jeudi 2 avril 2009

Aux armes, citoyennes!



Récemment, je suis allé à Londres avec ma copine. Lors d’un petit arrêt chez Boots, une chaîne de pharmacies anglaises, Madame est soudainement prise de spasmes incontrôlables dus à une excitation intense. Elle peine à respirer et n’émet que des bégaiements. C’est son doigt pointé vers les étalages qui me révèle la raison de cette frénésie : devant nous, proprement cordées sur la tablette, plusieurs bouteilles de sa mousse coiffante préférée. Et cette petite affichette : trois bouteilles pour seulement 10 British pounds. Elle en prend six. Et un peu plus loin, son fond de teint favori à seulement 6 British pounds. Et ça continue.

Moi, je calcule. Je calcule les économies. Trois bouteilles pour 10 pounds, ça fait 3.33 pounds par bouteille. Au taux de change actuel, ça veut dire environ 3.60 euros. Même au moment fort de la British pound, il y a environ 18 mois, ça aurait fait seulement 5 euros. Et le fond de teint, encore calculé au taux de change le plus défavorable, nous aurait coûté 9 euros.

Quelqu’un peut-il m’expliquer pourquoi, à Paris, la même bouteille de mousse coiffante coûte 12 euros? Et ici, le même fameux fond de teint coûte 16 ou 17 euros. Pourquoi? Mon tube d’anti-sudorifique me coûte à Paris 4 euros en mini-format. À Montréal, j’avais deux fois la quantité pour la moitié du prix. Ouais, bon, on me dira que la vie est moins chère à Montréal qu’à Paris. Qu’on ne peut pas comparer des pommes et des oranges. Mais pour la mousse coiffante et le fond de teint londoniens, quelle est l’explication? Parce que Paris et Londres, c’est Granny Smith et Royal Gala. On est assez près pour faire des comparaisons. Deux grandes villes européennes densément peuplées, pas trop distantes, où le mètre carré coûte une fortune. Même que Londres a la réputation de coûter plus cher que Paris.

Source photo : wikipedia.


Alors pourquoi le cosmétique parisien est-il outrageusement plus cher? La faute aux taxes? Je ne crois pas. C’est bien beau les taxes, mais les Anglais aussi en paient. Peut-être moins, mais pas au point de couper les prix en deux.

Et, soit dit en passant, c’est la même chose pour les légumes. Le temps d’acheter un pique-nique à Londres, et tu découvres qu’à Paris tu te fais (veuillez m’excuser) enculer très profondément. Le supermarché parisien baise ses clients sans les embrasser. Qu’est-ce qu’elle a la carotte française? Elle pousse deux fois moins vite? Son engraissage demande deux fois plus de purin, étendu par deux fois plus de fermiers? Deux fois plus de camions pour la transporter? Deux fois plus de froid pour la réfrigérer?

Je suis pas certain que c’est la carotte qui a un problème. Ce soir, je vais au supermarché. Dans le rayon des shampoings, à côté des horriblement chères marques connues, il y a l’imitation par la marque générique. Le fameux « Leader Price ». Quatre fois moins chère. Quatre fois! Tout le monde dans l’univers de la consommation sait que la marque générique est « à peu près » équivalente à la marque connue en termes de qualité. Au Canada, cet « à peu près » qualitatif peut être quantifié à environ -30%. Si un produit authentique coûte 10 dollars, l’imitation très correcte nous sera vendue autour de 7 dollars. Mais à Paris la bouteille Leader Price est QUATRE FOIS moins chère que la marque connue.

Deux hypothèses se posent. La première, c’est que Leader Price, pour arriver à un tel bas prix, remplit ses bouteilles avec du pipi de chat. J’ai vérifié, et ce n’est pas le cas. Le shampoing en question a une belle petite odeur de fruits. Un peu chimique, pas vraiment Chanel, mais très correcte et pas désagréable.

