lundi 29 décembre 2008

Nomadisme



J’attends dans un bus à la gare de Ste-Foy. Orléans-Express, monopole du transport de passagers sur l’autoroute 20, entre Québec et Montréal. Depuis mon retour au Canada, c’est une alternance de neige, de brouillard et de pluie. Ciel gris : on dirait que je n’ai pas quitté Paris. Au sol, tout est glacé. Les piétons font des arabesques, plusieurs se pèteront la gueule aujourd’hui.

Tout à l’heure, j’ai vite constaté l’imperméabilité limitée de mes Keen en marchant dans une glande flaque de gadoue. J’étais dans la rue, avec entre le trottoir et moi cette belle grande flaque large d’au moins 1.5 mètre. À droite et à gauche, la flaque courait sur 50 mètres. À chaque hiver, tu essaies au moins une fois. Tu te dis que la flaque n’est pas si profonde. Tu te dis qu’en allant assez vite, tu auras le temps de retirer ton pied avant que les eaux ne se referment. Dans une sorte de triple-saut, tu mets le pied dans la flaque et tu le vois disparaître complètement.

Cette eau qui pénètre dans la chaussure, elle est glaciale. Tout le pied est enveloppé. C’est un froid immédiat, sans équivoque. Une sensation vive, à classer avec les déchirures musculaires, les coupures sur les doigts, le jus de citron sur la langue. Il n’y a pas de crescendo dans l’intensité. Ça passe de zéro à dix d’un seul coup.

Heureusement, c’est un froid de surface. Comme une brève flamme brûle la peau sans vraiment la réchauffer. Après un moment, l’eau tiédit et il suffit d’attendre que ça sèche. Il n’y a pas réellement de danger, sauf peut-être pour le débile léger qui oubliera de sortir son pied de l’eau. Faudrait être vraiment con ou maso… De l’autre côté de la flaque, au bout du triple-saut, il faut gérer l’atterrissage sur un trottoir complètement glacé. Ça c’est une autre histoire.

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Entre le ciel gris et les trottoirs sales, Montréal couche une bande de couleurs avec ses affiches, ses néons, ses petits bâtiments de brique rouge aux portes et toits peints. Du rose, du bleu clair, du vert, du jaune. On dirait les roulottes d’un cirque tsigane. C’est un des aspects de la ville, ce bigarré, qui me manque à Paris. Cette espèce de laisser-aller créatif, un peu villageois. À Paris, il y a une sorte de conformité écrasante de pierre grise. Les façades sont opulentes, les portes massives, mais sous la pluie, ça fait beaucoup de gris dans le regard.

Je ne veux pas critiquer Paris. Cette ville a une histoire architecturale, un style à préserver. Une des qualités des édifices parisiens, c’est qu’ils semblent avoir été bâtis pour durer. On y a mis le paquet. À Montréal, les façades sont rigolotes, mais on sent qu’aucun édifice ne pourra tenir plus de 100 ans. Ici, on bâtit pauvrement et on orne avec de la peinture. Il y a certainement une raison. Peut-être est-ce lié à ce sentiment de non-permanence, d’itinérance propre à l’esprit américain. Peut-être, aussi, est-ce dû au gel. Après quelques années à alterner entre +30 et -30, le mortier fout le camp. La brique fend. La pierre aussi. Il faut tout remplacer. Peut-être que le bel édifice haussmannien, soumis à nos conditions climatiques, finirait par se délester de ses balconnets, les jetant sur la tête des piétons qui marchent cinq étages plus bas.

À cause d’un petit redoux, les trottoirs sont dégueulasses. Comme en avril, tout ce qui était prisonnier de la neige et de la glace jonche maintenant les rues. Papiers de chewing-gum, paquets de cigarettes, tas de mégots à la porte des bars, cacas de chien. Tous les antidérapants déposés par la voirie, le sable et les petits cailloux, forment avec la gadoue une sorte de boue. Ça ressemble au Far-West. Il ne manque que les chevaux. Préférablement, laissez les escarpins à la maison. Choisissez plutôt une bonne paire de grosses bottes Sorel Caribou. Elles sont hautes et imperméables. C’est mieux qu’une petite chaussure de marche Keen pour traverser les flaques.

Depuis mon arrivée à Montréal, j’enfile les missions anti-mélancolie. Mes valises à peine déposées rue Hôtel-de-Ville, je me suis rendu chez Schwartz’s pour un bon smoked-meat medium on rye. Il était parfait. Le resto a ouvert un petit comptoir pour les commandes à emporter, alors plus besoin de faire la file pendant trente minutes. Un peu trop parisien comme activité, la file. Pour dessert, un pastéis de nata de la pâtisserie Notre Maison, sur le boulevard Saint-Laurent. Et pour les besoin d’une comparaison scientifique objective, un deuxième pastéis de nata un peu plus loin, cette fois chez Romados. J’ai aussi revu un ami le temps de quelques pintes. Et j’ai mangé de la soupe au pois. Que du bonheur pour mon cœur. J’ai un paquet d’amis à voir, et j’ai bien hâte. Côté bouffe, il me faudra au minimum un sandwich au poulet rôti portugais de Coco-Rico, une pupusa de la Carreta, sur Saint-Zotique, et un tali indien. C’est ça l’Amérique.

