lundi 23 novembre 2009

D’autres choses



Pendant que j’ai perdu mon temps à vous remastiquer le fétide et stérile débat sur la souveraineté du Québec, il s’est passé autre chose dans ma vie. Alors en voici un petit condensé.

Manger à Rome

Les Français font grand cas de leurs talents culinaires. Avec raison. En France, on peut manger « crissement bien », comme on dit chez nous. Mais après un week-end à Rome, je me sens obligé de tempérer le chauvinisme hexagonal. Dans la haute gastronomie, comme le dit cette dépêche de l’AFP, Tokyo est maintenant plus « étoilée » que Paris. Bon, une deuxième place, c’est pas si mal. Mais dans le domaine de la petite gastronomie, celle de tous les jours, je dois mettre Paris derrière bien des villes, dont Rome et Londres. How shocking!

C’est qu’à Paris, il faut au moins vingt euros pour commencer à bien manger local. Sinon, on a droit au croque-monsieur tiède. Le week-end dernier à Rome, j’ai eu pour 6 euros un spaghetti à damner un saint. La perfection en matière de tomate + basilic + pâtes al dente. J’en étais ému. Même chose pour la pizza. Tu mets 3 euros sur le comptoir, tu prends une bouchée, et là il se passe quelque chose de très intense. Ça ressemble à l’amour. Ou l’équivalent buccal d’un shoot d’héroïne. Donc, dans la zone 5 à 20 euros, les Romains battent les Parisiens dans mon cœur. Désolé, c’est comme ça. Chers amis Français, vous restez excellents dans la zone 20 euros et plus. Mais je n’ai pas toujours ce budget.

Ma dent pourrie

Il y a quelques années, on m’a arraché les dents de sagesse. (La sagesse a dû partir avec les dents.) L’opération avait été assez difficile. Une des dents refusait obstinément de quitter le bercail. À chaque torsion des pinces, ma tête suivait. Le morceau d’ivoire était indélogeable. Au bout d’un moment, une assistante et venue m’agripper la tête. Moi je me tenais la mâchoire à deux mains. Et la jeune et jolie dentiste était à califourchon sur moi, ses genoux sur la chaise, bien penchée sur son ouvrage. Ça aurait été presque agréable, n’eut été de la novocaïne et d’une impression croissante d’entorse à la joue gauche.

Au bout d’un moment, un gros CRAC! Je me suis dit : « Ça y est, ma mâchoire vient de péter ». Heureusement, la dentiste toute fière tenait au bout de sa pince ensanglantée une belle grosse dent de mâle bien portant. Et le crac? C’était un bout de racine qui avait cédé. Il était resté derrière, bien planté dans l’os. La dentiste a inspecté la plaie, a déterminé que ce moignon dentaire ne poserait pas de problème, et a fait la suture. Erreur.

Au bout d’une semaine, la douleur à commencé à cause de l’infection. On m’a donné un produit topique pour le trou dans la gencive, et des antibiotiques. C’était désagréable. Ça a duré trois semaines. Puis, un beau matin, ma gencive a fini par expulser le bout de dent. Un petit bout d’os complètement nécrosé, tout noir, pas plus gros qu’une tête d’épingle. C’est ce qui restait la racine. Les bactéries avaient bouffé le reste.

C’est sorti d’un coup. Tu te réveilles, tu passes machinalement le bout de ta langue à cet endroit qui fait mal depuis trois semaines, et y’a ce grain de sable qui te sort de la gencive. Mais ce qui m’a le plus frappé, c’est l’odeur soudaine et violente. Ce minuscule bout d’os dégageait une odeur cadavérique épouvantable. Même en le tenant à un mètre de mon nez, je percevais encore sa puanteur digne d’une porcherie. Je l’ai jeté à l’évier, je me suis brossé les dents longuement, et je me suis gargarisé avec un demi-litre de Listerine. Trois jours plus tard, je n’avais plus mal et tout était guéri.

Cette odeur de dent pourrie, je l’avais complètement oubliée. Jusqu’à ce que j’essaie l’andouillette. Tous mes amis québécois m’avaient averti : c’est comme manger le cul d’un porc. Je dirais plutôt que l’andouillette, c’est comme manger une nécrose dentaire.

Source photo : wikipedia.


Salade péruvienne

Pour tous ceux que je viens de dégoûter, et pour les autres qui craignent la H1N1, voici une petite recette de salade péruvienne toute simple et délicieusement tonique par ces temps plus frais. Tranchez un oignon blanc ou pourpre en beaux anneaux très minces (1 mm). Arrosez-les de jus de citron vert. Ils doivent baigner. Mettez aussi un peu d’huile d’olive, et du sel. Attendez une trentaine de minutes, pour que le jus de citron adoucisse les oignons. Avant de servir, hachez un beau bouquet de coriandre fraîche, et jetez le tout sur les oignons. Puis savourez. Vous verrez, le jus de citron aura beaucoup adouci les oignons, tout en préservant leur croquant. Le beau parfum de la coriandre complète cette salade simple qui accompagne très bien tout mets sud-américain.

