dimanche 25 octobre 2009

Les obsèques du martyr québécois, acte 3 : enflure à l’octobre




Un autre des grands drames québécois, qu’on nous rejoue en boucle depuis 40 ans, c’est la fameuse Crise d’octobre 1970. Pour mes amis français, je résume un peu. Au cours des années soixante, bon nombre d’organisations prônent l’indépendance de Québec, dont le FLQ. Fondé vers 1963, le Front de libération du Québec est un « groupe terroriste » qui favorise la lutte armée. Il est majoritairement actif dans la région de Montréal. En octobre 1970, le groupe kidnappe un diplomate britannique et un ministre québécois. En réponse à ces actes, et à la demande des autorités provinciale et municipale, Ottawa met en place la « Loi sur les mesures de guerre ». L’armée débarque à Montréal. Suspension des libertés civiles, détentions sans mandat, interrogatoires, c’est l’état policier, choc total dans les esprits.

Année après année, on entretient la légende. On nous montre les mêmes images en noir et blanc des quelques militaires déployés à Montréal. Les voitures de police. Les chevaux de la Gendarmerie royale du Canada. Des politiciens qui improvisent des conférences de presse, ou qui se déplacent rapidement, l’œil inquiet, pile de papier sous le bras. On nous parle des quelque 450 personnes arrêtées sans mandat, mises en détention et interrogées. Les supposés felquistes menottés. On nous rejoue « Les Ordres », le film de Michel Brault. On commémore. Comme les histoires de pêche, sous l’effet de la répétition, les témoignages deviennent une suite d’anecdotes grossies couchées sur une trame de plus en plus floue. Si on ne s’en tient qu’aux médias, l’affaire semble aussi grave que l’occupation de la France par les Nazis.

Je n’en peux plus de cette grosse enflure qu’est la Crise d’octobre.

Le FLQ

De 1950 à 1970, la mode est au combat et à la contestation. Profitant de l’affaiblissement des puissances européennes, bon nombre de colonies accèdent à leur indépendance. On a triomphé du totalitarisme, c’est la montée de la gauche, les communistes ont la cote (à ce moment, on ne sait rien des goulags). Castro prend Cuba et défie les États-Unis. En Occident, une nouvelle génération atteint l’âge adulte; elle est munie de nouveaux idéaux et d’un poids démographique impressionnant. Les codes moraux sont réévalués. Lutte des Noirs aux USA. Manifs anti-guerre. Montée du féminisme. Exacerbation des sentiments nationalistes un peu partout, comme en Corse, en Sardaigne, en Catalogne. Front de libération de la Palestine. ETA. Brigades Rouges. Front de libération de la Bretagne. Mai 68. Révolution culturelle chinoise. Woodstock.

Cette période de bouillonnement est propice à ce que j’appelle « les têtes à merde » : des petits énervés qui veulent combattre, peu importe le combat, et qui vont un peu partout à la recherche d’escarmouches. Dans cette liste, je place le singe domestique de Fidel Castro, le très photogénique Che Guevara, toujours à la recherche « d’expéditions révolutionnaires », et assez imbécile pour se lancer dans la conquête de la Bolivie avec seulement 60 soldats (mais ça c’est un autre sujet).

C’est dans ce contexte que naît le FLQ, copie conforme d’au moins 349 autres « Front de libération de quelque chose ». Il est fondé par deux gamins de 20 ans, l’âge de la belle naïveté, et par un mec un peu plus vieux, trentenaire depuis un moment, Georges Schoeters. Vous vous dites probablement que ça ne sonne pas très québécois comme nom, Schoeters. La page wikipedia consacrée au personnage est édifiante. Il est BELGE. En 1958, il voyage en Algérie. Puis c’est Cuba. Il aboutit finalement au Québec, où il trouve un terreau propice à ses ambitions. La révolution, peu importe pour qui et pourquoi. Le genre de personnage que j’imagine bien dire : « Le nationalisme quoi? Kébé-quoi? Ok, ça me va. »

C’est quoi le FLQ? C’est regroupement de petites têtes brûlées au début de la vingtaine. Ils financent leurs activités à coup de hold-up. Quelques bombes artisanales. Cinq victimes, dont certaines accidentellement. Des amateurs. Des révolutionnaires du week-end. Des rats d’université exaltés par quelques lectures, comme d’autres s’excitent devant un « poème » de Jim Morrison. Le problème, c’est qu’en Octobre 1970, avec le kidnapping de deux hommes d’État, le FLQ prend une bouchée beaucoup trop grosse. Et elle lui sera fatale. Autre preuve de son insignifiance.

