samedi 31 janvier 2009

Noir-o-mania


Source photo : wikipedia.


Cet article de la Cyberpresse m’a laissé une impression étrange. Si le lien ne fonctionne pas, le titre est : « Un Noir élu à la tête du parti républicain ». Et le lead de l’article dit : « Les républicains ont élu pour la première fois vendredi un Noir, Michael Steele, pour diriger leur parti, dix jours après l'investiture du premier président noir des États-Unis Barack Obama. »

Tout ça m’a laissé songeur. Mon premier réflexe, ça a été de me dire que les républicains font de la récupération. Une manière maladroite de se mettre au « goût du jour ». Comme si Barack Obama était une nouvelle saveur qu’on pouvait imiter. Ça m’a fait pensé à ce moment de l’histoire du rock, quand Nirvana a percé, rendant obsolètes en quelque semaines tous les groupes heavy metal des années 80. D’un seul coup, les vieux du rock on rangé leur spray-net et leur leggings en spandex rose, qu’ils ont remplacés par la chemise à carreaux, le vieux pull mité, et le jeans déchiré. Voulant surfer sur la vague, les multinationales du disque se sont mises à fouiller toutes les armoires de Seattle pour nous sortir des quatuors d’héroïnomanes désabusés jouant sur des guitares vintage fêlées.

C’est un peu triste qu’on pense pouvoir se fabriquer son petit Obama en plaçant sous les projecteurs le premier noir qu’on a trouvé. À mes yeux, la couleur d’Obama n’a pas grand-chose à voir avec son élection. Les noirs comptent pour 14% de la population des USA. C’est pas avec 14% de l’électorat qu’on aurait pu battre l’équipe Clinton. Et « noir », c’est un drôle de terme. À partir de quand on est noir? Y’a-t-il un seuil officiel de négritude? Barack est-il noir? Sa mère biologique était blanche, et il a grandi à Hawaii. Selon moi, Obama doit sa victoire à son charisme. À sa capacité de nous faire espérer. Il a donné au monde l’impression que les choses pouvaient changer. Obama, c’est Kennedy version 2.0. La couleur n’a rien à voir dans son succès. Tout au plus, c’est une valeur ajoutée, un beau message de l’Amérique, pour l’Amérique, et pour le monde.

Mais après un moment, je me suis dit que ce Michael Steele est peut-être le candidat le plus qualifié pour le poste. Peut-être que les républicains n’ont pas promu un noir par opportunisme, mais simplement parce que c’était leur meilleur homme. Je suis sérieux ici, je ne fais pas de l’ironie. D’une certaine manière, j’ai peut-être un préjugé envers les républicains, pensant qu’ils sont nécessairement petits et mercantiles. Faut pas ramener ce parti à George Walker Bush. Lincoln était républicain, tout comme Eisenhower. Et j’affiche peut-être un préjugé en réagissant comme si la promotion d’un noir relevait nécessairement d’une tentative de se donner bonne conscience. La presse a peut-être le même préjugé, surtout que l’article tourne autour du fait que le mec est noir. Pourquoi la presse nous parle-t-elle tout à coup de la direction du parti républicain, un poste dont les responsabilités sont plutôt administratives, et dont le monde se fout complètement? Et quand Clinton a été élu, nous a-t-on dit « Les USA se choisissent encore un président blanc »?

Là je relis l’article et je note comment on orthographie le mot « noir ». Notez la majuscule : « Un Noir élu à la tête du parti… ». Après, ça dit : « … premier président noir… ». Donc, majuscule pour le nom et minuscule pour l’adjectif, comme pour « un Français » et « un ivrogne français » (excusez le pléonasme). Tout à coup, je me demande si être noir est une nationalité. Il y a peut-être un fond culturel qui unit les n(N)oirs, mais j’ai l’impression que le n(N)oir de la banlieue de Chicago est aussi loin du Sénégalais qu’un b(B)lanc de Thunder Bay. À ce je sache, la négritude n’est pas délimitée géographiquement. Alors peut-on dire qu’un b(B)lanc élevé par une famille de Jamaïcains est un Noir (avec la majuscule)? Ça commence quand le « Noir »? Si ça se limite à une affaire de pigmentation, est-il correct de mettre un « N » majuscule? Et qu’écrit-on déjà : juif ou Juif, catholique ou Catholique, chevalier de Colomb ou Chevalier de Colomb? Et si l’idée un peu absurde mais souvent colportée que la négritude établit automatiquement un lien de fraternité entre un Congolais et un Californien, est-ce qu’on peut dire la même chose d’un Finlandais et d’un Australien, simplement parce qu’ils sont tous les deux blancs? Et qu'est-ce qu'il veut le n(N)oir: être « noir » ou être « Noir »? Souhaiterait-il être « blanc » et si oui, à quel pourcentage?

Que c’est bizarre tout ça… Je commence à être très mélangé. Je me dis qu’à tout vouloir catégoriser, on finit par s’empêtrer dans nos zones grises. En plus, le fait d’insister constamment sur « noir » ou « blanc » ou « chinois » n’aide en rien notre espoir d’un jour se débarrasser du petit coccyx de racisme qui persiste dans notre cerveau reptilien.

Ensuite, j’essaie de m’imaginer dans la peau d’un n(N)oir. Même si c’est impossible, parce que je ne suis pas n(N)oir. Mais aussi parce que, comme mentionné plus haut, un n(N)oir de la banlieue de Chicago et un Sénégalais noir doivent vivre leur négritude respective de manières bien différentes (je dis Sénégalais noir parce qu’il doit bien exister des Sénégalais blancs, ou café-crème, ou même jaune). Alors dans la peau de quel n(N)oir je me mets? Peu importe… Donc, comment je réagirais si j’étais n(N)oir et que l’élection de Michael Steele n’était qu’une récupération? Est-ce que je serais furieux, me disant que le n(N)oir est maintenant réduit à une mode, et que dans une situation donnée je pourrais être préféré non pas pour mes qualités intrinsèques, mais plutôt pour officier à titre de « nègre de service »? Me sentirais-je réduit à l’état de remplaçant potentiel du chihuahua de Paris Hilton, cette petite bête affectueuse mais plus vraiment fashion en 2009? Ou plutôt, est-ce que je serais heureux, me disant que, mode ou non, je vois enfin arriver une époque ou ma couleur n’est plus prétexte d’exclusion, mais plutôt une sorte d’avantage social?

C’est compliqué tout ça. Et ça m’ennuie. Peut-être devrions-nous devenir aveugles pour quelques générations. En tout cas, ça me fait penser à une vieille blague qui m’avait bien fait rigoler. Un chauffeur de bus de Montgomery en Alabama était très fatigué des tensions raciales qui venaient perturber son trajet. Un jour, après une escarmouche entre un blanc et un noir, il péta les plombs. Il stationna son véhicule, se leva, et cria aux passagers : « C’est fini ces conneries raciales? À partir d’aujourd’hui, y’a plus de noirs, y’a plus de blancs! Dans mon fucking bus, tout le monde est vert! Vous m’entendez? VÉ – E – ER – TÉ : VERT! Alors, les vert foncé, vous allez vous assoir derrière et vous fermez votre gueule! »

(P.S. – j’ai utilisé dans ce texte le mot « négritude » dans sa définition de courant réunissant l'ensemble des valeurs économiques, politiques, intellectuelles, morales, artistiques et sociales des peuples d'Afrique et des minorités noires d'Amérique, d'Asie et d'Océanie, tel que rapporté par Wikipédia. Et surtout, ne commencez pas à me traiter de raciste. Je ne le suis pas vraiment plus que vous, que vous soyez b(B)lanc ou n(N)oir. Même qu’à force de vivre à Paris, j’ai l’impression que tout le monde a le teint verdâtre.)


mercredi 28 janvier 2009

Ze Grève (part II)



Avant qu’on m’empaille parce que j’ai osé remettre en question la pertinence d’une des plus sacro-saintes institutions de la République, et avant qu’on me serve un éloquent « Si t’es pas content, t’as qu’à aller te faire voir chez les Eskimos », j’aimerais préciser ma pensée au sujet de la grève.

