Je suis rentré au Canada pour le congé des Fêtes. Ces six derniers jours, je n’ai eu qu’une chose en tête. Toutes mes pauses-repas étaient planifiées comme un voyage organisé. Comme s’il s’agissait d’une conquête, ou plutôt d’un blitz, j’ai pris d’assaut la Gourmandie, attaquant non pas ses villes cossues, mais plutôt ses bourgs industriels et populaires, comme Smoked-Meat, Poutine, ou Bacon-and-Eggs. Je suis même passé par ces banlieues discrètes où se rassemblent les immigrants. Cette campagne triomphale s’est achevée hier soir, au plus profond du pays, avec une splendide assiette de dinde patates-pilées (pommes-purée pour les Français). Je vous présente ici mes plus beaux trophées.
La neige on s’en fout. Si on va à Montréal, c’est pour Schwartz. Derrière sa façade modeste, la petite charcuterie hébraïque grouille plus qu’une grande brasserie parisienne. Toujours pleine, elle livre même des commandes spéciales, par avion, partout en Amérique.
Toujours du monde chez Schwartz.On va chez Schwartz pour ses fameux sandwichs au pastrami. Je déteste ce mot – pastrami. Pour moi, il est associé à cette viande salée et un peu raide. Chez Schwartz, on fait du Smoked-Meat. C’est tellement loin du pastrami que ça mérite un nom propre. Peut-être pas très esthétique comme sandwich, mais il suffit d’entendre les grommellements de satisfaction des clients pour comprendre qu’on a affaire à un délice. Chez Schwartz, on ne parle pas : on grogne de plaisir. Couchée dans son petit pain de seigle à la moutarde jaune, une superbe viande tendre et persillée de gras qui se défait amoureusement sur la langue. Il s’agit de bœuf fumé, bien poivré, et qu’on a fait reposer un moment, question de laisser les saveurs faire connaissance. Indescriptible. Et démocratique : environ cinq dollars pour un sandwich. Et si certains vous disent qu’on peut trouver semblable bonheur depuis quelques mois, près de la rue des Rosiers à Paris, ne les croyez pas. J’ai visité l’établissement en question, et malgré la gentillesse du service, on est à des années-lumière en matière de goût (et de prix). Désolé Paris, mais cette fois c’est pas toi la star.
Le sublime "medium on rye",
avec son gros cornichon à l'aneth.L’autre star comestible au Québec, c’est la fameuse poutine. Ici, on parle de rock’n’roll. On parle de fin de nuit bien arrosée, de guitares électriques et de sub-woofers. La poutine est un truc qu’on engouffre pour se capitonner le foie pendant qu’on cuve sa bière. Ça fait appel à nos instincts les plus primaires : patates, gras et sel. Chaque nation a sa friture du noctambule enivré, que ce soit les fish and chips des Brits ou les churros des Madrilènes. Au Québec, c’est la poutine. De préférence avec une bonne bière locale, une vraie bière qui goûte quelque chose, mais ça les Français ne connaissent pas vraiment. Un peu de numérologie pour expliquer à mes amis de l’Hexagone. D’un chiffre au hasard, disons 1664, si tu prends 6 et 6 et 1+4+le con qui boit cette pisse diabolique, ça fait 666. C’est tout dire.
Des frites dorées, du fromage en grain,
la sauce brune : c'est la Poutine!
À l'arrière-plan la version "italienne",
avec sa sauce tomate. Comme quoi
toutes les perversions sont permises.Tant qu’à mourir d’une attaque cardiaque, autant y mettre un peu de couleur avec les fameux cup-cakes. Ces mignons petits gâteaux ont été remis au goût du jour par les séries girlie comme Sex and the City. Ça fait déjà un moment, et la mode commence à s’essouffler du côté américain. Mais je voyais récemment que la maladie gourmande s’est propagée vers l’Europe, croisant au dessus de l’Atlantique la mode des macarons, en route vers le nouveau continent.
Mêmes colorants, mêmes produits chimiques, même plaisir. Vive les échanges culturels.
En bonshommes de neige...Le plateau Noël...Et le traditionnel blanc au coconut, sur son comptoir
rétro, comme chez grand-maman.Le roi du p’tit-dej montréalais, c’est le bagel. Vous en trouverez des imitations à Paris. Sortis de leur sac en plastique, ils se présentent sous la forme d’anneaux spongieux tout juste bon à récurer le fond de la douche. Pour l’expat canadien, ils peuvent servir de méthadone en attendant le prochain vol transatlantique. Pour le Parisien, habitué à de meilleures pâtes, autant s’en passer et attendre un voyage au Canada pour goûter l’original. Le bagel montréalais est roulé à la main, plongé dans l’eau, puis couvert des graines de sésame. On dirait que la petite saucette, en mouillant la surface, imperméabilise la pâte. Ainsi, pendant la cuisson au feu de bois, toute cette belle humidité restera à l’intérieur de l’anneau. La pâte ne lève pas vraiment. Ça donne un pain très dense mais moelleux, micro-alvéolé, et dont le parfum a des notes sucrées. Ce qui est bien, c’est qu’on les cuit 24 heures sur 24, et qu’ils sont toujours chauds au moment de l’achat. Moi j’aime mon bagel grillé avec du beurre et du miel. Mais c’est aussi délicieux avec du Nutella, ce qui fait que les Français l’adoptent rapidement. Et je parie qu’avec des rillettes, ce serait un hit.
