mardi 10 janvier 2012

Culte du Cargo

Un ami m'a transmis ce lien wikipedia vers un article très intéressant. Il traite d'un phénomène rigolo, et désigné par l'expression "Culte du Cargo". Il s'agit de rites observés chez des aborigènes d'Océanie, en réaction à la colonisation et à la présence militaire. Ça dit ceci :

Des indigènes, ayant constaté que les radio-opérateurs des troupes au sol semblaient obtenir l’arrivée de navires ou le parachutage de vivres et de médicaments simplement en les demandant dans leur poste radio-émetteur, eurent l’idée de les imiter et construisirent, de leur mieux, de fausses cabines d’opérateur-radio (avec des postes fictifs) dans lesquels ils demandaient eux-aussi (dans de faux micros) l’envoi de vivres, médicaments et autres équipements dont ils pouvaient avoir besoin. Plus tard, ils construiront même de fausses pistes d'atterrissage en attendant que des avions viennent y décharger leur cargaison.

Ah ah ah ! J'imagine bien Bouboukala, avec son pagne en peau de tapir, son collier de coquillages, et son micro en tiges de bambou. Comme un con, il demande aux dieux l'envoi d'une cargaison de noix de coco, pour la fête du ragoût sacré. Qu'ils sont amusants ces bronzés. Heureusement qu'on n'est pas comme ça, en Occident.

Source photo : wikipedia.


Dans certaines boîtes, la grande tendance est d'adopter la Méthode Scrum. Il s'agit d'une approche de la gestion de projet dans le monde du développement informatique. Son objectif est d'améliorer la productivité des équipes auparavant ralenties par des méthodologies plus lourdes.

Scrum, c'est Ze truc à la mode. Quand t'es chef de projet, tu dois absolument avoir ça dans ton CV. C'est américain, c'est nouveau, c'est l'avant-garde, ça rend tout le reste obsolète. Si tu ne pratiques pas Scrum, t'es ringard.

Alors on fait Scrum...

Dans Scrum, y'a des stand-up meetings quotidiens. Ce sont de courtes réunions informelles, pour orienter la journée et coordonner les affaires courantes. On les fait debout pour ôter l'envie de s'éterniser. La méthode recommande aussi de fréquents allers-retours vers le client, afin de rapidement rectifier le cap en cas de dérive. Et y'a des outils de suivi simples, qui évitent de s'embourber dans les détails administratifs. En fait, c'est juste une nouvelle mouture des diverses petites règles du bon sens, déjà exprimées par Kent Beck en 1999 dans Extreme Programming Explained.

Scrum, c'est comme le papier-cul : c'est très utile quand on a compris à quoi ça sert, et surtout comment s'en servir. En revanche, ça ne sert pas à grand chose si on dépose le rouleau sur un joli petit autel mural, avec quelques bâtons d'encens, et qu'on continue à s'essuyer le postérieur avec ses doigts.

Dans certaines boîtes, y'a des chefs de projet qui sont d'ardents défenseurs de Scrum (suite à une consigne de la direction). Ils en parlent avec enthousiasme, usant copieusement des cinq mots-clés qu'ils ont réussi à retenir lors de leur après-midi d'auto-formation. Ils font des stand-up meeting de 70 minutes, dans lesquels ils brainstorment tous-seuls devant 15 personnes à propos de sujets prévus pour l'an 2134. Ils rencontrent les clients une fois à tous les quatre mois. Pour ces rencontres, le chantier est lissé, les problèmes sont esquivés, et les lenteurs sont gardées secrètes ; ça aurait l'air con d'avouer qu'on a toujours les soucis que Scrum est censé corriger.

En fin de mois, ces chefs de projet se souviennent de compléter la paperasse qui doit aider au suivi quotidien. Ils font le tour de l'équipe : "Remplissez vos Burndown Charts pour que ça arrive à zéro." Alors au lieu d'avoir des graphiques qui permettent d'évaluer au fil de l'eau si l'équipe prend du retard, ils ont des graphiques qui indiquent a posteriori que tout le boulot a été fait le dernier jour du mois...

En résumé, grâce à une version de Scrum adaptée aux pratiques habituelles des organisations sclérosées, le client reçoit en retard et pour deux fois plus cher des machins qu'il n'a jamais demandés. C'est comme avant, mais au moins c'est Scrum.

Heureusement qu'on est pas comme Bouboukala, en Occident...

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