Les transports
Si vous avez prévu rester coincés à Paris, la situation n'est pas trop mauvaise. La RATP (Régie Autonome des Transports Parisiens, ou Reste Assis T'es Payé, selon les diverses interprétations entendues) participe plutôt mollement aux contestations. Les transports dans Paris sont donc très près de la normalité. Certaines mauvaises langues disent que les employés de la RATP se foutent bien de la réforme, car ils auraient droit à un régime particulier qui leur permettrait la retraite à 55 ans. Peu importe la raison, les métros roulent bien.
Les employés de la SNCF bénéficieraient aussi d'un régime avantageux. Mais tradition oblige, ils s'impliquent fortement dans le mouvement. La SNCF fait la grève depuis les 35 dernières années et ne se souvient plus trop pourquoi. Il n'est pas prévu que les contestations cessent avant 2041. Les conséquences sont la supression de certains trains et une dégradation du service. Ceci donne au pays des airs d'Italie, ce qui sera vu positivement par les amateurs d'exotisme et d'aventure.
Petite précision aux étrangers, l'interconnexion à Gare du Nord est suspendue. Tout le monde répète ça, mais personne n'explique ce que ça veut dire. C'est que les transports du centre de Paris sont assurés par la RATP, et ceux de la périphérie par la SNCF. Et le Transilien, peut-être. Allez donc savoir, on est en France. Gare du Nord est une espèce de ligne de démarcation entre les deux syndicats, comme il en existe une entre les deux Corées. Habituellement, c'est fluide. Mais en cas de conflit, comme la RATP et la SNCF ne s'entendent pas sur les moyens de pression, l'interconnexion est suspendue. Donc, si vous atterrissez à Roissy-CDG, vous attendrez au moins 30 minutes pour un train, et celui-ci vous laissera à Gare du Nord.
Pour ceux qui comptaient prendre le RER B pour aller de Roissy à Orly (l'autre aéroport), ben c'est loupé. On ne traverse plus Paris sans souffrance. Il y a trois options. La première, c'est de faire Roissy-Gare du Nord en RER-B version SNCF, traverser la ville en métro ou RER-B version RATP, et remonter sur le RER-B SNCF un peu plus loin. Rien compris ? C'est le charme de la France qui commence à opérer. Prévoir au moins 3 heures. La deuxième option est de prendre un taxi. Prenez aussi une hypothèque, car les autoroutes sont en travaux. La troisième option est la plus simple : posez le canon sur votre tempe et appuyez sur la détente. Vous trouverez une très bonne armurerie à côté de Gare de l'Est. Petite note en passant, si vous favorisez l'option 2 (taxi), n'oubliez pas qu'il y a pénurie de carburant (voir plus bas).
En fait, l'avion est à éviter ces jours-ci. Il est déjà difficile d'arriver à l'aéroport par voie terrestre car les accès sont parfois bloqués par des manifestants. Il faudra alors marcher (photo ici). De plus, comme les contrôleurs aériens participent au mouvement, il est possible que votre vol ait été annulé. Ceux qui arrivent par les airs ont plus de chance, ils pourront atterrir. Mais ça sera peut-être à Rennes, ce qui impliquera de rallier Paris en train SNCF (voir plus haut). Les vrais chanceux seront ceux dont l'avion aura été détourné vers une destination jouissant d'une meilleure cohésion sociale, comme le Soudan.
Source photo : wikipedia.
La pénurie d'essence
Après avoir évoqué une éventuelle pénurie d'essence pendant tout un week-end, ce qui a semé la panique et auto-réalisé la pénurie, les médias d'ici en remettent une couche. La semaine dernière, le gouvernement a fortement réagi en dépassant les quotas habituels de distribution aux stations-service. Ceci a presque permis un retour à la normale au cours des derniers jours. Déçus de voir la panique quasi-étouffée, les médias reviennent à la charge en évoquant une seconde vague de détérioration de l'approvisionnement.
Mais le gouvernement veille au grain et réquisitionne le personnel des 12 raffineries françaises (elles sont toutes en grève au moment d'écrire ceci) pour assurer un minimum de distribution. De plus, du carburant est importé des pays voisins. Toutefois, ces importations affectent les prix à la pompe, qui ont augmenté. En fait, il semble que les stations-service aient un peu anticipé la décision gouvernementale : elles ont commencé à augmenter les prix dès le début de l'auto-réalisation de la pénurie.
À Marseille
Certains grévistes impliqués dans d'autres conflits, ailleurs en France, ont décidé d'abandonner leurs revendications initiales pour joindre le mouvement contre la réforme des retraites. À Marseille, le port est en grève depuis un mois, de même que les cantines scolaires. Mais, on ne craint pas trop pour l'approvisionnement alimentaire, car les éboueurs sont aussi en grève. Il y a toutefois pénurie du livre "Comment apprêter les restes" à la FNAC. Petit conseil aux touristes : si vous n'êtes pas habitués aux odeurs prenantes, commencez par Haïti.
La casse
À Montréal, quand les Canadiens remportent la finale de la division Est, on défile en masse sur Sainte-Catherine. Des délinquants désoeuvrés profitent de ce mouvement de foule pour casser des vitrines et brûler des voiture. C'est la même chose en France. Mais comme l'équipe nationale de foot est complètement nulle, on défile contre la réforme. Faut bien une raison.
Dans les prochains jours
Ici, s'il y a truc encore plus sacro-saint que le droit de grève, c'est les vacances. Or, nous sommes en plein congé scolaire de la Toussaint. L'appareil politique espère grandement que cette accalmie permettra d'étouffer le mouvement de contestation. Mais les syndicats ne l'entendent pas ainsi : ils ont prévu deux nouvelles journées nationales de manifestations. C'est le taux de participation à ces journées qui nous dira si le mouvement a encore du souffle.
On peut s'interroger sur la pertinence de ces deux nouvelles journées, puisque le texte de la réforme a déjà été accepté au Sénat. Plus que quelques formalités pour qu'il devienne loi. Cela dit, quand il s'agit de descendre dans la rue, les Français ont maintes fois prouvé qu'ils n'ont pas nécessairement besoin d'une raison pertinente.
De leur côté, les médias font tout pour titiller les braises de la protestation, avec des titres comme "Le mouvement semble faiblir" et "Retraites : les mouvements sociaux prendront-ils fin une fois la loi votée ?" Il faut comprendre les journalistes. Ils adorent les grèves, car ça fait du boulot facile : vox-pop dans la foule, interlocuteurs connus et disponibles, reportages en métropole, entrevues gratos. À la limite, on peut même rejouer les images de la dernière fois. Je l'ai constaté sur France 3, qui m'a mis deux jours de suite le même Parisien dans la même file qui disait la même chose en attendant de pouvoir faire le même plein d'essence. Mais soyons justes, les journalistes ont le droit de ne pas bosser eux aussi.
J'espère que ça vous éclaire.
P.S. - Un système public, ça se paye. À vous, Français, qui défilez jusqu'à Place de la Nation (où j'habite) parce que vous voulez conserver la retraite à 60 ans. Quand vous avez fini votre marche, quand les mégaphones sont éteints, et que vous prenez le métro pour rentrer à la maison, payez donc votre ticket au lieu de sauter par dessus le tourniquet. Pendant les manifs, je vois 1 voyageur sur 2 frauder. Et 3 sur 5 ont leurs vêtements couverts d'autocollants syndicaux. Ça me rend un peu cynique.