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Sur ce blog, je reçois parfois des commentaires de Français un peu vexés par mon regard sur la France. Récemment, j’ai un peu parlé des banlieues américaines, et une bonne amie m’a trouvé un tantinet dur. Je pourrais dire que le goéland est un peu nul en tout. Pas le meilleur planeur, pas le meilleur nageur, pas le meilleur marcheur. Faut-il s’en vexer? Le goéland jouit d’une adaptabilité impressionnante, et c’est ce qui fait sa force. On trouve des goélands qui nichent à 800 km des océans. Même chose pour le pigeon. Il n’est pas nécessairement le plus élégant des oiseaux, mais quel succès biologique. Aussi efficace que le rat; quel animal remarquable malgré sa laideur.

Source photo : wikipedia.


En parlant des banlieues américaines, j’ai cherché à amener une perspective un peu moins diffusée en Europe que les images du Grand Canyon et le American Dream. J’arrive de Baie-Comeau, où vivent mes parents. Un bled perdu au fond de la Côte-Nord. Baie-Comeau est née en 1937 autour d’un moulin à papier. En 1936, il n’y avait rien d’autre qu’un camp de chasse. La ville a été construite autour d’une usine. C’est la même chose pour Dolbeau, au Lac-St-Jean, Sept-Iles, Thunder Bay, Schefferville, etc. On trouve du minerai, on ouvre une ville au milieu de nulle part.

Et ces villes se ressemblent toutes. Au centre, il y a la mine ou l’usine. Un axe principal, habituellement un boulevard un peu pompeux au style américain, aligne les centres commerciaux, les MacDo, les Canadian Tire, les PFK et les Wal-Mart. Autour, les bungalows sont répartis en rangées sur des petits terrains uniformes.

Ces villes-champignons portent une impression d’impermanence. Elles ont l’air sortie de nulle-part, inventée de toutes pièces, et destinées à disparaître après l’épuisement de la veine de minerai. Elles ont l’air de trucs transplantés, elles ne font pas corps avec le milieu et la géographie. On pourrait prendre Baie-Comeau et la téléporter à 800 km, à côté des banlieues montréalaises de Brossard ou Candiac. On trouve ces villes-dortoirs un peu ennuyantes partout en Amérique du nord. J’en ai vu à Hawaï. C’est une sorte d’urbanisme américain de la non-permanence. On vit dans ces villes parce qu’on y trouve du travail. Quelques unes arrivent à se faire des semblants de racines, au bout de trois ou quatre générations. Mais beaucoup de ces villes sont désertées lorsque le marché du cuivre s’effondre.

C’est un concept qui paraîtra peut-être étrange aux yeux d’un Européen, mais ici au Canada, il nous arrive de « fermer » des villes, ou de les « rouvrir » après 20 ans d’abandon, selon que l’exploitation d’une matière première est rentable ou non. Le prix du fer remonte à New York, les comptables font leurs calculs, l’usine se remet en marche et la main d’œuvre revient. D’autres travailleurs, pas nécessairement les mêmes qu’il y a 20 ans.

Les noms de ces villes sont souvent intéressants. On fabrique une ville, il faut bien lui trouver un nom. Alors on fouille rapidement dans l’histoire locale. On trouve un mec qui a traîné dans le secteur récemment. Normandin a été nommée en l’honneur d’un arpenteur. Baie-Comeau à la mémoire de Napoléon-Alexandre Comeau, géologue et naturaliste de la Côte-Nord. Schefferville pour Lionel Scheffer, vicaire apostolique du Labrador. Gagnon au nom du ministre des mines de l’époque. Parfois, on ne se casse même pas la tête : Forestville (exploitation forestière de l’Anglo-Canadian Pulp), Fermont (mine de fer de la Québec Cartier), ou Thetford Mines (mine d’amiante).

Ces villes sont un peu comme des campements de nomades. C’est ce que je cherche à montrer. Dans l’esprit américain, je crois qu’il y un trait de nomadisme qui modèle en partie nos structures sociales, notre manière de penser. Un nomadisme hérité des amérindiens, ou de l’immigration? Je ne sais pas. Reste que la culture ici paraît moins figée qu’en Europe. Ses racines sont moins profondes, son sol plus malléable. Moins de tradition. Mais peut-être que le mode de vie américain stimule la créativité et la débrouillardise. La tradition, c’est beau, mais à l’occasion ça peut aussi être lourd à porter.


2 commentaires:

Anonyme a dit…

Très intéressant ton regard sur ton coin de pays après quelques mois d'exil. C'est vrai que plusieurs villes ont été construites à la «va-vite» en Amérique. Mais pour moi, le terme «nomade» fait référence à quelque chose de beaucoup trop beau pour que je ne grimace pas un peu en le voyant utiliser pour décrire ce genre d'endroits! Je vois en fait notre continent comme un ado en perpétuelle recherche d'identié, et l'Europe (du moins la France) comme une grande dame un peu hautaine mais qui cache aussi son lot de questions derrière sa façade de perfection... Mais je n'ai pas vécu en Europe.

appelsj a dit…

Encore un autre très beau texte...
Étant nomade au plus profond de moi, ayant été chambardé des deux cotés de l'Atlantique... I think you've got things pretty figured out.
C'est pas toujours beau, mais c'est vrai.