La grève en soi, elle me fait pas trop chier. J’ai du poids à perdre, alors c’est bon pour ma santé de marcher un peu et de livrer quelques rounds de boxe dans les transports publics. Non, ce qui me méduse, c’est plutôt d’entendre les gens râler contre, pour ensuite se prononcer en faveur dans un sondage. J’essaie de comprendre la France, aidez-moi un peu siouplaît.

L’autre point qui me laisse perplexe, c’est le flou artistique qui entoure l’événement. Que peut espérer une foule qui se prononce simultanément et cacophoniquement sur environ 38 sujets, à coups de formules vaseuses comme « Il faut mettre du social dans la relance »? Quel gouvernement pourrait être inquiété par ce genre de demande? Moi, si vous voulez, je m’engage sur le champ à « mettre plus de social dans la relance ». Pas trop difficile. Suffit d’ajouter un fonctionnaire de l’éducation dans un sous-comité du ministère des Finances. J’aurai mis plus de social de la relance; personne ne pourra le nier.

Si au moins les revendications étaient nettes, coupées au couteau. Le genre de truc auquel on est forcé de répondre oui ou non. Augmenter le SMIC de 50 centimes l’heure. Diminuer telle taxe à la consommation de 1%. Fixer un plancher de X pour ceci, établir un plafond de Y pour cela. Mais là, avec des trucs flous comme «des mesures urgentes pour surmonter la crise », y’a pas de quoi faire trembler un gouvernement.

Moi, si j’étais Nicolas, je passerais la journée bien peinard chez moi à regarder des rediffusions de Walker Texas Ranger. Puis, en fin de journée, je monterais sur une tribune, devant une foule de figurants déguisés en manifestants. Et j’y ferais un beau discours lénifiant rempli belles promesses toutes aussi creuses que les revendications.

Source photo : wikipedia.


« Français, Françaises, nous vous avons EN-TEN-DUS. (applaudissements -- lancer des fleurs aux manifestants) JAMAIS la France n’a laissé entendre sa voix avec une telle FORCE, signe de sa VIGUEUR IN-DU-BI-TABLE! Vous, citoyens, citoyennes, êtes le CŒUR de notre nation, ses VALEURS et sa FIÈRTÉ. (la foule se réchauffe) Vous êtes la VOIX de ce pays; nous devons vous É-COU-TER, et nous nous y EMPLOIERONS! (tonnerre d’applaudissement, au moins 30 secondes) Je vous en fais la PROMESSE SOLLENELLE! (les applaudissements se poursuivent). Dès demain, moi et Carla débuterons la mise en place d’une série de mesures visant à remettre du SOCIAL DANS LA RELANCE! (autoritaire) Nous FORCERONS le monde financier à se RECENTRER SUR LE CŒUR DU MÉTIER! Les conditions de travail seront A-MÉ-LIO-RÉES! (le poing dans les airs) ENSEMBLE, et surtout grâce à VOUS, nous SURMONTERONS LA CRISE! (la foule est en délire, le président vient d’acquiescer à toutes ses demandes) »

Et voilà. Nicolas peut rentrer et dormir tranquille. Le lendemain, les métros n’auront pas de retard à Gare de Lyon. Sur l’avenue des Champs-Élysées, au lieu des slogans on entendra les habituels klaxons.

Parce que la grève de jeudi n’est qu’un petit rot de castrat. La carte postale jaunie d’un lointain mai 68. On la fait par habitude, parce que ça a déjà marché. En principe, son objectif est de faire trembler les politiciens. Mais ça ne fonctionne plus. Ils s’y sont habitués. Ils savent comment la gérer. Selon moi, si mai 68 a si bien fonctionné, ce n’est pas parce que les gens faisaient la grève : c’est parce que c’était inédit. Ce que j’ai remarqué dans tous les documentaires que j’ai vu sur le sujet, c’est que les dirigeants de 68 étaient tétanisés. Terrorisés. Ils ne comprenaient pas le mouvement. Ils sentaient le pouvoir leur glisser des mains, et ne savaient plus quoi faire pour le récupérer. La grève n’est qu’une tactique. L’important, c’est de faire osciller la balance du pouvoir. Or, aux échecs, tu me déstabiliseras une ou deux fois avec ta nouvelle tactique. Mais après un moment, je saurai comment la parer.

Les Français croient encore en leur démocratie. Ça les pousse à descendre dans la rue. C’est très honorable. Nous, Canadiens, désabusés par nos politiciens grisâtres, soporifiques et ratoureux, nous ne pouvons que lever notre chapeau à la France. Le geste est beau. L’espoir existe. Mais selon moi, les citoyens doivent revoir leur stratégie. Ça ne sert plus à grand-chose de paralyser le pays pendant quelques heures. Ce qu’il faut, c’est faire trembler le politique avec des moyens inattendus. La ligne Maginot, vous connaissez? Alors passez par les Ardennes et par Sedan. Il me semble que c’est ça le devoir social des temps à venir : être créatif. Réinventer le mouvement. Et faut peut-être pas attendre ça de gens qui ont écrit la boutade : « Moi, j’suis pas payé pour réfléchir ». D’ailleurs, si mes sources sont bonnes, ce ne sont pas les grands syndicats ont lancé mai 68. Ils s’y sont associés. Mais le mouvement venait de plus bas.

En attendant, moi je marche et c’est bon pour ma santé. Bonne chance au citoyen. Je lui souhaite d’être entendu. Sincèrement.


mardi 27 janvier 2009

Enfin la grève



Ça fait des mois qu’on me dit ça sur le ton des grandes vérités catholiques : « Aaahhh, tu connais pas la France tant que t’as pas vécu ta première vraie grève. » Alors je vais enfin la connaître, la France. Le jeudi 29 janvier, c’est grève totale à travers tout le pays. Les transports, le système d’éducation, l’audiovisuel public, la poste, France Telecom, les aéroports, la justice, les banques (!), et même les PME. Armageddon. C’est à se demander si les poules pondront. Ce jeudi, la France est à « off ».

Le prétexte de cette paralysie globale, selon la Voix du nord, est on ne peut plus flou : « Demander des mesures urgentes pour surmonter la crise ». Yeah right, comme si Nicolas à lui tout seul pouvait régler le problème. Peut-être que Carla a des idées? Ou pourquoi pas Ségolène! Le Monde rapporte que les syndiqués des milieux financiers exigent aussi « l’amélioration des conditions de travail » et « la nécessité de se recentrer sur le cœur du métier ». Autre revendication creuse tirée de l’Express : « Il faut mettre du social dans la relance ». Donc, puisque c’est comme ça, j’aimerais unir ma voix à celle des manifestants en proposant mes propres revendications : « Je réclame que soient avancées des pistes de discussion visant à promouvoir une amélioration notable de la joie dans les cœurs de la collectivité, préférablement de manière individuelle et équitable ». Ainsi que « J’ordonne que dans l’avenir on envisage des moyens de donner au Peuple français les moyens d’envisager son avenir, si possible dans un ordre préalablement convenu, sauf le dimanche et les jours fériés, en respect des libertés multiculturelles, et dans le souhait d’une cohésion globale des efforts requis pour un vingt-et-unième siècle en constante mutation au cours duquel nos acquis seront évoqués de façon discernable ».