Pourquoi cette recette? Parce que j’arrive d’un resto latino où j’ai retrouvé quelques unes des saveurs qui me manquent. Les bons latinos sont rares à Paris. Un peu comme les restos africains à Montréal. À chacun ses tropiques. Il y quelques années, je lisais dans Science et Vie qu’une composante de l’oignon cru a la faculté de dilater les bronches. Ce qui favorise la respiration et combat l’asthme. Drôle de coïncidence, les Péruviens mettent de l’oignon cru partout. Facile à produire, à conservation longue, l’oignon est donc le légume rêve pour ce peuple de montagnards andins (il y a moins d’oxygène en altitude).

Le machin de l’oignon, la vitamine C des citrons verts, les bons gras de l’huile d’olive… Peut-être que l’humain est un animal pas si con qui sait intuitivement ce qui est bon pour lui.

Tout le monde aime Pierre Lapointe

Depuis qu’elle a vu le spectacle, MissK est en amour par-dessus la tête et a acheté les trois albums de ce dandy québécois un peu mélo, mais pas trop sérieux. Au début, je le trouvais un peu affecté, mais à force de l’entendre, je dois dire que j’aime aussi. Les orchestrations du deuxième album (La forêt des mal aimés) sont magnifiques. Et même s’il beurre épais dans le romantisme, sa prose finit par toucher. Ses mélodies sont riches, et ses structures inventives. Ça change des refrains ados à deux notes, ou des chanteurs bubble-gum qui chialent comme moi quand je m’écrase une couille. Les Québécois me diront que je suis en retard. Mais les Français ne connaissent pas beaucoup Pierre Lapointe. Alors amis Français, courrez à la FNAC ou au I-Store.

Ici un extrait de son troisième album. Et ici trois versions live de ses titres précédents.

La dictature

Heureux hasard, je lis en ce moment Le cris des oiseaux fous de Dany Laferrière (Prix Médicis 2009 pour son roman L'Énigme du retour). Dans ce bouquin autobiographique, Laferrière revient sur les 24 heures qui ont précédé sa fuite d’Haïti, en 1976, après l’assassinat de son collègue journaliste Gasner Raymond. Il y parle amplement de la vie sous la dictature de Duvalier. Je vous cite un extrait (merci Dany) : « Je pense avoir le droit, si tel est mon désir, d’aller voir ce qui se passe de l’autre côté de la colline. C’est tout. Un désir personnel. Le mien. C’est ce que le pouvoir déteste le plus. C’est ce qui le fait montrer les dents. Il nous veut à sa merci. Nous sommes obligés de l’aimer. Ou de le détester. Du moment que nous ne sortons pas du cercle de feu. Si je meurs cette nuit, on fera de moi peut-être un héros, comme Gasner est en train de le devenir dans la conscience populaire, alors que je ne fais que penser à moi. Je suis un individualiste né. Et fier de l’être. C’est ma dernière cartouche contre le pouvoir. Ne penser qu’à moi. Moi contre eux tous. Tous ceux que je connais ne pensent qu’au pouvoir. Pour l’adorer ou pour le détester. D’après eux, il n’y a pas d’alternative. »

Et puis ceci : « Dans un pays riche, le théâtre n’est que du théâtre, le cinéma est avant tout un divertissement, la littérature peut servir à faire rêver. Ici, tout doit servir à conforter le dictateur dans son fauteuil ou à le déstabiliser. La politique est le but de toute chose. Même moi, en ce moment, je ne pense qu’à ça. Il n’y a pas moyen de sortir de ce cercle vicieux. (…) On est forcé de prendre position sur le plus banal sujet. Au fond, rien n’est banal. Tout est une question de vie ou de mort. Même les mangues, vous les aimez ou pas? Parce que si vous n’aimez pas les mangues, on mettra en doute votre identité nationale. »

Enfin, ceci : « Je suis simplement contre l’idée qu’il faut passer sa vie à toujours parler de la même chose : la dictature. Comme s’il n’existait que ce seul sujet de préoccupation. La pire prison est d’accepter cette limite. Comme si on n’avait pas le droit de penser à autre chose. (…) Je veux respirer. J’étouffe, coincé entre mes camarades qui ne parlent que de la dictature et un pouvoir qui ne s’intéresse qu’à sa survie. »

J’ai lu Laferrière, et j’ai eu l’impression que Duvalier, au Québec, c’est le putain de débat sur la souveraineté. Depuis plus de 40 ans, jamais moyen d’en sortir. Je n’ai connu que ça, cette dictatoriale polarisation de tout débat social. Ça s’infiltre partout dans la vie. Jusque dans le banal. Ça influence même la couleur des cravates. On a déjà fait remarquer à Jean Charest son choix d’une cravate bleue*. C’est grave, cette interminable obsession! Si un jour j’ai des enfants, j’aimerais leur laisser un monde où toute réflexion n’est pas soumise au filtre oppressant du débat souverainiste. Et le prochain insignifiant qui me dit « Suffit de faire l’indépendance une fois pour toute et on n’arrêtera d’en parler », comme si c’était un argument, je lui calisse mes jointures dans les dents. C’est-tu assez clair?