Bagel-man à son four, et sa récolte du jour.La demi-douzaine de bagels bien chauds, dans
son sac en papier kraft.En parlant de p’tit-dej, il est nécessaire à l’occasion d’en prendre un vrai. Le genre de repas qui donne envie de retourner au lit pour un roupillon. Le fameux breakfast québécois est probablement d’origine anglaise. On y trouve souvent haricots blancs, patates rissolées, œufs au plat, bacon, jambon, saucisse. C’est une assiette copieuse pensée pour l’ouvrier, le fermier, le déménageur. Aujourd’hui, on a plus vraiment besoin de manger comme ça. Mais c’est tellement bon! Compromis : on le mange à 11h00 et il fait office de brunch.
Gargantuesque : patates rissolées, bagel, saucisse,
bacon, qui trônent sur deux oeufs au plat (tournés-crevés).Multiculturalisme oblige, il est important d’aller faire un tour chez les immigrants. Notamment au resto Le Goût de l’Inde, sur Monkland, qui fait à mes yeux le meilleur indien à Montréal. Je n’avais malheureusement pas mon appareil-photo en main. Mais pour vous donner une petite idée, les cuistots de ce troquet vont toujours un petit peu plus loin que les indiens habituels. Tout passe par le détail, à commencer par cette petite macédoine d’oignons et de poivrons qu’on nous sert avec les papadums. Légumes ciselés à la main, coriandre fraîche, c’est soigné dès le départ. Le menu est traditionnel, mais tout le bonheur est dans les détails. Par exemple, dans le palak paneer, un plat d’épinard au fromage. Habituellement, on nous sert une purée d’épinard en boîte qu’on a allongée avec une sauce relevée. C’est pas mauvais, mais ça n’a rien à voir avec les épinards frais du Goût de l’Inde, qu’on nous cuisine sur demande.
Palak paneer, épinards au fromage (source photo ici).Il fallait aussi que j’arrête à La Carreta, sur Saint-Zotique. Cette gargote salvadorienne nous sert de magnifiques
pupusas avec leur petite sauce bien relevée au piment vert. J’en rêvais depuis des lunes. Les latino-américains sont sous-représentés à Paris, et je n’ai toujours pas trouvé mon repère andin dans la Ville Lumière. La pupusa, c’est une galette de maïs farcie de fromage, de poulet, de haricots, ou de chicharron (couenne de porc frite). On la couvre d’une salade de choux légèrement salée, et d’une bonne sauce tomate (la sauce au piment vert est en extra, il faut demander). À travers tout ça flotte l'arôme du citron vert. C’est un mets simple, populaire, roboratif, et savoureux.
Des pupusas, mais je mets plus de salade sur
les miennes. Et de la sauce pimentée.
(source photo ici)Je finis dans mes terres, sur la Côte-Nord, avec une assiette typiquement américaine : la dinde de Noël. Bon, c’est pas encore Noël, mais pourquoi s’en priver. Cet oiseau à la réputation d’être un peu sec. Mais pas quand c’est maman qui le cuisine. Sa chair reste juteuse et dorée, aussi fondante qu’un confit de canard. Secret de ma mère. Elle nous le sert avec sa superbe purée de pommes de terre, soyeuse comme un nuage, et sa petite flaque de jus de cuisson. À côté, une purée carottes-navets bien beurrée, de la farce (un mélange de légumes qui a cuit dans l’oiseau), et la traditionnelle mini-tourtière, un meat-pie probablement british. Louanges à toi, ô mon Dieu.
Merci maman! Tu sais nous aimer...Ah, j’oubliais! Les légumes… Bon, mauvais score cette semaine pour les végétaux. Sinon, cette salade à la crème fraîche toute conne mais si douce. Laitue, ciboulette, crème, sel et poivre. Ça change de l’habituelle attaque vinaigrée à la parisienne. Avec toute cette crème 35%, je ne sais plus trop si ça compte pour les diététistes. Mais bon, ça compte pour le bonheur.
Salade à la crème. Ça pourrait probablement se
faire avec des endives, aussi.