samedi 20 décembre 2008

A beau mentir



En Amérique, quand on nous fait une pub de shampoing, on nous parle toujours de l’Europe. Quelque part en Europe, peut-être à Genève, dans un institut prestigieux, les plus grands « capillairologues » français, allemands et italiens ont planché pendant des mois sur cette nouvelle mixture ultra-vitaminée supposée donner plus de lustre à votre calvitie. C’est la même chose pour les voitures, la bouffe, les vêtements. Tout ce qui reçoit le label Europe est automatiquement perçu comme stylé, racé, luxueux. Dans l’imaginaire américain, l’Europe, c’est la classe. En pub américaine, un européen n’a jamais de problèmes digestifs, passe le plus clair de son temps à jouer au tennis en short Lacoste, et ne sue pas pendant l’effort.

Le même truc existe dans l’autre direction. Ici, c’est l’Amérique qui fait rêver, et qui fait vendre. Ici persiste l’espèce de notion de terre de liberté, où tout est encore possible, où tu peux commencer sur tas de fumier et finir sur une montagne d’or. On me parle toujours des grands espaces, on fantasme sur la vitalité de New York City. Quand un Français me fait le portrait de l’Amérique, j’ai l’impression de revoir le célèbre cowboy qui fume sa cloppe au premier plan d’un panorama de canyon. Ou bien les filles de Sex and the City.

Dans le RER, une pub me fait bien rigoler. C’est une pub pour une école de langue, le Wall Street Institute. Sur le panneau, on voit une jeune diplômée toute heureuse. Et c’est écrit : « Do you speak Wall Street English? » Ici, bien parler anglais est un gros atout professionnel. Les Français sont des perfectionnistes, alors je crois qu’ils sont complexés de s’exprimer dans leur anglais approximatif. Ils n’aiment pas le ridicule, alors ils se taisent. C’est paradoxal, parce qu’à New York, tout le monde a un foutu accent. S’il existe un « Wall Street English », c’est un gros melting-pot linguistique d’accents pakistanais, italien de Brooklyn, french-canadian, yiddish et texan. En Amérique, tu parles suffisamment bien l’anglais si tu peux dire : « You got problem, I got solution, let’s do bizness ».

Des deux côtés de l’Atlantique, les publicitaires jouent sur des perceptions erronées ou des fantasmes pour vendre leurs produits. C’est normal, c’est comme ça, c’est leur métier. On ne peut pas leur en vouloir. Surtout qu’on en redemande.

Source photo : wikipedia.


Mais là où ça devient vraiment intéressant, c’est quand un quidam se met à me parler de l’autre continent à partir d’idées reçues, ou en basant ses conclusions sur trois semaines de tourisme transatlantique. Plus je passe de temps ici, plus je découvre l’ampleur de cet océan culturel dans lequel j’ai à peine commencé à tremper mon petit orteil gauche. Lorsque j’émets des opinions sur la France, comme plus haut, c’est toujours avec une certaine réserve (même si ça ne paraît pas toujours). Mes jugements sont encore ceux d’un jeune disciple naïf. Et j’accepte pleinement l’idée de me contredire dans six mois. Au cas où vous n’auriez pas compris, l’objectif de ce blog n’est pas de décrire la France, mais plutôt de documenter l’évolution de ma perception du monde.

Donc, j’aime bien quand mon copain québécois se met à m’expliquer la France en se basant sur sa vaste expertise acquise lors d’un séjour de deux semaines en autocar. Je rigole bien. Surtout quand je mesure la profondeur de mon ignorance après six mois. D’ailleurs, au passage, je m’excuse de trop souvent dire « la France » alors que je devrais dire « Paris ».

Je me bidonne aussi quand un parisien m’explique l’Amérique, surtout s’il n’y a jamais mis le pied. Récemment, lors du passage de mon ami Mikaël, nous discutions dans un resto avec deux parisiens sympathiques. Nous parlions de sport. À un moment, un des deux parisiens a commencé à nous donner une leçon magistrale sur le hockey. Quel moment loufoque. Quel plaisir d’entendre son opinion d’expert, ses affirmations bien appuyées. Je m’en veux encore de ne pas lui avoir coincé l’ego, de ne pas l’avoir impitoyablement mis en boîte jusqu’à ce qu’il demande « pardon mon oncle ». Allez le Français, nomme-moi rapidement cinq compteurs d’au moins 50 buts pendant deux saisons consécutives. Dis-moi la couleur des lignes sur une patinoire. Nomme-moi au moins deux équipes de la Côte Ouest. À part la coupe Stanley, nomme-moi un autre des trophées remis annuellement dans la LNH. Dépêche-toi, le Français; un petit canadien de sept ans connaît toutes les réponses.

Peut-être choqué par mes occasionnelles critiques de la France, un lecteur m’a déjà demandé de critiquer l’Amérique. Je crois que c’est le travail des expatriés français. Mais Noël s’en vient e je rentre au pays. Ça pourrait effectivement un bon moment pour revisiter le beau, mais aussi parler un peu du laid. Ça aiderait peut-être quelques lecteurs français à moduler leur vision de l’autre continent.

Si j’ai un moment, je parlerai de Montréal, cette ville que j’aime. Aussi, je glisserai peut-être un mot de nos abrutissantes rangées de bungalows. De ces centres commerciaux de ville champignon, où vont s’ennuyer les jeunes le samedi après-midi. Des crises identitaires d’une culture pas encore figée. De l’Amérique comme terre d’itinérance. Notre beau grand enclos, où il est commun dans une vie de déménager à Toronto (539 km), à Calgary (3743 km), ou Vancouver (4721 km) sans avoir l’impression de changer de pays. Des 800 km en auto que je dois me taper, la moitié sur une route à deux voies, pour aller rejoindre ma famille après mon arrivée à Montréal. De la quasi uniformité américaine, aux couleurs de McDo, de Starbucks, de Tim Horton’s, de Wal-Mart, et qui fait que Baie-Comeau ressemble à Thunder Bay (2 273 km en voiture selon Google Maps). Les Français rêvent souvent de nos grands espaces. Mais ils ne savent pas trop de quoi ils sont faits, ces grands espaces. Chez nous, il faut souvent rouler très longtemps avant de changer de paysage.


1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je pense que t'aurais besoin de passer plus de temps au Canada et aux USA Paul... Oh mon Dieu que je ne suis pas d'accord: il y a tellement de nuances entre chaque endroit (même si je n'y ai pas «vécu» ;-) !!!