Hier, déambulant dans la capitale, je fus pris d’une fringale pendant l’heure du déjeuner, ce qui somme toute n’est pas inhabituel. J’entrai dans une boulangerie pour me procurer un sandwich. Mais devant l’étal de beaux pains dorés et croustillants, je fus pris d’un mal du pays intense. Sous mes yeux, il n’y avait que tradition. Pas d’audace. J’aurais tant souhaité un beau « calabrese » de l’Épicerie Européenne, rue Saint-Jean, à Québec. Je dus me contenter d’un bon vieux jambon-beurre.
Le fameux « calabrese » dont je vous parle est un sandwich magnifique. À mon souvenir, on y met des aubergines à l’huile d’olive, de la tapenade d’olive verte, du capicollo, un peu de laitue pour décorer, et surtout un peu de purée de piments rouges bien piquante, une sorte de harissa. Rien de compliqué, aucune révolution, et pourtant il est tellement bon ce sandwich. Son coté relevé a un effet tonique sur le moral. Le salé des olives te fait voir les collines arides près du bord de mer. Une bouchée, et tu entends la Méditerranée, sorte de voyage du pauvre en plein cœur de l’hiver.
Le sandwich parisien est toujours délicieux. Dans un jambon-beurre, seulement deux garnitures. Ai-je besoin de les nommer? Le pain craque sous la dent. Le jambon français est à des kilomètres de notre truc américain en silicone rose. Et le beurre ici descend des cieux. Je ne sais quel troupeau de vaches célestes produisent le lait du beurre français, mais il est savoureux. On y perçoit l’arôme bien rond d’une riche crème à deux doigts du fromage frais. C’est complètement sensuel.
Source photo : wikipedia.
C’est la même chose pour le saucisson-beurre, le brie-beurre et le fromage-beurre. Toujours bon. Le boulanger propose aussi parfois une version « crudités », avec des œufs durs, ainsi qu’un truc au thon un peu sec. Quand il se sent aventureux, il offrira peut-être un sandwich au rôti de porc. Certains commerces poussent « l’audace » jusqu’au sandwich grillé saucisse-fromage, une sorte de hot-dog de luxe. Tout est toujours succulent, là n’est pas le problème.
Le problème, c’est que ça manque d’aventure. Un ami dit que les français sont conservateurs. Je trouve le terme un peu dur. J’avancerais « puristes », ou même « traditionnalistes ». En matière de sandwich, ils sortent rarement de l’Hexagone. Je ne sais pas si c’est par patriotisme, mais le monde du sandwich français n’exploite pas le plein potentiel européen. Quand tu as envie de sortir de la France, de voyager un peu en pensées et sensations, le sandwich d’ici n’est pas la bonne destination.
Ça m’attriste un peu. Dans ce pays qui fait le meilleur pain de notre système solaire, le monde du sandwich est atrophié. La richissime charcuterie française est sous-exploitée entre deux miches. Les océans ne sont pas au menu. Et l’huile d’olive? Niet. La France se vante d’avoir 350 types de fromages, mais seulement deux ou trois d’entre eux semblent avoir obtenu le droit de se blottir entre deux mies.
Alors moi, petit con de Canadien, même pas une rognure d’ongle de mon homonyme Bocuse, je vais être obligé de vous donner, amis français, des leçons de sandwich. Des trucs faciles à trois ingrédients. Allez-y, exprimez-vous! Montrez au monde que vous n’êtes pas coincés. Ouvrez votre frigo, et vous y trouverez les combattants d’une deuxième révolution française. Comme une bouteille à la mer, voici quelques recettes toutes bêtes qui, je l’espère, vous transmettront l’envie de donner congé un dimanche sur deux au bon vieux jambon-beurre. Il en a bien besoin, après vous avoir servi si loyalement pendant tant d’années.
Une audace portugaise : poêlez rapidement un petit filet de morue (ou un autre poisson blanc) avec deux tranches de lard pas trop épaisses. Déposez dans une baguette enduite de tapenade d’olive verte.
Voyage en Scandinavie : de belles tranches de saumon fumé, un peu de fromage blanc, et de l’aneth frais. Si vous le souhaitez, ajoutez un peu d’oignon cru pour son piquant et un trait de jus de citron.