Malheureusement, je ne peux pas joindre le groupe des manifestants, parce que je fais partie du groupe de ceux qui doivent travailler pour être payés. Je fais partie de cette majorité de petits crétins de capitalistes qui veulent travailler, par choix, ou en grande partie par nécessité. Ces moutons qui n’ont rien compris et qui joueront du coude, ce jeudi à Châtelet, dans l’espoir d’attraper l’éventuel métro des « services essentiels ». Un métro qui sera certainement bondé de manifestants en route vers l’Élysée. Mon autre option, c’est de marcher. J’ai calculé environ quatre heures de marche pour l’aller-retour entre chez moi et le travail. De Nation à La Défense, deux fois. C’est le tout nouveau GR-29J.

Source photo : wikipedia.


Cette majorité de petits travailleurs abrutis par le système, on l’entend râler sur les blogs. Ça dénonce. Ça déchire sa chemise. Ça parle de prise d’otage. Ça vilipende les conducteurs de train qui, pour une rémunération dans la belle moyenne, travailleraient dans des conditions rêvées. On parle de 25 à 30 heures par semaine. Treizième mois annuel (lire bonus annuel de 8,5%). Âge moyen de la retraite à 54 ans avec 85% du salaire. Quatre mois de vacances annuelles. Et multiplication des primes : prime de qualification, prime de rendement, prime de dimanche, prime de travail de nuit, prime de salissure ou prime de soudure. Moi, je n’ai pas vérifié, alors je ne peux pas certifier ces affirmations. Reste que la petite classe moyenne, celle qui n’a pas de primes et juste cinq semaines de vacances, elle grogne très fort contre la grève.

Et pourtant… Selon Le Parisien/Aujourd'hui, sept Français sur dix déclarent 'soutenir' ou 'avoir de la sympathie' pour la mobilisation de jeudi. 70% des gens en faveur de la grève. Obama, que tous adorent, obtient un taux de satisfaction moindre pour les premiers jours de son mandat : 68%. Donc, tout le monde râle contre la grève, mais la très grande majorité l’appuie.

Finalement, je ne suis pas certain de mieux comprendre la France. Chose certaine, si ce pays à donné naissance à Descartes, il n’en a rien à cirer de la logique dite « cartésienne ». En fait, je commence à croire que comprendre la France exige d’abandonner tout système de pensée fondé sur la logique. D’une certaine manière peut-être que ce pays est une sorte d’espace poétique. Une nation qui s’abreuve de métaphores. Un lieu où l’auto-contradiction, comme le contraste en Pop Art, jouit du statut d’argument. Où l’affirmation et son contraire s’unissent dans une propension vers la stabilité doucereuse du zéro absolu. Il n’y a pas si longtemps, après son élection au PS, Martine Aubry disait d’un seul souffle qu’elle acceptait le résultat tout en contestant le processus. Et même si 47% des Français ont appuyé le PS aux élections présidentielles de 2007, je ne trouve jamais personne qui déclare haut et fort : « Moi, j’ai voté pour Ségo ». Dans le contexte d’un pays gouverné à coups happenings sociaux, la grève est peut-être une sorte de manifestation artistique où se mêlent toutes les revendications. Un Woodstock du ras-le-bol? Un cri collectif dans une lignée expressionniste-abstraite. (Wow, je pourrais écrire la préface d’un Taschen! Est-ce que c’est bien payé?)

C’est quand même bien la grève, car je prendrai jeudi une grande marche de santé. Ça me donnera le temps de réfléchir un peu. À des moyens de pression syndicale qui pourraient faire chier le dirigeant, et non le petit travailleur. On pourrait par exemple ouvrir toutes les guérites des métros et faire une journée de transports gratuits. Les policiers pourraient émettre des PV aux limousines. Aux Halles, les fonctionnaires de l’immigration pourraient renouveler les titres de séjour sur simple présentation d’un sourire. Les syndiqués du secteur financier pourraient empêcher pour une journée tout retrait ou dépôt sur les comptes de l’État. Ou sur les comptes des conducteurs de train; ça serait bien, de leur servir leur propre médecine. Je pourrais aussi songer à joindre un syndicat et profiter de journées payées à ne rien faire…

Tiens donc! Et si c’était ça le vrai objectif de la grève : grossir les rangs. Une simple guerre de pouvoir où les travailleurs servent de chair à canon dans un affrontement entre chefs d’État et chefs syndicaux. Belle hypothèse. De quoi occuper les esprits des bataillons qui marchent, sans solde, pour dénoncer la diminution de leur pouvoir d’achat. Ou des petits fantassins qui tentent de sauver leur peau dans la tranchée d'un RER paralysé.


dimanche 25 janvier 2009

À l’anglaise


Source photo : wikipedia.


J’ai filé, comme on dit, à l’anglaise. J’ai prétexté que j’allais faire pipi dans un autre bar et je suis sorti. C’était décidé, je rentrais chez moi. J’en avais assez, j’étais un peu paf, fatigué, et j’avais envie de prendre l’air avant de me coucher.

La soirée avait commencé après le travail. Le banal et presqu’habituel verre du vendredi. Un collègue, François, est venu nous rejoindre. Il venait d’apprendre son licenciement. Il avait sa veste sur le dos et s’apprêtait à partir quand les patrons l’ont attrapé pour lui passer la nouvelle. Dégraissage, crise financière, contexte difficile, première d’une série de coupe, bla bla bla. François faisait partie des gens qui étaient un peu suspend, entre deux projets. C’est mon cas aussi, alors je verrai bien demain ce que l’avenir me réserve. Quand j’ai quitté vendredi, les patrons étaient avec François. Je figurais peut-être à leur agenda, mais je les aurai pris de court.

Donc, ce qui devait être une petite pinte avant de rentrer chez soi s’est éternisé un peu. Certains étaient trop heureux de saisir au vol une bonne raison de donner libre expression à leur ivrognerie. Après avoir fermé le Valmy (20h00) et un autre endroit dont j’oublie le nom (22h00), nous nous sommes dirigés vers Bastille. J’aime pas trop ce secteur. Trop de monde. Évidemment, nous avons échoué dans un bar trop plein. Je ne suis pas marathonien de l’ivresse; les quatre pintes que j’avais jusque là savourées suffisaient amplement pour confondre mon esprit. Il faisait trop chaud, et le temps d’attente au WC me semblait long. À Paris se combinent deux pratiques fâcheuses pour tout buveur de bière : les estaminets sont chiches sur le nombre de toilettes, et certaines personnes prennent trop de temps. Je ne comprends pas qu’on puisse rester plus de deux minutes dans les toilettes d’un bar, surtout à Paris. Le lieu n’est jamais agréable. Vous soulignerez qu’on puisse aussi avoir envie de caca. Ce à quoi je réponds qu’on ne devrait jamais faire caca dans un bar. Quel lieu immonde pour poser ses fesses. Si on a vraiment envie, il y a toujours à proximité des options plus sanitaires. Et quant aux dames qui en profitent pour retoucher leur coiffure pendant 10 minutes, il faudrait leur expliquer qu’après minuit, l’alcool a des pouvoirs cosmétiques qu’envient bien des chirurgiens. Même que vers deux heures du matin, ci ces messieurs se sont bien arrosés, une femme endormie dans son vomi conserve encore une partie des charmes du sexe faible.

