France seraient des pays du même niveau économique : le Japon, l'Angleterre, l'Allemagne, le Canada, les USA. Tous ces peuples ont intégré le concept de file d'attente.

Titem a dit…

Quand on arrive à Montréal, c'est en effet l'une des choses qui frappe : les gens qui font la queue civiquement pour attendre le bus ! Et c'est vraiment mieux, sans oublier les gens qui ne bousculent pas dans le métro.

Je ne suis pas certain qu'en définitive, le modèle chaotique d'évacuation soit plus efficace - comment faire si des gens entrent, bloquant ceux qui veulent sortir ? Mais en tout cas, pour avoir habité Paris 6 mois avant Montréal, je peux t'assurer que ça engendre bien moins de stress !

Naya4 a dit…

J'ai fait la même constatation dans mon blog, aussi... surtout que partant de Marseille et allant à Londres, je l'ai vue, la différence.