mercredi 22 octobre 2008

Le débat



Comme tous les peuples de la terre, les Français ont une opinion sur tout, et sont persuadés d’avoir raison. J’avancerais que l’envie de persuader est universelle. Selon moi, ce qui est propre à chaque culture, ce sont plutôt les méthodes de persuasion.

En Amérique, ces méthodes me semblent plus terre-à-terre. T’es pas d’accord, alors je te pète la gueule. Je t’envoie un missile dans les dents. Les Français ne sont pas habitués à la confrontation physique. Ça vaut la peine de voir le Français paniquer quand tu lui lâches un « You want a piece of me, motherf*cker? » bien senti.

Source photo : wikipedia.


Ce dans quoi le Français excelle, c’est le débat. La persuasion par épuisement mental. Le Français est un marathonien du débat. Il peut t’astiner jusqu’à ce que tu perdes connaissance. Les deux mots les plus prononcés dans l’Hexagone sont « oui mais ». Impossible de battre un Français dans un débat. Ils sont entraînés dès la plus tendre enfance et n’abandonnent jamais. Si tu ne lui donnes pas raison, un Français pourrait te suivre jusque chez toi pour continuer de t’astiner jusqu’à tard dans la nuit, en buvant ton vin de surcroît. D’ailleurs, c’est une technique de « cruise » que je devrais essayer : contredire une jolie parisienne jusque dans mon lit.

Il y a trois moyens de se défaire d’un Français astineux. Le premier, c’est d’avoir indubitablement raison, ce qui n’est pas toujours facile. Quand le débat tourne autour de l’existence de Dieu, ou ce genre de sujet, c’est absolument impossible. En plus, le débat à la française n’est pas vraiment fair-play. J’expliquerai plus tard.

Le second moyen, c’est d’assassiner le Français. Pas vraiment pratique. C’est salissant. Et pas facile de se débarrasser d’un cadavre dans une ville où chaque mètre carré est occupé.

J’ai choisi la troisième option, qui est de rendre les armes rapidement. Choisir de donner immédiatement raison au Français : « oui, oui, c’est ça, le ciel est rouge et la terre est plate. » Mon orgueil en prend pour son rhume. Surtout qu’un Français qui gagne un débat est tout fier et te nargue toujours un peu : « j’ai gagné, gna-gna-gna! » Le côté pratique de cette troisième option est qu’elle permet d’économiser un temps fou tout en s’assurant d’une certaine tranquillité.

Je disais plus haut que le débat à la française n’est pas fair-play. Dans ma naïveté relative, je croyais qu’un débat était la confrontation de deux raisonnements logiques. Le raisonnement dont l’argumentaire comportait une faille perdait le débat. J’ai vite découvert qu’en France, ce qui compte dans un débat, c’est de gagner, peu importe les moyens. Voir Schopenhauer dans votre dictionnaire. Tous les coups sont permis. Tout artifice, tout geste théâtral, toute circonvolution sont utilisés pour déstabiliser l’adversaire. On dirait de l’escrime.

C’est intéressant de regarder un débat français. Il faut cesser d’écouter les mots et plutôt porter attention aux voix. Ça s’outrage pour suggérer la mauvaise foi. Ça s’esclaffe pour peindre le ridicule. Ça dit de rester calme pour laisser sous-entendre un manque de maîtrise chez l’autre. Tout est dans la forme.

Quand on a pris le temps de s’intéresser à la forme, on peut revenir au fond. Et là, ça devient absolument magnifique. Complètement tordant. Les énormités que j’entends parfois, on n’ose pas imaginer. Ce n’est pas pour rien que le mot « baratin » est français.

Je suis fasciné par cet aplomb qu’ont les Français quand il s’agit de dire n’importe quoi. Un Français peut te dire sans cligner des yeux que ta mère le borde chez lui chaque soir, petit extra inclus. De manière innée ou acquise, ils ont ce ton de voix qui permet de donner des airs de véracité aux spéculations les plus loufoques. À l’écouter parler, le Français est expert en tout. Il y en a toujours un pour t’expliquer l’Amérique, même s’il n’y a jamais mis le pied. Les reprises mal doublées de X-Files sur TF1 lui suffisent pour asseoir son expertise.

Tout de même, le Français ne coule pas avec son bateau, et ça le rend sympathique. Il ne s’accroche pas à son mensonge. Dans le fond, il ne ment pas vraiment : il triche un peu. Quand un Français essaie de te passer un sapin du genre « La terre est plate », il est très conscient de l’énormité de son propos. Il suffit de l’arrêter, de marquer une pause. Tu lui demandes de répéter son affirmation. Après deux répétitions, il perd son aplomb : « Ouais, bon, on pourrait presque dire que la terre est plate parce qu’elle n’est pas parfaitement sphérique. » Il te fait un clin d’œil ou un sourire, quelque chose qui veut dire « bon, tu m’as eu cette fois ».

Évidemment, comme dans toute société, il y a des cons. Ici, il prend souvent la forme du petit ingénieur diplômé d’une grande école, qui du haut de ses 5 pieds 2 broadcaste en hi-fi son syndrome de Napoléon. Celui-là, même les Français l’haïssent. Avec lui, il n’y a pas beaucoup d’options. En fait, il n’y en a qu’une seule. Il faut lui dire « You want a piece of me, motherf*cker? »


4 commentaires:

sylviane a dit…

Celle-là je l'enregistre : "You want a piece of me, motherf*cker?" J'ai une "petite chef" au bureau qui mérite bien qu'on lui envoie ce genre de "remise à l'heure"!!! Mais bon, comme c'est elle qui fait les payes j'essayerai de la faire plus douce, du genre "You want a piece of me, p'tite conne?" A suivre...
Excellent, comme d'hab, bonne continuation et au plaisir, Sylviane

MissK a dit…

Voici l'illustration du "You want a piece of me...":
http://www.dailymotion.com/video/x2vwi7_jean-philippe-micro-betisier_fun

Mon nom est Paul a dit…

Un grand classique par un grand acteur. Cette scène ne vieillira jamais. Merci MissK.

La belle Lurette a dit…

Sti, j'viens de me rendre compte que mon fils est Français!