Donc, j’ai filé, seul avec mon manteau et mon envie de pipi. Ce n’est pas la première fois que je fais le coup. C’est presque même une habitude. C’est ma manière à moi d’abandonner, de jeter les armes devant plus buveur que moi. Certains pourraient qualifier le geste de lâche. Je crois plutôt que c’est de la paresse. Y’a-t-il plus lourd dans la vie qu’une bande d’ivrognes s’objectant au départ d’un des leurs. « Non Paul, t’en vas pas! Non, reste! Un dernier verre! » Ces gens-là sont prêts à toutes les bassesses. Quand ce n’est pas la manipulation émotive (« Tu peux pas nous faire ça! »), ils s’accrochent à toi comme à une bouée au milieu d’un océan de bière. Il y en a toujours un pour te commander un verre en vitesse pendant que tu dis au revoir aux autres. J’ai même déjà vu un copain cacher ma veste pour m’empêcher de partir. Plutôt que de devoir affronter cette guérilla gluante, je préfère filer en douce.

En plus, ça me procure toujours une petite excitation. Sortir sans être repéré, c’est plus compliqué qu’on le croit. L’homme en état d’ébriété garde son sens de la densité des choses. Dans un bar bien rempli, un vide suspect se crée pendant un petit moment à l’endroit qu’on vient quitter. Et une fois dans la rue, on risque toujours de croiser un copain en train de fumer. La fameuse excuse du « je vais m’acheter des cloppes » est totalement inefficace. D’un air suspicieux, regard en coin, le copain te dira : « J’en ai, prends-en des miennes. » Et s’il n’a pas de cigarette à t’offrir, il dira : « J’ai besoin d’en acheter moi aussi, je viens avec toi. » Pas question de te laisser déserter. Si on ne rencontre personne, il faut attendre au moins 200 mètres avant de se considérer à l’abri de toute reprise. Au moment où on se sait à l’abri, c’est très grisant.

C’est impoli comme manière de partir, mais je suis persuadé que ça crée un peu de distraction dans mon entourage. Un petit moment théâtral qui vient pimenter la soirée. J’imagine très bien mes copains faire le compte et réaliser que je ne suis plus là, 30 bonnes minutes après mon départ. Je les vois bien animer le bar en gueulant aux inconnus « Paul! Paul! Mais où es-tu! » jusqu’à ce que le barman leur fasse signe de son impatience. Ça laisse place à l’imagination. C’est saugrenu. Même qu’au bureau, ça fait quelque chose à raconter d’une cuite qui, sans ma défection impromptue, aurait sans doute été sans histoire. Ça fait la boucle entre le vendredi soir et le lundi matin. Ça donne un prétexte pour fraterniser devant la machine à café. Et c’est plus amusant que de raconter le dernier film qu’on a vu.

D’ailleurs, je ne crois pas que mes amis étaient fâchés. Juste avant que je monte chez moi, mon téléphone a sonné : « Paul! On t’aurais pas un peu perdu? » C’était Sylvain. Il avait le ton d’un gars qui a bien bu et qui trouve la situation rigolote.

(Dans l’éventualité de mon élection à la présidence française, j’aimerais dire aux petits scélérats qui seraient tentés de faire leur beurre en revendant des extraits de ce blog à la presse à scandale que son contenu relève de l’autofiction humoristique.)


mardi 20 janvier 2009

Basculements



Il y a un personnage que j’apprends à aimer de plus en plus en France : Ségolène Royal. Cette « souvent-mal-citée » m’inspire de profond moment de jouissance. La politique canadienne est truffée de comiques absurdes, mais personne n’arrive à l’ongle du petit orteil gauche de cette géante.

Sa dernière déclaration nous est rapportée par Le Monde, ici. Oh my God! Quel sens du timing en matière de récupération politique. Et quelle confiance en la France! Faut du courage pour oser dire un truc aussi gros sans craindre pour sa crédibilité.

J’ai l’impression que quelque part en France, il y a une boîte de pilules qui a été oubliée au fond d’un tiroir.

Pour poursuivre dans la même veine, une amie vient enrichir ma collection de basculements vers l’irrationnel, la mythomanie et la paranoïa, en me rappelant que la crise de la listériose achève lentement mais sûrement les petits producteurs québécois de fromages au lait cru (voir ceci). Le problème est complexe. J’ai l’impression que la listériose n’a pas grand-chose à voir avec la crise. Elle sert probablement de prétexte, un peu comme les armes de destruction massive l’ont été pour Georges Bush.

Source photo : wikipedia.


Je ne suis pas un expert du dossier. Je peux seulement dresser une sorte d’échiquier et spéculer. Les cas d’intoxications à la listériose relevés l’été dernier au Canada étaient majoritairement, sinon totalement dus à des produits de charcuterie industrielle et des fromages au lait pasteurisé. Pourtant, les entreprises les plus affectées sont les petites fromageries au lait cru : inspections intempestives du MAPAQ (Ministère de l’agriculture, des pêcheries et de l’alimentation du Québec), lots de fromage saisis ou jetés, méthode d’analyse contestées.

Il existe au Québec un organisme qui se nomme l’UPA, Union des producteurs agricoles. C’est joli comme nom. Ça laisse croire que ce syndicat défend le fermier et les artisans liés à l’agriculture. Mais en réalité, dans son rôle de représentation auprès des instances politiques, l’UPA a surtout pour premiers clients les méga-porcheries, les abattoirs géants et les industriels du lait. L’UPA jouit d’un pouvoir politique très fort. Toutes proportions gardées, il ressemble à la force qu’ont les centrales syndicales françaises. Le 29 janvier, en toute impunité, les syndicats français vont paralyser les transports du pays. Le seul prétexte de ce mouvement généralisé est de souligner l’importance de protéger les petits salariés en cette période de crise mondiale. Beaucoup de ces petits salariés devront donc prendre une journée sans solde, faute de transport, pendant que les grévistes, une minorité, toucheront leur compensation financière. Le même genre d’impunité qui a déjà permis à l’UPA de bloquer l’autoroute 20, principale tronçon du transport routier au Québec, sans qu’aucun policier n’abatte une matraque bien méritée. L’UPA, soit dit en passant, a ses entrées au MAPAQ.

Sur l’échiquier, il y a aussi le contexte de cette obsession de la sécurité qui affecte l’Amérique. Je dis souvent que bientôt au Canada, on remettra un casque à l’achat d’une baignoire. L’Américain moyen (et j’inclus le Québec) est pris dans un syndrome collectif de peur panique. Tout doit être propre, toute bactérie est un meurtrier qui dort. Le summum, je l’ai vu lors de mon voyage à Hawaii : le petit distributeur de serviettes enduites de désinfectant, pour nettoyer la poignée du caddie au supermarché. L’obsession de la vie sans risque. Un trauma du 11 septembre? Je ne sais pas. En Amérique, on craint maintenant son voisin et ses doigts contaminés.

Avant la listériose, les fromages au lait cru prenaient de plus en plus de place sur le marché québécois. Ils offraient une qualité gustative avec laquelle les industriels avaient peine à rivaliser. En plus, ils jouissaient d’une aura « nature / terroir / vache qui broute les marguerites », chose que perd l’industriel dès qu’il dépose son logo, même à la sauvette, dans la toute dernière image de son spot publicitaire stylé « nature / terroir / vache qui broute les marguerites ».

Sur mon échiquier spéculatif du fromage au lait cru, il me semble que toutes les pièces sont rassemblées pour une jolie élimination en toute discrétion : le puissant qui a des moyens, le faible qui n’en a pas, le contexte d’insécurité, et le prétexte de la listériose.

À l’été 2008, des Canadiens meurent après avoir ingéré de mauvaises charcuteries sorties de méga-usines ontariennes. L’affaire de la listériose éclate. Peu de temps après se crée dans les esprits l’association « fromage au lait cru = bactéries mortelles ». Dans la grande chaîne des causes et des effets, il y a comme un grand trou que mon échiquier pourrait combler.