* Pour mes amis français, la couleur bleu est associée au souverainistes, alors que Jean Charest, actuel Premier Ministre du Québec, est un fédéraliste.


samedi 21 novembre 2009

Faire le Noir



C’est avec une certaine ironie que je vous cite « Nègres blancs d’Amérique ». Dans cet ouvrage publié en 1968, le felquiste Pierre Vallières comparait la situation des Québécois à celle des Afro-Américains en lutte pour leurs droits civiques. Même si l’image est un abus, les Québécois n’ayant jamais été soumis à l’esclavage ni a un système officiellement ségrégationniste, dans son parallèle Vallières a vu juste sur un point.

Ceux de vous qui ont lu Freakonomics, de Steven D. Levitt et Stephen J. Dubner, se souviendront du passage où les auteurs citent les travaux Roland G Fryer. Ce jeune économiste noir a étudié la notion de « faire le Blanc » (Acting White). Plutôt que de me lancer dans ma propre définition, je vous invite à consulter la page wikipedia sur le sujet. Résumé de manière grossière, le terme est né d’un phénomène identitaire qui pousserait les communautés afro-américaines et hispaniques des USA à percevoir comme une trahison culturelle l’ambition de performer dans des domaines traditionnellement « blancs ». Même chose pour l’adoption d’habitudes ou modes dites « blanches ». Ainsi, dans certaines communautés, viser le succès académique serait « faire le Blanc ». Et par opposition, les membres de ces communautés seraient soumis à la pression de « faire le Noir », entre autres dans leurs choix de consommation.

Source photo : wikipedia.


Bon, je n’ai jamais été noir, je ne crois pas que je le deviendrai, alors je ne peux pas trop me prononcer sur le sujet. Mais pourtant, le passage de Freakeconomics a soudainement éveillé quelque chose dans mon esprit. J’ai reconnu quelque chose de ma société dans cette notion de « faire le Noir ».

Au Québec, il existe une sorte de pression sociale similaire. Ce qui est mal perçu chez nous, c’est de « faire l’Anglais ». Une habitude qui est ouvertement condamnée, c’est celle de parler en anglais à un Québécois anglophone : « Il est au Québec, qu'il apprenne le français ». Après une réunion, on se plaindra du choix d’avoir tenu la discussion en anglais pour accommoder le seul anglophone unilingue du groupe (même s’il s’agit d’un Américain!) Et si un chanteur Québécois fait une chanson en espagnol ou en inuit, on vante son originalité. Mais s’il ose chanter en anglais, on lui demandera des comptes. Certains Guy A iront jusqu’à le qualifier de traître. Le vers « I am the Judas of the French Canada » vous rappellera certainement quelque chose… Et puis y'a ces remarques qu'on fait, lorsque quelqu'un rapporte un accent après un long séjour aux USA.

Pour moi, tout ça, c’est le signe d’une quête identitaire qui n’est pas achevée. Du moins, pas également dans toutes les têtes… Cette nécessité d’insister sur sa différence. Ce rejet de l’autre. Cette approche défensive. Comme nous étions une nation adolescente. Entre la naissance du désir identitaire et la fixation d’une identité réelle, il s’écoule un moment. Il faut que jeunesse se fasse, comme on dit. Les choses avancent : le Québec a probablement autour de 17 ans. Les crises brutales sont passées, mais il reste encore un petit bout de chemin avant d’atteindre une certaine sérénité.

On sent bien, dès qu’on ouvre le débat sur la souveraineté, que les sentiments sont encore vifs. Les deux camps dérivent rapidement vers une position intégriste. Les insultes arrivent vite, tout comme les raccourcis rhétoriques. La propagande prend bien. Je le vis, moi-même, à travers les commentaires reçus au sujet de cette série de billets. Ils sont virulents, campés, immédiatement agressifs. Encore un fois, j’y vois quelque chose de ces adolescents qui, lorsqu’ils revendiquent, le font corps et âme. Ce n’est pas pour rien qu’on choisit des jeunes pour les attentats-suicides, ou la guerre : leur foi est profonde et intense. Et mon analogie, certes un peu grossière, s’applique aux deux camps, fédéraliste comme souverainiste.

