jeudi 30 octobre 2008

Lisez autre chose



Source photo : wikipedia.


Je suis pas tellement inspiré ces temps-ci. L’automne parisien est gris et j’ai encore une otite. Pour mettre de la joie dans mon cœur, je lis le blog de Marie-Claude Lortie, sur Cyberpresse. Absolument rigolo. Pas le blog en soi, qui est d’une platitude profonde, mais plutôt les réactions de ses lecteurs. Cette entrée est à voir absolument :

http://blogues.cyberpresse.ca/lortie/?p=918

Marie-Claude Lortie, c’est mon Chuck Norris à moi.


dimanche 26 octobre 2008

Pète-z-y la yeule mon Chuck!



Si vous vous demandez où vont s’échouer les mauvaises séries américaines, en attendant une éventuelle renaissance sur une chaîne rétro du câble, ne cherchez plus. Comme leurs vedettes vieillissantes, elles viennent se la couler douce sur la Riviera française.

En France, une vieille idole américaine finie peut toujours trouver asile au sein de la Confrérie du Johnny Hallyday, cette secte étrange qui maintient sous respirateur toute une colonie de croulants liftés. Leur œuvre est aussi préservée, et se voit même attribuer une place quasi honorifique à la grille-horaire.

Par ce beau dimanche sur TF1, voilà que Walker Texas Ranger m’accompagne dans mon ménage. Pour ceux qui ont oublié, c'est-à-dire 7 milliards d’humains moins 70 millions de Français, Walker est un shérif texan joué par Chuck Norris. Chuck et sa bande de policiers font régner l’ordre dans une petite communauté à grands coups de savates japonaises dans la gueule des méchants. Les textes sont enduits de bons sentiments bien gluants.

Source photo : wikipedia.


Pendant cet épisode de 45 minutes, Chuck réforme une école de petits durs. Il solutionne les problèmes de gang du quartier. Il redonne espoir aux gens du coin. Il démembre un réseau de trafiquants de drogues. Et il met la main au collet d’un gérant de bar qui s’apprête à vendre des armes au plutonium à l’Irak. Oui-oui, je ne déconne pas, des « armes au plutonium ». C’est textuellement tiré de l’épisode. Les fameuses « armes au plutonium » (une grosse valise noire) ont été dérobées à l’armée (sic) et transitent par un gérant de bar cubain qui, sans qu’on explique comment, saura les acheminer jusqu’en Irak. Les voies du terrorisme sont impénétrables. En tout cas, Jack Bauer peut aller se rhabiller avec ses 24 heures.

Premièrement, comment se fait-il qu’on laisse l’Amérique exporter de tels sous-produits culturels? Déjà qu’on a le rap, fallait-il qu’on ajoute Walker Texas Ranger? On parle ici d’un équivalent de vache folle cérébrale avec une épaisse couche de moisissures spirituellement toxiques. Après réception d’un tel produit, la France devrait rompre toute relation commerciale avec les États-Unis. D’une certaine manière, je comprends un peu les Américains. Ils ont l’esprit d’entreprise, alors si un « sucker » est prêt à acheter…

Mais ce qui est encore plus déroutant, c’est que le produit en question jouit d’une case horaire sur TF1. Oui, c’est dimanche après-midi. C’est pas exactement « prime-time », mais c’est TF1 calisse! Pas le canal rétro que tu pognes quand tu zappes jusqu’à 357 à deux heures du matin. C’est TF1! Le premier canal quand t’ouvre ta télé! Je ne comprends pas… Y’a pas une partie de handball à la même heure, quelque part dans l’Hexagone? On pourrait pas diffuser une course d’escargots? Ce serait tellement plus édifiant. Et là, je parle seulement de Chuck, mais le fait est qu’on peut trouver à tout moment du jour ou de la nuit une vieille série américaine pourrie sur une des six principales chaînes françaises.

Je cherche vraiment à comprendre, expliquez-moi quelqu’un. Je sais que la France voue une grande admiration à l’Amérique, mais faut pas exagérer, tout de même. Bien qu’ils essaient tous les jours de me prouver le contraire, je sais pertinemment que les Français ne sont pas des abrutis. Je suis perplexe.

