Depuis mon arrivée je suis allé au Louvre deux fois, et deux fois j’ai vu la Joconde. J’avais toujours pris en délibéré mon jugement final sur ce tableau. On arrive dans un musée et on découvre une œuvre qu’on a vue des centaines de fois dans le Larousse illustré. Parfois on est abasourdi, parfois on est déçu. La Joconde, on l’a vue 1000 fois dans des pubs de douches vaginales, sur des pots de crème antiride, ou des boîtes de chocolat noir. Assez souvent pour s’en écœurer gravement. Je ne voulais pas juger avant d’avoir vu l’original.
Et bien j’ai vu. Et je n’ai pas compris. À la deuxième visite, j’ai essayé encore plus fort d’apprécier le tableau, et je n’ai pas réussi. Quelqu’un peut-il svp m’expliquer le délire autour de cette toile? Un portrait de bonne-femme, de face, avec en arrière-plan un paysage flou. Du brun. Beaucoup de brun. Du jaune-brun, du vert-brun, du bleu-brun, et du brun-brun.
Au Musée d’Orsay, j’ai eu l’occasion de voir deux autres victimes de surexposition médiatique : Monet et Van Gogh. Au fil des ans, je m’étais un peu tanné de voir le poster des « nénuphars » dans toutes les chiottes de resto du Québec. « Ça reprend tellement bien le thème de l’eau, mis de l’avant par votre bel urinoir Crane 10-gallon-per-flush », avait souligné la décoratrice. Mais ce que j’ai vu à d’Orsay m’a un peu réconcilié avec le Rat-Pack de l’impressionnisme (Van Gogh – Monet – Renoir), particulièrement cette toile de Van Gogh. Le site web traduit très mal l’intensité des couleurs. Mais en gros, ce que le gars peint, c’est quatre diagonales : 2 bleues, 2 jaunes, en alternance. Plissez un peu les yeux, vous allez voir. Que du jaune et du bleu, très intenses. Juste un peu plus flou, et c’est de l’abstraction. Et la symétrie des diagonales est tellement forte, le contraste tellement volontaire, qu’on s’approche de trucs beaucoup plus contemporains comme ceci (Guido Molinari).
Oui, Léonard de Vinci a peint les visages avec une justesse et une finesse rares chez ses contemporains. Mais le Louvre possède de lui bien d’autres tableaux tout aussi beaux, sinon plus beaux que la Joconde. Alors pourquoi CE tableau-là? Pourquoi Da Vinci Code, pourquoi les douches vaginales au label Joconde, pourquoi cette toile est-elle devenue ze logo de la Renaissance? Je ne comprends pas.
Certains mentionneront le réalisme du portrait, à quel point les proportions du visage et le regard sont vrais, quelque chose de rare pour l’époque, voire avant-gardiste. Alors pourquoi pas ce tableau de Botticelli, peint vingt ans avant la Joconde, et dans lequel l’artiste a le culot de nous placer un gros spot rouge vif dans le haut de la composition. Et malgré ce spot rouge, on reste fasciné par le regard du jeune homme. C’est comme si le peintre, un peu baveux, nous disait : « J’ai tellement bien fait les yeux que même une grosse tache vive n’arrivera pas à te distraire de ce regard ». Ou dans son génie, Botticelli se sert-il de la tache pour justement attirer notre regard à la hauteur des yeux du personnage? Remarquez comment c’est le cou du jeune homme qui est au centre du tableau; les yeux sont dans le tiers supérieur. Est-ce que la tache rouge est là pour faire contrepoids à notre attirance naturelle vers le centre? Et c’est juste 50 ans après ceci. C'est assez drastique comme progrès, non?
Source photo : wikipedia.
D’autres parleront du fameux sourire rempli de mystère. Eille, wo menute! C’est pas la première qu’on voit des choses inexplicables dans un tableau. Ceci par exemple (Muriel Millard), ou même ceci (Jacques-Louis David). Et puis le fameux mystère du sourire de la Joconde, je vais vous le révéler, enfin et ici même. C’est un sourire induit par une substance psychotrope. Vous savez ce petit sourire suffisant qu’ont les sniffeux d’coke quand ils deviennent un peu paranos ? Ben c’est ça. C’est le regard du coké qui a les yeux secs et qui se dit dans sa tête : « Tu l’sais pas qu’je l’sais qu’tu m’watche, mais watch-moé ben t’watcher ». La Joconde, un peu de Visine et elle aurait l’air ordinaire.
Le pire, c’est que personne ne va au Louvre pour voir la Joconde. Mis à part moi et les autres snobs, les gens vont au Louvre pour se faire photographier à côté de la Joconde. Petite différence. La Joconde n’est plus une toile. C’est un travel-statement (mon invention). « Been there, done that – je peux maintenant mettre une punaise sur ma carte du monde. » Les conservateurs du musée pourraient suspendre un calendrier des scouts, et ça ferait tout aussi bien l’affaire.
S’il y a quelque chose de génial dans la toile de Leonardo, c’est qu’il semble avoir anticipé la horde de touristes mal vêtus qui viendraient un jour défiler devant le tableau. Dans le regard, dans le sourire, il a peint le ridicule de la situation. Derrière sa vitre anti tout, la Joconde regarde la foule et a l’air de se dire : « Watch-moé ben t’watcher… Pis j’ris de toé en plus. »
2 commentaires:
Et en français de France ça donne quoi "Watch-moé ben t'watcher" ?
Désolée de ne pas mâitriser le québécois, au plaisir de lire ta réponse. Bel article, comme d'hab l'ami Paul!
Bonne et belle soirée.
Bonjour Sylviane. Merci de me lire.
Tu m'as donné envie de consacrer un "post" sur le sujet.
Tu auras ta réponse bientôt.
Bonne journée/soirée
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