Mais ce ne sont là que des spéculations tirées de mon esprit fertile. Elles sont mêmes presque romanesques. J’ai probablement été influencé par « Les bienveillantes », que j’ai lu récemment. Ce roman illustre avec éloquence la facilité d’éliminer quand le contexte s’y prête. Et dans « Une exécution ordinaire », que je lis en ce moment, on me montre comment contextes et prétextes peuvent être habilement créés quand vient le moment de purger, surtout si la providence se laisse trop attendre. Souvent, on dirait que « prétexte » rime avec « version officielle ».

Parlant de « prétexte », il me semble que pas mal d’entreprises saines et profitables font des mises à pied dans l’actuel « contexte de crise mondiale ». Mais peut-être que je deviens confus et parano. Je mêle les choses. Je dois être stressé ces temps-ci. Je vais prendre congé sans solde le 29 janvier pour penser à tout ça. Pour penser au très gros salarié qui décide pour le petit salarié. Et aussi à celui qui le « défend ». Et au petit salarié lui-même, qui parfois lève son index dans l’espoir d’attirer l’attention, mais pas trop haut et sans insister, car une matraque de CRS est si vite abattue.

En attendant, je vais aller regarder les reportages sur l’assermentation d’Obama. Je vais regarder les mecs en costard, avec leurs oreillettes et leurs petits micros. Et je vais bouffer un morceau de mon somptueux camembert au lait cru. Rien de mieux pour calmer mes angoisses existentielles. Maybe we can (if we try very very hard).


dimanche 18 janvier 2009

Puisqu’il le faut bien



Depuis un moment, j’ai un peu de difficulté à alimenter ce blog. C’est bien beau la France, et je sais que les Français adorent entendre parler d’eux-mêmes, mais je suis un peu à sec. La routine commence à s’installer. Dans mon esprit, ce pays glisse vers une sorte de normalité. Je m’habitue tranquillement à voir les Français préserver certaines zones patrimoniales de profonde non-productivité. Je m’habitue à boire du bon vin pas cher. Et aussi à manger de la vraie nourriture préparée pour des êtres humains.

Des amis expatriés m’avaient parlé ce phénomène. Il vient un temps où on est fatigué de tout observer à travers la lorgnette de la comparaison. Je n’ai plus envie « d’étudier » la France. Les musées de la révolution, les Versailles et les statues équestres m’intéressent un peu moins. J’ai de plus en plus envie de regarder passer les trains en bouffant de l’herbe. Assister à des conférences sur la théorie des cordes, pour un jour arriver à comprendre ce truc. Aller voir des spectacles. Sortir avec les copains. Lire un livre au parc. Faire des mots croisés.

Je ne peux quand même pas parler de fromages et de fonctionnaires pendant les douze prochains mois. De toutes manières, mon opinion est maintenant figée : le fromage est bon et le fonctionnaire est con. Alors je n’ai pas envie de perpétuellement ressasser les mêmes trucs. Je ne sais pas quelle direction va prendre ce blogue. Je vais essayer de vous livrer mes surprises et déceptions, mais dans une direction plus large. Je vais essayer d’écrire des choses qui pourront vous intéresser. Si je tombe dans la liste d’épicerie, dans le quotidien banal, avertissez-moi. Il sera temps d’arrêter. Aujourd’hui, je solde certains sujets qui traînent depuis un moment.

Ticket-resto
Au pays de la carte à puce et des prélèvements bancaires mensuels automatisés persiste un système absolument byzantin, qui rend dingues les restaurateurs : le ticket-resto. Ce produit est un avantage social qu’offrent bon nombre de sociétés. À chaque mois, elles remettent à leurs travailleurs un petit carnet de chèques pour les aider à payer leurs repas du midi. Sympa.

Là où ça se complique, parce qu’on aime bien faire archi-compliqué de temps en temps, c’est qu’il y a plusieurs marques de ticket-resto. Et les petits chèques n’ont jamais un montant « rond ». Un patron décide qu’il donne 4.13 euros à ses employés. L’autre donne 5.39 euros. Lorsqu’on paie, il faut compléter avec de l’argent liquide. Un peu comme pour les cartes de crédit, les restaurateurs n’acceptent pas toutes les marques de ticket-resto. Et certains restaurateurs ne les acceptent pas en soirée.

Un serveur m’expliquait comment toute cette paperasse est gérée à la fin du mois. Il faut d’abord trier les tickets-resto de chacune des marques. Ensuite, à l’intérieur d’une même marque, il faut les regrouper par dénomination : une pile de 4.13 euros, une pile de 4.22 euros, une pile de 5.73 euros, etc. Ça fait beaucoup de petites piles. Ensuite, pour chaque pile, il faut produire un petit document de réclamation. Après, il faut se rendre en personne à l’un des six bureaux parisien d’une marque donnée de ticket-resto pour déposer ses réclamations et recevoir son paiement. Temps moyen d’attente : deux heures. Il y a au moins six marques de ticket-resto différentes, dont trois sont couramment acceptées. Si on compte le temps passé dans les embouteillages, un restaurateur perd mensuellement de huit à douze heure de temps de travail dans ce processus.

En l’an 3000, peut-être que la technologie sera assez avancée pour permettre d’émettre à l’employé une sorte de carte bancaire ticket-resto. Cette carte sera rechargée à tous les mois. Fin de la paperasse. En l’an 3000, il y aura peut-être une sorte de réseau de fils qui permettra les transactions bancaires électroniques. Une sorte de fil sur lequel passera l’information. Un peu comme le téléphone. Pour ceux d’entre vous qui ne connaissent pas le téléphone, c’est un appareil qui permet de parler à distance. C’est génial. On parle dans l’appareil, et la voix est convertie en signal électrique qui circule sur un fil de métal. On aime bien le cuivre, parce ça conduit bien l’électricité. Au bout du fil, un autre appareil transforme les signaux en son. Plus le fil est long, plus on parle loin. Ça fait rêver, non? Ceux d’entre vous qui ne savent pas ce que c’est l’électricité, allez voir sur Wikipedia, il y a une explication.

D’ici là, les sociétés émettrices de ticket-restos songent à mettre en place d’autres mesures visant à améliorer le système. Entre autres, il deviendrait obligatoire de faire ses réclamations sur des tablettes d’argile. Il est aussi question de convertir les diverses dénominations en chiffres romains. Et les sommes seraient exprimées en sesterces.

Source photo : wikipedia.


Au Grand Palais

Récemment, le Grand Palais m’a fait découvrir de belles choses. Premièrement, j’ai découvert avec joie que je déteste le peintre Emil Nolde. Figure importante de l’expressionisme allemand, il a peint de belles grosses bouses sans éclat, enfants bâtards de Gauguin et Van Gogh, exécutées avec la main d’un paralytique. Une naïveté forcée, beaucoup de croûte. S’il vivait aujourd’hui, il ferait sans doute partie de ce groupe d’artistes très sérieux qui enduisent leurs toiles de caca humain.

Heureusement, et aussi pour deux fois moins cher, le Grand Palais m’a offert « 6 milliards d’Autres ». C’est un projet de Yann Arthus-Bertrand (vous avez tous vu les photos « La terre vue du ciel »). Il s’agit de 5000 portraits vidéo tournés dans 75 pays. Des humains qui répondent à des questions simples, comme « Quel rêve avez-vous abandonné », « Qu'avez-vous appris de vos parents », et « Que représente pour vous l'amour ».

Il faut dire que cette expo partait de loin en ce qui me concerne. Elle est présentée dans un Grand Palais glacial ; le lieu n’est pas chauffé pendant la durée de l’événement pour faire écolo. C’est une espèce de village de yourtes, dans lesquelles les visiteurs se rassemblent pour regarder sur des écrans plasma des témoignages de gens pas beaux et sans maquillage. J’aime pas trop le mouvement « environnementalo-socialo-gaugauche ». Je le trouve trop moralisateur, parfois sectaire, et souvent obnubilé par une conception romantique du Bon Sauvage. Mais bon, j’avais payé et il y avait foule à l’expo Picasso.