La seule explication que j’ai pu trouver est tordue, et probablement à côté de la track. Peut-être que les Français, secrètement, aiment à l’occasion se vautrer dans le crétinisme. Stressés d’avoir à supporter leur réputation d’intellectuels, ils ont besoin de s’accorder un moment de vide cérébral. Après trop de Rousseau, trop de Voltaire, trop de Hugo, trop de Malraux, il leur faut une rasade de Chuck Norris. Comme le critique culinaire qui bouffe des Big Mac en cachette. Comme Hugh Grant qui se tape une pute à 50 dollars. Et l’Amérique est là afin de pourvoir à tous leurs désirs.

En tout cas, si vous trouvez mieux comme explication, j’ai hâte de vous entendre.


mercredi 22 octobre 2008

Le débat



Comme tous les peuples de la terre, les Français ont une opinion sur tout, et sont persuadés d’avoir raison. J’avancerais que l’envie de persuader est universelle. Selon moi, ce qui est propre à chaque culture, ce sont plutôt les méthodes de persuasion.

En Amérique, ces méthodes me semblent plus terre-à-terre. T’es pas d’accord, alors je te pète la gueule. Je t’envoie un missile dans les dents. Les Français ne sont pas habitués à la confrontation physique. Ça vaut la peine de voir le Français paniquer quand tu lui lâches un « You want a piece of me, motherf*cker? » bien senti.

Source photo : wikipedia.


Ce dans quoi le Français excelle, c’est le débat. La persuasion par épuisement mental. Le Français est un marathonien du débat. Il peut t’astiner jusqu’à ce que tu perdes connaissance. Les deux mots les plus prononcés dans l’Hexagone sont « oui mais ». Impossible de battre un Français dans un débat. Ils sont entraînés dès la plus tendre enfance et n’abandonnent jamais. Si tu ne lui donnes pas raison, un Français pourrait te suivre jusque chez toi pour continuer de t’astiner jusqu’à tard dans la nuit, en buvant ton vin de surcroît. D’ailleurs, c’est une technique de « cruise » que je devrais essayer : contredire une jolie parisienne jusque dans mon lit.

Il y a trois moyens de se défaire d’un Français astineux. Le premier, c’est d’avoir indubitablement raison, ce qui n’est pas toujours facile. Quand le débat tourne autour de l’existence de Dieu, ou ce genre de sujet, c’est absolument impossible. En plus, le débat à la française n’est pas vraiment fair-play. J’expliquerai plus tard.

Le second moyen, c’est d’assassiner le Français. Pas vraiment pratique. C’est salissant. Et pas facile de se débarrasser d’un cadavre dans une ville où chaque mètre carré est occupé.

J’ai choisi la troisième option, qui est de rendre les armes rapidement. Choisir de donner immédiatement raison au Français : « oui, oui, c’est ça, le ciel est rouge et la terre est plate. » Mon orgueil en prend pour son rhume. Surtout qu’un Français qui gagne un débat est tout fier et te nargue toujours un peu : « j’ai gagné, gna-gna-gna! » Le côté pratique de cette troisième option est qu’elle permet d’économiser un temps fou tout en s’assurant d’une certaine tranquillité.

Je disais plus haut que le débat à la française n’est pas fair-play. Dans ma naïveté relative, je croyais qu’un débat était la confrontation de deux raisonnements logiques. Le raisonnement dont l’argumentaire comportait une faille perdait le débat. J’ai vite découvert qu’en France, ce qui compte dans un débat, c’est de gagner, peu importe les moyens. Voir Schopenhauer dans votre dictionnaire. Tous les coups sont permis. Tout artifice, tout geste théâtral, toute circonvolution sont utilisés pour déstabiliser l’adversaire. On dirait de l’escrime.

C’est intéressant de regarder un débat français. Il faut cesser d’écouter les mots et plutôt porter attention aux voix. Ça s’outrage pour suggérer la mauvaise foi. Ça s’esclaffe pour peindre le ridicule. Ça dit de rester calme pour laisser sous-entendre un manque de maîtrise chez l’autre. Tout est dans la forme.

Quand on a pris le temps de s’intéresser à la forme, on peut revenir au fond. Et là, ça devient absolument magnifique. Complètement tordant. Les énormités que j’entends parfois, on n’ose pas imaginer. Ce n’est pas pour rien que le mot « baratin » est français.

