« So ? », comme disent les Anglais. « Pis ? », comme on dit au Québec. Quels sont les résultats de la grève du 19 mars ? Moi je sais pas trop : mon Eurostar a roulé à l’heure et j’ai passé un magnifique long week-end à Londres, loin de tout ça. Donc, et alors ? Quoi de neuf ? Y’a-t-il eu révolution ? A-t-on garanti au Français des mesures concrètes pour « mettre plus de social dans la relance » ?
Ça m’intéresse beaucoup alors, dès mon arrivée, je cherche dans Google. « Grève 19 mars », « grève 19 mars résultats », « grève 19 mars réactions »; j’essaie diverses déclinaisons. Et qu’est-ce que je trouve, d’après vous ? Nada. Nothing. Rien pantoute. Que dalle. Une grande majorité d’articles pré-grève qui énumèrent les services perturbés par la manifestation. Un seul article dans lequel une poignée de « secrétaires confédéraux du XYZ » qualifient l’événement de grand succès, comme c’est leur habitude, sans toutefois donner la mesure dudit succès, comme c’est aussi leur habitude. Et du côté des patrons ? L’Express qui titre « Sarkozy fait (presque) le sourd », ainsi que « François Fillon ne propose rien de neuf aux syndicats ». Pas de nouveau plan de relance, pas d’augmentation du SMIC. Bonjour le succès! Efficace, la grève à la française ? J’en suis pas encore convaincu.
Source photo : wikipedia.
On vit à Paris et on oublie certaines choses. On s’habitue. Mais quand on va à Madrid, on découvre qu’un métro peut être modernisé. Même chose à Londres. Pour rentrer, on prend l’Eurostar dans une gare St-Pancrass étincelante et contemporaine. Et après deux heures, on débarque à la Gare du Nord, une espèce de truc d’époque, le décor d’un film d’avant guerre, version rouille et suie. Et ensuite le métro. La ligne 9, comme la majorité des lignes, a une belle rame en ferraille dont la technologie semble dater des années 50 (même si en réalité c’est plutôt les années 70). Enfin, petit saut au supermarché pour acheter des légumes beaucoup trop chers, à la frontière de l’arnaque. C’est ça, rentrer à Paris.
Les Français ont certainement des demandes légitimes. Je ne doute pas de la nécessité d’une action. Quand on constate l’état des infrastructures, et surtout le retard qui s’accumule, on a l’impression que les taxes et impôts très élevés de l’Hexagone sont peut-être mal utilisés. Et quand on va au supermarché, on comprend vite pourquoi le Français est furieux.
À mon arrivé en France, un ami m’a dit : « Tu vas voir, les Français sont des gens très conservateurs ». J’ai l’impression que c’est vrai. Et dans certains domaines, c’est probablement une belle qualité. Les traditions culinaires et vinicoles, c’est précieux et important. Mais du côté « manif » et « revendication », je le réitère, la grève est peut-être un peu dépassée. Une belle petite foule paisible qui marche dans la gaîté et qui rentre chez elle pas trop tard. Pas de quoi impressionner. Il serait peut-être temps de changer. Surtout quand on pèse les résultats.
Et peut-être que certains commencent à s’en rendre compte. On est mercredi, et je reprends la rédaction de ce texte commencé lundi soir. De quoi on m’a parlé aux nouvelles ce soir? Un petit groupe d’employés d’une usine a séquestré un de ses directeurs. C’est la deuxième fois en quelques jours qu’une telle chose arrive. Pas de violence, on fait ça humainement, le directeur est bien traité. Mais il est retenu sur place. Et à Paris, une manif de quelques centaines de travailleurs. Ils ont foutu le feu dans la rue, à côté de l’Élysée. Un peu de chahut pacifique. Pas très original, mais ils ont gueulé un peu plus fort que d’habitude. Et des délégués du gouvernement les ont reçus pour les écouter. Ça me paraît déjà mieux comme résultat, comparé à jeudi.
Guérilla? Petites actions ciblées mais musclées? Gestes surprise et hautement symboliques? Si l’argent est au cœur du problème, frapper là ou il y a de l’argent? Si on est en mesure de mobiliser des milliers de personnes, pourquoi les faire parader paisiblement dans une rue prévue pour gérer les débordements, une allée à moutons? Pourquoi ne pas repenser l’action? Les Français croient encore au pouvoir de la rue, ce que je trouve très louable. Pourquoi ne pas donner aux manifestants des méthodes à la hauteur de leur motivation? On revendique « plus de social dans la relance ». Moi, je revendique « plus de poésie, plus de surprise dans la manif ».