La deuxième hypothèse, c’est que ça coûte environ 50 centimes pour remplir et vendre une bouteille de shampoing. Et y’a deux sortes de commerçants. Y’a ceux qui se disent : « Je la vends 1 euro, c’est un prix attrayant pour le consommateur moyen, et je double mon investissement. » Et y’a une autre majorité de grandes marques qui se disent : « Nos études ont démontré qu’en France, si l’équipe-marketing fait bien son travail, le consommateur de shampoing moyen peut être enculé jusqu’à hauteur de 5 euros la bouteille, peu importe le coût de production à notre usine chinoise. » Et ces grandes marques d’ajouter : « Ces Français sont vraiment des suckers. Si on arrivait à rendre les Anglais aussi crédules, ou doublerait nos profits sur le territoire britannique. »

Sérieusement, depuis mon arrivée ici, j’entends parler de la fameuse « vie chère ». Et souvent, je vois les gens se tourner vers le gouvernement. Ils revendiquent un paquet de trucs. Mais qu’est-ce qu’il peut faire le gouvernement, si les gens sont prêts à se laisser entuber par les commerçants? Même s’il baisse les taxes, le prix de base du shampoing sera encore outrageux. On ne peut tout de même pas fixer le prix du litre de shampoing comme on le fait pour le lait dans certains pays.

Je commence à comprendre pourquoi y’a un parti communiste qui survit ici. Sérieusement, dans le commerce hexagonal sont tolérés bon nombre d’arnaqueurs qui mériteraient un coup de pied au cul. Il y a un problème quelque part, je ne sais pas où… Mais dans un milieu de saine concurrence, des écarts de prix si élevés ne devraient pas survivre longtemps.

Je pense que le problème, il est dans la tête des gens. C’est un problème de perception. Sans trop s’en rendre compte, les gens tolèrent la vie chère. Au Canada, la bouteille de 50 cl d’eau de source coûte aussi cher que le 1.5 litre d’Évian en France. Dans une vaste contrée sauvage qui regorge de rivières cristallines, les canadiens acceptent de se faire vendre leur propre eau à des prix ignobles, dans des bouteilles polluantes, par des sociétés qui puisent tant qu’elles le veulent, et sans verser un dollar de compensation aux gouvernements. Absurde, non? Je ne sais pas pourquoi. Un jour, y’a un publiciste qui nous a convaincus avec sa bullshit : une eau vraiment pure, ça vaut son prix. Et nous les cons, on y a cru. Et quand l’eau canadienne n’est pas assez branchée, on importe. J’ai trop honte de dire quel prix on accepte de payer pour une bouteille d’Évian qui a traversé l’Atlantique.

En France, y’a les légumes. La putain de carotte coûte presque plus cher que le saucisson. Trouvez l’erreur! Et les cosmétiques. J’ai vu des petits pots d’enduit facial à 200 euros dans une chaîne tout à fait ordinaire. Deux cents euros pour 5 cl de simili-suif à la vitamine Q! Je ne sais pas quelle salade on a vendu aux Françaises, mais maintenant, elles paient le gros prix. Il me semble qu’elles devraient ruer dans les brancards un peu plus. Y’a des vitrines de parfumerie qui demandent seulement à être cassées. Aux armes, citoyennes!


(P.S. : cl = centilitre = 10 millilitres. En France, ils utilisent des centilitres. Et moi, comme je suis à cheval sur deux cultures, il m’arrive de me tromper et de demander 500 centilitres de bière, donc 5 litres. Vous devriez voir le visage du barman. Dans mon cœur, je préfère les millilitres. J’adore cette succession de « l » et de « i » à la lecture. C’est joli, vous trouvez pas?)


1 commentaire:

Maxime a dit…

"In their private purchases, many people prefer brands that are widely perceived to be high quality. Many like such brands not only because their high wealth induces a higher private taste for quality, but also because such brands are visible to others, and so signal their wealth to others."

http://www.overcomingbias.com/2011/04/statusful_regulation.html

Comme se laver les cheveux avec du shampooing leader price, ça fait pauvre...