Pendant que j’ai perdu mon temps à vous remastiquer le fétide et stérile débat sur la souveraineté du Québec, il s’est passé autre chose dans ma vie. Alors en voici un petit condensé.
Manger à Rome
Les Français font grand cas de leurs talents culinaires. Avec raison. En France, on peut manger « crissement bien », comme on dit chez nous. Mais après un week-end à Rome, je me sens obligé de tempérer le chauvinisme hexagonal. Dans la haute gastronomie, comme le dit cette dépêche de l’AFP, Tokyo est maintenant plus « étoilée » que Paris. Bon, une deuxième place, c’est pas si mal. Mais dans le domaine de la petite gastronomie, celle de tous les jours, je dois mettre Paris derrière bien des villes, dont Rome et Londres. How shocking!
C’est qu’à Paris, il faut au moins vingt euros pour commencer à bien manger local. Sinon, on a droit au croque-monsieur tiède. Le week-end dernier à Rome, j’ai eu pour 6 euros un spaghetti à damner un saint. La perfection en matière de tomate + basilic + pâtes al dente. J’en étais ému. Même chose pour la pizza. Tu mets 3 euros sur le comptoir, tu prends une bouchée, et là il se passe quelque chose de très intense. Ça ressemble à l’amour. Ou l’équivalent buccal d’un shoot d’héroïne. Donc, dans la zone 5 à 20 euros, les Romains battent les Parisiens dans mon cœur. Désolé, c’est comme ça. Chers amis Français, vous restez excellents dans la zone 20 euros et plus. Mais je n’ai pas toujours ce budget.
Ma dent pourrie
Il y a quelques années, on m’a arraché les dents de sagesse. (La sagesse a dû partir avec les dents.) L’opération avait été assez difficile. Une des dents refusait obstinément de quitter le bercail. À chaque torsion des pinces, ma tête suivait. Le morceau d’ivoire était indélogeable. Au bout d’un moment, une assistante et venue m’agripper la tête. Moi je me tenais la mâchoire à deux mains. Et la jeune et jolie dentiste était à califourchon sur moi, ses genoux sur la chaise, bien penchée sur son ouvrage. Ça aurait été presque agréable, n’eut été de la novocaïne et d’une impression croissante d’entorse à la joue gauche.
Au bout d’un moment, un gros CRAC! Je me suis dit : « Ça y est, ma mâchoire vient de péter ». Heureusement, la dentiste toute fière tenait au bout de sa pince ensanglantée une belle grosse dent de mâle bien portant. Et le crac? C’était un bout de racine qui avait cédé. Il était resté derrière, bien planté dans l’os. La dentiste a inspecté la plaie, a déterminé que ce moignon dentaire ne poserait pas de problème, et a fait la suture. Erreur.
Au bout d’une semaine, la douleur à commencé à cause de l’infection. On m’a donné un produit topique pour le trou dans la gencive, et des antibiotiques. C’était désagréable. Ça a duré trois semaines. Puis, un beau matin, ma gencive a fini par expulser le bout de dent. Un petit bout d’os complètement nécrosé, tout noir, pas plus gros qu’une tête d’épingle. C’est ce qui restait la racine. Les bactéries avaient bouffé le reste.
C’est sorti d’un coup. Tu te réveilles, tu passes machinalement le bout de ta langue à cet endroit qui fait mal depuis trois semaines, et y’a ce grain de sable qui te sort de la gencive. Mais ce qui m’a le plus frappé, c’est l’odeur soudaine et violente. Ce minuscule bout d’os dégageait une odeur cadavérique épouvantable. Même en le tenant à un mètre de mon nez, je percevais encore sa puanteur digne d’une porcherie. Je l’ai jeté à l’évier, je me suis brossé les dents longuement, et je me suis gargarisé avec un demi-litre de Listerine. Trois jours plus tard, je n’avais plus mal et tout était guéri.
Cette odeur de dent pourrie, je l’avais complètement oubliée. Jusqu’à ce que j’essaie l’andouillette. Tous mes amis québécois m’avaient averti : c’est comme manger le cul d’un porc. Je dirais plutôt que l’andouillette, c’est comme manger une nécrose dentaire.
Source photo : wikipedia.
Salade péruvienne
Pour tous ceux que je viens de dégoûter, et pour les autres qui craignent la H1N1, voici une petite recette de salade péruvienne toute simple et délicieusement tonique par ces temps plus frais. Tranchez un oignon blanc ou pourpre en beaux anneaux très minces (1 mm). Arrosez-les de jus de citron vert. Ils doivent baigner. Mettez aussi un peu d’huile d’olive, et du sel. Attendez une trentaine de minutes, pour que le jus de citron adoucisse les oignons. Avant de servir, hachez un beau bouquet de coriandre fraîche, et jetez le tout sur les oignons. Puis savourez. Vous verrez, le jus de citron aura beaucoup adouci les oignons, tout en préservant leur croquant. Le beau parfum de la coriandre complète cette salade simple qui accompagne très bien tout mets sud-américain.