La Crise

S’il y a eu Crise d’octobre, ce n’est pas tant l’œuvre du FLQ. Selon moi, l’amateurisme n’était pas que chez les révolutionnaires. En envoyant l’armée et en suspendant les libertés civiles, Ottawa a commis une bourde d’une énormité démesurée (et j’insiste sur le pléonasme).

Encore une fois, une remise en contexte est nécessaire. Je la ferai en vous parlant de mon oncle Lucien Lessard. Député à l’Assemblée nationale du Québec de 1970 à 1982, ministre au sein du cabinet de René Lévesque à partir de 1976. Bien qu’énergique et combatif, Lucien est un petit bout d’homme. Il est probablement plus court sur pattes que Sarko, et certainement plus maigre. Je me souviens de sa maison à Baie-Comeau. Une maison normale de personne moyenne, style bungalow américain. Pas de clôture, pas de guérite. N’importe qui pouvait aller cogner à sa porte et Lucien ouvrait, dans ses habits du moment. Ou tante Adrienne quand Lucien n’y était pas. Pas de majordome, pas de domestique. Pendant un moment, je me souviens que Lucien a eu un chauffeur, qui faisait probablement aussi office de garde du corps d’appoint. Je crois que c’était pendant la période trouble d’une fusion municipale forcée, au cours de laquelle Lucien avait reçu des menaces directes sur sa vie et celle de ses enfants. Mais à part ce moment, il conduisait lui-même sa jeep Cherokee beige.

Tout ça pour dire que kidnapper un ministre au Canada n’exige pas l’intervention des troupes d’élite du MI-5. Quand le FLQ a enlevé le ministre Pierre Laporte, ça c’est fait le plus simplement du monde, devant sa résidence de la banlieue montréalaise. Laporte a probablement marché vers ses agresseurs, la main tendue.

Les politiciens canadiens sont accessibles et vont vers les gens. Ils serrent les mains. Ils discutent avec les électeurs. D’où je viens, le politicien est un mec qui va au travail le matin, comme tout le monde. Son métier, c’est de diriger le pays. Mais ça ne le coupe pas du peuple. Vous verrez occasionnellement le député faire ses courses au supermarché du coin. Vous pouvez l’aborder. Il vous dira au moins bonjour.

Même après l’enlèvement de Laporte, nos ministres et hommes d’État sont restés accessibles. Ce n’est pas dans la culture canadienne d’entourer ses dirigeants de gorilles. Le Canada, c’est un pays relax. Bon, le Premier Ministre du Canada est mieux surveillé, surtout depuis qu’un désaxé armé d’un couteau s’est introduit dans la résidence officielle, la nuit du 5 novembre 1995. Heureusement, Aline Chrétien, la Première Dame, veillait au grain. Réveillée par le bruit, elle a verrouillé la porte de la Première Chambre à coucher, pour ensuite alerter son mari. Une statuette inuit à la main (ces trucs pèsent une tonne), le Premier Ministre était fin prêt à assurer sa légitime défense lorsque le service de sécurité, probablement averti par un voisin insomniaque, est enfin intervenu.

Donc, en Octobre 1970, un groupuscule de révolutionnaires imberbes et sans réelle expérience kidnappe deux hommes d’État comme on prend un litre de lait au supermarché. La grande erreur survient après : Ottawa panique et envoie la cavalerie. Armée, descentes policières, arrestations de sympathisants. La pire chose à faire lorsqu’on traite avec des terroristes amateurs un peu stressés, c’est de leur mettre la pression. À peine quelques heures après la mise en place de la Loi sur les mesures de guerre, le ministre Pierre Laporte est retrouvé mort dans le coffre d’une voiture.

Cette spirale tragique illustre le profond amateurisme des deux partis. Certains membres du FLQ disent que Laporte s’est blessé mortellement en tentant une évasion. Même si rien ne prouve cette affirmation, cette « défense » témoigne des moyens pitoyables de l’organisation felquiste. Chose certaine, après la mort de Laporte, le FLQ a perdu tout appui sérieux dans la population, suscitant dégoût et haine. On peut parler d’un sabordage. Sentant qu’il a poussé le bouchon trop loin, le FLQ se dégonfle. L’autre otage est libéré. La plupart des dirigeants se rendent ou sont rapidement écroués.

Je suis d’avis que la manœuvre d’Ottawa, par son ampleur, a été une grande erreur stratégique. Le fait de suspendre les libertés civiles, ne serait-ce que momentanément, a laissé une trace indélébile, une cicatrice. Cette agression digne d’une république bananière a fouetté la ferveur nationaliste. Et elle a fourni aux indépendantistes un magnifique casus belli. Si vous ne savez pas ce que c’est, demandez à Bernard Landry. Lui qui aime tant les citations latine, il vous expliquera.