Je vais peut-être vous étonner, mais je ne suis pas intrinsèquement contre la souveraineté du Québec. En fait, je suis surtout contre le PQ, un parti qui me fait peur. Un parti assez débile pour attiser des notions comme le « Québécois de souche, le seul citoyen digne de voter lors d’un troisième référendum ». Ce genre de stupidité, c’est littéralement de l’eugénisme. Ça pue les méthodes d’un tristement célèbre national-socialisme allemand. Le PQ, un parti perpétuellement divisé, sans direction claire, et en proie aux coteries. Un parti obsessif-compulsif, fixé sur son seul objectif, à n’importe quel prix et sans compromis. Donc un parti inapte à gouverner sereinement un nouvel État, surtout à travers les troubles de sa naissance.

Je disais donc, je ne suis pas contre la souveraineté. Le fédéralisme canadien comporte effectivement quelques lacunes. Il y a nécessité de faire des aménagements. Mais la bipolarité offre aussi certains avantages, un terrain mitoyen entre le feu et l’eau, l’équivalent politique de la saine concurrence dans le commerce (par opposition à un monopole).

D’un autre côté, je crois aussi que si la souveraineté devait survenir, le Québec arriverait à vivre décemment sans le Canada. Un petit pays à peu près similaire à l’Irlande, doté de ses institutions culturelles bien à lui, de richesses naturelles suffisantes, et d’un régime démocratique de niveau occidental. Ça pourrait fonctionner, je crois.

Mais mon opinion est que notre nation n’est pas prête. Elle a encore des problèmes identitaires à régler. Si nous réagissons si mal devant la « chose anglaise », c’est que nous avons encore un petit fond d’insécurité. Un petit manque de confiance qui nous pousse souvent à nous camper collectivement dans une position défensive. Par opposition, la nation mature est confiante, affirmative et ouverte; elle va vers l’autre car elle n’a pas peur.

Il y a cette notion de fierté, aussi, qui n’est pas encore au point. Du patriotisme, et parfois même un peu de chauvinisme, c’est important pour un peuple. Au Québec, à chaque Saint-Jean, on nous répète « Soyez fiers! » (Pour mes amis français : la Saint-Jean-Baptiste, le 24 juin, est la fête nationale des Québécois) Mais après ces appels à la fierté, on nous oblige à une lecture victimisante de notre histoire : conquête anglaise de 1760, humiliation des Patriotes, Crise d’octobre, défaites référendaires… Je n’aime pas cette manie d’endosser le rôle de victime. Quoi qu’on en dise, le Québec est un membre essentiel de l’histoire nord-américaine. Sans le Québec, pas de Canada. Faudrait peut-être essayer d’y lire des points positifs.

Si la souveraineté doit un jour arriver, je crois qu’elle viendra naturellement. Un peu comme la chute du mur de Berlin. Ce jour-là, notre pensée sera moins manichéenne, moins enfantine. Anglos vs Francos, libéraux vs péquistes, rouge vs bleu, Ottawa vs Québec… tout ça sera fini. Il ne restera que « Nous, et là où nous voulons aller ». À ce moment, si l’indépendance doit arriver, elle arrivera, comme la rivière choisit son cours. Et nous n’aurons plus besoin de cet exercice d’auto-conviction qu’est celui de « faire le Québécois ».



P.S. - Les Anglophones comptent pour environ 10% de la population du Québec. Beaucoup y sont depuis des générations. Ils sont souvent plus « Québécois de souche » que certains péquistes. La nation québécoise, souveraine ou non, doit tenir compte de cette composante de sa culture. Les Anglo-Québécois sont des acteurs forts de notre identité, de notre histoire. Exclure les « Anglos » revient à une auto-amputation.


mercredi 11 novembre 2009

Le prix des « conditions gagnantes »



Je lis sur le web mes journaux du Québec. Certains matins, plus gris, je sors de ma lecture avec une légère déprime. Parfois, je me dis qu’il y aura un troisième référendum, et il sera gagnant. Gagnant pour les souverainistes.

Avec cette « question nationale », le Québec est comme un bébé qui suce ses orteils. C’est le centre de sa vie, ce bout de pied qu’il se fout dans la bouche. Il est fasciné. On dirait qu’il n’a même pas conscience que ce membre fait partie de son propre corps. Il ne voit rien de ce qui se passe autour de lui.

Et pendant qu’on braque tous les projecteurs sur l’éternel débat, il fait noir ailleurs. Une belle nuit noire qui permet, par exemple, la croissance d’un système de corruption institutionnalisé à Montréal. Bien que municipale, l’affaire est devenue assez grosse pour qu’on en parle à l’étranger (voir ce papier du Monde).