Je suis fasciné par cet aplomb qu’ont les Français quand il s’agit de dire n’importe quoi. Un Français peut te dire sans cligner des yeux que ta mère le borde chez lui chaque soir, petit extra inclus. De manière innée ou acquise, ils ont ce ton de voix qui permet de donner des airs de véracité aux spéculations les plus loufoques. À l’écouter parler, le Français est expert en tout. Il y en a toujours un pour t’expliquer l’Amérique, même s’il n’y a jamais mis le pied. Les reprises mal doublées de X-Files sur TF1 lui suffisent pour asseoir son expertise.

Tout de même, le Français ne coule pas avec son bateau, et ça le rend sympathique. Il ne s’accroche pas à son mensonge. Dans le fond, il ne ment pas vraiment : il triche un peu. Quand un Français essaie de te passer un sapin du genre « La terre est plate », il est très conscient de l’énormité de son propos. Il suffit de l’arrêter, de marquer une pause. Tu lui demandes de répéter son affirmation. Après deux répétitions, il perd son aplomb : « Ouais, bon, on pourrait presque dire que la terre est plate parce qu’elle n’est pas parfaitement sphérique. » Il te fait un clin d’œil ou un sourire, quelque chose qui veut dire « bon, tu m’as eu cette fois ».

Évidemment, comme dans toute société, il y a des cons. Ici, il prend souvent la forme du petit ingénieur diplômé d’une grande école, qui du haut de ses 5 pieds 2 broadcaste en hi-fi son syndrome de Napoléon. Celui-là, même les Français l’haïssent. Avec lui, il n’y a pas beaucoup d’options. En fait, il n’y en a qu’une seule. Il faut lui dire « You want a piece of me, motherf*cker? »


mardi 21 octobre 2008

De retour

J'étais parti. Voyage. En Espagne. J'y ai mes habitudes.

Source photo : wikipedia.


Vraiment heureux de retrouver le RER lundi matin. Et surtout de retrouver le gars avec sa grosse face qui n'est pas content parce le reste de l'univers ne lui cède pas le passage à Châtelet-Les-Halles dès qu'il manifeste l'intention de lever son postérieur du banc où il est confortablement assis.

Merci d'avoir patienté.

Du nouveau bientôt.

samedi 11 octobre 2008

Résistance par le charme



On me demande souvent : « Tu n’as pas encore vécu ta première grève du RER? » Je réponds par la négative, alors on me dit avec un sourire en coin : « Attends, tu n’as rien vu. » Je ne suis pas vraiment pressé. Mais il semble qu’une bonne grève des transports publics soit un passage obligé pour quiconque souhaite un jour se prétendre expert de la France.

Ici, la grève semble jouir d’un statut particulier. Quelque chose comme un droit essentiel. L’appendice obligé du droit de parole. On semble y avoir recours assez facilement. Pas besoin d’un conflit de travail qui s’éternise. Pas besoin d’une grosse raison. Suffit d’être pas content un bon matin, et tu peux faire la grève. Suffit que les cheminots décident collectivement d’être en colère contre la montée du prix du bock à bière en Tanzanie.

La grève a même sa petite place sur la tribune des héros de la Résistance. À la station Hôtel-de-Ville, une belle grosse plaque nous informe que le 13 août 1944, le métro de Paris a été paralysé par une grève, un geste de défiance héroïque face à l’occupant allemand. Le texte est tellement élogieux, on croirait presque que cette grève a scellé à elle-seule l’issue de la Deuxième Guerre Mondiale.

Je monte dans le wagon encore tout impressionné. Mais après un moment, je me dis : « Wo menute toé-là… Attends un peu, chose. 13 août 1944? Pas 41, pas 42. J’ai bien lu quarante-quatre? » Tout à coup, y’a comme une date qui me tracasse. En arrivant chez moi, je vais faire un petit tour sur Wikipedia. « Libération de Paris ». Ça vaut la peine d’aller voir. Ça remet les choses en contexte.

Le 13 août 44, les Alliés sont à un jet de pierre de Paris. Tout le monde sait que la ville sera libérée d’ici quelques jours. Un mouvement de résistance populaire s’élève. À peu près tous les services publics tombent successivement en grève. Postiers, policiers, etc. Le 18 août, c’est la grève générale. Les combats commencent le 19.