De yourte en yourte, j’ai fini par me laisser prendre au jeu. Et j’ai fini par rire, et aussi presque pleurer (je suis un mec, quand même). D’ailleurs, une des questions était « Quand avez-vous pleuré pour la dernière fois ». Je me suis souvenu de ma dernière fois, quand j’ai quitté le Canada. Je me trouvais tellement stupide de partir loin de ceux que j’aime. Je le pense encore, même si la France est un joli pays. Même si c’est kétaine, Beau Dommage à raison : quitter ceux qu’on aime pour aller faire tourner des ballons sur son nez, c’est stupide. Point barre. Donc, à cette question un américain répondait qu’il avait pleuré à la mort de son chien. Opposé à son témoignage, un Africain disait qu’il avait pleuré à la mort de sa vache. Bon montage. Je ne sais pas si on avait voulu encore une fois me faire la morale avec « pays riche / pays pauvre », mais je m’en foutais. Je comprenais qu’on puisse s’attacher profondément à un animal de compagnie, même si c’est un ignoble chihuahua. Et je comprenais qu’on puisse lier une vraie amitié avec un animal de subsistance, en l’occurrence une vache presque neurasthénique. Pour combattre la solitude. Ou par gratitude dans la survie. Peu importe la raison.

Cette expo m’a rappelé pourquoi j’aime l’ordinaire de la vie, loin des paillettes et des osties de iPods dont on me gave. Je suis fatigué du cynisme, même s’il permet les meilleures blagues. Le cynisme, c’est franchement passé date. C’est drôle pour badiner et rigoler un peu, mais le cynisme blasé comme mode de vie, ça pue. Et je suis épuisé de la branchitude. Je me torche avec les cocktails dinatoires, les Blackberries, les tapas, etc. Moi, je veux être désespérément « out ». Pas rétro-cool, mais complètement « out ». Platte. Ordinaire. Je veux porter les vêtements d’il y a deux ans, pas encore assez vieux pour redevenir intéressants. Je veux m’en crisser. Je veux être une statistique. Dans l’anonymat, la liberté. Et j’espère que c’est « out » de vouloir être « out ». Alors à cette expo ça m’a fait du bien de voir du vrai monde parler de choses simples. Des gens qui veulent être enterrés dans leur pays natal. Des gens qui ont fait la guerre et qui ont réussi à réparer leur vie.

Les témoignages sont disponibles en ligne sur http://www.6milliardsdautres.org. Le site n’est pas totalement à la hauteur de l’expo. Mais allez dans les « témoignages 6ma », et cherchez par thème. N’oubliez pas de prendre des témoignages sous-titrés en français ou en anglais, parce que le roumain, ce n’est pas à portée de tous. Essayez « épreuves /mort » pour le fun. Écoutez. Vous allez vous sentir très humain. Il y a des courants de fond qui nous unissent beaucoup plus que la « génération Pepsi » ou le café Starbucks.

Arnaque marketing

Je crois qu’une des plus grandes arnaques du marketing depuis la création de l’univers est le yogourt avec les fruits au fond. Pourquoi les fruits au fond? Quelle valeur cela peut-il avoir pour le consommateur? Je comprends que l’industriel veuille sauver une étape de production, ne pas avoir à mélanger les fruits et le yogourt. Je comprends que la ligne de production soit plus efficace, qu’on ait seulement à remplacer la citerne de framboises par une citerne d’ananas. Un simple aiguillage de tuyaux.

Mais pourquoi l’inscrire sur le petit pot, comme si c’était une révolution dans le monde yogourt? Pourquoi essayer de nous faire croire que c’est vraiment plus cool quand les fruits ne sont pas mélangés? Pourquoi ils ne ferment pas leur gueule, tout simplement, au lieu de me prendre pour un idiot? Je m’en fous copieusement d’avoir ou non à mélanger moi-même les fruits et le yogourt. Ça prend trois secondes. Publicitaire, ferme ta gueule et ne me prend pas pour un con. Au moins, ment-moi un peu en me disant que tu me refiles l’économie de coûts de production en baissant le prix de vente. Je n’ai pas les moyens de vérifier, alors je vais te laisser le bénéfice du doute. Comme tout citoyen, le publicitaire est non coupable jusqu’à preuve du contraire, non? (Ha, ha, ha, et moi qui dit être fatigué du cynisme, quel mauvais menteur je fais…)


dimanche 11 janvier 2009

Le style textile



Je lis un bouquin de Haruki Murakami. Ça s’appelle « Kafka sur le rivage ». Ce n’est pas mauvais, mis à part quelques clichés. Comme celui de l’adolescent en révolte contre son père, mère absente, ami imaginaire, fugue, etc. C’est pas trop mal, en fait.

C’est Karine qui m’a donné ce livre, à Noël. En chemin vers Baie-Comeau, elle m’avait innocemment demandé si j’aimais la littérature japonaise. C’est bien Karine, ça. Lors d’un passage au centre d’achat, elle m’a aussi demandé si j’aimais une certaine chemise. Cinq jours plus tard, sa mère m’offrait ladite chemise dans un échange de cadeaux. Peut-être qu’un jour, elle me demandera innocemment si j’aime les trips à trois. En attendant, je fais des digressions.

Source photo : wikipedia.


J’aime bien les digressions en littérature. C’est comme un petit extra, une histoire dans l’histoire. En ces temps de crise, au prix où sont les livres, c’est bien quand un auteur fait un petit effort pour nous en donner plus. Ce que j’aime moins, ce sont les descriptions vestimentaires trop pointilleuses. Tu lis, et l’auteur t’indique que tel personnage porte un pantalon mauve à fines rayures vertes. En bon lecteur, tu cherches un sens. Une référence à quelque chose. Peut-être du symbolisme. Et trois pages plus loin, tu te rends compte que ce personnage était secondaire. Zap, disparu de l’histoire. Un passant. On ne t’a même pas donné son nom. Alors elles servaient à quoi les putains de fines rayures vertes?

Monsieur Murakami est un peu comme ça dans « Kafka sur le rivage ». Pas assez pour dégoûter un lecteur, mais juste assez pour que ça se remarque. Heureusement, il compense avec d’autres éléments très créatifs, et une bonne histoire qui encourage la poursuite de la lecture. Mais bon, ses descriptions vestimentaires m’énervent un peu.

Il paraît qu’un bon moyen de corriger un enfant qui veut goûter à la cigarette, c’est de le faire fumer jusqu’à ce qu’il dégueule. À titre de service à l’humanité, j’emploierai cette technique pour tenter de vacciner les auteurs dont le style est un peu trop textile. J’espère qu’ils tomberont un jour sur mon blog. Allons-y.

