dimanche 18 octobre 2009

Soirées parisiennes



Note : la vie d’expat est un constant aller-retour, presque schizophrénique, entre l’exaltation et la déprime.

Parfois Paris me fait l’effet d’une vieille dame riche parée de ses bijoux. Elle a le chic, le pedigree, la fortune. Mais elle est d’une autre époque. Elle est finie. Elle vit de ses rentes, elle n’a plus grand-chose à donner sinon son passé. En plus, elle a mauvais caractère.

En l’honneur des soirées parisiennes, les soirées d’avant-guerre, si souvent célébrées dans les mémoires et au cinoche, j’ai composé ce poème lyrico-épique. Je n'ai pas mis de points à la fin des phrases, mais je ne sais plus ce qui est branché cette saison en littérature.

Soirée parisienne

Je rentre, il est 19h40

Je rentre à 19h40 parce que les horaires de travail son mal foutus

Je bois un verre d’eau

J’ai faim mais pas envie de cuisiner

Je suis fatigué

Je bouffe un des bouts de la baguette

Je te laisse l’autre

J’allume la télé

La télé est moche en France. Des séries policières américaines. Ou six Français autour d'une table qui parlent tous en même temps sans écouter les autres. On dirait un poulailler. Cocorico. Faudrait leur donner de la moulée. Parfois y'a du foot, avec des gens qui se lancent par terre en se tenant la cheville. Et des reportages sur l'Amérique par des journalistes qui y sont restés deux semaines. Moi je suis en France depuis 15 mois et j'y comprends pas grand chose.

Je ferme la télé

Je me dis que même si on coupe le bout de quelque chose, l’endroit où on a coupé devient nécessairement un nouveau bout

Alors je bouffe l’autre bout de la baguette

Ça te fait deux bouts de mie

Je me trouve rigolo

Ensuite j’ai des regrets

Je me dis que tu seras fatiguée quand tu rentreras

Alors je sors acheter une autre baguette avec deux bouts tout neufs

La boulangère fait la gueule

Elle perpétue la tradition du service à la parisienne

La boulangère fait la gueule pour bien montrer que, même si son métier l’amène à servir des personnes, elle n’est pas domestique

C’est bien important

C’est à cause de la Révolution

Je lui donne mon argent pour sa marchandise

Je lui donne mon sourire parce qu’on vit ensemble sur terre

La boulangère me trouve étrange

C’est normal : je suis un étranger

Parfois, au lieu de l’obligatoire « au revoir », je dis des choses étranges comme « à la prochaine », ou même « bonne soirée ». Et quand je fais ça, la boulangère hésite un peu. Les gens n’aiment pas beaucoup quand on les place en situation d’hésitation

Je rentre chez moi

Je mets un truc dans le micro-onde

Je prends mes courriels. À Paris ils disent « mes mèls », de l'anglais « mails », mais avec un mauvais accent

Tu rentres

Heureusement il y a du vin

Pas longtemps après, il est 22h00

Je me dis que je ne pourrai pas faire tout ce que j’aurais aimé faire

Ce week-end je veux dormir


Source photo : wikipedia.


1 commentaire:

Marie-Julie a dit…

Oh là là! Toujours aussi joyeuse, ta perception de la vie parisienne! (Bien contente que tu soit allé chercher «deux bouts de pain» pour ta douce fatiguée! ;-)