Le texte de Wikipedia est intéressant : « Les ordres de Hitler prévoyaient la destruction des ponts et monuments de Paris et la répression impitoyable de toute résistance de la part de la population, et de combattre dans Paris jusqu'au dernier homme […] Mais le général Dietrich von Choltitz ne montre aucun empressement à les appliquer, malgré sa garnison allemande forte de 20 000 hommes, mal équipés, aux unités disparates (unités administratives par exemple) de faible valeur combattive, 80 chars (dont certains datent des prises de guerre de l'été 1940 comme des chars Renault FT-17 d'un autre âge) et autant de pièces d'artillerie, pour certaines désuètes. »

Source photo : wikipedia.


Le 25 août, Paris est libre. Des 20 000 combattants allemands, 12 800 sont faits prisonniers. Plus des deux-tiers. Sans vouloir diminuer tous les sacrifices des soldats alliés et des résistants français, j’ai l’impression que l’ennemi n’était pas très motivé à se battre. Le vent avait tourné. Les soldats allemands étaient pour la plupart écœurés. Un peu plus tôt dans l’été, des haut-gradés avaient tenté d’assassiner Hitler. Un autre article de Wikipedia indique que Dietrich von Choltitz avait accepté un cessez-le-feu dès 19 août. Le texte dit du général : « Conscient que la destruction des infrastructures de Paris serait inutile, que la guerre est perdue pour son camp, et soucieux de ménager son avenir de futur prisonnier (il a déjà un lourd passé notamment vis-à-vis des batailles de Rotterdam et de Sébastopol) il gagne du temps pour pouvoir donner sa reddition à un officier allié. »

Après un moment, on finit par s’attacher aux Français. Et Paris, c’est quand même Paris. Je me verrais mal abattre la Tour Eiffel ou mettre le feu au Louvre, parce que me l’a ordonné un fou dont les jours sont comptés.

Ce que je vais dire est peut-être une hérésie. Sous l’occupation, les Parisiens ont résisté de diverses manières. Mais à la station Hôtel-de-Ville, je crois qu’on devrait mettre une deuxième plaque. Elle dirait à peu près ceci : « À Paris et à ses citoyens, qui ont fait de leur charme un arme de résistance. »

dimanche 5 octobre 2008

Arcachon



Arcachon est un port de mer non loin de Bordeaux, un petit endroit sympa qui a vu naître et grandir les 12 énormes huîtres que j’ai dévorées hier soir. Elles étaient magnifiques, dodues et bien claires. À chaque « slurp », j’avais l’impression de me retrouver à Pointe-aux-Outardes, pas loin de Baie-Comeau, quand le vent d’automne nous amène l’air salin et frais. À travers le parfum du trait de citron et le salé délicat, je percevais une légère odeur de melon, inhabituel mais savoureux.

Source photo : wikipedia.


Arcachon est aussi le lieu de travail du petit père qui tient La Cabane à Huîtres, un troquet de 20 places dans le XVe. Ostréiculteur, il débarque à Paris les jeudis avec ses huîtres et tient boutique jusqu’au samedi soir. Les huîtres du samedi lui sont expédiées par son fils et arrivent à Paris tôt en matinée. Le dimanche, il repart dans le sud pour une autre récolte.

La Cabane est un lieu minuscule où on mange au coude-à-coude dans une belle ambiance. Le bonhomme ouvre ses huîtres, fait circuler des bouteilles d’un bon petit blanc pas trop sucré, et jase avec tout le monde. Il nous raconte qu’il est le dernier en France à cultiver ses huîtres directement sur le sable. La baie d’Arcachon est à l’abri des roulis et compte plusieurs bancs de sable en eau peu profonde, ce qui permet la pratique traditionnelle. Il dénonce la « nouvelle » manière, l’élevage en sacs, qui selon lui cause une pléthore de problème environnementaux, l’apparition de parasite, etc. Son assistante, prénommée Ségolène, le laisse parler et s’occupe des clients. Elle passe les assiettes au dessus des têtes, et nous demande un occasionnel coup de main quand il n’y a pas assez d’espace pour circuler.