« En chemin vers l’Hôtel-de-Ville, où je devais récupérer le microfilm, je m’arrêtai dans un tabac pour acheter un paquet de Lucky Strike. La vendeuse qui me tendit mon paquet portait une chemise dont les carreaux étaient rouges et noirs. Cette chemise comportait dix boutons, dont deux étaient cachés sous un large carré de soie jaune porté en guise de ceinture. Ils avaient été cousus par une ouvrière chinoise, Fang Li Hu, dans une manufacture de vêtements en banlieue de Pékin. Madame Fang Li Hu, avant de devenir couturière, avait exercé à titre de coiffeuse dans un salon vert pomme de la rue Sanjing, non loin de la Cité Interdite (dont le palais impérial est rouge, soit dit en passant). Les boutons en question étaient faits de plastique blanc translucide censé imiter le nacre, mais dont l’éclat rappelait surtout le toc. Ils étaient tous boutonnés, sauf celui du collet. Ce collet était un collet Mao, détail inhabituel sur une chemise à carreaux, bien qu’elle eût été fabriquée en Chine. Je n’eus pas la chance de jeter un coup d’œil par-dessus le comptoir afin de vérifier quel type de chaussures portait la vendeuse. Mais à en juger par ses traits simiesques, je présumai qu’il s’agissait d’espadrilles rouge-grenadine à semelle blanche. Quoiqu’il n’aurait pas été surprenant que ces semelles fussent bleues, a bien y penser. Probablement bleu ciel. En caoutchouc, avec des rayures antidérapantes, pour ne pas déraper sur les trottoirs gris de l’hiver parisien, qui est tout sauf blanc. Alors qu’elle me tendait mon paquet, je remarquai aussi que la vendeuse avait seulement trois doigts, dont deux étaient jaunis par la fumée de cigarette, comme quoi elle avait du métier. Le troisième avait l’ongle couvert de vernis violet. Le quatrième, si elle en avait eu un, aurait sans doute porté quelque bague ou jonc censé lui rappeler un amour de jeunesse, peut-être un Sénégalais à la peau plutôt ébène, comme c’est l’habitude dans ce coin du monde. Quant au cinquième doigt, n’en parlons même pas, puisque toute description relèverait de l’hypothèse lointaine : quand on a seulement trois doigts, dont deux sont jaunis, on est trop loin du compte pour se permettre de rêver. Comme j’étais pressé, je ne m’attardai pas trop sur son visage. Je notai seulement les deux canines en or qui bordaient son sourire forcé, sous un début de moustache blonde. Je pris mon paquet, la remerciai d’une voix rauque, et enfourchai mon scooter rouillé. Cette nuit là, j’avais d’autres chats gris à fouetter : le maire m’attendait dans son complet mauve à rayures vertes. »

Bon, j’espère que le message est passé…


mardi 6 janvier 2009

Spécial Scato



Il fallait bien que je parle de caca un jour. Il est toujours intéressant d’observer la relation qu’a un peuple avec son caca. Tabou universel, le caca est une mine d’or d’euphémismes dans toute culture, en plus de révéler bien des trucs pour qui a un talent d’analyste. Loin de moi l’idée de me lancer dans une décortication freudienne du sujet. Je n’ai pas la connaissance requise. Je vais seulement rapporter mes observations, qui peut-être mèneront un jour un esprit brillant à des conclusions inédites et « groundbreaking », comme disent les Américains.

L’idée de parler du caca m’est venue accidentellement, alors que je fumais une cigarette sur mon balcon montréalais. Suite à un événement assez sonore, je me suis demandé pourquoi les pets bruyants ne sentent jamais aussi fort que les pets silencieux. Le pet silencieux est le « stealth » de l’arsenal du pétomane : il arrive discrètement, rapidement, et sa frappe est sans merci. Pourquoi donc une telle intensité? Le pet silencieux provient pourtant de la même source que le sonore, non?

Après quelques secondes de réflexion, je me suis rappelé cet article que j’avais lu, peut-être dans Science et Vie, à propos du nettoyage aux ultrasons. Cette technique est utilisée pour nettoyer des outils de précision, ou des bijoux. Immergés dans une solution, la pièce de métal est bombardée aux ultrasons. Il se forme alors des millions de micro bulles qui éclatent à la surface du métal, et qui le nettoient avec un effet de jet d’air (ou de liquide, je ne sais plus). Donc, un milieu humide et des ultrasons. Dans un cas de pet bruyant, peut-être que le battement rapide de deux belles fesses au passage de l’air produit non seulement un joli roucoulement en fa dièse, mais aussi suffisamment d’ultrasons pour « tuer l’odeur ». Ce n’est qu’une hypothèse. Je demanderai à d’autres de la vérifier.

Source photo : wikipedia.


Chemin faisant, mentalement, j’en suis arrivé à me questionner sur la relation qu’entretient un peuple avec son caca. Il y a beaucoup de variantes et de particularités locales. Je me rappelle par exemple de ce personnage du folklore catalan, un bonhomme représenté accroupi au dessus du fruit de ses efforts abdominaux, le « caganer ». Quand on fouille un peu à Barcelone, on trouve dans les échoppes touristiques des petits santons chieurs (sentons, j’aime bien le mot d’esprit) aux traits de personnages publics. Le Père Noël. George Bush. Elvis. Evo Morales. Les joueurs du FC Barcelone. La schtroumpfette et son petit caca bleu. Et même Barack Obama. Ça c’est pour les Espagnols. Mais pour les Français, que pouvons-nous dire? Voici en vrac quelques unes de mes observations.

Premièrement, le juron le plus populaire en France, ex aequo avec « putain », est « merde ». Parfois, on unit les deux dans « putain d’merde ». C’est encore plus intéressant de constater que le monde du juron français se limite presque uniquement à ces deux expressions. Un peu comme les Américains, qui ont « fuck » et « shit », et qui doivent composer avec cette limitation en utilisant des dérivés comme « motherfucker », « fucking shit », et même « fucking fuck ». On est loin du véritable panthéon judéo-chrétien qui permet aux Québécois de dire des trucs comme « criss de caliss de sacrament d’ostie de ciboire de baptême de bout’d’ciarge de maudit calvaire sale ». Donc, « putain » et « merde ». Pourquoi cette obsession quasi étatsunienne avec la génitalité?

Mais revenons au caca, véritable sujet de ce texte, que je semble chercher à éviter, probablement par pudeur. Contrée de luxe et de raffinement, la France m’a offert le meilleur papier-cul de toute mon existence. Je ne promets à personne la présence de papier Moltonel dans le premier aéroport français. Mais sachez qu’existe en France la possibilité d’une sensation suave, d’une douceur à nulle égale. On dirait du suède ou du chamois, pour vous dire la classe. Aucune marque de luxe américaine ne va aussi loin dans le confort. Et résistant, en plus!

Pourtant, même si la France offre douceur pour les moments privés, une certaine honte semble coller à l’acte. En Amérique, le trône est la plupart du temps dans la salle de bain. C’est de la plomberie pratique : toutes les entrées et renvois d’eau au même endroit. Et ça donne de l’espace pour s’installer et faire les choses avec aise. On peut laisser traîner dans la pièce une partie de sa bibliothèque pour les séances plus longues. En France, par contre, la toilette est bien souvent dans une sorte de placard plus exigu qu’un siège de compagnie aérienne. Si on a le fémur trop long, on n’arrive même pas à fermer la porte correctement, à moins de se mettre en angle (lorsqu’il y a assez d’espace). L’endroit me fait penser à un confessionnal. On s’y décharge rapidement et discrètement de sa honte. Et j’ai vu sur les murs de certains cabinets français des « œuvres » monochromes (disons sépia) suggérant qu’une partie de la population a mal assumé la condition humaine et les fonctions excrétoires qui s’y rattachent. De là à tracer un parallèle entre ces peintures rupestres et la popularité de la psychanalyse à Paris, c’est un pas que je ne ferai pas.

On trouve dans les lieux d’eau français deux articles qui n’ont pas vraiment traversé l’Atlantique : le bidet et la toilette turque. En fait, en Amérique, seuls les snobs possèdent un bidet. Chez la majorité prolétaire, qui travaille à la sueur de son front, quand le cul pue, le reste pue aussi. Alors on prend une douche et on nettoie tout. Quant à la toilette turque, je crois qu’elle persiste en France à titre d’antiquité classée monument national, le revenu moyen étant maintenant assez élevé pour permettre à chacun l’achat d’un siège plus confortable.