Et puis, il y a cette impression que Montréal décline, se referme sur elle-même, avec ses festivals de plus en plus locaux, la valse du Grand Prix (ira, ira pas), les gros spectacles qui s’arrêtent uniquement à Toronto. Avec ses lignes ouvertes sur les nids de poule, la vente des Expos, le Canadien qui ne se relève plus. Avec comme seule ambition un tout petit projet, le nouveaux CHUM, qui s’enlise, alors que d’autres villes refont leur métro ou construisent de nouveaux quartiers d’affaires (et pas seulement en Chine, mais aussi en Occident). Et puis y’a ce texte qui nous rappelle que Montréal vient de glisser en troisième position pour le nombre de sièges sociaux importants, derrière Toronto et Calgary.

Et puis les « professionnels » de la Caisse de dépôt qui n’arrivent même pas à capitaliser sur la grosse bulle actuelle, le beau rebond de la Crise (voir ceci). Un de mes amis fait du 25% cette année avec ses actions. Malgré ce beau chiffre, il fait moins bien que le marché. Les actions des banques canadiennes ont cru en moyenne de 60% depuis mars 2009. Quelqu’un peut-il réveiller la Caisse de dépôt? Parce qu’il se fait tard; plusieurs croient qu’on approche la fin du rebond.

Et puis Cossette qui est vendu à des Américains. Et puis quoi encore… Grosse déprime.

Et les conditions gagnantes, dans tout ça? Quand Lucien Bouchard, chef du PQ, a pour la première fois utilisé cette expression à propos d’un éventuel troisième référendum, j’ai comme vous imaginé un truc positif. On proposera la souveraineté aux Québécois quand on aura amélioré la situation économique, quand on aura amélioré la santé de l’État, quand on aura convaincu une large majorité, etc.

Mais dans le fond, se pourrait-il que les « conditions gagnantes » puissent être réunies via un écoeurement généralisé? Par une grosse déprime collective? Vous en connaissez, vous, des révolutions lancées par un peuple satisfait? Alors on peut se poser une simple question. Qu’est qui est le plus payant pour les forces souverainistes? Quel effort risque d’être le plus rentable? Faire preuve d’un leadership de qualité supérieure? Offrir des projets porteurs? Démontrer les avantages d’un Québec souverain avec autre chose qu’une rhétorique poétique? Ou bien tout simplement attiser la grogne, l’indignation, jusqu’à ce que la rupture survienne naturellement, par érosion.

Source photo : wikipedia.


C’est en cultivant un sentiment d’indignation que Bismarck a réuni les conditions autorisant sa campagne contre la France en 1870. C’est avec l’indignation d’un traité de Versailles humiliant pour l’Allemagne qu’Hitler a pavé sa voie vers le pouvoir. C’est l’indignation qui a mené aux révolutions françaises et américaines. C’est toujours comme ça : tout sécessionniste aura avantage à jouer de l’indignation.

En fait, j’ai l’impression que toute organisation politique, pour asseoir son pouvoir, essaie de moduler trois grands sentiments du peuple : la satisfaction, l’indignation, et la peur.

Une des belles habitudes des souverainistes, c’est d’attiser l’indignation autour de thèmes purement symboliques. On dit que le peuple québécois est privé de la « vraie liberté ». Quelle liberté? C’est quoi, la liberté? De quelle liberté le Québécois moyen est-il actuellement privé, par rapport aux citoyens d’autres démocraties occidentales?

À un moment, il y avait toute cette crise autour de la reconnaissance de la « Nation québécoise ». Dans les médias, les tempêtes souverainistes se suivaient comme les ouragans dans le Golfe du Mexique, parce qu’Ottawa refusait de reconnaître le Québec comme nation. Et puis en 2006, sans avertir personne, le PM Stephen Harper a tout simplement accordé cette reconnaissance. Tout à coup, les forces souverainistes se sont retrouvées sans épouvantail. Mais le Québec comme « nation », ça change quoi dans votre vie de tous les jours, quand vous bouffez vos céréales le matin?

C’est l’affaire du Moulin à Paroles, à la fin de l’été, qui a motivé ma prise de position et cette série de billets quelque peu ennuyante (j’ai bientôt fini). À ce moment, le journal Le Devoir avait publié ce texte : « La reconquête de la dignité ». Dès le titre, on retrouve cette rhétorique souverainiste visant à créer un sentiment d’indignation. On évoque une « dignité » volée, perdue. À lire certains textes, on croirait que le Québécois moyen vit sous un régime esclavagiste.

Le propos souverainiste, c’est de la vente. Vous êtes comme ça, chez-vous devant la télé, acceptablement satisfait de votre forfait bancaire. Puis, une belle pub réussit à vous convaincre que vous êtes malheureux. Vous payez trop cher. Il y a des frais cachés. Votre argent est coincé. Vous n’êtes pas libre de vos choix. Vous savez, les pubs de la banque orange et son monsieur avec un drôle d’accent? Tout à coup, pour faire une vente, on vous a inventé une indignation à propos de vos conditions actuelles.