On dit de Pierre Trudeau, Premier Ministre canadien du moment, qu’il a fait de l’unité canadienne la cause de sa carrière. Je dirais qu’en ayant recours à la Loi de mesure de guerre, il a fourni un exemple probant d’auto-sabotage. Cette grosse gaffe, autant excès d’arrogance qu’aveu d’impuissance, a durablement affaibli ses capacités de porter le fédéralisme canadien.

Et le drame dans tout ça?

Si les politiques ont gravement erré, je crois quand même qu’il faut arrêter de délirer avec la Crise d’octobre. Quelques nuitées en prisons injustifiées pour 457 indépendantistes. On dit qu’ils ont par la suite été indemnisés. Pour les felquistes proprement dits, les peines n’ont quand même pas été ignobles. Les ravisseurs du diplomate James Cross se sont négocié un exil à Cuba. Diverses peines de prison allant de quelques mois à 2 ans ont été distribuées. Et pour les quatre membres de la cellule Chénier, coupable du meurtre de Pierre Laporte? Malgré des condamnations à perpétuité pour deux d’entre eux, ils étaient tous sortis de prison dès 1982.

On est loin de Nelson Mandela (27 années en prison). Loin de Drancy, loin du Vélodrome d’Hiver, loin du Bloody Sunday, loin de Guantanamo, loin du Plan Condor, loin des purges du NKVD. Et pour les fans d’histoire, cette petite question : avant la Crise d’octobre, dites-moi à quand remontait la dernière application de la Loi sur les mesures de guerre? La réponse est ici. Pas moins de 23 000 personnes, dont 75% détenaient la citoyenneté canadienne.

On ne peut pas mesurer l’injustice. Mais parfois il est poli de mesurer son « outrage ».


mardi 20 octobre 2009

Merci Mesdames




Mon blog est une excellente source de vitamine Grognon, oligo-élément essentiel au bon développement de votre nerf du rouspétage, organe vital d’une saine démocratie. Mais toute alimentation cérébrale doit aussi compter sur un régime équilibré. Je vous recommande donc de vous abreuver aux propos de trois femmes magnifiques.

Même si elle partage mon quotidien parisien, Miss K à Paris vous offrira un autre regard sur la ville lumière. Ce qu’elle sait faire, quand elle se laisse aller, c’est de transformer le monotone en éclat de rire. Je ne veux pas trop vendre le scoop, mais elle devrait partager prochainement avec vous une séance-photo absolument délirante. Miss K, c’est la vitamine Joie. C’est la belle émotion, pure et bio, puisée à la source en direct du cœur. Merci Karine d’avoir fait d’un de mes dimanches tristounets une véritable partie de plaisir, avec ta spontanéité et ta douce délinquance.

Une autre belle dame, c’est Marie-Julie de Taxi-brousse. Bien plus qu’une globetrotteuse, Mariju (pour les intimes) est aussi une curieuse qui déborde d’enthousiasme pour tout, tout, et tout. Elle écrit, elle publie, elle voyage, elle fait la maman, elle bouge tout le temps, et elle ne dort pas assez. Une sorte de luciole sur le 200 watts, quoi. Son blog est une mine d’or d’infos pratiques. Elle est une de mes vitamines Énergie.

Pour la vitamine Philosophie, allez chez mon amie « Noèse Cogite ». Dans la vie, Noèse est une sorte de croisement entre un feu-follet et un docteur des âmes. Dans ses écrits, elle révèle son regard d’une grande humanité. Un regard qui se pose pour faire le point sur les nuances. Mi-prose, mi-poésie, elle offre à nu le fil de sa pensée.

Tant qu’à faire, j’aimerais aussi dire merci à ma maman, que je n’appelle pas assez souvent. Et merci à vous les autres femmes, qui trouvez toujours moyen de me charmer. Rappelez-vous bien que, lorsqu’un homme vous observe, il voit d’abord le soleil sur l’Atlantique, la cime des Andes, ou la majesté d’une plaine andalouse. Laissez-lui sa béatitude.


dimanche 18 octobre 2009

Soirées parisiennes



Note : la vie d’expat est un constant aller-retour, presque schizophrénique, entre l’exaltation et la déprime.

Parfois Paris me fait l’effet d’une vieille dame riche parée de ses bijoux. Elle a le chic, le pedigree, la fortune. Mais elle est d’une autre époque. Elle est finie. Elle vit de ses rentes, elle n’a plus grand-chose à donner sinon son passé. En plus, elle a mauvais caractère.