Un autre point à noter en matière de caca, c’est l’indiscipline du Parisien lorsqu’il s’agit de laisser son fidèle compagnon se soulager. Notre ami Fido semble jouir d’une immunité totale sur la voie publique, et on le laisse s’exécuter où bon lui semble. De plus, il n’est absolument pas nécessaire de ramener le trottoir à son état initial. On laisse le tout être dispersé par le vent, la pluie, ou un pied malchanceux. Pour remédier au problème, l’administration publique a même dû mettre en place une escouade de nettoyage des déjections canines. Cela dit, la concentration de ces obstacles routiers n’est pas si élevée qu’on le laisse entendre : en six mois à Paris, je n’ai pas encore eu mon baptême de « la semelle qui pue ». Mais ça viendra, ça me paraît inévitable. En comparaison, les Madrilènes, peut-être parce qu’ils sont adeptes de la sandale ou des chaussures en toiles légères, mettent à la disposition de leurs concitoyens, dans la plupart des lieux publics, de petits sacs en plastique fort utiles. Ainsi, on pourrait avancer que pour le Français, le ramassage du caca est une affaire d’État, alors qu’en Espagne, il est perçu comme une partie du contrat social.

Je terminerai mes observations en soulignant la présence marquée du caca dans l'histoire récente des médias français. Je ne sais pas s’il existe sur terre une autre culture populaire où le scato a été abordé aussi crument. Comme on fait l’art pour l’art, la France à l’occasion fait le scato pour le scato. On a qu’à penser au journal Hara Kiri, qui a mis du brun sur sa couverture plus souvent qu’à son tour :
Février 1968
Septembre 1969
Novembre 1970
Et que dire de la bd « Gros Dégueulasse », célèbre personnage de Reiser, avec son vieux slip jaune devant et brun derrière. Le sympathique bonhomme a été porté à l’écran en 1985. Je vous laisse d’ailleurs sur un magnifique extrait de l’œuvre : http://www.youtube.com/watch?v=xNyziizq4Sc


dimanche 4 janvier 2009

Encore ma cabane



Moi qui souhaitais aller marcher dans la neige, je dois oublier ça pour cette année. Quand il fait seulement -10 et qu’il n’y a pas trop de vent, c’est magnifique. Mais depuis mon arrivée, ça oscille entre -15 et -20. Ça serait encore tolérable s’il n’y avait pas le vent. Avec le « facteur de refroidissement éolien », comme on dit ici, la température ressentie est à -26. Encore une fois, les fanatiques de l’hiver s’accommoderont d’un petit -26. Mais les petits douillets comme moi iront plutôt au cinéma, abri idéal contre les excès de la météo, hiver comme été.

Pendant les pubs, on nous passe la bande-annonce d’une comédie qui sortira en mars : « Le bonheur de Pierre ». Un Parisien (Pierre Richard) apprend qu’une tante éloignée (ou un oncle, peu importe) lui a légué une auberge dans un petit village perdu du Canada. Lui et sa femme décident de traverser l’Atlantique pour s’installer dans le grand nord, en plein hiver. Au fil des situations burlesques et des quiproquos, ils devront apprivoiser un village un peu fermé sur lui-même.

Le bon vieux thème de « ma cabane au Canada ». On nous le sert à tous les deux ou trois ans. On dirait qu’il y a une entente entre la France et le Canada pour que soit produit au moins à tous les 36 mois un long-métrage dans lequel un bon citadin français débarque plein d’illusions dans la contrée sauvage.

Source photo : wikipedia.


Il arrive que le thème du citadin au village fonctionne bien en cinéma. On n’a qu’à penser à « Bienvenue chez les Ch’tis » ou à la « La grande séduction ». Mais quand on essaie l’approche France-Québec, ça fait généralement patate. Ces films tentent de servir les attentes de deux publics, tout en aplanissant leurs préjugés respectifs. Trop grosse mission pour une trame narrative de 90 minutes. En bout de ligne, personne ne se reconnaît dans ces personnages trop caricaturaux campés dans une série de lieux communs. Si aucune performance d’acteur ne sauve l’œuvre, le film fait 25 000 entrées au Québec et sort dans sept salles de la banlieue parisienne.

La bande-annonce du « Bonheur de Pierre » laisse présager l’habituel flop. D’après ce qu’on nous montre en deux minutes, le scénario a puisé à la louche dans la marmite aux clichés. La première image du Canada, c’est Pierre Richard en traîneau à chien avec en fond sonore un pseudo-rigodon. Au Québec dans un hiver donné, environ 250 personnes montent sur un traîneau à chien; 200 de ces personnes sont des touristes français. Les 50 autres sont des guides touristiques. Rémy Girard imite un maire de village saguenéen avec ce qui me semble être un accent beauceron. Même si le village de Sainte-Rose-du-Nord, lieu du tournage, est facilement accessible par la voie routière, et surtout dépourvu d’aéroport, on y fait arriver les protagonistes en avion de brousse. Et on aligne les classiques : les fourrures, la poutine, l’inukshuk. Les Québécois sont évidemment présentés comme de beaux provinciaux abrutis et un peu xénophobes. Après, on se plaindra que les Français soient un peu arrogants quand ils débarquent à Montréal. Il y a de quoi les comprendre : on aura tout fait pour les convaincre que le territoire du Québec est occupé par une tribu de trappeurs un peu arriérés.

La bande-annonce du film est ici. Vous verrez ici un commentaire d’une journaliste invitée sur le plateau. Et ici des images du beau petit village de Sainte-Rose-du-Nord, accessible par la route même en hiver.

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Autre sujet : un peu de patriotisme. Le Canada, petite contrée d’à peine 30 millions d’habitants, a atteint la finale du Championnat du monde de hockey junior pour une huitième année consécutive. Le match pour la médaille d’or aura lieu demain, contre la Suède. Si le Canada devait remporter la victoire, ce serait sa cinquième médaille d’or consécutive à ce tournoi.

Sur les 32 médailles d’or remises lors de ce tournoi depuis sa première édition en 1977, 14 sont allées aux Canadiens. C’est plus que l’URSS/Russie avec ses 12 médailles d’or. Reste six médailles, que se sont partagées les USA, la Finlande, la République Tchèque et la Suède.

Seulement 30 millions d’habitants, et nous dominons le sport face des nations environ dix fois plus populeuses (USA et URSS). La Russie d’aujourd’hui compte encore 150 millions d’habitants. Si on joue avec les chiffres pour calculer le nombre de médaille d’or per capita, le Canada domine outrageusement, avec un ratio de 0.46 médaille d’or par million d’habitants. Le ratio de l’URSS/Russie est de 0.06 (basée sur une moyenne de 200 millions d’habitants entre 1977 et aujourd’hui). Le ratio américain est encore plus risible : 0.003. Le plus proche rival est la Finlande, qui malgré ses 5 millions d’habitants a quand même récolté deux médailles d’or, soit un ratio de 0.4 médaille d’or par million d’habitants.

Nos statistiques sont tout aussi éloquentes au Championnat mondial de hockey (pour adultes). Le Canada domine encore, même si on envoie à ce tournoi des joueurs de troisième trio. Nos meilleurs joueurs sont trop occupés à gagner leurs millions dans la LNH pour aller participer à un tournoi amateur.

Sur le classement 2008 de l’IHF, la France occupe de 18e rang, juste devant le Kazakhstan. Les plus grands succès de la France au hockey sont une 5e place aux J.O. de 1928, et une 6e place aux Championnat du monde de 1930. Le « golden age » du hockey français date de l’entre-guerre. Même les Italiens battent la France au hockey. Facilement.

À Paris, quand on me parle de foot, je ferme ma gueule et j’écoute. Je pose des questions. J’apprends. Il y a beaucoup à apprendre. C’est intéressant. Mais la prochaine fois qu’un Français essaie de me donner des leçons de hockey, je le détruis.