Une autre belle réussite des forces souverainistes, c’est la création de cette bébête appelée le Bloc Québécois. Ce parti qui depuis bientôt 20 ans « défend les intérêts des Québécois à Ottawa ». Le Bloc se vante entre autres de la reconnaissance de la Nation québécoise, alors que cette manœuvre a été imaginée par le gouvernement Harper, précisément pour saper l’élan du Bloc, en le privant de son principal cheval de bataille.

Étrangeté politique s’il en est une, le Bloc joue sur la scène fédérale, mais ne fait élire des députés qu’au Québec, rendant ainsi impossible l’avènement d’une majorité bloquiste. Résultat, le Bloc se cantonne dans l’opposition, le meilleur terreau pour l’indignation. Et justement, c’est de cette indignation que le Bloc joue dans toutes ses communications politiques.

Autre manœuvre très fine depuis quelques saisons, le Bloc y va d’alliances contre-nature, tantôt avec le Parti libéral, tantôt avec le NPD. Sur d’autres questions, le Bloc fait cavalier seul. En somme, on arrive ainsi à empêcher la cristallisation d’une vraie opposition à Ottawa. Ainsi, à l’instar de l’économie, on assiste depuis quelques années à un déplacement du pouvoir politique vers l’Ouest canadien. S’est installée à Ottawa une sorte d’instabilité politique paralysante, propice à la formation d’une césure entre l’est et l’ouest du Canada.

Depuis la Constitution de 1867, le Québec jouait un rôle prépondérant dans la politique canadienne. Il suffit de compter les PM d’origine québécoise pour comprendre la force qu’avait la province dans la balance du pouvoir. Mais, par le jeu des dissensions souverainistes, cette force s’amenuise. Cet automne, dans l’éventualité d’élections générales, on a même envisagé la formation d’un gouvernement Conservateur majoritaire au sein duquel la proportion de députés québécois aurait été la plus faible de toute l’histoire politique du pays. Le Bloc défendrait les intérêts du Québec en l’éloignant du pouvoir? Je crois plutôt qu’avec un PM de l’ouest un peu revanchard, et une si faible représentation québécoise, on serait mal barrés, comme disent les Français. Une situation si propice à la frustration a de quoi faire rêver les souverainistes. Ça ressemblerait pas mal à des « conditions gagnantes ». Mais à quel prix?


lundi 2 novembre 2009

Les obsèques du martyr québécois, acte 4 : les « défaites référendaires »




(Restez avec moi encore un moment. J’ai bientôt fini de régler mes comptes avec l’histoire. Bientôt, je vous parlerai de mon Québec d’aujourd’hui. Et surtout de l’avenir.)

Deux fois, en 1980 et en 1995, les citoyens du Québec ont été invités à se prononcer par référendum sur la souveraineté du Québec. Deux fois, à l’initiative du Parti Québécois (PQ), ils se sont fait proposer la sécession d’avec le Canada. Deux fois, les Québécois ont dit NON.

Quand on revient sur ces deux moments importants de l’histoire canadienne récente, on utilise souvent l’expression « défaite référendaire ». On nous montre toujours les images du Centre Paul Sauvé, le soir du 20 mai 1980 : les sympathisants souverainistes dépités, leur chef René Lévesque résigné, et ce mec qui pleure à chaudes larmes en tenant son enfant dans ses bras.

Toujours ce mec qui pleure. Au Québec, avec les années, il est devenu une image médiatique aussi reconnaissable que celle de John Lennon dans son t-shirt New York City, ou celle des soldats américains levant leur drapeau à Iwo Jima. Dans les documentaires sur les référendums québécois, ce mec qui pleure fait partie du traitement-image par défaut. Et ce traitement-image est celui d’un drame.

Ma question est la suivante : pourquoi on ne dit presque jamais « victoire référendaire »? Moi, le soir du 30 octobre 1995, j’aurais bien aimé qu’on me filme, dans mon salon, les bras levés au ciel en signe de victoire. Moi qui gueulais « oouuiiiii! » alors qu’on m’annonçait en direct la victoire du « non ». Moi souriant, soulagé, et heureux. En 1995, une MAJORITÉ de Québécois a gagné. Pourquoi cette insistance sur les perdants?

Anecdotes de mon petit référendum personnel

J’étais trop jeune en 1980 pour saisir l’importance du moment. Mais en 1995, j’ai vécu la campagne, le vote, et le lendemain du vote. Je vous envoie quelques anecdotes qui ont contribué à forger mon opinion, ou à la renforcer.

À l’été 1995, j’étais « journaliste » dans un hebdomadaire local, sur la Côte-Nord. Au Canada, la plupart des étudiants, surtout ceux des régions, ont à prendre un travail d’été pour financer leurs études en ville. La campagne battait son plein, les chefs faisaient le tour Québec, multipliant assemblées partisanes et rencontres avec les médias. Dans mon coin perdu, mes confrères et moi avions surtout à assister aux conférences de presse insipides de représentants locaux qui nous récitaient la propagande leurs partis respectifs. Malgré ma jeunesse et mon peu d’expérience, je les trouvais tellement pathétiques, ces représentants. Au bulletin national, l’organe d’un parti lançait son thème de la semaine, et le lendemain, le plus prévisiblement du monde, le gars local nous invitait pour nous lire sa ration hebdomadaire de slogans pré-mastiqués. La « cassette », comme on dit chez nous. Ce qui était soûlant, c’est que ces pots-à-fleurs refusaient d’émettre un quelconque commentaire sur des thèmes locaux. La direction des communications de chaque parti tenait ses porte-parole bien en laisse. Sur ce chemin vers un vote critique pour l’avenir de la nation, il était primordial d’éviter les dérapages similaires à celui des Yvettes. En gros, c’était un été génial à la télé, mais ennuyant au village. Mais bon, nous savions qu’un beau matin, le grand autobus bleu du PQ finirait par passer dans notre coin. Politique québécoise oblige.

C’est donc cet été là que me fut donnée la chance d’interviewer le chef des forces péquistes, monsieur Jacques Parizeau. Il est un de ces politiciens magnifiques, old-fashioned, un peu théâtraux. Encyclopédique et charismatique, monsieur Parizeau nous est d’autant plus engageant qu’il cache mal sa gourmandise des belles choses. Il jouit d’une vivacité d’esprit admirable, qui fait de lui un rhétoricien hors-pair.

Parmi ses petites manies, monsieur Parizeau a celle de nous lire de petites cartes qu’il sort de la poche intérieure de son veston, cartes sur lesquelles figurent des citations qui corroborent son message politique. Je trouve le petit stratagème charmant. Un homme de ce calibre n’a pas besoin d’aide-mémoire. Mais avec la petite carte, il se rapproche de son interlocuteur, en donnant l’impression qu’il a lui aussi, parfois, besoin de consulter ses notes. La petite carte est aussi intéressante parce qu’elle donne du poids à la citation. C’est un peu comme dire : « C’est pas moi qui l’invente; c’est écrit ici. »

Le jour où je l’ai interviewé, monsieur Parizeau a utilisé une de ses petites cartes pour répondre à ma question sur l’avenir économique d’un Québec souverain. Le bout de carton citait la prestigieuse agence de notation financière Moody’s. En gros, ça disait à peu près ceci : « La fin du débat référendaire aura un effet bénéfique sur l’économie du Québec. » Rangeant sa petite carte, le chef souverainiste a enchaîné en arguant que l’accès à l’indépendance ne pouvait être que positive pour le Québec, ajoutant quelque chose de bien senti comme « Et c’est pas moi qui le dit! C’est Moody’s en personne! »

Dans ma tête, je me suis dit : « Quel artiste! » Ce que j’avais vraiment envie de répondre au chef péquiste, c’est ceci : « Monsieur Parizeau, vous essayez de m’entuber. Ce qu’il dit votre carton, c’est que la FIN du débat sur la souveraineté sera positive. Mais ce débat, votre parti persiste à l’entretenir depuis 15 ans, et contre la volonté d’une majorité de Québécois. » Malheureusement, en ti-cul de 23 ans, je n’avais pas les couilles de m’adresser ainsi à un Premier Ministre. Occasion manquée. J’ai souri un peu, quelques années plus tard, lorsque j’ai vu monsieur Parizeau utiliser le même petit carton devant une assemblée d’étudiants. L’homme a son style bien à lui.

À la fin de l’été, de retour à Québec pour débuter ma maîtrise (que je n’ai pas terminée, soyez rassurés), j’ai trouvé dans ma boîte aux lettres un petit livret de propagande souverainiste. Il expliquait l’entente survenue le 12 juin 1995 entre les trois partis de la coalition du « oui », soit le Parti Québécois, le Bloc Québécois, et l’Action Démocratique. C’est un texte que j’ai lu avec attention. Et j’y ai trouvé une autre raison de douter de l’honnêteté des souverainistes. À un endroit, on y disait qu’après un vote en faveur de l’indépendance, le gouvernement du Québec ferait preuve de bonne foi en donnant à Ottawa une année pour négocier les termes de la sécession. Ce délai expiré, qu’il y ait entente ou non, la souveraineté du Québec serait déclarée unilatéralement.

Une année de négociation. Une seule petite année! Tout politicien digne de ce nom sait très bien que de telles négociations ne pourraient aboutir en douze mois. Le cheminement qui a mené au traité de l’Aléna a duré presque quatre années. Le traité de Maastricht sur l’Union Européenne est le fruit d’une gestation longue de 30 années. Et ces deux négociations ont réuni des partenaires engagés vers un objectif commun. Clamer sa « bonne foi » parce qu’on a généreusement accordé douze mois aux négos, surtout quand il s’agit d’un divorce, c’est mentir à la population. Et c’est même vouloir abuser de la candeur des gens, car aucun État n’accepterait de participer à des discussions devant mener à son morcèlement par une de ses provinces. Ce serait complètement absurde.

Le soir du référendum, le camp du « Non » l’a emporté par une courte victoire. Par la peau des dents, comme on dit, le Québec a échappé aux desseins du PQ. Mais mon vrai soupir de soulagement, je l’ai poussé après le discours de Jacques Parizeau. Je vous rappelle ses mots : « C'est vrai, c'est vrai qu'on a été battus, au fond, par quoi ? Par l'argent puis des votes ethniques, essentiellement. »

Comme le reste du Québec, j’ai été estomaqué par le fameux raccourci « argent + votes ethniques » du chef péquiste. Ce soir là, les premières boîtes de scrutin dépouillées pointaient fortement (et faussement) vers une victoire du « oui ». On a souvent entendu la rumeur selon laquelle, au vu de ces résultats positifs, monsieur Parizeau aurait commencé à célébrer par anticipation. Et que son discours, plutôt brouillon et visiblement amer, était celui d’un homme éméché. En échappant cette mauvaise formule, j’ai l’impression que monsieur Parizeau nous a livré le fond de sa pensée. Qu’il a mis à nu ce trait de mauvais nationalisme qui surnage au sein du PQ. Ce genre de nationalisme hermétique, rétrograde et xénophobe, qui nous fait honte parfois. In vino veritas.

Dans les jours qui ont suivi le référendum, les péquistes avaient un peu la gueule de bois. Grognons, ils ont crié à l’injustice à propos du rassemblement sur la Place du Canada. Trois jours avant le vote, les forces fédéralistes avaient réuni 150 000 citoyens d’autres provinces canadiennes, afin qu’ils puissent souligner leur attachement au Québec. Geste de propagande, certes. Pour se rendre au Unity Rally, ces personnes avaient bénéficié d’importants rabais sur leurs billets d’avion ou de train. Les souverainistes ont argué que ces rabais auraient dû figurer au rapport de dépenses du Comité du Non, et qu’il y avait là violation de la loi électorale.

Peut-être. Mais on parle ici d’un geste de propagande dont les effets sont difficilement mesurables. Comment évalue-t-on les retombée d’un « love in », illégal ou non, en termes de voix dans l’urne? Si injustice il y a, elle est bien pâle en comparaison de l’affaire des bulletins rejetés. Dans la circonscription de Chomedey, fortement fédéraliste, plus de 11% des bulletins ont été déclarés nuls, alors que la moyenne de rejets dans l’ensemble du Québec était de 1,8%. Dans d’autres circonscriptions majoritairement en faveur de l’unité canadienne, comme Marguerite-Bourgeoys ou Laurier-Dorion, le taux de bulletins rejetés oscillait entre 3,5% et 6%, encore très au dessus de la moyenne. Quand on sait que les scrutateurs du référendum ont été choisis par le parti souverainiste, ça sent très mauvais. Cette grossière entorse à la démocratie serait facilement quantifiable. Toutefois, la Loi référendaire (adoptée par le PQ, tiens donc) empêche la réouverture des urnes. Dans les mois qui ont suivi le référendum, des accusations ont été portées, sans aboutir à une condamnation. Malgré les hauts cris de comités anglo-québécois, le scandale a été étouffé dans les médias. Tout ça sous le règne d’une formation politique qui se proposait de diriger un nouvel État « démocratique » .

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Le soir du référendum de 1995, après son fameux « l’argent puis des votes ethniques », Jacques Parizeau a évoqué « la prochaine fois ». En somme, il a décidé de faire fi de cette petite carte qu’il aime bien citer. Vous savez, celle de Moody’s à propos de la fin du débat sur la souveraineté. Deux fois non, il semble que ça ne soit pas assez pour la minorité souverainiste, peu importe le prix économique.

Pendant la campagne référendaire, on a souvent entendu les péquistes dire qu’en démocratie, il suffit d’une voix pour l’emporter. Selon eux, 50% plus une voix, c’est assez pour faire la souveraineté. Moi, ça me paraît peu pour une décision aussi critique. Je ne sais pas trop ce que vous en pensez, mais il me semble que c’est risqué de faire sécession avec seulement 50% d’appui populaire. Certains choix commandent qu’on soit plus qu’à moitié convaincu.

Chose certaine, si on parle de respecter la démocratie, il faudrait commencer par respecter ces DEUX fois où une majorité a gagné son référendum.