samedi 18 septembre 2010

Le véritable authentique

Il y a quelques semaines, je bouffais un club sandwich au Café Bonal. La spécialité des cafés français, maintenant, c'est les burgers, les clubs, et les mojitos. À côté de moi, un groupe de jeunes Français mangeaient des hambourgeois. L'un d'eux secouait la bouteille de ketchup Heinz dans l'espoir d'arroser ses frites d'un peu de la célèbre sauce tomate. Il gesticulait, mais rien ne sortait. La classique bouteille Heinz en verre : une vraie tête de mule. Ça fait partie de son charme, disons.

Au bout d'un moment, bien évidemment, le Français se met à râler : « Putain d'Américains ! Font que des machins qui fonctionnent pas ! Non mais t'as vu ce truc de merde ? »

J'ai eu envie de lui répondre : « Tu sais, vous êtes le dernier peuple sur la planète qui n'utilise pas encore la bouteille squeezable. Faut se décider dans la vie : ou bien c'est le fonctionnalisme, ou bien c'est l'esthétisme. Visiblement, vous avez choisi l'esthétisme. »

Mais au fond, je n'avais pas réellement envie de lui répondre ça. Parce que ça aurait été trop français de me mêler des affaires des autres. Et parce que ça aurait été tout aussi con : une généralisation à la « ils sont fous ces Romains ». J'en fais trop souvent dans ce blogue.

Ici on me demande souvent pourquoi les Américains imaginent toujours les Français avec un béret, un pull rayé, et une baguette sous l'aisselle. Je leur dis que je ne sais pas. Mais je leur rappelle qu'à Paris, on me parle des bûcherons canadiens au moins une fois par semaine.

Je me demande de quoi aurait l'air le monde sans les clichés culturels. Parce qu'au fond, on les adore ces clichés. Quand on rêve d'exotisme, c'est eux qu'on voit. Quand je vais en Allemagne, je veux un biergarten et une saucisse moutarde, préférablement servis par une blonde en jupette bavaroise. Quand le Français débarque au Québec, il veut voir des traîneaux à chiens, des cabanes en rondins, et des Indiens (même si c'est le village Huron de l'Ancienne-Lorette, avec ses Indiens roux à moustaches). Et quand un Américain débarque à Paris, il court au Café de Flore à Saint-Germain des Prés. Les gondoles à Venise, les sushis à Tokyo, la corrida à Séville.

Est-ce condamnable ? Je ne sais pas trop. Sur certains rivages très volcaniques de Hawaii, j'ai été un peu déçu par l'absence de palmiers. Ma photo aurait été plus jolie. Un resto chinois sans lanterne de papier, on dirait que ça manque un peu d'authencité, vous trouvez pas ?

Non mais sérieusement, c'est quoi cette fameuse authenticité ? C'est quoi cet exotisme dont nous sommes avides ?


Source photo : wikipedia.


Là, vous allez me dire que l'authentique, c'est ce qui n'est pas formaté. Alors prenons le cas de la paëlla en Espagne. Elle est où la vraie paëlla ? La majorité des paëllas d'Espagne sont surgelées et servies à des touristes. On pourrait dire que c'est elle, la vraie paëlla. La plus connue. La plus répandue.

Mais bon, tu prends ton Lonely Planet et tu te trouves un resto qui te fait une vraie paëlla. Mais qu'est-ce qu'elle a de plus vrai ? T'es seulement dans un resto qui fabrique de l'authencité pour des touristes moins pressés. Mais une paëlla, c'est le truc que tu fais lentement dans le jardin en buvant quelques bières avec les copains. Comme un BBQ. C'est pas une recette, c'est une cérémonie.

Donc tu te trouves des copains espagnols qui ont un jardin, et tu finis par les convaincre de t'inviter pour une paëlla. Mais cette paëlla, ils te l'ont faite parce que tu l'as demandée. Si t'avais été du coin, vous auriez probablement mangé des burgers ou une pizza. Donc, c'est où l'authencité ? Ça commence quand ? C'est où les vrais sushis au Japon ? Y'a-t-il une vraie gondole à Venise ?

Disons qu'on enlève tous les clichés, partout. Qu'est-ce qui reste sinon une sorte d'uniformité mondiale ? La vie ordinaire. Des gens qui dorment, qui travaillent, qui mangent, qui baisent, et qui font caca. Des gens qui vont chez McDo, the Gap, Virgin Megastore. Et des riches qui vont chez Chanel, Vuitton, Versace. C'est comme ça à Madrid, Singapour, New York ou Buenos Aires.

Oui, si on reste un moment, on découvre des trucs locaux. Ce sont généralement des choses qui ne se monnayent pas. Une manière de parler (ou de râler). Les subtilités d'un rythme de vie. Une vision de l'avenir. Des orientations philosophiques, morales, politiques. Des habitudes. Des breuvages, mais surtout la manière de les boire.

Mais tout ça prend un temps que la majorité d'entre nous n'avons pas. Nous passons pour une semaine, question de faire les photos nécessaires. Pas le temps d'attendre une paëlla spontanée. Alors y'a une industrie qui nous facilite la vie. Qui nous formate les trucs locaux en clichés accessibles, bien rodés, collés à nos fantasmes. Et ça nous plaît. C'est pratique. Ça s'achète.

Peut-être que même chez soi, on est un peu touriste. Suffit de penser au Temps des sucres, au Québec. (Pour les amis français, c'est la période où les érables coulent et où on fait le sirop.) Les entreprises montréalaises organisent des sorties de groupe dans les méga-cabanes-à-sucre de l'Estrie. Trois cents personnes dans une grosse cantine qui se tapent un menu fixe en écoutant un CD de rigodon. Et les cerisiers en fleur, au Japon ; j'avais lu quelque part que les grands hôtels aménagent des jardins privés avec des arbres importés d'Hokkaido, pour des soirées corporatives. Et le vin nouveau, à Paris. Les dindes pré-farcies vendues pour le thanksgiving américain...

Finalement, peut-être que l'authenticité n'est qu'une vue de l'esprit. Que tout est cliché. Donc que rien ne l'est.

J'en étais à ces réflexions lorsque le Français de la table à côté est parti. Il s'est tiré avec la bouteille de ketchup. Paraît que c'est une tradition ici ;-)


P.S. - D'après vous, qui trône au sommet du palmarès des sites et monuments les plus visités de France selon l'OMT (Organisation mondiale du Tourisme, sous-organisme de l'ONU) ? C'est Disneyland Paris. Pour chasser le petit malaise, plusieurs communications trafiquent le palmarès en éliminant tout ce qui n'est pas considéré comme « monument culturel ». Cette fois, Notre-Dame arrive en tête...

Aucun commentaire: