mercredi 10 décembre 2008

Précis de parlure québécoise



J’ai semble-t-il des lecteurs français. Il arrive qu’ils ne comprennent pas tout ce que j’écris. J’ai notamment Sylviane, qui m’a demandé ce que veux dire « watcher », en référence à mon « post » du 9 décembre.

« Watcher », ça veut dire surveiller, regarder. C’est un emprunt direct à l’anglais, soit le verbe « to watch ». Par exemple, la phrase suivante : « Tu l’sais pas qu’je l’sais qu’tu m’watche, mais watch-moé ben t’watcher ». C’est du québécois courant, de la rue. En français correct, on écrirait : « Tu ne sais pas que je sais que tu me surveilles, mais surveille-moi bien te surveiller ».

À mes amis français : si vous ne comprenez pas un mot dans un de mes textes, souvent dans un passage en québécois courant, je vous suggère d’appliquer deux filtres. Le premier, c’est d’essayer le mot anglais le plus probable. Le deuxième, c’est de fouiller dans un dictionnaire de vieux français.

Au Québec, et dans toute région francophone d’Amérique, le langage courant est truffé d’emprunts à l’américain. On « canne un projet » en référence à « to can : put to the trashcan, jeter aux ordures ». On dit « j’ai scrappé ma moto » en référence à « to scrap : détruire ». De nombreux verbes et mots d’anglais sont québécisés; on les accorde, on leur donne un féminin, on les conjugue. On adopte les interjections, comme « éniwé », qui provient de « anyway : peu importe ».

La France aussi s’anglicise. Tous les jours j’entends ici « shopping », ou « mail ». Mais l’anglicisation de la France est liée à un phénomène de mode. Les mots anglais sont adoptés lorsqu’ils ont un côté cool, une espèce d’aura branchée. Comme si le mot anglais sonnait plus « winner » que le mot français. C’est particulièrement apparent en milieu de travail, où toute initiative ressort inévitablement de l’étage marketing avec un nom anglais. « Fighting back » pour un projet d’amélioration de la sécurité. « Quick-wins » pour des améliorations réalisables à peu de frais et rapidement. « POC » ou « Proof of concept » pour une étude préliminaire, un pilote. Et « steerco », contraction de « steering committee », pour comité directeur. La France s’anglicise, sauf dans l’accent. Les Français s’approprient les mots anglais en martyrisant leur sonorité. Ainsi, « mail » devient « mèle », « shopping » devient « cheup-pigne », « POC » devient « peuqu’ » et « quick-win » devient « cul-hic-u-inne ».

Au Québec, comme je l’expliquais plus haut, le mot anglais n’est pas utilisé comme décoration. Il est concrètement intégré dans le langage, par la conjugaison ou l’accord. Il est grammaticalisé. Les Français empruntent surtout des noms. Les Québécois pillent l’anglais de tout ce qu’il a offrir, du verbe à l’adjectif, en passant par l’adverbe.

La question de l’accent est aussi différente. Le mot anglais entre dans la langue québécoise avec sa sonorité anglaise, sonorité qui finit parfois par s’aplanir après un moment. Par exemple, le mot « party », qui est probablement passé de quelque chose comme « pâwrdé » à un truc plus franco comme « parté ». Et « to feel », qui est passé graduellement dans sa sonorité de « fîîler » à « filer ». Mais en général, la tonalité anglaise est préservée. Ainsi, un essuie-glace, « wiper », sera prononcé « ouaillepeuwr » et non « ouipère ».

Le dernier point sur l’anglicisation au Québec touche à la syntaxe. Dans le langage courant québécois sont adoptées des constructions typiquement américaines. L’exemple qui me vient en tête est la fameuse préposition à la fin d’une phrase, comme dans « the thing I was talking about ». Au Québec, on pourra entendre « la chose que je parlais de », au lieu de « la chose dont je parlais ».

Source photo : wikipedia.