Après les huîtres, le bonhomme nous fait livrer une tranche d’un succulent foie gras de sa région. C’est tout ce qu’il y a sur le menu : huîtres et foie gras. Avec le foie gras, il nous tend une bouteille d’un bon petit vin liquoreux : « Faites circuler, y’en a pour tout le monde. » Puis une belle tranche d’un beau fromage basque. Et pour finir, « un p’tit décaf’ », comme aime dire le bonhomme en faisant un clin d’œil. Son « décaf’ », c’est un Armagnac maison qui doit titrer à au moins 50%. Un petit truc absolument somptueux, fait par des gens qui aiment un peu pousser la dose, sans toutefois escamoter le savoir-faire. Si le bonhomme voit que ton verre est vide, il dit à ton voisin de t’en remettre. C’est prix fixe, il ne compte pas les verres.

Évidemment, je suis le « canadien » de passage. Tout client qui entre est bruyamment informé de la situation et invité à me serrer la main. Là, il se passe quelque chose de vraiment sympathique. Assis à peu près au milieu du resto, je me retrouve à jaser avec toutes les tables voisines. Le Français à cette merveilleuse qualité d’être curieux, cordial, et d’aimer discuter. Au Canada, si on nous présente un étranger dans un resto, on dit : « Ah bon. Bonsoir ». On fait un signe de tête et ça en reste là. Dans la cabane, je me retrouve à échanger avec une famille de parisiens qui ont vécu à New York. À droite, deux petits couples de bobos me parlent politique et culture. Ça dure comme ça tout le repas.

Mes délices terminés, je me lève pour quitter. Mais Francis et Anne, un des deux petits couples, insistent pour que je les rejoigne le temps d’un dernier « p’tit décaf ». C’est la Nuit Blanche à Paris et ils ont prévu aller voir une sorte de projection multimédia branchée dans une cité du XXe. Ils m’invitent, alors je me ramasse dans le nord de la ville, à déambuler dans les petites rues, avec Francis qui trippe de redécouvrir le « vrai Paris du vrai monde », pour ce que ça veut bien dire. Le spectacle est intéressant. On y retrouve une autre petite gang de quarantenaires bobos, et tout le monde finit la soirée dans un « authentique » bistrot de quartier (leur expression) style murs-beiges-1970, pour un véritable demi sur des bancs en bois bien prolos. Ça discute, ça débat. Langue, politique, Amérique, Europe. Belle petite soirée.

Plus tôt avant le repas, dans mes pérégrinations du samedi après-midi, je me suis retrouvé par hasard à la porte du cimetière Montparnasse. J’en ai profité pour aller saluer Serge Gainsbourg. Je crois que de l’au-delà, le bon vieux Serge s’est arrangé pour m’organiser une soirée sympathique et bien arrosée. Vieille canaille.


samedi 4 octobre 2008

Au bout de la ligne 13



Je vais jusqu’au bout de la ligne 13 pour ma visite médicale. C’est une formalité. Avant de m’accorder un visa de long séjour, on souhaite vérifier mon état de santé. Une pandémie de vache folle est si vite importée. C’est probablement comme ça partout. Je ne sais pas trop; je n’ai jamais voyagé à long terme.

Je ne sais pas encore que la ligne 13 porte bien son chiffre. Pas qu’elle porte malheur. Ce n’est pas vraiment ça. C’est plutôt qu’elle te mène tout droit vers un monde fantasmagorique : le fonctionnariat français.

Source photo : wikipedia.


D’entrée de jeu, je serais malhonnête si je parlais de frustration. Ma visite aux bureaux de l’ANAEM, l’Agence nationale d’accueil des étrangers et des migrations, s’est très bien déroulée. Tout a été fait. Les récépissés ont été remis, les convocations ont été estampillées, tout document a été produit en trois copies comme il se doit. Le système fonctionne. À son rythme et à sa manière bien sûr, mais il fonctionne.

Ce qui frappe l’esprit, c’est plutôt l’ambiance du lieu. On s’y retrouve loin du monde, dans une sorte de « theme park » de la distanciation brechtienne inversée. Par des gestes subtils, des tons, des attitudes, on cherche à te distancier des conventions de la vie normale. Comme si on voulait te convaincre que, malgré ses codes sociaux, ses systèmes bien huilés, ou ses traditions, la société n’est en fait qu’un immense théâtre de l’absurde.