J’étais en Angleterre le week-end dernier. Dans tous les supermarchés britanniques, on trouve de petits sacs de légumes préparés pas chers du tout. Manger ses cinq légumes pas jour à Londres, c’est facile et pas cher. Pourquoi est-ce différent à Paris? Pourquoi le Parisien se fait arnaquer sur les légumes? Pourquoi ça coûte plus cher de faire pousser une carotte ici que dans le Devonshire? Pourquoi, en temps de crise, le Français se fait baiser au supermarché? Il est où le problème? Peut-on le cibler? Et si ces 500 000 personnes, en 1000 petits groupes de 500, allaient paralyser 1000 supermarchés pour une journée. On se couche dans l’allée et on attend que les flics nous traînent dehors. Sortir d’un supermarché 500 humains avachis par le manque de vitamines, because crise = mauvaise alimentation, ça prend un moment. Ou encore mieux : on sort faire ses courses, mais on change d’idée quand vient le temps de payer : « trop cher, désolé ». Et dès le lendemain, y’a un directeur qui dit : « Patron, on vient de perdre 0,3% de notre profit annuel ». Ça paraît pas beaucoup -0,3%. Mais trois fois dans l’année et ca fait -1%. Je vous ferai pas un cours de finance. Mais quand les banquiers qualifient de « pépère » un rendement annuel de 4%, alors qu’un autre rendement est décrit comme « d’agressif » lorsqu’il a juste atteint 8%, perdre 1% de ses recettes annuelles, c’est beaucoup d’argent. Assez pour lancer une réflexion sérieuse. Et faites-moi confiance, un businessman bouge et s’adapte beaucoup plus vite qu’un politicien. Surtout quand ses recettes diminuent.
C’est juste une petite idée comme ça. Mais je suis certain qu’il y a mieux pour combattre la vie chère. Une des choses qui m’étonne le plus en France, c’est la quantité impressionnante d’intermédiaires parasitaires qui sont tolérés dans les processus d’affaires. Pourquoi ne pas cibler ces personnes, ou du moins exiger des mesures pour qu’on puisse les contourner dans nos transactions.
Un exemple parmi tant d’autres : l’agence immobilière. L’équivalent d’un mois de loyer pour la rédaction d’un contrat de 10 pages, un copier-coller d’un contrat-type dans lequel il suffit de modifier quelques lignes là où c’est inscrit « nom du locataire » ou « adresse »? C’est profondément parasitaire. Moi, à mon agence, ils ont quand même réussi à introduire des erreurs dans le contrat. La seule partie bien rédigée, c’est cet endroit où ils indiquent clairement que leur service s’arrête à percevoir une commission usurière, et que leur implication prendra fin dès que seront terminés les cafés qu’ils nous ont si généreusement offert pendant la signature du bail. Désengagement total. Ils n’ont même pas été impliqués dans ma visite de l’appartement. Ce genre de marché parasitaire n’est pas florissant au Canada. Pourquoi l’est-il en France? Au Canada, quand on cherche des locataires, on place une petite annonce ou une affiche dans sa fenêtre. Pas d’intermédiaire. Et un bail-type rédigé par le gouvernement, donc dans les limites de la loi, est disponible pour 3 euros dans les librairies, pharmacies, tabacs, etc. Quelques petites cases à remplir, deux signatures, et c’est terminé.
Y'a-t-il un syndicat qui a pensé à offrir cet encadrement tout simple? "Combattez la vie chère. Téléchargez gratuitement un bail-type sur notre site. Le document a été rédigé par nos conseillers légal, et il vient avec des instructions pour vous aider à le compléter." C'est étrange, mais j'ai l'impression qu'une telle initiative viendra plutôt de Carrefour, qui vous l'offrira à 10 euros, plutôt que d'un grand syndicat.
Bon, je sais que je m’éparpille. Mais pourquoi les Français, qui affichent une belle volonté de s’impliquer socialement, et qui ont des revendications somme toute valables, perdent-ils leur temps dans des manifestations bien paisibles, bien prévisibles, et bien stériles? Des parades organisées par des syndicats sclérosés. Au lieu de faire chier des quidams voyageurs, on pourrait pas cibler la racine du mal? Et le mec qui te prend ton fric, un petit peu plus à tous les jours, il ne voyage pas en train.
Mais bon, si c’est une tradition française, si on aime bien se rassembler pour chanter tout gentiment, le temps d’une petite marche bien encadrée, moi je veux bien m’y habituer. À tout le moins, c’est sympa.