dimanche 21 juin 2009

Compartiments sociaux



Je ne veux pas faire de grandes généralisations, mais j’ai l’impression que les Français savent mieux compartimenter les choses que nous, Québécois. Ou Américains. Ce n’est qu’une impression. Je n’ai pas de thèse aboutie sur le sujet, mais je m’explique tout de même.

À quelques occasions, lors de discussions avec des Français qui avaient voyagé en Amérique, il a été question d’une certaine impudeur chez l’Américain. Comme si chez nous, tout était naturellement d’ordre public, sans complexe. Ainsi, l’ami d’un ami, rencontré comme ça dans un bar, peut se mettre à te livrer des détails de sa vie personnelle après quinze minutes de conversation. « La relation avec mon père a toujours été difficile. » « Si tu permets, je vais plutôt prendre un gin-tonic, parce que la bière me donne des gaz. »

Moi j’aime bien cette attitude. C’est certain que ça manque un peu de classe. Mais ça permet de côtoyer l’autre d’une manière naturelle et décomplexée. De jouer cartes sur table. Mais c’est parce que j’y suis habitué. Pour les Français avec qui j’ai évoqué ce trait culturel, il y avait un malaise. La plupart m’ont confié avoir été un peu estomaqués par ce niveau immédiat de promiscuité. Ils préfèrent garder une certaine réserve, un minimum de diplomatie, lors des premiers rapports.

Des Français habitant au Québec m’ont parlé de cette habitude que nous avons d’être trop « accueillants », de faire copain-copain avec le premier venu. Ça paraît sympathique, mais au fond c’est du vent. Un code social ou une forme de politesse. Ça arrive souvent au bar, lorsqu’on se retrouve en groupe. Après trois bières, le mec que t’as jamais vu, le beau-frère d’un ami, finit par inviter tout le monde à son chalet : « Faut que vous passiez une bonne fois, ça serait vraiment cool, toute la gang… quelques caisses de bière, et on se ferait un BBQ, on aurait du fun. » Le pauvre Français qui débarque prend ça pour du « cash », comme on dit chez nous. Il croit qu’il vient de se faire nouveaux amis vraiment sympas. Mais ce ne sont que des « invitations de politesse ». Tout le monde (sauf le Français) sait que le petit BBQ au chalet relève du vœu pieux très improbable. Il est compréhensible que cette apparence d’hyper-cordialité déçoive un nouvel arrivant, surtout s’il vient d’une culture où les promesses sont moins fréquentes, mais tenues.

Le Français n’ouvre pas sa sphère personnelle immédiatement. Mais quand vient le moment, il le fait peut-être plus honnêtement que l’Américain (ou le Québécois). J’ai l’impression que le Français donne moins souvent son numéro de téléphone. Mais lorsqu’il le fait, c’est parce qu’il sera heureux de prendre l’appel. Le Français n’est pas ami avec tout le monde. Ce qui a du sens. Quand on y pense, on ne peut pas aimer tout le monde, même si notre éducation dégoulinante de bons sentiments a voulu nous laisser croire le contraire (Disney, Passe-Partout**).

Source photo : wikipedia.


Il semble y avoir chez le Français cette compartimentation claire entre la sphère personnelle et la sphère publique. Mais d’autres exemples de la vie courante me viennent en tête. Dans l’épicerie bio française, le Québécois sera surpris de constater la place qu’on donne aux viandes, charcuteries, aux fromages. Ici, l’expression « Gros steak saignant bio » n’est pas du tout un oxymore. C’est parce que le Français a su compartimenter les concepts de « bio » et de « végétarien ». Ainsi, un végétarien français pourra choisir de manger des légumes du supermarché, pesticides inclus.

Au Québec, j’ai souvent eu l’impression qu’on mélangeait tout. La majorité des épiceries dites « bio » sont aussi végétariennes. La chair animal semble y être taboue. Tout au plus, on y trouvera un obscur comptoir offrant de grisâtres imitations de viande hachée à la protéine de soja, ou le traditionnel pâté chinois aux lentilles. Pour manger bio au Québec, il faut être végétarien, membre de Greenpeace, et donner 10% de son salaire à PETA. Et préférablement porter des tricots andins.

Je ne sais pas si cette propension holistique du « tout ou rien » est généralisée dans la mentalité américaine. Mais j’ai été content de constater que les gymnases d’escalade, en France, ont souvent un bar, ou une petite terrasse, où on peut boire une bière en grillant une cloppe. Comme si on comprenait la séparation entre « pratique du sport » et « mode de vie sportif ». Chez nous, on dirait que le sport est nécessairement perçu dans une optique globale. Une sorte de thérapie holistique. Un clan. Je fais de l’escalade, alors je dois porter des vêtements de grimpeur. Adieu la cigarette, adieu les pizzas. Au gym, on boit des boissons réhydratantes et on bouffe des power-bars contenant des sucres non raffinés. Sinon, on n’est pas « un vrai ». Ça peut devenir lourd, surtout quand t’as juste envie de pratiquer un sport, simplement, sans adopter cette espèce de religion qui l’entoure.

Alors c’est ça mon impression. Les Français savent mieux compartimenter. Moi j’aime bien. Mais comme je l’ai dit plus haut, ce n’est pas une thèse aboutie. Alors n’hésitez pas à alimenter ma réflexion. Peut-être qu’il y a des aspects négatifs à trop savoir compartimenter.

** Note pour les lecteurs français : Passe-Partout est une émission de télé qui a bercé notre enfance. Conçu dans une optique un peu gauchiste et hippie, subventionné par le Ministère de l’Éducation, ce feuilleton quotidien mettait de l’avant les belles grandes valeurs catholico-onusiennes d’intégration, d’égalité, de partage, de tolérance. Ce qui était malsain dans cette émission, selon moi, c’est qu’en optant à tout prix pour l’harmonie sociale, elle étouffait complètement cette part de violence inhérente à l’humain. Y était peint un monde d’allégresse et de simplicité, où tous les gens sont gentils. Les conflits étaient simplistes et ne laissaient jamais de rancœur. Un monde sans méchant. Or, selon moi, promouvoir l’idée que « tout le monde il est gentil » est aussi malsain que promouvoir la vision plus manichéenne des bons et des méchants.


2 commentaires:

indigonat a dit…

La description du Français que tu fais dans ton billet, c'est la description que je faisais des anglos quand j'habitais Toronto. 12 ans de ma vie passée dans la métropole et je n'en suis pas sortie traumatisée pour autant ;-)

Ma phrase qui résumait le tout:
Un Québécois est ton meilleur ami après 5 minutes et peut ne plus te parler la journée suivante. L'anglophone prend du temps avant de partager sa vie privée avec toi, mais une fois que tu as le mot de passe, tu y es pour longtemps.

Anonyme a dit…

Bonjour,

Je suis tombée par hasard sur votre blog il y a quelques mois.
Je suis une Francaise qui vit au Québec¸depuis quelques années et je me régale a vous lire.
Je trouve votre analyse de la France des Francais, et du Québec et des Québécois, vraiment tres objective. J aime beaucoup votre style et la petite touche d humour que vous savez y mettre. Cordialement.... marie-jacqueline