Ça commence par un préposé à l’accueil qui refuse obstinément tout contact humain. Il ne te regarde pas. Ton bonjour reste sans réponse. Il saisit tes papiers et se met à tout tamponner sans rien dire. S’il détecte la moindre erreur, une signature qui sort de la case, il t’expulse. C’est sans appel. Aucune explication n’est donnée. Tu commences à peine émettre une question qu’il a déjà le cou étiré pour voir derrière toi. « Au suivant. »

Les quelques chanceux qui, comme moi, ont un dossier en règle, sont redirigés d’un ample et imprécis geste du bras vers un ensemble de sept ou huit portes anonymes. Il est très important de choisir la bonne porte. Sinon, on a droit à une réprimande livrée avec le ton d’un instituteur exaspéré. Tout aspirant à la citoyenneté française devrait savoir qu’à l’Anaem, Direction territoriale de Paris-Sud, la salle d’attente est derrière la troisième porte à droite.

Dans la salle d’attente, ça se mélange les couleurs. Ça vient partout, plein de gens toutes origines, des gens qui rêvent d’un avenir meilleur dans un pays civilisé. S’ils savaient ce qui les attend, les pauvres. Ils paraissent inquiets. Ils discutent entre eux, rarement en français. Ils ne savent pas trop ce qui arrive et comment tout fonctionne.

Au bout d’un moment, une dame en sarreau arrive avec une pile de dossiers et fait l’appel : « Gou – Tié – Raize (Gutierrez), Valle - Terre (Walter), Tru – Ongue (Truong), Ji… euh, non… Dji – ô… euh.. Tsana… c’est ça : Dji – Ô – Tsa – Na (Jyotsana) ». Et cetera. Petit à petit, les gens se lèvent, en se demandant si c’est bien eux qu’on a nommé. Les jaunes, les noirs, les bruns pâles, les bruns foncés, ils se lèvent tous. Un gros tas de monde qui est redirigé vers le deuxième étage. À la fin, il ne reste que les blancs. En fait, quatre blancs, et un Kashmiri avec un air perplexe. La dame en sarreau s’adresse à lui en essayant diverses modulations de « Jyotsana? ». Il finit par acquiescer. Elle lui indique l’escalier des colorés. Les bleachés privilégiés, Américains et Européens dont le dossier a été préparé par l’avocat de la compagnie, sont accompagnés jusqu’à la salle des examens médicaux.

À l’entrée de la salle, la dame en sarreau pointe un petit comptoir et dit : « Par ici. » Les quatre whities font un pas. D’emblée, ils sont corrigés : « Non, pas vous. Pas vous. Pas vous non plus. Vous madame. Les autres, assoyez-vous s’il vous plaît ». Je vais du côté des petites chaises, mais je reste de debout. Quand on passe la journée assis au travail, et qu'on vient d’attendre trente minutes en position assise, un petit moment debout fait le plus grand bien. Mais la dame en sarreau me regarde fixement, comme si le temps s’était arrêté. Après quelques secondes, elle insiste : « Assoyez-vous monsieur, s’il vous plaît ». On ne discute pas avec un fonctionnaire, alors je m’assois. Immédiatement, elle ouvre un dossier et appelle mon nom. Je me relève et je vais au comptoir. Peut-être que la procédure mentionne que le visiteur doit absolument s’assoir en attendant son tour. Peut-être que les petites chaises sont en fait des scanner à cul ultra perfectionnés capables de détecter en huit millisecondes tout signe précoce d’un cancer du côlon.

Après deux ou trois questions, la dame me dirige vers le petit circuit des examens. Étape 1 : on me pèse et on me mesure. Un monsieur en sarreau m’invite dans son petit bureau où se trouvent un pèse-personne et un truc pour mesurer les gens. C’est tout. C’est son travail. Toute la journée, il pèse des gens et les mesure.

Ensuite, c’est la madame qui vérifie ta vue et qui prend un échantillon de sang pour le taux de glycémie. Elle est sympathique et pas pressée. Elle détecte mon accent québécois et me fait la causette. Elle sautille sur les tuiles du plancher comme si elle jouait à la marelle. Pendant le test d’acuité visuelle, elle balance ses bras comme un enfant dans une file d’attente. Malgré sont professionnalisme, tous ces petits gestes semblent trahir un emmerdement profond. Elle paraît vouloir se distraire d’une tâche abrutissante. Elle a l’air de celle qui, pour des raisons personnelles ou médicales, a accepté un poste ultra-relax bien en deçà de ses compétences. Et qui après quelques années ne sait plus trop.