En l’honneur des soirées parisiennes, les soirées d’avant-guerre, si souvent célébrées dans les mémoires et au cinoche, j’ai composé ce poème lyrico-épique. Je n'ai pas mis de points à la fin des phrases, mais je ne sais plus ce qui est branché cette saison en littérature.

Soirée parisienne

Je rentre, il est 19h40

Je rentre à 19h40 parce que les horaires de travail son mal foutus

Je bois un verre d’eau

J’ai faim mais pas envie de cuisiner

Je suis fatigué

Je bouffe un des bouts de la baguette

Je te laisse l’autre

J’allume la télé

La télé est moche en France. Des séries policières américaines. Ou six Français autour d'une table qui parlent tous en même temps sans écouter les autres. On dirait un poulailler. Cocorico. Faudrait leur donner de la moulée. Parfois y'a du foot, avec des gens qui se lancent par terre en se tenant la cheville. Et des reportages sur l'Amérique par des journalistes qui y sont restés deux semaines. Moi je suis en France depuis 15 mois et j'y comprends pas grand chose.

Je ferme la télé

Je me dis que même si on coupe le bout de quelque chose, l’endroit où on a coupé devient nécessairement un nouveau bout

Alors je bouffe l’autre bout de la baguette

Ça te fait deux bouts de mie

Je me trouve rigolo

Ensuite j’ai des regrets

Je me dis que tu seras fatiguée quand tu rentreras

Alors je sors acheter une autre baguette avec deux bouts tout neufs

La boulangère fait la gueule

Elle perpétue la tradition du service à la parisienne

La boulangère fait la gueule pour bien montrer que, même si son métier l’amène à servir des personnes, elle n’est pas domestique

C’est bien important

C’est à cause de la Révolution

Je lui donne mon argent pour sa marchandise

Je lui donne mon sourire parce qu’on vit ensemble sur terre

La boulangère me trouve étrange

C’est normal : je suis un étranger

Parfois, au lieu de l’obligatoire « au revoir », je dis des choses étranges comme « à la prochaine », ou même « bonne soirée ». Et quand je fais ça, la boulangère hésite un peu. Les gens n’aiment pas beaucoup quand on les place en situation d’hésitation

Je rentre chez moi

Je mets un truc dans le micro-onde

Je prends mes courriels. À Paris ils disent « mes mèls », de l'anglais « mails », mais avec un mauvais accent

Tu rentres

Heureusement il y a du vin

Pas longtemps après, il est 22h00

Je me dis que je ne pourrai pas faire tout ce que j’aurais aimé faire

Ce week-end je veux dormir


Source photo : wikipedia.


dimanche 11 octobre 2009

Who’s your daddy




(Je prends une petite pause dans ma thématique « Les obsèques du martyr québécois », question de bien documenter le prochain épisode…)


Ce texte du journal Libération nous parle de la nomination de Jean Sarkozy à l’Epad, l’organisme qui gère le quartier de la Défense (où je travaille). Le site accueille 150 000 salariés, dans 1500 entreprises, dont 15 figurent parmi les plus grandes au monde. Belle promotion pour un kid de 23 ans. Moi, ça me laisse perplexe. À 23 ans, je n’étais qu’un p’tit con à peine diplômé. Mais bon, certaines personnes doivent être plus douées que la moyenne. Mozart composait ses premiers menuets à 6 ans. Jean Sarkozy a peut-être un don inné pour la chose politique. Reste que la section « polémiques » de la page Wikipédia consacrée au fils du Président est quand même rigolote dans sa manière de suggérer que les avantages du jeune homme ne sont pas qu’innés.

Candidement, je dois admettre que je suis quelque peu surpris. Disons que mon sourcillement est à ce point marqué que j’en ai une crampe au front. Occuper un tel poste à 23 ans? Je sais que la France encourage beaucoup la jeunesse. Certains de mes « patrons » sont très jeunes. Chez-nous, on les trouverait trop « greens » (dans le sens de « pas mûrs »). Mais en France, on valorise beaucoup « l’éducation », le diplôme, ou même le pedigree.

Source photo : wikipedia.


Je n’irais pas jusqu’à dire que le relations françaises sont basées sur l’influence (comme dans l’expression « trafic d’influence »), mais peut-être qu’ici, le fait d’avoir des relations puissantes est un atout professionnel jugé supérieur à celui de posséder une longue expérience. Ainsi, la nomination de Jean Sarkozy a ceci de positif pour l’Epad que le jeune homme est littéralement connecté sur ze top-pouvoir.