Celui que je baptise à l’instant « Tour de France » : des tranches de pomme pour la Normandie, du Roquefort pour le sud-est, et des noix de Grenoble. Les plus gourmands ajouteront une goutte de miel sur les pommes.
Votre Münster bien odorant vous crie « Moi! Moi! » du fond de sa cloche? Laissez-le s’étendre suavement sur la mie en compagnie d’oignons rapidement poêlés au beurre.
Un reste de mousse de foie de volaille vous fait de l’œil dans votre frigo? Trouvez-lui un copain un peu sucré, comme des figues ou des dattes. Une feuille laitue craquante viendra contraster le moelleux du duo.
Les espagnols le font, pourquoi pas vous? De simples morceaux de tortilla tiède, un peu de poivrons rôtis, ou de sauce aux piments, et vous voilà à Malaga en plein soleil. Olé!
Saucisses-choucroute, ça se met aussi dans un pain, avec un peu de moutarde. Ça peut vous paraître « débile-mental », mais toutes les bonnes charcuteries montréalaises le font avec grand succès.
Allez faire un tour chez les Vietnamiens. Vous avez laissé la baguette en Indochine. Ils y ont mis des légumes marinés, de la viande de porc, de la menthe et du basilic chinois. C’est surprenant et magnifique.
Et vos voisins italiens, faites-leur honneur. Avec des tomates, de la mozzarelle fraîche, un trait d’huile d’olive et du gros sel. Gracie Mille! Ou plus cochon encore : le sandwich aux calmars frits. Ça peut paraître choquant, mais bien dosé, avec juste assez de citron et de sel, c’est divin.
En matière de sandwich, même vos ignobles ennemis d’outre-manche peuvent vous faire la leçon en deux temps trois mouvements. Un reste de rosbif saignant, un peu de crème de raifort (son parfum pas si loin de la Dijon) et de minces tranches de cheddar vieilli. Pas de cheddar? Tout fromage ferme ou cassant fera l’affaire : Cantal, gruyère, même un peu de pecorino romano ou pepato. Et s’il n’y a pas de rosbif, effilochez deux ou trois cubes de viande volés au reste de bœuf bourguignon de la veille. Vous m’en donnerez des nouvelles.
Les Français sont de grands voyageurs curieux. Mes collègues du travail vont en Arménie, à Madagascar, au Pérou, au Japon. Faites honneur à votre réputation, et voyagez aussi en sandwich. Vous allez voir, c’est pas cher payé pour vingt belles minutes d’aventure.
Et les plus entrepreneurs d’entre vous pourraient y trouver leur compte. Pour le moment, le marché parisien du sandwich exotique est laissé aux horribles sandwichs turcs : une viande grasse et fade nappée de sauce morne dans un pain industriel si spongieux qu’on devrait l’emprisonner pour crime contre l’humanité. Il y a là un potentiel commercial incroyable : dans la ville la plus visitée du monde, le marché actuel du « street-food » est un véritable tiers-monde culinaire. Pensez à tous ces étudiants et routards au budget serré, forcés de se rabattre sur un best-of MacDo ou un sandwich du frigo Franprix. La gastronomie française peut s’exprimer sans qu’on doive débourser 30 euros, vin non compris.
En attendant qui vous vous décidiez, moi je varie en rendant visite aux quelques libanais et « maisons du fallafel » qu’on trouve ici. J’irai allumer un cierge pour toute personne qui me transmettra des adresses de sandwicheries créatives à Paris. Merci.
5 commentaires:
Je ne t'engagerais jamais comme chroniqueur culinaire: mes lectrices te reprocheraient leur prise de poids! Et dire que je viens de manger un vulgaire sandwich au jambon avec du pain d'il y a 3 jours... Sacrilège!
Je te propose Lina's. Je sais, je sais, c'est une chaîne... et c'est cher pour un sandwich! Mais il y a quelques exclusivités (pas trop tout de même!).
Le menu: http://www.linascafe.fr/menu.pdf
Pour les adresses, voir leur site: http://www.linascafe.fr/france.htm
Merci! Lina's café!
Le jambon-beurre, y'a rien de meilleur :-)
un peu de nostalgie pour la france avec ce sandwich ^^
Marie de suivre le lien de mon blog
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