dimanche 28 juin 2009
Mort au tartare de saumon
Quelqu’un pourrait-il dire aux restaurateurs du monde entier que le tartare de saumon, c’est une ignominie, une infamie, un crime contre l’humanité? Quelqu’un?
Le dernier tartare au saumon que j’ai goûté du bout des lèvres, c’était il n’y a pas longtemps, dans un resto corse. Un petit troquet sympa qui propose de beaux produits de l’île. Nous sortons du théâtre, je ne veux pas trop manger parce qu’il est déjà tard, alors j’opte pour une planchette style « un peu de tout ». Ce qu’on me présente est magnifique. Les saucissons sont charnus, les fines tranches de jambon sec sont presque fondantes, la terrine pimentée a du tonus, et les fromages sont somptueux. Notamment le Broccio. Je n’avais jamais goûté. On dirait une sorte de ricotta crémeuse, mais au goût très puissant. Selon ce qu’on m’a raconté, une version de ce fromage hébergerait des vers, qu’on retirerait avant de le consommer. Merci les vers!
Tous ces beaux produits auraient largement suffit. Mais en marge de cette savoureuse farandole, on a eu l’idée d’ajouter un petit tartare de saumon. C’était comme un ivrogne dans un jardin d’enfant. Comme un mec dans la toilette des femmes. Pire, comme une tranche de bacon dans une mosquée. À ma connaissance, il n’y a même pas de saumon dans la Méditerranée. Alors qu’est-ce qu’un tartare de saumon foutait sur une planchette corse?
J’aimerais faire une petite précision aux chefs du monde : le tartare de saumon, c’est dégueulasse. Ça goûte le néant. Ce n’est rien de plus qu’une bouillie de protéines poisseuse et rosâtre. Le tofu des mers. Quand je bouffe un tartare de saumon, j’ai l’impression de mastiquer une purée de gencives crues. (Ce genre de truc n’est possible que dans les films d’horreur, mais c’est pour bien vous illustrer ma détresse gastronomique devant cette horrible concoction).
Le saumon est l’équivalent aquatique du poulet : ça ne goûte pas grand-chose et ça fonctionne avec tout type de sauce. En fait, j’exagère. Le saumon a un parfum délicat, qui généralement s’évapore lorsqu’on le coupe en filet, qu’on le laisse dormir au frigo pendant 4 jours parce que les clients commandent autre chose, qu’on le rince 6 fois pour enlever l’odeur de poisson vieillissant, et qu’on le passe à la moulinette pour le refiler en « tartare » juste avant sa péremption définitive.
Je ne suis pas un super fan du saumon. C’est terne, ennuyant. Le poisson du lundi. C’est utile dans une soupe miso pour ajouter un peu de consistance. Le saumon fumé n’est pas mauvais non plus. Ça se mange. C’est joli. Même si le saumon fumé du commerce subit souvent de 2 à 4 cycles congélation-décongélation avant d’aboutir dans votre assiette. Vous ne le saviez pas?
J’avais vu ça il y a quelques années, dans un reportage de La semaine verte, l’émission agro-alimentaire de Radio-Canada. Excellente émission, soit dit en passant. Si vous souhaitez comprendre les impacts socio-économiques de ce que vous mettez dans votre estomac, et connaître les intervenants impliqués dans sa fabrication, c’est une bonne destination. La plupart des reportages sont disponibles sur le web gratuitement (vive la télé publique).
Donc, le saumon fumé, c’est du beau gros saumon obèse élevé à la moulée végétale antibiotique, bien à l’abri dans une pisciculture. On l’abat et on le congèle pour le transport vers l’usine de transformation. Là, il est décongelé pour être mis en filets, salé (parfois par injection), abondamment rincé, séché, puis fumé. Ces étapes sont entrecoupées de périodes de maturation. Ensuite, on recongèle les filets pour le tranchage à la machine. Pendant l’assemblage et l’emballage, les minces tranches ont souvent le temps décongeler, même si la chaîne du froid et maintenue. Et en finale, on recongèle pour la livraison au marchand. Imaginez quand vous attrapez le paquet qui a été abandonné près des caisses par un client, et remis au congélo par un épicier « zélé ». Certaines marques offrent un produit sans congélation, et tranché à la main. Mais regardez bien le prix!
Faut dire que j’ai été gâté dans mon enfance. Le saumon que je mangeais, il était pêché par mes oncles dans les rivières Godbout et Sainte-Marguerite (belle vidéo ici). Une belle bête pas trop grasse et goûteuse, qui venait remonter nos cours d’eau pour aller frayer. Un saumon sauvage, ça a un profil athlétique, une sale gueule, et un regard féroce. Pas les yeux de zombie pansu de son cousin d’élevage. Et ça se bat. Remonter un saumon de 12 kilos, ça demande parfois deux ou trois heures d’efforts, debout dans le courant de la rivière, l’eau jusqu’à la taille. C’est mouillé, il fait froid, et y’a des nuées de moustiques.
On le cuisinait « à la pauvre » : bouilli dans l’eau salée avec un oignon et des patates. C’était délicieux. Et y’avait aussi les fumoirs artisanaux, qui nous vendaient de beaux filets cuits à la fumée d’érable, avec cette forte odeur un peu pisseuse qu’a le bois brûlé. Ce saumon-là aurait pu se défendre honorablement contre le superbe Broccio corse. Beaucoup mieux que l’écœurante glue de grumeaux marins qu’on m’a servie.
Les tartares traditionnels (bœuf) sont tellement bons à Paris, je crois qu’on devrait en faire une AOC. Ça permettrait d’éviter certains abus de langage. La version poissonnière serait forcée d’adopter un autre nom, plus conforme à sa nature : « purée insipide de chairs maritimes ». Et ça permettrait d’éviter la grande arnaque du « tartare de mangue ». Non mais c’est quand même abuser des gens que de leur servir un fruit haché sous un nom aussi pompeux. Récemment, j’ai même vu « tartare de courgette ». Tartare de laitue frisée, tant qu’a y être! Ils nous prennent vraiment pour des cons avec leurs modes alimentaires.
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1 commentaire:
tu es vraiment dérangé et ce n'est pas parce que tu as gouté à de mauvais tartare que c'est DÉGUEULASSE tu as un jugement qui ne mérite même pas d'être lu.
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