Et si je militais pour la protection du mulot à poil ras des Andes. Et que soudainement, et ce malgré une méconnaissance totale du petit rongeur, Jean Sarkozy était nommé président du CAMPRA (Coalition des amis du mulot à poil ras des Andes), je crois bien que j’en serais heureux. Une telle nomination porterait ma cause au devant de la scène, tout en lui donnant accès aux coulisses du pouvoir. Ça serait certainement plus efficace comme présidence qu’un mandat assuré par le directeur de la revue « France-Mulot » (un hypothétique trimestriel de 8 pages photocopiées), n’est-ce pas? Alors qui à l’Epad peut se plaindre de la nomination du fils du Président.

Pour avancer dans ma réflexion, je vais vous parler d’un autre dossier : l’enquête interne du Fonds monétaire international (FMI) à l’endroit de son directeur général, Dominique Strauss-Kahn. En 2008, on suspecte un éventuel abus de pouvoir du politicien français en faveur de sa maîtresse, Piroska Nagy, ancienne responsable du département Afrique du Fonds. On relève aussi une histoire de pressions dans l’embauche d’une stagiaire. La tempête médiatique est alimentée par des articles du Wall Street Journal. (source ici)

À la cantine, avec les collègues, les commentaires à propos de cette histoire sont révélateurs. Mes collègues français croient que derrière ces accusations de favoritisme se cache une tentative de coup politique à l’endroit de monsieur Strauss-Kahn, tentative qui serait d’origine américaine.

Peut-être… Ce ne serait pas la première fois qu’on utiliserait le scandale pour dégommer un politicien. Américaine? Peut-être aussi… Le missile utilisé est une allégation de « pistonnage », de quoi grandement exciter une opinion américaine allergique à ce genre de manœuvre. Évidemment, le pistonnage existe aussi chez-nous, mais il est exécuté avec beaucoup plus de subtilité, car l’acte est très mal toléré. Nombreux sont les politiciens qui ont perdu leur poste pour avoir mis le CV d’une belle-sœur au sommet de la pile, même pour un poste sans importance. On n’a qu’à citer le premier mandat du Premier ministre canadien Brian Mulroney, au cours duquel pas moins de six ministres ont été congédiés ou ont dû démissionner, et ce pour des raisons quelques peu « futiles » quand on les compare à ce qui est toléré ici en France. Nos politiciens multiplient donc les « couches isolantes » entre eux-mêmes et les bénéficiaires du pistonnage. Exemple? Un ministre fera pression sur des fonctionnaires afin qu’un gros appel d’offre gouvernemental soit modifié. Ces modifications auront pour effet de favoriser la candidature d’une certaine entreprise. On apprendra plus tard que cette entreprise aura retenu les services d’un cabinet d’avocats au sein duquel exerce, tiens donc, le beau-fils du ministre.

Mais revenons à Dominique Strauss-Kahn, et à mes collègues. Qu’ont-ils à dire à propos de la nature des accusations portées par le Wall Street Journal? Bof… C’est du petit pistonnage. Il faut s’y attendre. C’est frustrant, mais plutôt normal. Une sorte de prérogative tacite du pouvoir.

Je trouve un écho de leur tolérance dans la réaction des médias suite à la nomination de Jean Sarkozy à l’Epad. On est très loin du scandale qui forcerait enquêtes ou démissions. L’opposition ne gueule pas vraiment plus fort que d’habitude. Ce sont les protestations de rigueur. On sent que d’ici deux ou trois jours, on aura passé à autre chose.

Dans un cadre où il est beaucoup moins stigmatisé socialement (et je ne dis pas qu’il doit l’être), le pistonnage se révèle tout à coup comme un puissant outil d’avancement professionnel. Il est donc important, dans un tel cadre, de soigner ses relations. Tout ça m’aide un peu à mieux comprendre pourquoi mes collègues passent tant de temps à discuter près de la machine à café.

Dernier point : Jean Sarkozy a-t-il vraiment été pistonné? C’est-à-dire, est-ce que papa Nicolas a vraiment eu besoin de placer un appel téléphonique pour convaincre quelqu’un? Il est permis d’en douter. Si un beau matin, par nécessité ou par simple envie de se distraire, le pouvoir (ou son fils) cognait à votre porte, que feriez-vous?

Franchement, que feriez-vous? Épargnez-moi vos crises d’intégrité et de moralité. Votre réponse ne m’intéresse pas. Répondez-y intérieurement, pour vous-mêmes.


(P.S. voir les commentaires pour mise à jour)