Lorsque j’écris mes trucs, il m’arrive de tenter de reproduire le langage courant québécois. Ça m’apparaît plus efficace et plus près de mon expérience d’expatrié de narrer dans ma « langue-réflexe ». Surtout lorsque je souhaite peindre mes réactions intimes, comme la surprise ou l’outrage. Il m’est plus naturel d’écrire « Quossé qu’c’est ça, c’t’ostie d’affaire là » que « Diantre, mais qu’est-ce que ça peut bien être cette putain de chose que je vois là ». Notez au passage les nombreuses contractions, un peu comme les « shouldn’t » et « wouldn’t » des Américains. Notez aussi le mot « hostie » dans son orthographe populaire, un des nombreux jurons du bon vieux Québec catholique. Au Québec, toute la vaisselle ecclésiastique trône au panthéon des jurons. Les « merde » et « putain » du Québec sont « tabarnak (tabernacle) », « côlisse (calice) » et « cibouère (ciboire) ». Sans compter les « baptême », « sacrament » (sacrement), « viarge » (vierge, de Vierge Marie), et « maudit prêt’ sale de bout d’ciarge» (maudit prêtre sale de bout de cierge).

Le deuxième filtre à appliquer est celui du vieux français. Détecter ce qu’on appelle en France des archaïsmes. Nous utilisons « soulier » pour « chaussure », « boucane » pour « fumée », « achalandé » pour « très fréquenté », ou « brunante » pour « crépuscule ». Nous disons « dispendieux » pour « cher », « plaisant » pour « agréable », « présentement » pour « actuellement », et « garnotte » pour « gravier ». Pour ces petites places publiques dans les villes, nous disons « carré » au lieu de « square ». Et lorsque nous voulons traverser une rivière, nous montons à bord d’un « traversier », et non d’un « ferry ».

Il reste enfin les expressions et mots typiquement québécois, inventés sur place. Par exemple « le dépanneur », qui signifie en France « l’arabe du coin ». « Tuque » pour « bonnet de laine ». « Magané » pour « fatigué, bourré ». « Mouiller » pour « pleuvoir ». « Ayoye » pour « Aïe, ouille ». Et « une brosse » pour « une cuite, une beuverie ». Pour ces mots, je vous recommande un des nombreux dictionnaires franco-québécois, comme celui-ci : http://www.fredak.com/dicoquebec.htm

Cet autre site vous expliquera pourquoi au Québec on dit « tu m’aimes-tu », ou « chu pu’ capab’ d’y ouère son ostie d’face, m’a l’tuer » pour « Je n’en peux plus de voir son putain de visage, je vais le flinguer » : http://pagesperso-orange.fr/alain.perron/Parlurequebecoise.htm

Il y a aussi ceci, qui offre une analyse plus complète que la mienne : http://fr.wikipedia.org/wiki/Lexique_qu%C3%A9b%C3%A9cois

J’espère que tout ça vous aide un peu.

Bon, ben c’est pas qu’c’est plate, mais faut que j’tchèque mes courriels, que j’aille aux bécosses, pis j’veux m’coucher d’bonne heure pour pas êt’ trop magané d’main. Faq’ salut.


2 commentaires:

Anonyme a dit…

Cher Paul,

Ignorante que je suis, je ne savais pas jusqu’à il y a deux semaines que tu tenais un blog. Eh bien laisse-moi te dire qu’entre un biberon et une séance de «Qu’est-ce qu’il fait le chien? Le chien fait wouf, wouf wouf.», ça fait du bien de lire quelque chose d’intelligent! Tes textes sont tout simplement délicieux! Maintenant que je suis à jour dans la lecture de ton blog, Jules sera certainement très heureux de retrouver sa « ma-ma-ma-man » qui, je dois l’avouer, l’a délaissé à quelques reprises ces derniers jours au profit d’un écran d’ordinateur!

Je te souhaite une bonne continuation dans ton séjour dans l’Hexagone… et encore quelques mésaventures! [Ben quoi?! Ça donne de bons textes! :-) ]

Merci de nous faire vivre Paris par procuration!

PomPom

sylviane a dit…

Hormis les mots "shopping et mail", on n'utilise pas dans mon entourage familial ou professionnel les autres mots ou expressions anglaises que tu cites et apparemment régulièrement utilisées dans le monde branché parisien. Et je pense que c'est tout bon de préciser que je suis une française de province (Anjou), pas parisienne pour deux sous,Oups!!!.Et je te souhaite de découvrir la différence pendant ton séjour en France, en espèrant que tu ne vas pas te cantonner à notre belle capitale et te montrer curieux de la beauté de nos régions si diversifiées.

Merci l'ami Paul pour ce post explicatif, j'ai bien apprécié.

Au plaisir et comme d'hab, bonne et belle soirée.