Pourquoi cette recette? Parce que j’arrive d’un resto latino où j’ai retrouvé quelques unes des saveurs qui me manquent. Les bons latinos sont rares à Paris. Un peu comme les restos africains à Montréal. À chacun ses tropiques. Il y quelques années, je lisais dans Science et Vie qu’une composante de l’oignon cru a la faculté de dilater les bronches. Ce qui favorise la respiration et combat l’asthme. Drôle de coïncidence, les Péruviens mettent de l’oignon cru partout. Facile à produire, à conservation longue, l’oignon est donc le légume rêve pour ce peuple de montagnards andins (il y a moins d’oxygène en altitude).
Le machin de l’oignon, la vitamine C des citrons verts, les bons gras de l’huile d’olive… Peut-être que l’humain est un animal pas si con qui sait intuitivement ce qui est bon pour lui.
Tout le monde aime Pierre Lapointe
Depuis qu’elle a vu le spectacle, MissK est en amour par-dessus la tête et a acheté les trois albums de ce dandy québécois un peu mélo, mais pas trop sérieux. Au début, je le trouvais un peu affecté, mais à force de l’entendre, je dois dire que j’aime aussi. Les orchestrations du deuxième album (La forêt des mal aimés) sont magnifiques. Et même s’il beurre épais dans le romantisme, sa prose finit par toucher. Ses mélodies sont riches, et ses structures inventives. Ça change des refrains ados à deux notes, ou des chanteurs bubble-gum qui chialent comme moi quand je m’écrase une couille. Les Québécois me diront que je suis en retard. Mais les Français ne connaissent pas beaucoup Pierre Lapointe. Alors amis Français, courrez à la FNAC ou au I-Store.
Ici un extrait de son troisième album. Et ici trois versions live de ses titres précédents.
La dictature
Heureux hasard, je lis en ce moment Le cris des oiseaux fous de Dany Laferrière (Prix Médicis 2009 pour son roman L'Énigme du retour). Dans ce bouquin autobiographique, Laferrière revient sur les 24 heures qui ont précédé sa fuite d’Haïti, en 1976, après l’assassinat de son collègue journaliste Gasner Raymond. Il y parle amplement de la vie sous la dictature de Duvalier. Je vous cite un extrait (merci Dany) : « Je pense avoir le droit, si tel est mon désir, d’aller voir ce qui se passe de l’autre côté de la colline. C’est tout. Un désir personnel. Le mien. C’est ce que le pouvoir déteste le plus. C’est ce qui le fait montrer les dents. Il nous veut à sa merci. Nous sommes obligés de l’aimer. Ou de le détester. Du moment que nous ne sortons pas du cercle de feu. Si je meurs cette nuit, on fera de moi peut-être un héros, comme Gasner est en train de le devenir dans la conscience populaire, alors que je ne fais que penser à moi. Je suis un individualiste né. Et fier de l’être. C’est ma dernière cartouche contre le pouvoir. Ne penser qu’à moi. Moi contre eux tous. Tous ceux que je connais ne pensent qu’au pouvoir. Pour l’adorer ou pour le détester. D’après eux, il n’y a pas d’alternative. »
Et puis ceci : « Dans un pays riche, le théâtre n’est que du théâtre, le cinéma est avant tout un divertissement, la littérature peut servir à faire rêver. Ici, tout doit servir à conforter le dictateur dans son fauteuil ou à le déstabiliser. La politique est le but de toute chose. Même moi, en ce moment, je ne pense qu’à ça. Il n’y a pas moyen de sortir de ce cercle vicieux. (…) On est forcé de prendre position sur le plus banal sujet. Au fond, rien n’est banal. Tout est une question de vie ou de mort. Même les mangues, vous les aimez ou pas? Parce que si vous n’aimez pas les mangues, on mettra en doute votre identité nationale. »
Enfin, ceci : « Je suis simplement contre l’idée qu’il faut passer sa vie à toujours parler de la même chose : la dictature. Comme s’il n’existait que ce seul sujet de préoccupation. La pire prison est d’accepter cette limite. Comme si on n’avait pas le droit de penser à autre chose. (…) Je veux respirer. J’étouffe, coincé entre mes camarades qui ne parlent que de la dictature et un pouvoir qui ne s’intéresse qu’à sa survie. »
J’ai lu Laferrière, et j’ai eu l’impression que Duvalier, au Québec, c’est le putain de débat sur la souveraineté. Depuis plus de 40 ans, jamais moyen d’en sortir. Je n’ai connu que ça, cette dictatoriale polarisation de tout débat social. Ça s’infiltre partout dans la vie. Jusque dans le banal. Ça influence même la couleur des cravates. On a déjà fait remarquer à Jean Charest son choix d’une cravate bleue*. C’est grave, cette interminable obsession! Si un jour j’ai des enfants, j’aimerais leur laisser un monde où toute réflexion n’est pas soumise au filtre oppressant du débat souverainiste. Et le prochain insignifiant qui me dit « Suffit de faire l’indépendance une fois pour toute et on n’arrêtera d’en parler », comme si c’était un argument, je lui calisse mes jointures dans les dents. C’est-tu assez clair?
* Pour mes amis français, la couleur bleu est associée au souverainistes, alors que Jean Charest, actuel Premier Ministre du Québec, est un fédéraliste.