Étape trois : la radiographie des poumons. Ça va vite. Déshabillez-vous, seulement la chemise, pas les pantalons, tournez-vous, montez sur la planche, collez-vous sur la cible, placez vos bras comme ça, c’est bien, respirez profondément, « bzzz clac », merci-rhabillez-vous, un médecin vous appellera.

J’attends la quatrième étape devant une rangée de trois cubicules. À côté, une petite table sur laquelle sont empilés les dossiers médicaux dans leur chemise beige. Un dame sort d’un cubicule, va se chercher un dossier, et revient à sa place. Elle ne ferme pas sa porte. Elle feuillette le dossier, sort la radiographie, et la fixe devant elle sur une plaque éclairée. Puis, elle se tourne vers moi pendant quelques secondes, avec l’air de quelqu’un qui se dit : « Bon, encore un autre épais qui ne reconnaît pas ses poumons en noir et blanc. » Je lui dessine un point d’interrogation au dessus de ma tête. Elle me fait signe d’entrer. Salutations minimales.

« Vous venez de manger j’espère?
-Oui, j’ai mangé un sandwich en chemin.
-Bon. Parce que votre indice de glycémie est un peu élevé en ce moment. À jeun, ça aurait indiqué du diabète. Vous avez quelques kilos en trop. Faudrait faire attention.
-Oui je sais, y’a au moins cinq de mes kilos en trop qui sont Made in France. » Elle esquisse un petit début de coin de sourire. Elle n’est pas Française d’origine. Elle a un reste d’accent asiatique. Peut-être se souvient-elle des orgies de foie gras de son arrivée, il y a 15 ou 20 ans, et de la diète qui s’en suivit.

Elle me pose tout un tas de questions. Pas de maladies graves? Pas d’opérations? Pas de problèmes digestifs sérieux? J’hésite un moment avant chaque réponse. Je suis distrait. Devant moi, la photo de mes poumons me lance un reproche. Comme tout fumeur, je n’aime pas être confronté au spectre du cancer. Je regarde la radiographie et je vois des taches blanches entre mes côtes, des picots noirs ici et là. L’image est trouble et vaporeuse. On dirait le négatif d’un nuage de fumée. Une tumeur ou un morceau de mon sandwich? Je ne sais pas lire les radiographies. Autant essayer de déchiffrer un bas-relief Inca. À chaque fois que la médecin fait une pause, je redoute que ce soit pour me dire : « Monsieur Brisson, il y a quelque chose qui m’inquiète sur votre radiographie. » Et comme elle n’est pas pressée, un peu blasée, elle fait des pauses souvent. J’ai envie de lui dire : « Si y’a un morceau à cracher, crache-le calisse! »

Finalement, elle ferme le dossier et me dit que tout est en règle. Un dernier tampon, une dernière signature, et je suis dans le métro, en sens inverse.

Arrivé chez moi. Je sors la radiographie. Je la scrute. Je reconnais ma colonne un peu croche d’informaticien, mes côtes, la silhouette de mes poumons, mais c’est tout. De toute manière, je serais incapable de détecter une tumeur, à moins qu’on ait écrit dessus « Cancer du poumon est une marque déposée utilisée sous licence par Father, Holy Spirit and Son Limited ».

Un petit papier me rassure un peu. Sur le rapport d’examen radiologique thoracique est cochée la case qui dit : « Ne présente pas d’anomalie décelable ou susceptible d’impliquer des examens complémentaires ». Mais je ne suis pas complètement rassuré. L’examen avait pour but principal de détecter des maladies infectieuses. Le formulaire compte un paquet de petites cases à cocher pour toutes les variantes de la tuberculose. Pour tout le reste, dont le cancer, il n’y a qu’une petite case à la fin qui dit : « nécessite des examens complémentaires ». La case n’est pas cochée. Mais quand on cherche un truc précis, on peut oublier de regarder pour autre chose. Et comme la France ne jure que par la spécialisation, peut-être que la médecin est bonne en tuberculose, mais nulle en cancer. Peut-être qu’elle ne détecterait même pas une tumeur de 27 kilos qu’on aurait pris soin de déposer sur sa table de chevet, à côté de ses lunettes de lecture.

En tout cas. Je fais comme les autres fumeurs. Je fume mes cloppes en pensant à autre chose. J’espère que la ligne 13 ne porte pas malheur.